OHADA Doctrine

Settlement of community disputes by the Judicial Chamber of the Court of Justice of CEMAC

The English version of this content will be available.

TATY
Juge Ă  la Cour de Justice de la CEMAC

Propos introductifs

Le rĂšglement du contentieux communautaire figure parmi les thĂšmes classiques de la protection juridictionnelle en droit communautaire.
Lorsque des visiteurs rencontrent à NDJAMENA un juge communautaire, il arrive bien souvent que l’un d’eux pose la question ‘’ à quoi sert la Cour de Justice de la CEMAC ?’’

La prĂ©sente contribution vise Ă  travers l’étude du systĂšme juridictionnel de la CEMAC Ă  rĂ©pondre Ă  cette interrogation.
PrĂ©cisons que pour la clartĂ© de notre exposĂ©, nous avons choisi de concentrer notre analyse sur la Chambre Judiciaire excluant la Chambre des Comptes qui n’a pas vocation, malgrĂ© son caractĂšre juridictionnel Ă  connaĂźtre du contentieux nĂ© de l’interprĂ©tation des normes communautaires, compĂ©tence rĂ©servĂ©e exclusivement Ă  la Chambre judiciaire, qu’elle partage avec les juridictions des Etats membres dans le cadre de la question prĂ©judicielle .

Pourquoi une juridiction régionale communautaire ?

La crĂ©ation d’une juridiction rĂ©gionale communautaire permettant d’assurer le respect de la lĂ©galitĂ© est un Ă©lĂ©ment consubstantiel de la ‘’CommunautĂ© de droit’’ pour reprendre la formule utilisĂ©e en 1959 par Walter Hallstein, PrĂ©sident de la Commission des CommunautĂ©s europĂ©ennes, citĂ©e dans le cĂ©lĂšbre arrĂȘt ‘’Les Verts’’ du 23 avril 1986 .

Il est essentiel en effet que les actes des institutions communautaires susceptibles de produire des effets juridiques et d’affecter directement les droits et intĂ©rĂȘts des diffĂ©rents sujets de droit soient soumis Ă  un contrĂŽle juridictionnel qui soit apte Ă  vĂ©rifier la conformitĂ© des actes des institutions au traitĂ©.
Cette communautĂ© de droit qu’emprunte Ă  son tour la CEMAC, exige que les Etats membres respectent leurs obligations dĂ©coulant du traitĂ©. A dĂ©faut, une procĂ©dure en manquement pourra ĂȘtre engagĂ©e.

Originalité de la juridiction communautaire

L’originalitĂ© de la justice communautaire rĂ©side dans le fait que la Chambre Judiciaire est une vĂ©ritable juridiction indĂ©pendante dont l’archĂ©type est la Cour de Justice de l’Union europĂ©enne.

Ce modĂšle est caractĂ©risĂ© par l’institution d’une juridiction obligatoire, alors que la Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire des Nations Unies, n’est compĂ©tente que si les Etats dĂ©clarent accepter sa compĂ©tence.

ConsĂ©quence : Les Etats membres de la CEMAC s’engagent Ă  ne pas soumettre un diffĂ©rend relatif Ă  l’interprĂ©tation ou Ă  l’application du traitĂ© Ă  un autre mode de rĂšglement autre que ceux prĂ©vus par celui-ci.

En adhĂ©rant au traitĂ©, les Etats ont dĂ©finitivement acceptĂ© la compĂ©tence de la Cour et n’ont pas Ă  donner leur consentement chaque fois qu’un recours est formĂ© Ă  leur encontre.

La Chambre Judiciaire siĂšge de maniĂšre permanente Ă  NDJAMENA. Les dĂ©cisions qu’elle rend souverainement ne sont elles-mĂȘmes soumises Ă  aucun contrĂŽle, ni censure des autres institutions, Ă  fortiori des Etats membres.

Elle fonctionne sur la base de quatre textes : le TraitĂ© et son additif, la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice ; l’Acte additionnel n° 006/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 dĂ©cembre 2000 portant statut de la Chambre Judiciaire ; l’Acte additionnel n° 04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 dĂ©cembre 2000 portant rĂšglement de procĂ©dure.

Composition et organisation de la Chambre Judiciaire

La Chambre Judiciaire compte six juges , soit un juge par Etat membre, dĂ©signĂ©s d’un commun accord par les gouvernements des Etats membres.
Les juges choisis parmi les personnalitĂ©s offrant toutes les garanties d’indĂ©pendance et de compĂ©tences sont nommĂ©s pour six ans. Un renouvellement partiel des juges a lieu tous les trois ans.

Faute de disposer d’un corps d’avocats gĂ©nĂ©raux, tous les juges, Ă  l’exception du PrĂ©sident, peuvent ĂȘtre appelĂ©s Ă  exercer la fonction d’avocat gĂ©nĂ©ral.
Les juges désignent parmi eux, le Président pour un mandat de trois ans renouvelable une fois.

Il dirige les travaux ainsi que les services de la Chambre, repartit les affaires entre les juges, désigne pour chaque affaire le juge rapporteur, détermine les délais de procédure et la date des audiences, préside la formation de jugement composée de trois ou cinq juges.

La Chambre ne peut valablement dĂ©libĂ©rer qu’en nombre impair, le PrĂ©sident n’ayant pas de voix prĂ©pondĂ©rante. A dĂ©faut de consensus, les dĂ©cisions sont acquises par un vote majoritaire.

L’arrĂȘt rendu ne donne aucune indication sur le point de savoir s’il a ralliĂ© l’unanimitĂ© ou seulement la majoritĂ© des voix et contrairement Ă  ce qui existe dans le cadre de certains juridictions internationales (Cour internationale de Justice) ou nationales (Cour suprĂȘme amĂ©ricaine), les opinions dissidentes des juges minoritaires ne sont pas approuvĂ©es.

La Chambre Judiciaire dispose d’un greffe qui exerce des fonctions classiques : rĂ©ception, transmission des requĂȘtes, mĂ©moires et autres piĂšces de procĂ©dure adressĂ©es par les avocats et agents des parties, assistance aux audiences, dressage des minutes, arrĂȘts et ordonnances, garde des sceaux et responsabilitĂ© des archives.

Les compétences de la Chambre Judiciaire

En vertu du principe des compĂ©tences dĂ©lĂ©guĂ©es, la Chambre Judiciaire n’a comme les autres institutions de la CommunautĂ©, qu’une compĂ©tence d’attribution.
L’article 2 de l’additif au TraitĂ© instituant la CommunautĂ© rappelle ce principe en ces termes : ‘’les organisations et les institutions agissent dans les limites des attributions et selon les modalitĂ©s prĂ©vues par le prĂ©sent additif, par les conventions de l’UEAC et de l’UMAC et par les statuts respectifs de ces organes ou institutions’’.

L’article 2 de la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice Ă©nonce quant Ă  lui que ’’la Cour est chargĂ©e de rĂ©aliser par ses dĂ©cisions l’harmonisation des jurisprudences dans les matiĂšres relevant du domaine des traitĂ©s et de contribuer par ses avis Ă  celle des lĂ©gislations nationales des Etats membres dans ces matiĂšres’’.

Il en résulte que :

  • toute compĂ©tence communautaire doit trouver son fondement dans une disposition du traitĂ© ;
  • seule une rĂ©vision du traitĂ© peut modifier l’étendue de la compĂ©tence communautaire. En vertu de ce qui prĂ©cĂšde, la Chambre Judiciaire ne peut s’immiscer dans l’application des textes adoptĂ©s dans le cadre d’autres organisations internationales . Il en va de mĂȘme pour les recours visant Ă  obtenir l’annulation des dĂ©cisions purement nationales . Ceci dit, le systĂšme juridictionnel communautaire offre une gamme de compĂ©tences Ă  la Chambre Judiciaire. On traitera donc successivement des compĂ©tences contentieuses, arbitrales et consultatives.
    Les compétences contentieuses

Le recours en annulation

Il permet Ă  la Chambre Judiciaire de contrĂŽler la lĂ©galitĂ© des actes communautaires de droit dĂ©rivĂ© (c’est-Ă -dire adoptĂ©s par les autoritĂ©s communautaires) destinĂ©s Ă  produire des effets juridiques Ă  l’égard des tiers , Ă  la demande d’un Etat membre ou d’une institution communautaire, dans les deux mois qui suivent leur publication ou notification.

L’article 14 de la Convention mentionne quatre vices susceptibles d’affecter un acte juridique : l’incompĂ©tence, la violation des formes substantielles, la violation du traitĂ© ou de toute rĂšgle de droit relative Ă  leur application et le dĂ©tournement de pouvoir.

Dans le mĂȘme dĂ©lai de deux mois, toute personne physique ou morale qui justifie d’un intĂ©rĂȘt lĂ©gitime peut saisir la Chambre Judiciaire pour contester des dĂ©cisions ou rĂšglements communautaires dĂšs lors qu’elle est directement et individuellement concernĂ©e.

Le critĂšre de l’intĂ©rĂȘt individuel a Ă©tĂ© dĂ©fini par la Cour de Justice de l’Union europĂ©enne dans l’affaire Plauman : Plauman, importateur de clĂ©mentines, a attaquĂ© une dĂ©cision de la Commission europĂ©enne refusant de suspendre partiellement les droits de douane applicables Ă  ces fruits. Etant donnĂ© que la dĂ©cision de la Commission n’était pas adressĂ©e Ă  cette entreprise, mais Ă  son Etat d’origine l’Allemagne, l’entreprise devait prouver qu’elle Ă©tait individuellement concernĂ©e par l’acte contre lequel elle formait le recours, la Cour a admis « que les sujets autres que les destinataires d’une dĂ©cision ne sauraient prĂ©tendre ĂȘtre concernĂ©s individuellement que si cette dĂ©cision les atteint en raison de certaines qualitĂ©s qui leur sont particuliĂšres ou d’une situation de fait qui les caractĂ©rise par rapport Ă  toute autre personne et de ce fait les individualise d’une maniĂšre analogue Ă  celle du destinataire » .

Cette position a Ă©tĂ© vivement critiquĂ©e par la doctrine europĂ©enne . La critique s’articulait autour du fait que l’approche adoptĂ©e par la Cour de Justice de l’Union europĂ©enne conduisait dans le systĂšme juridique de l’Union Ă  un dĂ©faut de protection juridictionnelle effective Ă  laquelle les particuliers ont droit.

Or le ‘’droit au juge ‘’ pour reprendre l’expression de l’avocat gĂ©nĂ©ral Darmon avait Ă©tĂ© consacrĂ© par la Cour comme un principe gĂ©nĂ©ral du droit de l’Union dĂšs le milieu des annĂ©es quatre vingt.

Il se fondait alors sur les traditions constitutionnelles communes des Etats membres et les articles 6 et 13 de la Convention EuropĂ©enne des Droits de l’Homme (CEDH).

Il en dĂ©coule, selon la Cour que les particuliers doivent pouvoir bĂ©nĂ©ficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique communautaire.

La Cour ajoute pour la premiĂšre fois, Ă  cĂŽtĂ© des traditions constitutionnelles communes des Etats membres et les articles 6 et 13 de la CEDH, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux comme fondement Ă  la protection juridictionnelle effective .

Ceci dit, la rigiditĂ© de l’accĂšs des requĂ©rants ordinaires au recours en annulation des actes qui ne leur sont pas adressĂ©s individuellement et directement conduit Ă  privilĂ©gier la voie de la contestation incidente qu’est l’exception d’illĂ©galitĂ©.

En effet, l’article 14 de la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice prĂ©voit formellement que nonobstant l’expiration du dĂ©lai de deux mois, toute partie peut, Ă  l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portĂ©e gĂ©nĂ©rale adoptĂ© par une institution, un organe de la CommunautĂ©, se prĂ©valoir des moyens Ă©numĂ©rĂ©s Ă  l’article 15 (incompĂ©tence, violation des formes substantielles, violation du traitĂ©, dĂ©tournement de pouvoirs) pour invoquer l’inapplicabilitĂ© de cet acte.
L’exception d’illĂ©galitĂ© vise non pas Ă  faire annuler un acte mais Ă  le dĂ©clarer simplement inapplicable au litige particulier au cours duquel l’exception a Ă©tĂ© soulevĂ©e .

L’acte ne sera pas annulĂ© pour autant et pourra Ă©ventuellement continuer Ă  s’appliquer dans d’autres circonstances notamment si l’on omet alors de soulever l’exception.
Signalons que dans sa fonction contentieuse, la Chambre connait en appel et en dernier ressort, des recours formés contre les décisions rendues par les organismes communautaires à fonction juridictionnelle en matiÚre disciplinaire.

Nous retiendrons la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) , la Commission de Surveillance du MarchĂ© Financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF) et, en matiĂšre de pratiques commerciales anticoncurrentielles, le PrĂ©sident de la Commission de la CEMAC qu’assiste le Conseil RĂ©gionale de la Concurrence.
Enfin, le contentieux de la fonction publique communautaire relĂšve, en premier et dernier ressort, du juge communautaire.

Ce contentieux couvre les litiges nĂ©s entre la CEMAC, ses institutions, organes et institutions spĂ©cialisĂ©es et leurs fonctionnaires ou agents contractuels, Ă  l’exception de ceux rĂ©gis par les contrats de droit local.

Le recours en responsabilité

PrĂ©vu par l’article 20 de la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice, le recours en responsabilitĂ© permet aux particuliers ou aux autres Etats membres qui ont subi un dommage d’obtenir rĂ©paration, sous la forme d’indemnitĂ©, de la part de l’institution ou de l’organe de la CommunautĂ© qui en est responsable.
Deux types de recours doivent ĂȘtre distinguĂ©s :

  • Les recours mettant en cause la responsabilitĂ© contractuelle de la CommunautĂ© lorsque celle-ci est partie Ă  un contrat, Ă  la condition qu’une clause compromissoire prĂ©voit la compĂ©tence de la Chambre Judiciaire en cas de litige (article 49 du statut de la Chambre judiciaire). Cette clause a pour unique fonction de dĂ©roger au principe gĂ©nĂ©ral de la compĂ©tence selon lequel compĂ©tence est donnĂ©e aux juridictions nationales pour connaĂźtre des litiges contractuels dans lesquels la CommunautĂ© est impliquĂ©e. En d’autres termes, l’absence de pareille clause rend les juridictions nationales seules compĂ©tentes .
  • Les recours mettant en cause la responsabilitĂ© extracontractuelle de la CommunautĂ© en raison d’un dommage causĂ© par ses organes ou ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ; ils peuvent ĂȘtre formĂ©s par les particuliers ou les Etats membres. Trois conditions doivent ĂȘtre rĂ©unies pour que la responsabilitĂ© de la CommunautĂ© soit reconnue : l’existence d’un dommage subi par le requĂ©rant, un comportement illĂ©gal des institutions communautaires ou de leurs agents au regard du droit CEMAC, et un lien de causalitĂ© directe entre le dommage subi par le requĂ©rant et le comportement illĂ©gal des institutions communautaires ou de leurs agents.

Le recours en responsabilitĂ© exercĂ© devant la Chambre Judiciaire n’est possible que pour mettre en cause la responsabilitĂ© de la CommunautĂ©.
Les recours dirigĂ©s contre les Etats membres en cas de dommage causĂ© par une mauvaise application du droit CEMAC doivent ĂȘtre exercĂ©s devant les juridictions nationales.

Il en est de mĂȘme des recours dirigĂ©s contre la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) pour un refus d’application du droit OHADA , la Chambre Judiciaire n’ayant pas vocation Ă  connaĂźtre du contentieux nĂ© de l’application ou de l’interprĂ©tation des normes adoptĂ©es par les autres organisations d’intĂ©gration. En effet, chaque juge communautaire est juge de son traitĂ©.

Le recours préjudiciel

Afin de garantir une interprĂ©tation uniforme du droit de la CEMAC dans l’ensemble de la CommunautĂ©, une procĂ©dure dite de ‘’renvoi prĂ©judiciel’’ a Ă©tĂ© mise en place par l’article 17 de la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice.

A la diffĂ©rence des autres procĂ©dures juridictionnelles, le renvoi prĂ©judiciel n’est pas un recours formĂ© contre un acte communautaire ou national.
La Chambre Judiciaire ne peut ĂȘtre saisie que par le juge. Les parties litigeantes ne peuvent porter directement la question prĂ©judicielle devant la Cour .
Il existe deux types de renvoi préjudiciel :

  • Le renvoi en interprĂ©tation de la norme par lequel le juge demande Ă  la Chambre Judiciaire de prĂ©ciser un point d’interprĂ©tation du droit communautaire afin de pouvoir l’appliquer correctement ;
  • Le renvoi en validitĂ© de la norme de la CEMAC par lequel le juge national demande Ă  la Chambre Judiciaire de contrĂŽler la validitĂ© d’un acte de droit CEMAC. L’article 17 de la Convention prĂ©cise que les juridictions nationales qui statuent en dernier ressort, c’est-Ă -dire dont les dĂ©cisions ne peuvent faire l’objet d’un recours, ont l’obligation d’exercer un renvoi prĂ©judiciel si l’une des parties le demande. L’arrĂȘt de la Chambre Judiciaire est obligatoire non seulement pour la juridiction nationale Ă  l’initiative du renvoi prĂ©judiciel, mais Ă©galement pour l’ensemble des autres juridictions internes comme Ă  l’égard des autoritĂ©s administratives des Etats membres. C’est la diffĂ©rence entre l’arrĂȘt prĂ©judiciel de la Chambre Judiciaire et l’avis consultatif Ă©mis par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA).

Un acte communautaire serait-il dĂ©clarĂ© invalide dans le cadre du renvoi prĂ©judiciel en validitĂ©, l’ensemble des actes adoptĂ©s sur la base de celui-ci le sont Ă©galement. Il appartient alors aux institutions communautaires compĂ©tentes d’adopter un nouvel acte.

Par ailleurs, si Ă  la requĂȘte de la Commission, la Chambre Judiciaire constate dans un Etat membre, que le fonctionnement insuffisant de la procĂ©dure de recours prĂ©judiciel permet la mise en Ɠuvre d’interprĂ©tations erronĂ©es du traitĂ©, des actes pris par les organes de la CommunautĂ©, elle notifie Ă  la juridiction suprĂȘme de l’Etat membre un arrĂȘt Ă©tablissant les interprĂ©tations exactes .

La Cour de Justice de l’Union europĂ©enne, qui nous sert de modĂšle, a de façon Ă©loquente, par un attendu pĂ©dagogique traduit le sens de la fonction d’unification du droit communautaire, Ă  travers la procĂ©dure de renvoi prĂ©judiciel.

Elle a estimĂ© que ladite procĂ©dure constitue « un instrument de coopĂ©ration entre la Cour de Justice et les juges nationaux, grĂące auquel la premiĂšre fournit aux seconds des Ă©lĂ©ments d’interprĂ©tation du droit communautaire qui leur sont nĂ©cessaires pour la solution des litiges qu’ils sont appelĂ©s Ă  trancher » .

La compétence arbitrale

L’article 22 de la Convention prĂ©voit que la Chambre Judiciaire connaĂźt des diffĂ©rends entre les Etats membres pouvant surgir Ă  l’occasion de l’interprĂ©tation ou de l’application du traitĂ© lorsque ceux-ci lui sont soumis en vertu d’un compromis qui doit comprendre l’accord des parties, la dĂ©finition de l’objet du litige et les questions posĂ©es aux juges.

La compétence consultative

La Chambre Judiciaire dispose enfin d’une compĂ©tence consultative en vertu de l’article 6 de la Convention. A ce titre, elle peut ĂȘtre consultĂ©e par un Etat membre, ou une institution sur les projets d’actes communautaires.

Cette compĂ©tence a Ă©tĂ© Ă©largie par la Convention du 30 janvier 2009 rĂ©gissant la future Cour de justice aux difficultĂ©s rencontrĂ©es par les institutions ou organes de la CommunautĂ© dans l’application du droit communautaire et aux accords internationaux dont la conclusion est envisagĂ©e par la CommunautĂ©.

De nouvelles compétences

Le traitĂ© rĂ©visĂ© de YaoundĂ© de 2008 a instituĂ© de nouvelles compĂ©tences. Il s’agit essentiellement :

  • du recours en manquement qui permet au juge communautaire de contrĂŽler le respect par les Etats membres des obligations que le droit communautaire fait peser sur eux. Il est exercĂ© soit par la Commission, soit par un Etat membre Ă  l’encontre d’un Etat membre, lorsque le premier estime que le second n’a pas respectĂ© le droit de la CEMAC. Le manquement peut ĂȘtre la consĂ©quence d’actes ou de faits comme l’adoption d’un texte contraire au droit de la CEMAC, ou d’omissions et d’abstentions, comme le retard dans la transposition d’une directive par un Etat membre.
  • du recours en carence. Il est dirigĂ© contre l’inaction d’une institution, d’un organe de la CommunautĂ©. Si cette inaction est illĂ©gale au regard du droit de la CEMAC, la Cour constate la carence, et l’institution ou l’organe concernĂ© doit prendre les mesures appropriĂ©es. La carence s’entend de l’absence ou de l’omission d’action de l’institution concernĂ©e alors que le droit de la CEMAC imposait une obligation d’agir. L’absence ou l’omission a donc un caractĂšre illĂ©gal.

AprĂšs l’étude des compĂ©tences de la Chambre Judiciaire, il convient de s’intĂ©resser Ă  la procĂ©dure, aux voies de recours et Ă  l’exĂ©cution des arrĂȘts.

La Procédure

La Chambre Judiciaire dispose de son propre rÚglement de procédure.

Comme tout systÚme contentieux, le rÚglement de procédure a prévu le mode de saisine de la Chambre Judiciaire.

L’article 13 dudit rùglement distingue :

  • les requĂ©rants privilĂ©giĂ©s : les Etats membres, les institutions ou organes de la CommunautĂ© qui peuvent former un recours en annulation devant la Chambre Judiciaire sans devoir dĂ©montrer un intĂ©rĂȘt Ă  agir pour autant que l’acte soit attaquable ;
  • les requĂ©rants non privilĂ©giĂ©s : les particuliers qui doivent dĂ©montrer un intĂ©rĂȘt Ă  agir pour demander l’annulation d’un acte communautaire, c’est-Ă -dire l’acte contestĂ© doit ĂȘtre Ă  destination du requĂ©rant ou le concerner directement et individuellement. Cela Ă©tant, les affaires introduites devant la Chambre Judiciaire suivent toutes la mĂȘme procĂ©dure sous rĂ©serve de quelques particularitĂ©s propres aux renvois prĂ©judiciels, et au contentieux de la fonction publique communautaire . La procĂ©dure comporte une phase Ă©crite et une phase orale. Une requĂȘte Ă©crite par un avocat ou par un agent et adressĂ© au greffe ouvre la procĂ©dure. Le greffier signifie la requĂȘte Ă  la partie adverse qui dispose d’un dĂ©lai d’un mois pour prĂ©senter un mĂ©moire en dĂ©fense. En principe, la partie requĂ©rante a la facultĂ© de prĂ©senter une rĂ©plique, Ă  laquelle la partie dĂ©fenderesse peut rĂ©pondre par une duplique. L’instruction de l’affaire fait intervenir un seul acteur, le juge rapporteur dĂ©signĂ© par le PrĂ©sident de Chambre. C’est lui qui suivra l’affaire jusqu’à l’arrĂȘt, prĂ©sentera le rapport d’audience, proposera le cas Ă©chĂ©ant des mesures d’instruction. Un mois avant l’audience, le greffier envoie aux avocats le rapport d’audience rĂ©digĂ© par le juge rapporteur. L’avocat de chaque partie a le droit de vĂ©rifier si l’essentiel de son argumentaire a Ă©tĂ© correctement rĂ©sumĂ© et si les points de droit ont Ă©tĂ© fidĂšlement reproduits. La Chambre peut siĂ©ger en formation plĂ©niĂšre (formation de cinq juges) lorsque la complexitĂ© juridique ou l’importance de l’affaire le justifie. Sinon la Chambre siĂšge en formation restreinte ou ordinaire (formation de trois juges). A l’audience qui se dĂ©roule publiquement, les Etats membres et les institutions communautaires sont reprĂ©sentĂ©s par un agent nommĂ© pour chaque affaire. Les autres parties sont reprĂ©sentĂ©es obligatoirement par un avocat inscrit au barreau de l’un des Etats membres. La Chambre ne peut valablement dĂ©libĂ©rer qu’en nombre impair sur la base d’un projet d’arrĂȘt Ă©tabli par le juge rapporteur. Chaque juge peut proposer des modifications. La Chambre ne statue que sur des documents dont les parties ont eu connaissance. Sauf en matiĂšre consultative, la Chambre statue sous forme d’arrĂȘt, et contrairement Ă  ce qui existe dans le cadre de certaines juridictions internationales (Cour internationale de Justice) ou nationales (Cour SuprĂȘme amĂ©ricaine), les opinions dissidentes des juges minoritaires ne sont pas autorisĂ©es.

La Chambre Judiciaire peut rendre selon les cas :

  • soit un arrĂȘt d’irrecevabilitĂ© : le juge examine d’office le recours en annulation en vĂ©rifiant par exemple les conditions formelles de prĂ©sentation du recours telles que l’obligation de consigner la somme de cent mille francs au greffe pour couvrir les frais d’instance ; l’obligation faite aux parties autres que les Etats, Institutions de la CommunautĂ© d’ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es par un avocat. Ces rĂšgles sont d’application stricte.
  • soit un arrĂȘt d’incompĂ©tence : la Chambre Judiciaire ne jouit que des attributions confĂ©rĂ©es par le traitĂ© et ne peut s’arroger le pouvoir de contrĂŽler la lĂ©galitĂ© des dĂ©cisions ou des mesures prises par les autoritĂ©s judiciaires et administratives des Etats membres. Cette rĂšgle s’explique par la rĂšgle de la sĂ©paration des compĂ©tences du juge communautaire et des juges nationaux. C’est la position adoptĂ©e par la Chambre judiciaire dans les arrĂȘts Brasseries du Cameroun et Syndicats des douaniers centrafricains .
  • soit un arrĂȘt de rejet : c’est l’échec de l’action intentĂ©e par le requĂ©rant aprĂšs examen de ses moyens au fond. Signalons qu’un recours formĂ© devant la Chambre Judiciaire n’a pas pour effet de suspendre l’exĂ©cution de l’acte attaquĂ©. La Chambre peut toutefois ordonner le sursis Ă  l’exĂ©cution ou prescrire d’autres mesures provisoires (articles 54 Ă  59 du rĂšglement de procĂ©dure). Elle statue en rĂ©fĂ©rĂ© sur une telle demande par un arrĂȘt motivĂ©. Des mesures provisoires ne sont accordĂ©es que si trois conditions sont rĂ©unies :
  • le recours au fond doit apparaĂźtre Ă  premiĂšre vue fondĂ© ;
  • le demandeur doit Ă©tablir l’urgence des mesures sans lesquelles il subirait un prĂ©judice grave et irrĂ©parable. Les mesures provisoires doivent tenir compte de la mise en balance des intĂ©rĂȘts des parties et de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. L’arrĂȘt a un caractĂšre provisoire et ne prĂ©juge en rien de la dĂ©cision de la Chambre dans l’affaire principale.

Les voies de rétractation

Les arrĂȘts de la Chambre Judiciaire ne peuvent faire l’objet que de voies de rĂ©tractation (articles 94 Ă  99 du rĂšglement de procĂ©dure) : l’opposition, la tierce opposition, la rĂ©vision, la rectification d’erreurs matĂ©rielles et l’interprĂ©tation.

L’exĂ©cution des arrĂȘts

Les arrĂȘts de la Chambre Judiciaire ont l’autoritĂ© de la chose jugĂ©e, et force exĂ©cutoire dans l’ordre juridique des Etats membres (article 5 de la Convention rĂ©gissant la Cour de Justice repris par l’article 82 du rĂšglement de procĂ©dure).
Ils sont susceptibles d’une exĂ©cution forcĂ©e conformĂ©ment aux rĂšgles de la procĂ©dure en vigueur, aprĂšs apposition de la formule exĂ©cutoire, ‘’sans aucun contrĂŽle que celui de la vĂ©rification de l’authenticitĂ© du titre’’, par l’autoritĂ© nationale dĂ©signĂ©e Ă  cet effet .
Si la Chambre Judiciaire est seule compĂ©tente pour suspendre l’exĂ©cution forcĂ©e, c’est aux autoritĂ©s nationales de contrĂŽler la rĂ©gularitĂ© des mesures d’exĂ©cution et de trancher les Ă©ventuels incidents.
Elles ne peuvent en aucun cas, discuter du titre revĂȘtu de la formule exĂ©cutoire.

Georges TATY
Juge Ă  la Cour de Justice de la CEMAC

Revue de l’ERSUMA :: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Pratique professionnelle.

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