Doctrina OHADA

La responsabilidad penal de los directores de empresas por delitos no intencionales

Alain Michel EBELE DIKOR

« Etre responsable c’est assumer les conséquences de ses actes. », Jean-Paul SARTRE

Le droit pénal des affaires de l’OHADA est un droit atypique. Au-delà de son caractère dualiste, c’est également un droit essentiellement pluraliste. Ce dualisme se manifeste non seulement par le recours aux dispositions de l’AUDSCGIE pour ce qui est des incriminations, mais également par le recours aux législations nationales, pour ce qui est de la détermination des sanctions . D’autres Actes uniformes consacrent des dispositions pénales. Il s’agit de l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives d’apurement du passif (AUPCAP) , l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (AUS) et l’Acte uniforme portant droit commercial général (AUDCG) . La méthode du renvoi législatif ainsi consacrée laisse aux Etats-parties la possibilité de déterminer les peines en matière pénale par l’entremise des parlements nationaux . Ceci a fait dire à certains auteurs qu’il s’agit d’« une justice à deux vitesses » contraire au principe de la légalité criminelle . Le pluralisme du droit de l’OHADA quant à lui dérive de sa vocation à embrasser toutes les règles relatives aux incriminations. Les incriminations prévues en l’état actuel de ce droit sont contenues dans l’AUDSCGIE, l’AUPCAP, l’AUDS, et l’AUDCG. Nous limiterons notre démonstration aux incriminations contenues dans l’AUDSCGIE. Il est certes vrai que certaines infractions économiques telles les délits d’initiés, les délits boursiers, les délits relatifs aux valeurs mobilières notamment n’ont pas été pris en compte ; mais, en dehors de ces cas limités, de nombreuses infractions sont prévues par l’AUDSCGIE . Si par ailleurs, à la différence de certaines législations pénales nationales , l’AUDSCGIE n’a pas malheureusement consacré la responsabilité pénale des personnes morales, celle des personnes physiques dirigeantes des personnes morales a bel et bien été admise .

L’accent a d’abord été mis sur la question de la responsabilité civile des dirigeants sociaux . Rarement on avait imaginé la mise en œuvre de leur responsabilité pénale, les dirigeants étant supposés agir au nom, pour le compte et dans l’intérêt de la société commerciale qu’ils servent, ainsi que ceux des associés. Le droit des sociétés de l’OHADA, tout comme plusieurs autres droits nationaux et régionaux, ne s’est pas limité à prévoir des dispositions régissant la responsabilité civile des dirigeants sociaux, il a en outre fixé celles des règles qui s’appliquent à leur responsabilité pénale, et plus précisément aux règles tenant à leur incrimination. Elles tiennent aussi bien à la constitution des sociétés (titre 1, articles 886-888), à la gérance, à l’administration et à la direction des sociétés (titre 2, art. 889-891), aux assemblées générales (titre 3, art. 892), aux modifications du capital des sociétés anonymes (titre 4, art. 893-896), au contrôle des sociétés (titre 5, art. 897-900), à la dissolution des sociétés (titre 6, art. 901), à la liquidation des sociétés (titre 7, art. 902-904), et en cas d’appel public à l’épargne (titre 8, art. 905).

La présente étude n’a pas vocation à s’étendre à la responsabilité pénale en cas de commission d’une infraction prévue par les droits nationaux des Etats membres . Elle se limitera aux infractions prévues par le droit des sociétés de l’OHADA, dans les dispositions précitées. Elle n’a pas non plus vocation à saisir la responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour des faits personnels en dehors de la qualité de dirigeants sociaux, mais plutôt pour ceux inhérents à l’exercice de leurs fonctions. Sauf un cas précis d’exonération, il ne s’agira pas non plus d’examiner les hypothèses très rares où le dirigeant chef d’entreprise peut engager sa responsabilité du fait des infractions commises par ses préposés. Ces infractions relatives au droit du travail et au droit pénal de l’environnement constituent pour l’essentiel des contraventions, alors que notre démonstration reposera sur les délits et les crimes commis involontairement par les dirigeants sociaux . La clarification des concepts qui posent le problème en étude constituera un préalable nécessaire à l’analyse, lequel permettra de circonscrire de manière précise le domaine de notre démonstration. Que faut-il en l’occurrence entendre par responsabilité pénale ou par infraction non intentionnelle ?

Sont pénalement responsables ceux qui ont l’obligation de répondre des infractions commises et de subir une peine correspondante fixée par le texte qui les réprime. Les dirigeants sociaux, qu’ils soient des dirigeants de droit, des dirigeants de fait, ou des dirigeants apparents ou occultes , n’échappent pas à la règle . Les dirigeants de droit, sur lesquels seront axés nos développements, sont des personnes physiques ou morales, ou encore des organes régulièrement désignés pour gérer la société et qui, à ce titre, assument légalement des fonctions de direction ou d’administration en son sein et l’engagent normalement à l’extérieur. Ont la qualité de dirigeants de droit : les gérants dans la société de personnes et dans la société à responsabilité limitée ; le conseil d’administration, le président-directeur général, le président du conseil d’administration, le directeur général dans la société anonyme et la société par action simplifiée à conseil d’administration ; l’administrateur général dans la société anonyme et la société par action simplifiée sans conseil d’administration.

La responsabilité pénale n’est pas un élément de l’infraction, mais l’effet de sa conséquence juridique. Plusieurs conditions sont donc requises pour qu’une personne, fusse t-elle dirigeant social, soit sanctionnée pénalement. Il faut en effet qu’une infraction soit imputable au dirigeant social ; que ce dirigeant social ait commis une faute de gestion, de direction ou d’administration ; et que cette faute résulte d’un acte injustifié . Les incriminations visées par l’AUDSCGIE sont en principe intentionnelles puisqu’elles supposent la mauvaise foi de l’auteur de l’infraction. Elles reposent sur la volonté délibérée du dirigeant de société de poser un acte passible d’une sanction pénale. Le recours constant à l’adverbe « sciemment » marque l’attachement du législateur régional de l’OHADA au principe criminel de la nécessité d’une intention coupable. La plupart des infractions contenues dans l’AUDCG, l’AUS et l’AUPCAP sont intentionnelles, d’où leur exclusion de notre étude, laquelle ne se limitera qu’aux infractions contenues dans l’AUDSCGIE.

Epiloguer par conséquent sur les infractions non intentionnelles peut sembler a priori zélé, et a posteriori manquer d’objectif, l’intention criminelle étant, à côté des éléments matériels constitutifs de l’infraction, une condition sine qua non de mise en œuvre de la responsabilité pénale. Elle est à l’infraction ce que la volonté est au contrat, la source des obligations par excellence. Dès les premières années du XIXe siècle, la Cour de cassation française avait affirmé et réaffirmé que certaines infractions sont des infractions matérielles dans la mesure où il « suffit que le fait soit matériellement constaté » pour que le délinquant soit répréhensible, indépendamment de la démonstration par le ministère public d’une faute intentionnelle ou non intentionnelle à la charge de ce délinquant . Les contraventions et les délits-contraventions, c’est-à-dire les délits assimilés aux contraventions, en sont quelques illustrations patentes. C’est sans doute ce qu’a voulu reproduire le législateur de l’OHADA en consacrant les infractions non intentionnelles.

La société commerciale étant une entité indispensable au développement économique et social d’une société ou d’une communauté donnée, il est impératif de la protéger contre toutes atteintes plus ou moins volontaires susceptibles d’impacter sur son crédit, et précisément celles venant des dirigeants sociaux. Une telle démarche n’est ni impossible, ni inutile. Si elle participe indubitablement du renforcement de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux, elle aboutira certainement à un assainissement du monde des affaires ainsi qu’à une démocratisation de la gestion sociale des entreprises sous le prisme contemporain de l’exigence de la bonne gouvernance ou de la gouvernance d’entreprise.

Concrètement, les infractions non intentionnelles renvoient aux infractions survenues du fait de l’imprudence, de la négligence, du défaut d’adresse et de précaution, de la maladresse ou de l’inattention du dirigeant pénalement responsable. Elles sont indépendantes de l’intention de l’auteur et sont réprimées en raison de la seule violation des dispositions textuelles. L’AUDSCGIE de 1993 en avait dressé une liste allant de la constitution de la société à sa dissolution, en passant par son organisation et son fonctionnement. Dans le souci de protéger tous les intérêts en présence, notamment celui de la société, des associés et des tiers, le nouvel Acte uniforme révisé le 30 janvier 2014 et entré en vigueur le 5 mai 2014 est venu renforcer dans certains aspects la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait de ces infractions.

L’idéal ne serait donc pas ici de se cantonner à une présentation schématique des hypothèses de responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour chuter sur sa mise en œuvre et ses effets. Il s’agira plutôt, dans une perspective constructive et évolutive, de ressortir le dynamisme de la responsabilité pénale des dirigeants, afin de proposer des éléments pouvant permettre à ceux-ci d’échapper à leur mise en œuvre à travers des formules plus ou moins textuelles. Au regard de l’extension des pouvoirs des dirigeants sociaux, leur responsabilité mérite également d’être renforcée. C’est reconnaitre qu’en réalité, la responsabilité pénale des dirigeants sociaux est à la mesure de leurs pouvoirs . La question centrale qui se pose est celle de l’effectivité de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait des infractions non intentionnelles. En filigrane, quelle serait l’étendue de cette responsabilité ? Mieux, son régime est-il identique à celui des infractions intentionnelles ?

Un constat s’impose. L’on observe en effet que si le législateur de l’OHADA a renforcé la responsabilité pénale des dirigeants sociaux, même en présence d’infractions non intentionnelles, il est certain que cette responsabilité demeure restreinte. Cette restriction est observable tant au niveau de la consécration de cette responsabilité qu’au niveau des hypothèses d’exonération. Concrètement, la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait d’infractions non intentionnelles a été consacrée de façon timorée d’une part (I.) et, d’autre part, sa mise en œuvre peut toujours être évitée (II.).

I. Une consécration timorée de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait d’infractions non intentionnelles

Comme la responsabilité civile, la mise en œuvre de la responsabilité pénale suppose la réunion de plusieurs conditions : la faute, le dommage et le lien de causalité. Mais, contrairement à la responsabilité civile qui obéit à des méthodes précises, la responsabilité pénale s’opère de la même manière que le droit commun de la responsabilité. Lorsqu’une infraction est constatée, elle ne peut être mise en œuvre qu’au travers d’une action publique ou civile. L’infraction repose non seulement sur l’incrimination, mais également sur la sanction. En droit des affaires de l’OHADA, le législateur a non seulement limité les incriminations résultant d’infractions non intentionnelles (A.), mais également dispersé les sanctions attachées à ces incriminations (B.).

A. La limitation des incriminations

Incriminer c’est ériger un fait en infraction, c’est-à-dire en crime, en délit ou en contravention. En vertu de l’article 5 du traité constitutif de l’OHADA de 1993, « (1) Les actes pris pour l’adoption des règles communes prévues à l’article premier du présent traité sont qualifiés « actes uniformes ». (2) Les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. (3) Les Etats Parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues. ». La troisième partie de l’AUDSCGIE a inclus de nombreuses dispositions d’incriminations concernant des infractions non intentionnelles. L’on constate à l’observation que leur champ d’application est très limité.

En effet, parmi les vingt et unes dispositions pénales que comptent la partie 3 de l’AUDSCGIE, seules sept sont consacrées à la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait d’infractions non intentionnelles. Bien qu’elles ne couvrent pas l’ensemble des domaines encadrés par cette partie, les incriminations prévues touchent tout de même à quatre domaines sensibles des sociétés commerciales.

La première incrimination est relative à la constitution des sociétés. Elle est prévue à l’article 886 dudit Acte. En vertu de cette disposition, « Constitue une infraction pénale, le fait, pour les fondateurs, le président-directeur général, le directeur général, l’administrateur général ou l’administrateur général adjoint d’une société anonyme d’émettre des actions avant l’immatriculation ou à n’importe quelle époque lorsque l’immatriculation est obtenue par fraude ou que la société est irrégulièrement constituée. ». Deux hypothèses sont envisageables ici : celle où l’émission des actions est consécutive à une immatriculation frauduleuse ; et celle où cette émission intervient lorsque la société est irrégulièrement constituée. Si la première hypothèse suppose une intention coupable, la seconde concerne bel et bien une infraction non intentionnelle. L’irrégularité dans la constitution d’une société commerciale peut être volontaire ou non. Il s’agit d’un préalable à l’infraction, qui concerne l’inobservation de certaines règles relatives à la constitution des sociétés anonymes. Le non respect du nombre minimal d’actionnaires, le défaut de souscription intégrale du capital, les irrégularités dans la libération d’actions, le défaut de publication de la notice d’information s’agissant des sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne en constituent quelques exemples.

Le législateur de l’OHADA ne requiert donc pas dans ce cas une intention frauduleuse, c’est la matérialité de la faute qui est nécessaire bien qu’elle soit présumée. Il s’agit des délits de fonction car le législateur a souhaité sanctionner certaines infractions commises par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leurs fonctions. Il les a alors limités à la société anonyme et à la société par actions simplifiées alors qu’il pouvait l’étendre à toutes les formes de sociétés .

Pour échapper à la mise en œuvre de leur responsabilité pénale du fait de ces infractions non intentionnelles, il revient aux fondateurs, aux présidents directeurs généraux, aux directeurs généraux, aux administrateurs généraux ou aux administrateurs généraux des sociétés anonymes de vérifier la régularité de la constitution de ladite société avant de procéder à l’émission de titres. L’immatriculation de la société constituant une étape essentielle à la vie de la société, celle qui lui confère notamment la personnalité juridique, il va de soi que certaines opérations d’importance telles que l’émission d’actions ne doivent être effectuées qu’en l’absence d’irrégularités dans sa constitution.

Les deuxièmes, les plus nombreuses, sont inhérentes à l’augmentation du capital. Elles sont prévues aux articles 893, 893-1 et 894 de l’AUDSCGIE. D’après l’article 893, encourent des sanctions pénales les dirigeants de SA ou de SAS qui émettent des actions ou des coupures d’actions avant l’établissement du certificat du dépositaire, en cas d’irrégularités des formalités préalables à l’augmentation du capital, la non libération intégrale du capital antérieurement souscrit ou de la prime d’émission, la non libération des actions nouvelles d’un quart au moins de leur valeur nominale au moment de la souscription, le non maintien des actions de numéraire sous forme nominative jusqu’à leur entière libération. On le voit bien, cette responsabilité ne concerne que les dirigeants de sociétés de capitaux.

L’article 894 de l’AUDSCGIE est également limitée aux sociétés de capitaux (SA et SAS) . Dans cette disposition, le législateur de l’OHADA entend protéger non seulement les actionnaires, mais également les obligataires. L’augmentation de capital peut se traduire par l’entrée de nouveaux actionnaires dans la société, lesquels viendront inéluctablement concurrencer les actionnaires anciens. Pour protéger ces derniers, le législateur de l’OHADA leur a accordé un droit préférentiel de souscription, et a étendu ce droit à certains obligataires, notamment ceux qui sont titulaires de bons de souscription.

En matière d’émission de titre avant la reforme, l’AUDSCGIE a laissé planer le doute sur l’émission irrégulière de parts sociales lors de l’augmentation du capital. Désormais, le législateur a renforcé la responsabilité des gérants de SARL en prévoyant à l’article 893-1 dudit Acte que ceux-ci encourent une responsabilité pénale lorsqu’ils émettent des parts sans que ces nouvelles parts n’aient été libérées de la moitié au moins de leur valeur nominale au moment de la souscription. « Cette exigence rappelle les nouvelles dispositions qui rendent désormais possibles la libération de la moitié au moins des parts représentant des apports en numéraire pour les sociétés à responsabilité limité, contre la libération de la totalité avant leur entrée e vigueur » . Comme pour les précédentes infractions, aucune intention criminelle n’est requise pour que l’infraction soit constituée. Celle-ci est la résultante de l’émission de parts nouvelles et vise à « protéger les anciens associés et parer à toute éventualité d’émission irrégulière de parts sociales » .

Les troisièmes tiennent au contrôle des sociétés et sont prévues à l’article 897 de l’AUDSCGIE. En vertu de cette disposition, « encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui n’ont pas provoqué la désignation des commissaires aux comptes de la société ou ne les ont pas convoqués aux assemblées générales. ». Le contrôle des comptes sociaux est une obligation légale d’ordre public exercé soit par les associés, soit en principe par les commissaires aux comptes. Il est le gage de la fiabilité de l’information financière donnée aux différentes parties prenantes. Or, il peut arriver que les dirigeants sociaux fassent obstacle aux vérifications des commissaires aux comptes, ou refusent de leur communiquer des documents utiles. La sanction du défaut de désignation du commissaire aux comptes et ou celui de leur convocation à l’assemblée générale constitue un moyen nécessaire et efficace pour parer à cette situation.

Les quatrièmes enfin se rapportent à l’appel public à l’épargne. Elles sont régies par les articles 905 de l’AUDSCGIE . L’émission des valeurs mobilières doit respecter un certain formalisme, une certaine publicité, à défaut de quoi les dirigeants sociaux émetteurs peuvent engager leur responsabilité pénale. L’exigence du respect des règles de publicité préalablement à l’émission de valeurs mobilières vise à assurer une plus complète information des porteurs de valeurs mobilières. Les dirigeants sociaux doivent en effet assurer une large publicité de la situation de la société qu’ils dirigent ainsi que les résultats de leur société pour une meilleure protection des épargnants. La recherche de protection des intérêts des épargnants et de l’épargne a sans doute été l’élément déclencheur des poursuites pénales dirigées contre les dirigeants de la Communauté Urbaine de Douala dans le cadre de l’emprunt obligataire de sept milliards lancé le mars 2005 au Douala Stock Exchange . Une fois de plus, cette exigence se limite aux sociétés par actions de l’OHADA. Cette limitation révèle la volonté du législateur de l’OHADA de ne pas étendre hors proportion la responsabilité des dirigeants sociaux du fait de leurs infractions non intentionnelle.

B. La dispersion des sanctions

La responsabilité pénale des dirigeants des sociétés commerciales de l’OHADA peut être engagée du fait d’infractions non intentionnelles. L’AUDSCGIE a prévu de nombreuses incriminations, et les législateurs nationaux doivent prendre des sanctions y afférentes. A ce jour, seules trois Etats membres ont pris des textes dans ce sens : le Sénégal à travers la loi n° 98-22 du 26 mars 1998 portant sur les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, le Cameroun par le biais de loi n° 2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression des infractions contenues dans certains actes uniformes OHADA, et la République centrafricaine à travers la loi n° 10.001 du 6 janvier 2010 portant code pénal centrafricain.

Les sanctions découlant des infractions commises non intentionnellement par les dirigeants sociaux de l’OHADA sont prévues aux articles 8, 9 et suivants pour ce qui est de la loi sénégalaise, aux articles 11, 12, 15 et 23 en ce qui concerne la loi camerounaise, et aux articles 211, 217, 218, 221 et 229 du code pénal centrafricain. L’observation de ces dispositions révèle une totale dispersion des sanctions, toutes choses qui cadrent mal avec les impératifs poursuivis de sécurité, de fiabilité et d’efficacité.

S’agissant en l’occurrence de l’émission d’actions en cas d’irrégularités à l’occasion de la constitution de la société, prévue à l’article 886 de l’AUDSCGIE, la disparité des sanctions est patente. Par ordre croissant de gravité, la loi sénégalaise a retenu comme peine une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA ; la loi camerounaise a prévu une peine allant de 3 mois à 3 ans de prison et une amende de 500.000 à 5.000.000 FCFA ou l’une des deux peines seulement ; et la loi centrafricaine retient une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et/ou une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA. L’on comprend que si le Sénégal ne retient qu’une peine d’amende, le Cameroun et la République centrafricaine sont assez répressifs dans la mesure où en plus d’une amende 5 fois plus élevée, ils retiennent des peines d’emprisonnement.

La dispersion des sanctions s’observe également au sujet des infractions inhérentes à l’augmentation du capital. Ces dernières, nous l’avons dit, sont prévues aux articles 893, 893-1 et 894 de l’AUDSCGIE.

En cas de violation de l’article 893, la sanction varie d’un pays à un autre. L’on observe alors que si au Sénégal, la sanction retenue est de 100.000 à 1.000.000 FCFA d’amende, et 1 mois à 1 an d’emprisonnement, au Cameroun cette sanction est plutôt de 3 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA ou l’une des deux peines, tandis qu’elle qu’en République centrafricaine, elle est d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et/ou d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA.

Pour ce qui est de la violation de l’article 894, la loi sénégalaise prévoit une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA. Au Cameroun cette sanction est plutôt de 3 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA ou l’une de ces deux peines seulement, tandis qu’elle qu’en République centrafricaine, elle est d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et/ou d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA.

L’article 893-1 étant nouveau, il conviendra aux Etats membres de prendre des mesures pour articuler ces lois aux nouvelles dispositions de l’AUDSCGIE.

La sanction de la violation de l’article 897 de l’AUDSCGIE relatif au défaut de désignation des commissaires aux comptes et de leur convocation aux assemblées générales diffère également d’un pays à un autre. Au Sénégal, la loi prévoit une amende de 100.000 à 1.000.000 FCFA, et 1 mois à 1 an d’emprisonnement, ou l’une de ces deux peines seulement. Au Cameroun, la peine retenue est de 2 à 5 ans d’emprisonnement, et une amende de 500.000 à 5.000.000 FCF, ou l’une de ces deux peines. En République centrafricaine enfin, les dirigeants responsables encourent une peine d’emprisonnement de 6 mois à deux ans et/ou d’une amende de 500.000 à 2.000.000 FCFA.

Cette disparité de la sanction s’observe également en cas de violation de l’article 905 sur l’émission des valeurs mobilières en méconnaissance des exigences de publicité. Au Sénégal, la peine retenue est une amende de 200.000 à 2.000.000 FCFA. Au Cameroun, il faut compter 3 mois à 3 ans d’emprisonnement, et une amende de 100.000 FCFA, ou de l’une de ces deux peines seulement ; et en République centrafricaine, il s’agit d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, et/ou d’une amende de 1.000.000 à 5.000.000 FCFA.

Une telle disparité appelle nécessairement une harmonisation au regard des objectifs que s’est assignée l’OHADA. Contrairement aux dires de certains auteurs, si l’harmonisation du régime de responsabilité des dirigeants sociaux de l’OHADA porte un sérieux coup au principe de la légalité criminelle, il est fort contestable – l’OHADA étant l’œuvre des Etats – de penser, sinon en théorie, que la souveraineté de ces Etats volera en éclat . Il est des domaines où les Etats ont abandonné leurs missions régaliennes entre les mains des particuliers sans que ces domaines n’affectent la souveraineté. Il n’est pas impossible, l’OHADA étant une affaire des Etats, que le droit pénal des affaires soit entièrement confié à l’OHADA, lequel procédera soit de préférence par l’insertion des sanctions identiques dans l’AUDSCGIE, soit exceptionnellement par l’adoption d’un Acte uniforme, qu’il faudra revoir chaque fois qu’un Acte est révisé. Mais, la responsabilité pénale étant sérieuse pour les dirigeants de sociétés et pour les sociétés elles-mêmes, il convient de prendre les mesures permettant au mieux de les en exonérer. C’est ce qu’il convient désormais d’appréhender.

II. L’évitement de la responsabilité pénale des dirigeants sociaux du fait des infractions non intentionnelles

Le dirigeant social auteur d’une infraction non intentionnelle doit en assumer les conséquences en versant une amende et/ou en supportant une peine privative de liberté dont le quantum est prévu par un texte. Il arrive parfois que ce dirigeant commette des faits qui, matériellement, constituent une infraction, et qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi répressive. C’est généralement le cas en présence des causes de non-imputabilité ou des faits justificatifs . L’AUDSCGIE n’a pas tenu compte de ces différentes hypothèses qui ressortissent de la compétence du législateur national.

Il arrive également que, sans qu’il ait l’intention de commettre l’infraction, le dirigeant social répréhensible s’exonère de sa responsabilité. Les hypothèses d’évitement de la responsabilité pénale dans ce cas, bien que peu courantes, n’en sont pas moins présentes. Certaines sont volontaires parce qu’elles émanent de la volonté des dirigeants sociaux, chefs d’entreprise. Elles découlent alors de la délégation du pouvoir patronal (A.). D’autres en revanche sont involontaires parce qu’elles dérivent de l’écoulement du temps, qu’ils soient chefs d’entreprise ou organe de la société. La prescription constitue dans ce cas un exemple de choix (B.).

A. L’évitement de la responsabilité par la délégation de pouvoir

En matière pénale, la délégation de pouvoir ou de compétence est l’un des multiples mécanismes exonératoires de responsabilité par lequel un dirigeant social apporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller à la bonne observation des dispositions en vigueur, avec pour effet de transférer sa responsabilité au délégataire. Cette longue définition contient les conditions et les effets du mécanisme de délégation de pouvoir. En France, la délégation des pouvoirs a été consacrée dès la fin du XIXe siècle, mais ce n’est que progressivement que la jurisprudence va dégager les contours de ce mécanisme que le législateur s’était refusé à consacrer jusqu’à la loi du 13 mai 1996.

En droit pénal de l’espace OHADA, le législateur n’a pas encore consacré le mécanisme de la délégation du pouvoir. Plusieurs dispositions de l’AUDSCGIE fixent des règles relatives à l’empêchement des dirigeants sociaux, qu’il ne faut pas confondre avec le mécanisme de la délégation des pouvoirs, lequel opère en cas d’empêchement ou non. Limitées aux sociétés anonymes, alors que la délégation peut jouer dans toute forme de société , ces dispositions prévoient qu’en cas d’empêchement temporaire du président directeur général (art. 468), du président du conseil d’administration (art. 491), de l’administrateur général (art. 508) , le conseil d’administration peut déléguer, pendant la durée qu’il fixe, un autre administrateur ou directeur général dans ces fonctions. En cas d’empêchement de l’administrateur général, ses fonctions sont exercées par l’administrateur général adjoint ou par toute personne que l’assemblée générale ordinaire des actionnaires juge bon de désigner.

La situation est identique s’agissant du juge national ou régional de l’espace OHADA, qui, malgré la pratique réelle du pouvoir de délégation, n’a pas à notre connaissance consacré ce mécanisme. C’est l’un des juges du monde qui recourt très peu à son pouvoir normateur. Pourtant, comme l’observent Jacques BORRICAND et Anne-Marie SIMON, « le seul mécanisme exonératoire efficace est la délégation de pouvoir à un subordonné » . Il serait donc intéressant pour ces jurislateurs de s’inspirer des solutions ayant déjà fait leur preuve sous d’autres cieux, pour les adapter à leur environnement juridique. Un tel encadrement aura d’ailleurs l’avantage de l’isoler des mécanismes qui lui ressemblent.

En fait, la délégation suppose pour sa validité un certain nombre de conditions . D’après la jurisprudence française de 1993, le dirigeant social « a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des prescriptions réglementaires ». C’est dire premièrement que le principe de la délégation suppose l’existence d’une subordination salariale entre le délégant et le délégataire . Dans les cas d’empêchement prévus par le droit OHADA, il ne s’agit pas d’une hypothèse de subordination. Il faut encore deuxièmement que le délégataire qui accepte la délégation ait été désigné par le délégant. Or, dans la plupart des cas d’empêchement prévus par l’OHADA, le dirigeant est désigné par le conseil d’administration, les statuts ou l’assemblée générale ordinaire. Troisièmement par ailleurs, en choisissant son délégataire, le délégué doit s’assurer que celui-ci dispose des compétences techniques requises et de l’autorité suffisante pour remplir une tâche ou la faire remplir par les employés placés sous son autorité. Quatrièmement enfin, le délégué doit mettre à la disposition du délégataire les moyens suffisants à la réalisation de la mission déléguée. Elle n’est pas un « abandon de pouvoir », c’est la raison pour laquelle il importe de la limiter temporellement dans un domaine précis. Sa preuve pouvant se faire par tous moyens, elle incombera à celui qui l’invoque. Une délégation qui ne remplit pas ces conditions produira difficilement, de manière pleine et entière, toute son efficacité, celle d’une « mesure de saine gestion de l’entreprise » .

L’hypothèse d’une subdélégation de pouvoirs peut être envisagée en droit de l’OHADA. Mais, en l’état actuel des mentalités, et de la cascade des responsabilités que ce mécanisme pourrait entraîner, il semble plus sécurisant de le déconseiller. Encore que la prescription, comme la délégation, constituer un moyen d’évitement de la responsabilité des dirigeants sociaux.

B. L’évitement de la responsabilité par la prescription de l’action

Comme le procès, l’action en justice s’inscrit dans le temps. Les personnes victimes d’une infraction commise plus ou moins intentionnellement par les dirigeants sociaux doivent agir dans un temps déterminé . Le défaut d’agir au-delà d’un certain temps entraîne l’extinction de l’action et rend de ce fait toute poursuite impossible. C’est la prescription de l’action en matière pénale .

Contrairement à la prescription de l’action des dirigeants sociaux en matière civile, qui obéit à un régime de responsabilité abrégé , l’action en responsabilité pénale des dirigeants sociaux semble plus rigoureuse, bien qu’elle ne s’inscrive pas forcément dans la même logique que le régime de responsabilité de droit commun. Au Cameroun par exemple, en droit commun de la responsabilité pénale, l’action publique se prescrit par 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions. Les infractions prévues par le droit OHADA ne sont pas d’ordre contraventionnel. C’est ce qui justifie aussi l’exclusion des infractions commises non intentionnellement par les dirigeants sociaux en leur qualité de chef d’entreprise qui pour la plupart sont des contraventions, et relèvent du domaine du droit du travail ou de l’environnement. L’action civile en revanche, en ce qu’elle tend à la réparation du dommage causé par une infraction, se prescrit selon qu’elle est exercée devant la juridiction répressive ou civile. Lorsqu’elle est exercée devant la juridiction répression, elle se prescrit selon les règles de l’action publique, c’est-à-dire 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions. Lorsqu’elle en en revanche mise en œuvre devant la juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du Code civil, c’est-à-dire en principe 30 ans.

Au pénal en effet, il faut se rendre compte pour le regretter, le législateur « ohadien » n’a malheureusement pas harmonisé le régime de la prescription des actions en responsabilité pouvant être dirigées contre les dirigeants sociaux. S’il a en effet prévu les délais de prescription de l’action lorsque les faits dommageables sont qualifiés de crimes, il est resté silencieux lorsque ces faits constituent des délits.

Qu’il s’agisse des infractions commises lors de la constitution de la société, de son fonctionnement et de sa dissolution, l’AUDSCGIE a retenu un régime unitaire de 10 ans lorsque le fait dommageable est qualifié de crime. C’est notamment le cas de l’action individuelle (art. 164 al. 2), l’action sociale (art. 170 al. 2), l’action individuelle ou sociale contre le gérant (art. 332), contre les administrateurs ou l’administrateur général (art. 743) .

Dans le silence de l’AUDSCGIE en matière de délits, il est fort probable que le délai de prescription de l’action de droit commun soit retenu ; toutes choses qui risquent de créer des disparités dans la mise en œuvre cette responsabilité. En droit pénal camerounais précisément, ce délai est de 3 ans.

Dans tous les cas, la prescription qu’elle soit de 3 ou de 10 ans court à compter du jour où le délit ou le crime est apparu, de sa révélation s’il a été dissimulé, et a pu être constaté dans les conditions permettant l’exercice de l’action publique ou civile.

Cette harmonisation du régime des actions en responsabilité participe sinon d’un souci d’efficacité dans leur mise en œuvre, du moins dans la recherche d’une meilleure sauvegarde des intérêts de toutes les parties en présence. Une telle démarche mériterait tout de même d’être revisitée, s’agissant précisément du point de départ du délai de prescription de l’action. En application de l’AUDSCGIE, le point de départ de ce délai est le fait dommageable ou sa révélation. Comme dans l’exercice du pouvoir politique en Afrique, la tendance à la perpétuation des dirigeants sociaux dans la gestion, la direction et l’administration des affaires sociales est avérée. Cela présente de retarder ou d’annihiler complètement l’exercice de cette action. En effet, il y a le risque que par des manœuvres plus ou moins directes, le fait dommageable ou sa révélation ne se fasse pas, sinon que longtemps après que le dirigeant social ait quitté la société.

Il convient donc, si tant il est vrai que l’action en responsabilité permet d’assainir le monde des affaires et que la prescription concourt à la même finalité en lavant les souffrances endurées, il est tout à fait convenable de prévoir que cette révélation jouera même si les dirigeants sociaux pénalement responsables ne sont plus en fonction dans la société. Et ce ne sera que justice car comme le disait Portalis dans son discours préliminaire du Code civil, « La lecture des lois pénales d’un peuple peut donner une juste idée de sa morale publique et de ses mœurs privées ».

Alain Michel EBELE DIKOR

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.

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