OHADA Doctrine

Reflection on the institutional regulation system of banking activity in the CEMAC

SUNKAM KAMDEM Achille
Chargé de cours
Université de BUEA

Parfois perçu comme un concept flou voire incertain ou encore comme un concept valise , le mot régulation fait partie de ces concepts qui font l’objet d’usages multiples dans le domaine juridique. Notion polysémique par excellence , la régulation est susceptible d’acceptions diverses. D’abord, elle s’identifie au droit lui-même en ce qu’elle apparaît comme l’une de ses fonctions essentielles . Ensuite, la régulation peut être entendue comme une limite imposée dans l’exercice des pouvoirs et comme rééquilibrage des rapports de force . Enfin, la régulation est un moyen dynamique de maintenir les grands équilibres d’un secteur . Ce dernier sens dont la considération s’avère plus indiquée pour la présente réflexion, permet de mettre en évidence l’avènement d’un droit de la régulation. Ce droit s’analyse alors comme le droit qui prend en charge la construction, la surveillance et le maintien de force des grands équilibres de secteurs qui ne peuvent engendrer leurs équilibres par eux-mêmes . Il en est notamment ainsi des secteurs de l’audiovisuel, des télécommunications, de l’énergie, des marchés financiers, de la banque etc…

S’identifiant par les secteurs sur lesquels il s’exerce, le droit de la régulation est « un autre droit » , construit sur les cendres de l’Etat providence et qui propose une alternative au droit réglementaire jugé désincarné. Il se présente d’une part comme l’expression d’un droit pragmatique associant les destinataires au processus d’élaboration des normes, et d’autre part comme un droit flexible marqué par un processus d’adaptation permanente des normes . Il se caractérise également par l’existence d’une autorité de régulation , institution nécessaire au maintien de l’équilibre du système ou du secteur considéré. C’est dire que la notion de régulation comporte une profonde dimension institutionnelle .

L’activité bancaire dans la CEMAC (qui est l’un des secteurs principaux sur lesquels s’exerce la régulation) n’échappe donc pas aux règles ou principes qui la gouvernent. Etant donné que l’objet spécifique de la régulation bancaire est d’assurer la solidité du système bancaire , le rôle des institutions chargées de l’assurer est fondamental. Vu la place centrale qu’occupe le système bancaire dans le financement des économies des Etats membres de la CEMAC, une réflexion sur le système de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC s’avère d’une importance incontestable.
La question se pose dès lors de savoir quelle appréciation peut être apportée sur le mode de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC.
Une telle réflexion comporte un double intérêt théorique et pratique.

Sur le plan théorique, elle permet d’évaluer le degré d’application du droit de la régulation au système bancaire de la CEMAC de manière à dégager le particularisme de la zone CEMAC.

Sur le plan pratique, elle permet de souligner les insuffisances de la régulation institutionnelle telle que mise en œuvre afin d’y remédier de telle sorte que la stabilité et l’équilibre du système bancaire de la CEMAC ne soient pas menacés.

Au regard du fonctionnement actuel du système bancaire de la CEMAC, il apparaît que les autorités de cette sous région de l’Afrique centrale ont légitimement opté pour un mode communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire (I). Toutefois telle qu’elle est organisée et mise en œuvre, cette régulation comporte des ambiguïtés (II).

I- La légitimité du choix d’un système communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC

Au regard du dispositif juridique applicable à l’activité bancaire dans la CEMAC, il est incontestable que les autorités législatives et réglementaires de cette communauté ont opté pour un mode communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire. Ce choix est légitime eu égard au contexte ayant prévalu lors de l’adoption des textes consacrant cette régulation communautaire (A). La légitimité de choix se démontre par l’implémentation de cette régulation communautaire (B).

A- Le contexte du choix d’une régulation communautaire

La décision des autorités de la CEMAC de mettre en place un mode communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire se justifie par un contexte socio-économique (1) et juridique (2) particuliers.

1- Le contexte socio-économique

Le contexte socio-économique est celui de la crise bancaire de la fin des années 1980 et du début des années 1990 dans les Etats de la sous-région de l’Afrique centrale avec ses conséquences. En effet, sur les 40 banques que comptait la CEMAC , 9 avaient cessé leurs activités. Sur celles restant en activité, une seule respectait l’ensemble des normes réglementaires en vigueur, 14 avaient des équilibres précaires et 16 étaient totalement insolvables . Ce tableau peu reluisant du paysage bancaire de la zone CEMAC en cette période montre que le système bancaire de cet espace sous-régional manquait manifestement de solidité et de stabilité.

La crise bancaire de la fin des années 1980 et du début des années 1990 trouve son explication ou son origine dans les principales raisons suivantes : l’insuffisante couverture du risque de défaillance par les fonds propres et l’exposition des banques au risque de leur activité , les carences de gestion qui peuvent consister soit en de simples erreurs de gestion soit en une intention malveillante de dissimuler une gestion peu saine et approximative masquée par une comptabilisation fallacieuse des résultats , les défaillances observées dans le dispositif de surveillance ou de contrôle du système bancaire. Il convient d’ajouter s’agissant de ce dernier point que, dans les Etats de la zone BEAC, le contrôle de l’activité bancaire était exercé par les autorités nationales : autorité monétaire, conseil national du crédit, commission nationale de contrôle des banques, qui proposaient et prononçaient des sanctions. Mais la mise en œuvre de ces sanctions restait limitée car les autorités compétentes répugnaient à destituer les dirigeants indélicats, à prendre des mesures de redressement ou à procéder à la fermeture des établissements qui méritaient de l’être .

Au-delà des causes, les conséquences de la crise bancaire sur le plan socio-économique se sont avérées dramatiques non seulement pour le financement de l’économie des Etats membres de la CEMAC mais aussi pour les ménages qui ont perdu leur épargne, ce qui a rejailli sur leur bien-être social.
Au regard de ce qui précède, il apparaît que la régulation de l’activité bancaire de la fin des années 1980 était défaillante. Pour y remédier et permettre au système bancaire de fonctionner désormais de manière plus saine et plus optimale, les Etats membres de la CEMAC ont légitimement opté pour un mode communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire. La rupture avec le système antérieur de régulation nationale est réelle. C’est à la COBAC que la mission de surveillance du système bancaire a désormais été confiée.

Au contexte socio-économique légitimant le choix d’une régulation par une institution communautaire, s’ajoute le contexte juridique.

2- Le contexte juridique

Avant la crise de la fin des années 1980, le droit bancaire applicable dans les Etats de la sous région de l’Afrique centrale était essentiellement national, chaque Etat disposant d’un corps de règles législatives et réglementaires applicables sur son territoire. Au Cameroun notamment, c’est l’ordonnance du 31 août 1985 relative à l’activité des établissements de crédit qui pouvait être considérée comme le texte de base applicable à l’activité bancaire . Dans la plupart des Etats de cet espace géographique, certains de ces textes étaient hérités de la colonisation et ne correspondaient plus aux réalités du monde moderne . Par ailleurs, les objectifs de développement intégré des économies des Etats d’une même sous région partageant une communauté de monnaie rendaient nécessaire l’adoption des textes communautaires applicables à l’activité bancaire .

Ainsi, ont été adoptés entre autres textes, la convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique centrale et son annexe, le règlement du 15 février 1998 relatif au plan comptable des établissements de crédit, les règlements relatifs aux normes de gestion des établissements de crédit (fonds propres, liquidité, couverture des risques, division des risques, couverture des immobilisations etc.), le règlement relatif au contrôle interne dans les établissements de crédit, le règlement du 04 avril 2003 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale, le règlement du 04 avril 2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement, etc.

Le contexte est donc celui d’une communautarisation du droit bancaire dans la CEMAC. Vu les défaillances observées dans le système de régulation jadis applicable avant la crise, les Etats membres de la CEMAC ont opportunément et expressément confié l’application de toutes ces normes à un organe communautaire indépendant : la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Il eût d’ailleurs été incohérent et inefficace de procéder autrement.

Il apparaît dès lors que c’est dans un contexte particulièrement mouvant que s’opère le choix légitime d’un système communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC dont l’implémentation mérite d’être présentée.

B- L’implémentation de la régulation communautaire

Dans la CEMAC, l’implémentation de la régulation de l’activité bancaire est confiée à une autorité communautaire qu’il convient d’identifier (1) avant de présenter l’opérationnalisation de son rôle (2).

1- Identification de l’autorité de régulation

La dénomination d’autorité de régulation n’apparaît pas toujours de manière expresse dans les textes . Toutefois, il se dégage de la doctrine quelques indices d’identification des autorités en charge de la régulation d’un secteur d’activité donné. Ceux-ci reposent sur le repérage d’un organisme indépendant en charge de l’équilibre d’un secteur particulier . Il en découle que les missions ou le champ d’intervention du régulateur, son indépendance ainsi que ses pouvoirs constituent les principaux indices d’identification . Considérant ces critères, il ressort de la réglementation bancaire de la CEMAC que l’autorité de régulation du secteur bancaire est la COBAC.

S’agissant du champ d’intervention, l’autorité de régulation a globalement la charge d’instaurer ou de maintenir les grands équilibres de secteurs qui ne peuvent par leur seule force les créer ou les maintenir . Ce faisant, elles doivent « encadrer le développement d’un secteur dont elles ont la charge en fixant les règles du jeu et en arbitrant entre les intérêts en présence » . De manière plus spécifique, la régulation bancaire a pour objet d’assurer la solidité du système bancaire. Dans le système bancaire de la CEMAC, la COBAC est l’autorité qui correspond à cette description du rôle du régulateur. En effet, l’article 1 alinéa 2 de l’Annexe à la Convention du 16 octobre 1990 portant création de la COBAC prévoit notamment que la COBAC veille à la qualité de la situation financière des établissements de crédit ainsi qu’à l’intégrité du système bancaire et financier. L’article 9 du même texte ajoute que la COBAC fixe les règles destinées à assurer et à contrôler la liquidité et la solvabilité des établissements de crédit à l’égard des tiers, et plus généralement l’équilibre de leur structure financière.

En ce qui concerne l’indépendance du régulateur, c’est l’un des critères les plus centraux de la caractérisation d’un régulateur. Elle reflète une conception nouvelle de l’Etat postulant un « nouveau style d’action publique » . Dans les sociétés contemporaines en effet, on observe le recul d’une conception qui érigeait l’Etat en agent de modernité chargé de la gestion des secteurs clés de l’économie. L’Etat devient un arbitre du jeu social renonçant à imposer ses vues, négociant en permanence avec les partenaires sociaux pour construire les compromis nécessaires. Cela s’accompagne de la prolifération en marge des structures administratives classiques, d’organismes dotés d’une capacité d’action autonome. L’indépendance des autorités de régulation apparaît alors comme un critère nécessaire à l’efficacité de leur rôle consistant à organiser les conditions d’un juste équilibre entre les intérêts sociaux de toute nature. Cette indépendance est à la fois juridique et financière car leurs règles de fonctionnement les excluent du principe de subordination et leur accordent une autonomie de gestion financière à l’égard de l’Etat . Dans cet ordre d’idées, la COBAC est véritablement indépendante des Etats de la CEMAC puisqu’elle est un organe communautaire institué par l’UMAC et dont les compétences et les pouvoirs se situent au-dessus des considérations ou des contraintes purement étatiques.

S’agissant des pouvoirs, les autorités de régulation sont dotées d’un pouvoir de décision, de contrôle de la norme qu’ils édictent et d’un pouvoir de sanction , toutes prérogatives dont l’absence vouerait leur tâche à l’échec. C’est ainsi que lorsque l’article 1 de l’annexe à la Convention du 16 octobre 1990 précité dispose que « Il est institué une Commission Bancaire de l’Afrique Centrale ci-après dénommée ‘’la Commission Bancaire’’ et en abrégé ‘’COBAC’’, chargée de veiller au respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires édictées par les Autorités nationales, par le Comité ministériel de l’UMAC, par la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) ou par elle-même et qui leur sont applicables, et de sanctionner les manquements constatés », c’est incontestablement la plénitude des pouvoirs dévolus à un régulateur qui lui sont ainsi confiés. Ces pouvoirs sont d’ailleurs renforcés par l’article 7 du même texte et précisés par les articles 1 alinéa 2 , 14 et 15 .

Il apparaît clairement et indéniablement au bout de cette analyse que les autorités législatives et réglementaires de la CEMAC ont confié la régulation de l’activité bancaire à la COBAC, organe communautaire dont l’opérationnalisation concrète du rôle mérite attention.

2- L’opérationnalisation du rôle de la COBAC en tant qu’autorité de régulation

La présentation de l’opérationnalisation concrète du rôle de la COBAC peut être réalisée autour des principales missions qui lui sont assignées par la Convention du 16 octobre 1990.

Ainsi, en tant que régulateur en charge de l’édiction des normes adaptées à la spécificité bancaire de la CEMAC et en accord avec les standards normatifs internationaux, la COBAC a depuis sa création adopté de nombreux règlements dont l’application par les établissements de crédit contribue à la stabilité du système bancaire . Il en est notamment ainsi dans le domaine des normes prudentielles de gestion . Son intervention y est sans cesse renouvelée pour tenir compte de l’évolution de la matière et des réalités du moment. A titre d’illustration, et pour ne citer que quelques unes des interventions les plus récentes, au cours de l’année 2010, la COBAC a procédé à une importante réforme de 3 normes réglementaires : la norme de couverture des risques, la norme de division des risques et la norme relative à la comptabilisation et au traitement prudentiel des opérations sur titres effectuées par les établissements de crédit . Elle a également, en 2009, adopté le Règlement COBAC R-2009/03 relatif à l’organisation et au fonctionnement du Fonds de Garantie des Dépôts de l’Afrique Centrale dont le règlement intérieur a été fixé par Décision n°01/11-FGD-CD du 21 février 2011. Il convient de souligner que l’adoption par la COBAC des textes applicables fait très souvent suite à la consultation de toutes les parties prenantes pour recueillir leurs observations : Association Professionnelle des Etablissements de crédit de la CEMAC, Autorités monétaires et judiciaires, Secrétaire Permanent de l’OHADA ; ce qui correspond à l’idée que la doctrine se fait d’un régulateur efficace et légitime.

Relativement au contrôle, l’action concrète de la COBAC en vue du maintien de la stabilité du système bancaire de la COBAC est indéniable. Cette action peut prendre la forme d’un contrôle sur pièces ou d’un contrôle sur place. Dans le premier cas, il s’agit de contrôler l’activité et la gestion des établissements de crédit à travers des documents, informations et renseignements dont la COBAC aura préalablement demandé et reçu communication . Dans le second cas, le contrôle se fait dans les locaux de l’établissement bancaire c’est-à-dire au siège social, dans les agences ou succursales et peut être étendu aux filiales . Ainsi, en tant qu’organe de régulation de l’activité bancaire dans la CEMAC, la COBAC dispose d’un pouvoir étendu de contrôle qui englobe le contrôle de l’accès à la profession et le contrôle de l’exercice de l’activité bancaire. Il s’agit là d’un pouvoir de surveillance des établissements de crédit complété par des outils juridiques destinés à inciter les établissements de crédit à se conformer à la réglementation bancaire : la mise en garde et l’injonction auxquelles s’ajoute la mise sous astreinte. La COBAC n’hésite pas à s’en servir lorsque cela est nécessaire. Ainsi, en 2010, 18 injonctions ont été adressées aux établissements de crédit aux fins de les amener à respecter la réglementation . En 2011 elle en a donné 16.

En ce qui concerne la sanction, expression ultime du pouvoir disciplinaire de la COBAC, l’année 2011 a par exemple été marquée par la démission d’office d’un dirigeant d’une banque prononcée sur le fondement de l’article 15 de l’annexe à la convention de 1990. La COBAC a également exercé son pouvoir disciplinaire à l’occasion du retrait d’agrément de la BMBC et de l’IBAC . L’exercice de son pouvoir disciplinaire par la COBAC la met définitivement au cœur de la régulation de l’activité bancaire puisqu’elle a ainsi la possibilité d’assainir le système bancaire par une action corrective destinée à en éviter le déséquilibre. Le système bancaire de la CEMAC s’en trouve stabilisé, légitimant l’option pour un système communautaire de régulation institutionnelle. Pourtant, des ambigüités subsistent et nécessitent d’être corrigées afin que soit amélioré le fonctionnement du système bancaire.

II- Les ambiguïtés du choix d’un système communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans la CEMAC

La légitimité du choix d’un modèle communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire ne fait pourtant pas de ce modèle tel qu’il est organisé, un exemple de perfection. Des ambiguïtés existent et sont susceptibles de plomber l’efficacité du rôle de la COBAC (A), de même qu’elles laissent interrogateur sur l’étendue de la responsabilité de la COBAC (B).

A- La question de l’efficacité de la COBAC

Une lecture plus approfondie de certaines dispositions de la Convention du 16 octobre 1990 et de son annexe montre que l’indépendance de la COBAC est relative. Ce qui est de nature à compromettre l’efficacité de la COBAC dans sa mission de régulateur de l’activité bancaire (1). Cette efficacité est également susceptible d’être remise en cause par l’insuffisance des moyens en personnel de la COBAC (2).

1- La relativité de l’indépendance de la COBAC

L’un des critères d’identification d’une autorité de régulation, et partant de l’efficacité de son action est son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. De ce point de vue, l’indépendance de la COBAC ne fait l’objet d’aucun doute comme cela a été relavé. Toutefois, cette indépendance demeure sujette à caution. En effet, l’article 5 de l’Annexe à la Convention du 16 octobre 1990 portant création de la COBAC énonce : « La BEAC assure, sur son budget et avec le concours de son personnel, le fonctionnement de la Commission ». De toute évidence, c’est la dépendance de la COBAC à l’égard de la BEAC qui est ainsi textuellement consacrée. Pourtant l’indépendance financière du régulateur a entre autres avantages de faire de lui un arbitre direct des moyens qu’il alloue à ses activités, ce qui, peut-on le supposer, est un facteur d’optimisation de la dépense, d’amélioration de la qualité et de réduction des procédures bureaucratiques . Elle lui permet également d’échapper à l’autorité ou aux orientations techniques d’un tiers. La position de la COBAC est donc pour le moins ambiguë, ce qui peut rejaillir sur l’efficacité de ses interventions en tant que régulateur. Pour éviter cette dépendance vis-à-vis de la BEAC, le financement de la COBAC aurait pu être construit sur la base d’un financement quasi exclusif sur ressources propres essentiellement générées par des prélèvements sur les acteurs du système bancaire, à savoir les établissements de crédit et les établissements de microfinance. Il conviendrait pour cela, que les niveaux de taux et d’assiette soient directement subordonnés à la décision des autorités législatives de la CEMAC, ceci afin d’éviter le risque de capture du régulateur par les régulés.

Au-delà de la dépendance financière, la COBAC se greffe une dépendance structurelle relative notamment à sa composition. En effet, cette institution comporte en son sein un représentant de la Commission bancaire française . Cette présence d’un représentant du régulateur de l’activité bancaire en France au sein de l’autorité de régulation dans la zone CEMAC laisse songeur puisqu’elle amène à s’interroger sur son opportunité. A qui profite-t-elle ? Au régulateur français, à l’Etat français ou au régulateur communautaire de la CEMAC ? Elle semble visiblement destinée à assurer les intérêts français dans le secteur bancaire de la CEMAC et semble se justifier par la garantie de convertibilité que l’Etat français accorde au Franc CFA, monnaie ayant cours dans la CEMAC. Dans ces conditions, la COBAC est-elle encore complètement indépendante de toute influence extérieure dont les intérêts pourraient ne pas concorder avec ceux des Etats membres ? Nous ne le pensons pas.

La relative indépendance de la COBAC est donc susceptible de compromettre l’efficacité de son action. Il en est de même de l’insuffisance de ses moyens en personnel vu le volume de son portefeuille de contrôle.

2- L’insuffisance des ressources humaines

L’efficacité de l’intervention de la COBAC dépend également du personnel dont elle dispose au regard de la mission qui est la sienne. En effet, vu le volume du portefeuille de surveillance dont elle a la charge, on peut douter qu’elle dispose d’un personnel quantitativement et qualitativement suffisant.
D’abord, sur le plan quantitatif, si la BEAC assure sur son personnel le fonctionnement de la COBAC, cela revient à dire que le personnel de cette dernière est emprunté à la première, qui elle-même a des missions à remplir . Pourtant, le champ de compétence de la COBAC est particulièrement large. Elle est non seulement l’autorité de régulation du secteur bancaire mais également du secteur de la microfinance. Au 31 décembre 2011, le système bancaire de la CEMAC comptait 45 banques en activité. Le nombre d’établissements de microfinance ayant reçu avis conforme s’élevait à 778 à la même date. Le volume de travail de l’autorité de régulation est par conséquent particulièrement élevé. Ainsi l’exécution du programme de contrôle sur place de l’année 2011 n’a pu être réalisée qu’à hauteur de 21,5% faute d’effectifs .

La surveillance du secteur de la microfinance est tout aussi insuffisante. La COBAC avait décidé d’étendre ses contrôles sur place à tous les établissements de micofinance agréés au Cameroun, notamment en matière de suivi de la mise en œuvre des recommandations des missions d’évaluation effectuées au cours de l’année 2010. Faute d’effectifs, ces missions n’ont pas pu être réalisées .

Ensuite, qualitativement, l’intérêt de la COBAC pour la relation banque-client est relativement récent dans l’exercice du contrôle, notamment s’agissant de l’affichage des conditions de banque. Traditionnellement, l’essentiel de ses contrôles étaient prudentiels, laissant ainsi de côté un pan important de sa mission à savoir, veiller au respect par les établissements de crédit de la réglementation bancaire dans son ensemble. Cette tendance qui pouvait poser le problème de la compétence des agents de la COBAC semble s’inverser aujourd’hui. Néanmoins, l’étendue de la responsabilité de la COBAC dans sa mission de régulation reste encore problématique.

B- La problématique de la responsabilité de la COBAC

Le régime de responsabilité du régulateur de l’activité bancaire dans la CEMAC se présente en clair-obscur (1). Les aspects ambigus doivent être clarifiés afin que la confiance des acteurs du système bancaire, et partant, son équilibre, soient préservés (2).

1- Le clair-obscur de la responsabilité de la COBAC

Il convient d’abord de souligner que la COBAC est un régulateur contrôlé . Elle est donc soumise au droit communautaire et la régularité de ses actes peut être contestée devant la Cour de Justice de la CEMAC agissant comme juridiction d’appel et en dernier ressort. L’article 4 alinéa 3 de la convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC énonce que la Cour « est juge en appel et en dernier ressort des litiges qui opposent la COBAC aux établissements de crédit assujettis ». L’article 2 (a) de l’Annexe à la convention de 1990 est dans le même sens lorsqu’il dispose : « les sanctions prises en vertu de l’article 15 (…) sont susceptibles de recours devant la Cour de Justice de la CEMAC, seule habilitée à en connaître en dernier ressort ». Ainsi, sur le plan disciplinaire, la COBAC, organe de régulation, est soumise au contrôle juridictionnel de ses actes par une juridiction communautaire d’appel.

Toutefois, la COBAC est elle-même également considérée en jurisprudence comme une juridiction lorsqu’elle se prononce en matière disciplinaire . Par conséquent, sa responsabilité ne saurait être engagée en tant que défenderesse devant une autre juridiction pour les faits qu’elle a commis. Mais il convient de relever avec un auteur que « le statut de la COBAC reste particulier car si elle est bien une juridiction de premier ressort dont les décisions sont susceptibles d’appel, elle n’est une juridiction de droit commun car elle ne statue que sur les matières où sa compétence est reconnue par le droit communautaire, ni une juridiction interne. Tout au plus pourrait-on dire (…) qu’elle est une juridiction de premier degré de l’ordre communautaire » .

S’il est vrai que la portée de la responsabilité de la COBAC lorsqu’elle agit dans le cadre de ses compétences disciplinaires fait l’objet d’une certaine clarté, il demeure que son régime de responsabilité pour ses actes préjudiciables autres que disciplinaires ou encore pour les actes dépassant ses pouvoirs reste bien flou.

En effet, dans l’affaire Tasha Lawrence du 03 juillet 2003, la Cour a affirmé que : « la COBAC qui n’a pas compétence pour nommer ou agréer le Président du Conseil d’Administration d’un établissement de crédit ne peut davantage le démettre valablement » . Elle ajoute que « le fait pour la COBAC de statuer dans un domaine ne relevant pas de ses attributions constitue ainsi une faute suffisamment caractérisée » . Mais la question peut bien se poser de savoir quelle pourrait être la conséquence de la faute de la COBAC ainsi caractérisée sur le plan civil en cas de préjudice. Il est vrai que le chef de demande de M. Tasha étant limité à l’annulation de la décision de la COBAC D-2000/22 l’ayant démis d’office de ses fonctions de Directeur Général et de Président du Conseil d’Administration de Amity Bank, la Cour n’a pas pu se prononcer sur l’hypothèse d’une réparation par la COBAC du préjudice subi par M. Tasha. Mais la question mérite d’être posée étant donné que le droit communautaire de la CEMAC ne comporte pas un corps de règles harmonieux et explicite relatif à la responsabilité de la COBAC. Ce n’est donc que de manière indirecte, dans l’arrêt n°001/CJ/CEMAC/05 du 07 /04/2005 que l’idée d’une telle réparation a pu être admise car pour débouter le sieur Tasha de sa demande en réparation, la Cour a estimé que la faute commise par la COBAC n’était pas à l’origine du préjudice allégué.

Cette question mérite également d’être posée lorsque la COBAC n’a pas utilisé ses pouvoirs lorsqu’il en fallait faire usage. Cette hypothèse éminemment intéressante du point de vue de la fonction d’un régulateur, à savoir l’action de mettre au point, de maintenir en équilibre et d’assurer le fonctionnement correct d’un processus, a été éprouvée en France dans l’Affaire Maljournal. Dans cette affaire, il avait été reproché à la Commission Bancaire française qui avait eu connaissance à la suite d’une très brève enquête sur place, d’irrégularités graves dépassant la norme des infractions banales à la réglementation, de s’être contentée d’adresser aux dirigeants une simple mise en garde et, de n’avoir pas fait procéder à une nouvelle enquête approfondie avant la mise en faillite survenue treize mois plus tard . Dans le contexte qui est le nôtre, on assiste à la faillite de bon nombre d’établissements de microfinance, la question peut bien se poser de savoir si en plus de la mauvaise gestion, ces multiples faillites ne cachent pas en réalité une défaillance du régulateur susceptible de susciter la mise en jeu de sa responsabilité civile pour faute d’omission ou de négligence.

L’admission de la responsabilité civile de la COBAC en application du droit commun ne pourrait prospérer qu’en cas de reconnaissance à la COBAC de la personnalité morale. Ce qui est loin d’être clair au regard des textes. D’où la nécessité de clarification.

2- La nécessité de clarifier la situation juridique de la COBAC

Le succès de la mise en jeu de la responsabilité civile de la COBAC nécessite que soit précisé son statut juridique. Est-elle une personne au sens du droit ? En d’autres termes, dispose-t-elle de la personnalité juridique ?

Ni la convention du 05 juillet 1996 régissant l’UMAC, ni la convention du 16 octobre 1990 et son annexe portant création de la COBAC qui instituent et organisent cette entité de régulation de l’activité bancaire ne lui reconnaissent expressément la personnalité juridique. Cette personnalité juridique n’est reconnue qu’à la CEMAC par l’article 35 de l’additif au Traité de la CEMAC relatif au système institutionnel et juridique de la CEMAC ; et à la BEAC par l’article 5 des Statuts de la BEAC. L’absence de reconnaissance de la personnalité juridique à la COBAC est de nature à influencer voire à compliquer le régime de sa responsabilité civile. En effet, dans ces conditions, la possibilité pour un justiciable d’obtenir réparation à la suite d’une action en responsabilité civile est hypothétique puisque, ne disposant pas de personnalité juridique, elle n’a pas de patrimoine propre qui pourrait alors constituer le gage général d’éventuelles victimes de dommages.

Cette situation doit être clarifiée afin que puisse être précisée la portée de la responsabilité civile de la COBAC agissant comme régulateur. Les Etats membres de la CEMAC pourraient par un règlement lui reconnaître la personnalité juridique, ce qui aurait l’avantage de renforcer son indépendance et de responsabiliser ses dirigeants. Ils s’inspireraient alors du modèle européen où les agences européennes de régulation disposent d’une personnalité juridique . Cela faciliterait l’imputabilité vu les pouvoirs importants de décision dont elle dispose .

CONCLUSION

L’analyse de la réglementation bancaire actuelle de la CEMAC est indissociable du contexte qui lui a donné naissance et de celui qui a influencé son évolution. Il est donc normal que les organes législatifs et réglementaires de la CEMAC aient opté pour un système communautaire de régulation institutionnelle de l’activité bancaire dans cet espace sous régional. Ce système a contribué à assainir et à stabiliser le secteur bancaire de la CEMAC. Toutefois de nombreuses ambiguïtés constituent des pesanteurs de sa pleine efficacité. Il suffit d’évoquer la dépendance de la COBAC vis-à-vis de la BEAC pour s’en convaincre. Cela amène d’ailleurs à se demander qui est finalement le véritable régulateur. N’y aurait-il pas un régulateur de droit et un régulateur en fait ?

SUNKAM KAMDEM Achille
Chargé de cours
Université de BUEA

Revue de l’ERSUMA :: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.