OHADA Doctrine

The criminal risk linked to the management of the municipality in Cameroon. Comparative law study

Madeleine LOBE LOBAS
Maître de Conférences en Droit privé, HDR
University of Haute-Alsace, Mulhouse
CERDACC, EA n° 3992

La décentralisation est le transfert de certaines compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales, notamment les communes. Elle représente un véritable enjeu pour le développement des populations à condition toutefois que les moyens qui sont octroyés aux entités décentralisées soient gérés avec diligence par leurs organes ou représentants. Dès lors se pose la question du risque pénal encouru par les autorités locales et éventuellement, l’entité communale elle-même, en cas de mauvaise gestion. Une étude de droit comparé s’impose afin de mieux cerner le régime d’une telle responsabilité, la législation camerounaise étant soit insuffisante, soit muette à ce sujet.

Mots clés :
Décentralisation – Responsabilité pénale – Faute de gestion – Autorité locale – Commune

La loi n° 2004/01 du 22 juillet 2004 dite d’orientation de la décentralisation définit la décentralisation comme le transfert par l’Etat aux collectivités territoriales de certaines de compétences . Si on distingue les régions des communes, ce sera surtout au niveau communal, en raison de la proximité de cette entité avec les populations et la participation de celle-ci à l’élection des autorités locales qu’il faudra vérifier l’effectivité et la réalité du système.

Les compétences dévolues aux communes couvrent l’organisation et la gestion des services publics locaux dans des domaines divers et variés touchant à l’économie, l’environnement, le développement sanitaire et social, le développement éducatif, sportif et culturel, etc. . Les communes doivent, dans l’accomplissement de leurs missions, veiller à la répartition équitable des richesses au sein de leur territoire.

Le transfert de compétence implique nécessairement une mise à disposition de moyens et de pouvoirs nécessaires. À cette fin, les entités territoriales sont dotées de la personnalité juridique et jouissent de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts locaux. Elles sont librement administrées par des organes communaux, distincts de ceux de l’Etat, en principe indépendants quant à la prise de décision, la conduite des affaires locales et l’exercice de leurs activités .

Les pouvoirs et moyens alloués aux collectivités doivent être gérés avec diligence. Les organes locaux ont l’obligation d’agir dans l’intérêt de la commune et pour l’amélioration du cadre de vie des populations, dans le respect des lois de la République. La décentralisation appelle ainsi à une responsabilisation des autorités locales qui, au-delà des avantages et privilèges découlant de leur statut ou leur position sociale, doivent avoir conscience, non seulement de représenter et de défendre les intérêts d’une population, mais aussi d’assurer une mission de service public. Il faut veiller à ce que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers en instituant un contrôle sur la gestion de la commune , et au besoin en envisageant une éventuelle mise en cause pénale en cas de défaillance.

L’entité décentralisée et/ou les autorités locales peuvent en effet avoir à répondre pénalement de leurs actes ou activités. Il sera ainsi lorsque des actes manifestement contraires aux missions d’intérêt général sont commis, par exemple en cas de corruption. Il en sera de même lorsque surviennent des accidents, des sinistres ou autres catastrophes causant des dommages divers et variés aux populations, tels que l’incendie d’un marché, l’effondrement d’un bâtiment en construction ou d’une école, liés à la mauvaise gestion, l’imprudence, la négligence ou l’inertie des autorités locales. Si les élus locaux peuvent invoquer la fatalité, l’imprévisibilité, les risques inhérents à toute activité humaine ou rejeter la faute sur les populations en mettant en avant leur incivisme, ces justifications ne sont plus suffisantes dès lors que leur mission consiste à prévoir et à prévenir les risques.

Les différentes lois sur la décentralisation sont muettes quant au risque pénal lié à la gestion communale. Il convient donc de s’appuyer sur le droit commun. Il apparaît ainsi que la responsabilité pénale des autorités locales peut toujours engagée, même s’il est évident qu’il faut en améliorer le dispositif (I). En revanche, s’agissant de la commune en tant que personne morale, un tel dispositif reste imprévu (II).

I. Un dispositif pénal à parfaire quant à la responsabilité pénale des autorités locales

Si la décentralisation est le transfert de compétences étatiques vers les collectivités territoriales, il revient surtout aux élus locaux d’en assurer la gestion d’une manière diligente. A défaut, leur responsabilité pénale pourrait être recherchée .
La responsabilité pénale des élus locaux peut être engagée sur le fondement des dispositions pénales applicables à l’ensemble des justiciables. Il en sera ainsi lorsque que l’infraction est commise dans un cadre strictement privé ou détachable du service. Pour les infractions commises dans le cadre de leur mandat, la qualité de personne exerçant une fonction publique entraîne l’application de règles spécifiques (A). Il faut en outre envisager la situation délicate des élus locaux en matière d’infraction non intentionnelle (B).

A – La mise en cause de l’élu local en qualité de fonctionnaire

La qualité de personne exerçant une fonction publique peut être prise en compte dans la définition de l’infraction (1) ou la détermination du régime de la sanction (2). L’article 131 du code pénal camerounais ne définit pas la qualité de fonctionnaire ou d’agent public. Il énumère les personnes concernées, les fonctionnaires de par leur statut (magistrat, militaire, préposé ou commis de l’Etat, etc.), mais aussi les personnes qui le deviennent dès lors qu’elles sont chargées, même occasionnellement, d’un service, d’une mission ou d’un mandat publics. La qualité de fonctionnaire ou agent public s’applique par conséquent aux élus locaux. Il faut toutefois que l’infraction soit commise dans l’exercice ou l’occasion de l’exercice des fonctions, de la mission ou mandat ou liée aux fonctions antérieurement exercées. La qualité s’étend aux personnes ayant reçu une délégation de pouvoir valable.

1 – La prise en compte de la qualité d’agent public dans la qualification des infractions

Les délits de fonction supposent que la personne poursuivie ait la qualité requise par le texte d’incrimination. A défaut, aucune répression n’est possible. Il est ainsi lorsque la loi exige que l’auteur de l’infraction soit un fonctionnaire ou un agent public .

Au premier rang des comportements reprochés à l’élu local figurent les manquements au devoir de probité procurant un avantage illégitime à l’élu local .

S’agissant de la corruption qui sanctionne le fait pour tout un agent public de s’abstenir de faire ou d’ajourner un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction en contrepartie d’offres ou de promesses qu’il sollicite ou agrée, le corrompu doit avoir la qualité d’agent public (art. 134 et 134 bis CP cam., 432-11 al 1 et 433-1 CP fr.) . Doit être déclaré coupable le maire d’une commune avait réclamé une somme d’argent à une personne pour lui délivrer un permis de construire ou qui entreprend de solliciter les entreprises travaillant pour la mairie en situation de dépendance économique à son égard .
L’intérêt dans un acte et la participation dans une affaire ou la prise illégale d’intérêts consistent pour l’agent public, à prendre, directement ou indirectement, un intérêt quelconque ou une participation dans une entreprise ou dans une opération dont il a, au moment de l’acte, en tout en partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement (art. 135 et 136 CP cam., 432-12 et 432-13 CP fr.) .

Le trafic d’influence est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique qui abuse du crédit réel ou supposé que lui donne son mandat pour faire obtenir un avantage quelconque d’une autorité publique ou d’une administration (art. 161 CP cam., 432-11 CP fr.) . Le délit est constitué lorsqu’un adjoint au maire délégué à la commission des travaux publics perçoit des fonds pour user de son influence afin de faire attribuer à une entreprise l’adjudication d’un marché public .

La concussion punit le fait pour le fonctionnaire, soit d’exiger des droits, taxes, redevances, impôts ou contributions qui ne sont pas dus ou des avantages matériels sans en payer le juste prix, soit d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit, une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires (art. 137 et 142 CP cam., 432-10 CP fr). Est justifiée la condamnation du maire qui, pour continuer à percevoir la partie de ses indemnités de fonction, frappée par la réglementation sur le cumul des mandats, la délègue fictivement à un adjoint et se la fait reverser par ce dernier se rend coupable de concussion, ces indemnités étant constitutives de droits . De même, caractérise une exonération illégale de droits le fait, pour un maire, d’avoir octroyé gratuitement à l’entraîneur du club de football local la jouissance d’un logement de la commune sans délibération préalable du conseil municipal, conformément aux dispositions des articles L. 2121-29 et L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales .

Le délit de favoritisme est le fait pour un élu de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié (art. 143 CP cam., art. 432-14 CP fr.) notamment dans l’attribution des marchés publics .

Contrairement au droit français (art. 432-15 et 432-16 CP fr.), le détournement de biens publics n’implique pas la qualité d’agent public puisqu’il est défini comme le fait pour quiconque d’obtenir ou de retenir frauduleusement un bien appartement à l’Etat, une collectivité, un établissement publics ou soumis à la tutelle administrative de l’Etat ou dont l’Etat détient directement ou indirectement une partie du capital (art. 184 CP cam.) . Est coupable de détournement de fonds publics le maire qui organise une fête pour son anniversaire, réunissant le personnel communal, avec l’argent de la commune ou qui, pendant de longs mois et gratuitement, met à la disposition d’un de ses amis un photocopieur loué et payé par la commune .
Les atteintes à l’autorité de l’Etat concernent l’abus d’autorité envers l’administration ou les particuliers.

L’abus d’autorité peut être commis envers l’administration. Est ainsi sanctionné le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi (art. 432-1 CP). Le délit d’abus d’autorité est constitué lorsque le maire d’une commune intervient auprès des policiers municipaux placés sous son autorité afin de les empêcher de rendre compte à l’officier de police judiciaire territorialement compétent de plusieurs contraventions commises par le directeur des services techniques de la ville, lequel venait d’être interpellé dans une commune voisine . On peut également signaler le délit de déficit non signalé défini comme le fait pour un fonctionnaire ayant connaissance d’un déficit de caisse ou d’un déficit comptable dans la gestion d’un agent placé sous ses ordres ou sous sa surveillance de ne pas le dénoncer à l’autorité judiciaire la plus proche (art. 138 CP cam.).

Est sanctionné le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, ou pour une personne investie d’un mandat électif public, ayant été officiellement informée de la décision ou de la circonstance mettant fin à ses fonctions, de continuer à les exercer (art. 432-3 CP fr.). C’est le cas du pour un maire qui préside une séance du conseil municipal après sa révocation .

L’article 124 du code pénal camerounais réprime la coalition qui est une concertation ou une délibération entre les personnes dépositaires de quelque partie de l’autorité publique portant sur des mesures contraires aux lois ou des mesures, y compris, des démissions collectives ou forfaiture ayant pour objet principal d’empêcher ou de suspendre l’exécution d’un service public.

Les abus d’autorité contre les particuliers concernent les atteinte aux droits ou intérêts privés (art. 140 CP cam.) ou atteintes à la liberté individuelle (art. 432-4 CP fr.) , les discriminations (art. 432-8 CP fr.), les atteintes à l’inviolabilité du domicile (art. 432-7 CP fr) et les atteintes au secret des correspondances (art. 432-9 CP fr.).

La responsabilité pénale des élus locaux peut aussi tenir à leur qualité d’officier d’état civil, en ce qui concerne la tenue des registres d’état civil (art. 150 CP cam.) ou l’établissement des actes de mariages (art. 149 CP cam.). Il est de même pour leur rôle en matière électorale. Des poursuites peuvent être exercées en cas de falsifications des listes électorales ou en cas d’atteinte à la sincérité du scrutin (art. 122 CP cam., L88 et L113 C. élect. fr.) Il est de même lorsque l’élu local empêche un citoyen d’exercer ses droits électoraux (art. 141 CP cam.).

Le maire peut être poursuivi dans tous les cas où il est établi qu’il n’a pas respecté intentionnellement la législation applicable dans le cadre de son activité. Est déclaré coupable le maire qui exécute des travaux de réalisation d’une aire de sports sans autorisation . Il en est de même lorsqu’il n’exerce pas ses pouvoirs alors qu’il a le devoir et la possibilité de le faire. Le fait de tolérer un attroupement ou des violences contre les personnes ou des actes attentatoires aux libertés et droits individuels est ainsi réprimé (art. 145 et 146 CP cam.).

La plupart de ces infractions sont intentionnelles. La preuve de la faute de la faute doit être établie par le ministère public. Mais le juge français se montre sévère, déduisant l’intention des circonstances de commission des faits. Ainsi, en cas de corruption, l’intention résulte de la violation délibérée par l’agent du devoir de probité et de sa parfaite connaissance de sa situation, et des sollicitations effectuées auprès contre rémunérations . De même, le prévenu peut difficilement invoquer l’erreur de droit. Ainsi un maire en fonction depuis plus de deux ans ne peut se réfugier derrière une prétendue méconnaissance de la procédure d’appel d’offres .

2 – La prise en compte de la qualité de fonctionnaire dans la détermination de la peine

La qualité d’agent public constitue une circonstance aggravante lorsque la loi le prévoit. L’élu local encourt alors être des peines plus sévères que celles normalement prévues. Les sanctions sont aggravées en cas de violences contre autrui commises par un fonctionnaire (art. 132 (1) CP cam., 222-8 CP fr.) ou de faux ou d’usage de faux (art. 144 CP cam., 441-2, 441-3, 441-4, 444-1 CP fr). Les sanctions sont doublées en cas de violation de domicile, de violation de correspondance, de violation de secret professionnel, de copie de documents administratifs (art. 132 (2) C. cam.). Selon l’article 89 du code pénal camerounais, la qualité d’agent public est une circonstance aggravante de la responsabilité pénale en dehors des cas où la loi règle spécialement les peines encourues pour les crimes et les délits par commis par ceux qui se sont rendus coupables d’autres crimes ou délits qu’ils étaient chargés de prévenir.

Lorsque l’élu local est condamné pour une infraction commise dans l’exercice de ses fonctions ou dans le cas spécifique de l’article 89 du code pénal camerounais, des déchéances peuvent être prononcées (art. 133 CP cam.). Le juge peut ordonner la destitution et l’exclusion de toutes les fonctions, l’interdiction de porter toute décoration, l’interdiction d’être juré, l’interdiction d’être tuteur, curateur, subrogé tuteur ou conseil judiciaire si ce n’est de ses propres enfants, l’interdiction de servir dans les armées ou l’interdiction de tenir une école ou même d’enseigner (art. 30 CP cam., art. 432-17 CP fr.). Ces peines s’appliquent obligatoirement en cas condamnation pour corruption active ou passive d’un agent public, intérêt dans un acte, participation dans une affaire ou trafic d’influence (art. 133 (1) al. 2 CP cam.). La juridiction est également tenue de prononcer la peine de confiscation et la publication de la décision par voie de presse écrite, de radio ou de télévision (art. 133 (2) CP cam.). En droit français, ces peines ne sont plus automatiques et ne peuvent être appliquées que si elles ont été prononcées par la juridiction (art. 132-17 CPF). Il en est de même pour l’inéligibilité (art. 7 C. élect. F) .

B – La responsabilité de l’élu local pour faute non intentionnelle commise dans le cadre de sa mission

La faute non intentionnelle ne concerne pas les crimes qui sont toujours intentionnels. Elle constitue une exception légale au principe selon lequel les délits nécessitent une intention. Elle ne peut être établie en matière délictuelle que dans les cas prévus par la loi (art 74 (4) CP cam., 121-3 al. 2, 3, 4 CP fr.). Elle traduit la volonté de violer la loi pénale sans pour autant rechercher la production d’un résultat dommageable pour autrui.
Pour le juge pénal français, la responsabilité des autorités locales pour faute non intentionnelle commise dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission est fondée sur le fait qu’elles ont le devoir de prendre les règlements nécessaires pour prévenir les risques, d’assurer l’exécution des mesures prescrites par les lois et règlements et d’informer les populations des risques . L’élu local n’a pas pu ou su prévenir le dommage alors qu’il s’est vu confier par la loi le pouvoir et le devoir de le faire : soit il dispose de pouvoir qu’il exerce seul, sans avoir besoin d’aucune délibération du conseil municipal et il ne l’a pas exercé, soit il ne peut agir sans l’intervention du conseil municipal et il s’est abstenu de le faire, ou a laissé s’écouler un temps trop long avant de le faire .

Il importe de préciser quel est le domaine de cette faute non intentionnelle commise dans le cadre de l’activité communale (1) et analyser la nature de cette faute selon que le maire est auteur direct ou indirect (2).

1 – Le domaine de la faute non intentionnelle commise par l’élu local

L’application de la faute non intentionnelle est assez large et peut couvrir tous les domaines dans lesquels le maire peut exercer des pouvoirs ou des missions. Il s’agira le plus souvent de délits liés à un manque de précautions (maladresse, imprudence, négligence) ou à l’inobservation de la réglementation.

La responsabilité pénale du maire résulte de l’exercice des compétences en matière de police générale et spéciale, le maire étant le premier garant de la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique sur le territoire de la commune. Le rejet par une station d’épuration, établissement communal exploité en régie, d’effluents nocifs pour la vie et la nutrition des poissons engage la responsabilité pénale du maire dans la mesure où l’article L2212 du code général des collectivités territoriales (anc. L. 131-2 C. communes) lui confie le soin de prévenir et de faire cesser les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de tout nature, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure . Est responsable pénalement le maire qui n’a pas pris les mesures suffisantes pour éviter les nuisances sonores en provenance d’une salle polyvalente municipale ou pour assurer la protection d’un puits communal . La même solution s’applique en matière d’urbanisme , de circulation routière , d’environnement ou encore d’hygiène et de santé.

La responsabilité peut aussi recherchée à l’occasion des pouvoirs de gestion et des activités de services publics, la surveillance ou le contrôle des installations. Est déclaré coupable le maire qui n’a pas vérifié le respect des prescriptions de la commission de sécurité d’une maison de retraite . Constitue une méconnaissance de ses obligations légales, le fait pour un maire de ne pas assurer l’exécution de la réglementation sur la protection des risques d’incendie . Il en est de même si, le maire informé de la dangerosité d’une installation, ne prend pas les mesures nécessaires par inaction ou négligence afin de faire cesser le péril . En sa qualité d’autorité chargée de l’exécution d’un permis de construire délivré par l’autorité préfectorale et en sa qualité d’autorité chargée d’assurer la protection contre les risques d’incendie dans les établissements recevant du public, est jugé responsable pénalement le maire qui ne s’est fait remettre ni déclaration d’ouverture, ni déclaration d’achèvement des travaux et n’a pas organisé la visite des lieux pour assurer la préservation des règles de sécurité et de prescription du permis de construire .

Est justifiée la condamnation d’un maire pour homicide involontaire à la suite du décès par électrocution d’un usager d’une voie communale dû à la défectuosité d’un lampadaire ou qui n’a pas procédé à la mise en conformité exigée par la réglementation d’une installation défectueuse d’un chauffe-eau ayant provoqué l’intoxication de deux occupants d’un logement appartenant à la commune .

Les responsables locaux doivent désigner les personnes chargées de veiller à la mise en œuvre des règles et de sécurité et leur donner les moyens de la mission qui leur est confiée. En cas d’accident, leur culpabilité peut être établie, faute de ne pas s’être inquiétés de cette situation et de ne pas avoir pris les mesures adéquates .

2 – La participation de l’élu local à l’infraction

La répression des délits non intentionnels implique généralement la survenance d’un dommage dont la gravité permet moduler la sanction. Lorsque le dommage est constaté, il faut établir un lien de causalité entre la faute et le résultat. Le comportement imprudent doit avoir été à l’origine du dommage.

La théorie de l’équivalence des conditions, généralement utilisée pour apprécier le lien de causalité, permet de retenir toutes les fautes ayant contribué à la réalisation du dommage et ne nécessite pas, pour que la responsabilité soit retenue, un lien direct, ni une faute exclusive . Il suffit que le lien soit certain. Toute faute, même la poussière de faute traduisant une défaillance quelle qu’elle soit et entraînant un dommage, peut alors être retenue.

Cette théorie est préjudiciable aux élus locaux. Ils ne disposent pas toujours de moyens suffisants leur permettant d’agir efficacement et ne décident pas du montant des moyens qui leur sont alloués. Ils ne sont pas toujours préparés à la gestion de la chose publique et n’envisagent pas nécessairement l’étendue de leur mission, car ils ne suivent pas de formation spécifique, et ne sont investis de leurs pouvoirs, de leurs fonctions et de leurs missions que par la loi et le règlement. Enfin, leur responsabilité peut être engagée alors qu’ils ne sont pas directement impliqués dans la survenance du dommage.

En France, cette situation a suscité une réelle l’inquiétude surtout chez les élus des petites communes qui voyaient fréquemment leur responsabilité engagée pour des accidents survenus à leurs administrés dans le cadre des équipements collectifs. Elle a également engendré une diminution de candidatures aux fonctions municipales et des risques de démission collective. Le législateur français a dû intervenir, avec la loi du 10 juillet 2000 tendant à la définition de délits non-intentionnels en introduisant une distinction selon que la causalité est directe ou indirecte . Le régime ne s’applique cependant pas de manière spécifique aux élus locaux puisqu’il bénéficie à toutes les personnes, à l’exclusion des personnes morales pour lesquelles la question de la causalité ne se pose guère.

a- L’élu local, auteur direct du dommage
La causalité est directe lorsque la personne a, soit elle-même frappé ou heurté la victime, soit initié ou contrôlé le mouvement d’un objet qui aura heurté ou frappé la victime. Toutefois, pour la jurisprudence, la causalité directe n’implique cependant pas qu’il faille retenir le dernier événement survenu dans le processus causal. On peut retenir le facteur déterminant et appliquer la causalité adéquate .

Lorsque l’activité de l’élu local est la cause directe du dommage, sa responsabilité est engagée quelle que soit la gravité de sa faute. Il suffit alors d’établir même une simple faute d’imprudence (art. 121-3 al. 3 CP fr.)

La faute simple ou ordinaire correspond à celle prévue par le droit camerounais. Elle est constituée par la maladresse, la négligence, l’imprudence, l’inattention ou l’inobservation des règlements (art. 289 CP cam.). La loi camerounaise ne précise pas si l’appréciation du lien de causalité par le juge doit se faire in abstracto en fonction du comportement adopté par un individu abstrait normalement prudent et diligent ou in concreto en tenant compte des capacités ou de la situation personnelle du prévenu. Le code pénal français dispose que la faute d’imprudence ne peut être retenue que s’il est établi que le prévenu n’a pas accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait (art. 121-3 al. 3CP fr.). Lorsqu’il s’agit des maires, il faut aussi tenir compte des difficultés propres aux missions qui leur sont confiées par la loi doivent également être prises en compte (art. L2123-34 CGCT). Le juge pénal doit apprécier les mesures de prudence normalement exigées dans l’activité exercée par le prévenu, des moyens à sa disposition ainsi que des contraintes financières et/ou techniques auxquelles est confronté le maire .

b. L’élu local, auteur indirect du dommage
Il faut distinguer deux hypothèses de causalité indirecte qui suppose la survenance d’un événement entre le fait du prévenu et le dommage (art. 121-3 al 4 CP fr.). Il peut s’agit de l’action ou l’omission d’un tiers, voire de la victime elle-même ou un évènement n’ayant pas le caractère de force majeure. La première correspond à la situation des personnes qui, sans avoir directement causé le dommage, ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis sa réalisation. Il peut ainsi y avoir plusieurs auteurs indirects dont les fautes en concours sont susceptibles d’engager leur responsabilité pénale. La seconde hypothèse concerne les personnes qui n’ont pas pris les mesures permettant d’éviter le dommage qu’elles n’ont pas réalisé elles-mêmes. Telle est la situation du maire qui ne s’est pas assuré de la stabilité d’une buse qui, en se déplaçant, a écrasé un enfant dans une aire communale ou encore celui qui ne s’est pas assuré de la stabilité d’une cage de buts mobiles dont la barre transversale a blessé un enfant ou qui n’a pas pris les mesures de sécurité nécessaires lors du défilé d’une fanfare municipale .

Depuis la réforme française de la faute non intentionnelle, le maire est généralement poursuivi en tant qu’auteur indirect. Il faut démontrer qu’il a commis une faute qualifiée, soit une faute de mise en danger délibérée, soit une faute caractérisée, c’est-à-dire des fautes d’imprudence graves.
La faute de mise en danger est la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement . Elle caractérise une imprudence consciente, l’agent adoptant volontairement un comportement contraire à celui qui lui est imposé par la loi dans le cadre d’une activité déterminée, sans pour autant rechercher un résultat. Elle implique une obligation précise imposant un comportement circonstancié dans une activité donnée. Cette faute est difficile à retenir lorsque le maire agit dans le cadre de sa mission de police générale .

La faute caractérisée est celle qui, en l’absence d’une prescription légale ou réglementaire édictant une obligation de sécurité expose autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer. C’est une faute d’imprudence d’une exceptionnelle gravité et intensité, excluant les fautes légères . La gravité de la faute dépend de la nature du risque et de son degré de probabilité élevé. L’auteur devait avoir connaissance du risque et cette connaissance est appréciée en fonction de ses activités et fonctions. Commet un faute caractérisée le maire qui, personnellement informé de la dangerosité de l’aire de jeux, installés préalablement à son élection mais connue de lui, omet d’accomplir les diligences qui s’imposaient alors qu’il avait les compétences, les moyens et l’autorité nécessaire pour prévenir le dommage en faisant enlever la buse, le cas échéant, de la faire fixer ou stabiliser . En revanche, est justifiée la relaxe d’un maire poursuivi pour homicide involontaire à la suite de la chute, sur un enfant, de la barre d’une cage de gardien de but, dès lors que, si le prévenu était informé, notamment par des circulaires préfectorales, de la dangerosité des cages mobiles, il n’était pas démontré qu’il avait eu connaissance de la présence sur le terrain communal, équipé de cages fixes, de cages mobiles en surnombre acquises par le club de football .

La faute caractérisée est facilement retenue en cas de violation d’une obligation de sécurité, même si elle n’est pas particulière . Ainsi, commet une faute caractérisée le maire qui ne se préoccupe de la conformité des installations électriques aux normes de sécurité et des prescriptions à observer lors des manifestations et qui s’abstient de vérifier ou de faire vérifier les règles de sécurité .

En tout état de cause, le maire de la commune peut voir sa responsabilité engagée pour la plupart des actes contraires à l’intérêt communal . Il est cependant nécessaire de moduler la répression afin de permettre le développement de la démocratie locale et de ne pas perturber la prise de décision. La responsabilité de l’élu local ne devra alors être recherchée que pour les faits intentionnels qui traduisent une véritable volonté porter atteinte à l’intérêt général et pour les fautes non intentionnelles graves reflétant d’une certaine manière, la conscience du risque ou du dommage. Encore faudrait-il que les justiciables pensent à mettre en cause pénalement les élus locaux lorsque les faits sont avérés.

II – Un dispositif imprévu quant à la responsabilité pénale des communes

Les communes sont des personnes morales disposant d’une autonomie juridique et d’une capacité financière. Admettre leur responsabilité pénale en droit camerounais implique d’abord de revenir sur le principe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales (A), option qui relève du législateur dans le cadre de sa politique criminelle (B).

A – La question de la responsabilité pénale des personnes morales

Si le code pénal camerounais n’énonce que le principe de la responsabilité des personnes physiques (1), la mise en cause de la personne morale fait toutefois l’objet d’une timide affirmation dans des lois spéciales (2).

1. Le principe de l’irresponsabilité des personnes morales en droit camerounais

Le législateur camerounais fait toujours sienne la doctrine selon laquelle les personnes morales ne peuvent être poursuivies ni punies pour une infraction pénale . L’article 74 alinéa 1 du code pénal camerounais dispose qu’aucune peine ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’une personne pénalement responsable et l’alinéa 2 énonce qu’est également pénalement responsable celui qui volontairement commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une infraction avec l’intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de l’infraction. Ces dispositions sont interprétées comme étant applicables aux seules personnes physiques .

Brièvement évoquées, les raisons mises en avant pour justifier l’irresponsabilité des personnes morales tiennent au fait que ces entités qui n’ont ni existence réelle, ni une volonté propre et dont l’objet social n’est pas la commission d’une infraction ne peuvent être des sujets pénaux. En outre, les peines privatives de liberté ne sont applicables qu’aux personnes physiques et le prononcé des peines pécuniaires porterait atteinte au principe de la personnalité des peines dans la mesure où elles atteindraient les membres du groupe.

Ces divers arguments ne résistent pas à la critique. La personne morale a une volonté propre, distincte de celle de ses membres, exprimée par ses organes. Il est possible de prévoir des peines d’amende, de fermeture d’établissement ou de dissolution applicables aux personnes morales. Toutes ces peines qui atteindront sans aucun doute les membres du groupement comme l’est la famille d’une personne physique condamnée pénalement touchent en premier lieu les droits et le patrimoine de la personne morale . Quant à l’objet social qui serait incompatible avec la commission d’une infraction, le constat est fait que diverses infractions sont liées de manière directe ou indirecte à l’objet ou l’activité de la personne morale. A titre d’exemple, on peut citer le cas de la Société camerounaise des dépôts pétroliers dans le drame qui a causé la mort et les blessures à plusieurs victimes à la suite d’une explosion de wagons-citernes contenant un liquide inflammable probablement en dépit des règles élémentaires de prudence et de sécurité. Il en est de même des agences de voyage dont la responsabilité pourrait être recherchée à la suite de divers accidents de la circulation dus à la fois au mauvais état des routes dont l’entretien incombe aux collectivités locales et au non-respect des règles de la circulation routière ou au mauvais entretien des véhicules. Les personnes morales, par l’ampleur des moyens dont elles disposent, peuvent être à l’origine d’atteintes graves à la santé publique ou à l’environnement et sont souvent impliquées dans des opérations complexes de corruption, de blanchiment d’argent ou de terrorisme par la création de sociétés-écran. Dans ces situations, le responsable de l’entreprise peut être poursuivi ou remplacé sans que la société elle-même ne soit inquiétée.

L’irresponsabilité des personnes morales a également comme inconvénient de consacrer l’impunité des sociétés de nationalité étrangère qui commettraient des infractions sur le territoire camerounais et qui ne pourraient être poursuivies ni sur le territoire camerounais, ni au lieu de leur siège . En raison du principe de la double incrimination, pour qu’une personne morale française soit poursuivie sur le territoire français, il faudrait que le droit camerounais incrimine les actes commis par les personnes morales et détermine les règles procédurales applicables.
En sanctionnant la personne morale, il ne s’agit pas de faire jouer la fonction rétributive de la peine. Il faut tenir compte du fait que les dirigeants sociaux recherchent une certaine efficacité économique. La sanction doit pouvoir jouer un rôle dissuasif et utilitaire lié au fait que la condamnation pénale peut être préjudiciable au groupement qui, afin d’éviter la publicité et les effets qui en découleraient, prendrait l’initiative de respecter la réglementation. Il en est de même du montant des amendes dont le taux peut être élevé par rapport à l’amende encourue par les personnes physiques. Il ne s’agit cependant pas de déresponsabiliser la personne physique dont les poursuites peuvent être cumulées avec celles intentées contre la personne morale.

2. Les dérogations à l’irresponsabilité des personnes morales en droit camerounais

Par dérogation au principe général posé par l’article 74 du code pénal camerounais, divers textes spéciaux envisagent de manière explicite, mais avec des portées différentes, la mise en cause pénale des personnes morales.

La loi n° 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche prévoit que toute personne, physique ou morale, qui contrevient à ses dispositions, est responsable et passible des peines prévues à cet effet (art. 150 de la loi). La loi n° 2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite des enfants en son article 7 prévoit même le cumul de responsabilités des personnes physiques et morales.

D’autres textes en revanche ne prévoient qu’une responsabilité pécuniaire de la personne morale. La responsabilité pécuniaire n’implique pas une déclaration de culpabilité à l’encontre de la personne morale qui est seulement tenu de payer les amendes prononcées. La loi n° 90/031 du 10 août 1990 régissant l’activité commerciale précise que l’entreprise peut répondre solidairement du montant des amendes ou des frais prononcés contre la personne physique, auteur des infractions incriminées (art. 40 de la loi). L’article 78 de la loi n° 92/12 du 5 août 1996 relative à la gestion de l’environnement dispose que lorsque les éléments constitutifs de l’infraction proviennent d’un établissement industriel, commercial, artisanal ou agricole, le propriétaire, l’exploitant, le directeur, ou selon le cas, le gérant peut être déclaré responsable du paiement des amende et frais de justice dus par les auteurs de l’infraction, et civilement responsable de la remise en l’état des sites. En l’absence de précision, on peut penser que cette disposition s’applique également au propriétaire ou à l’exploitant personne morale.

Sur le plan communautaire, le règlement 01/03-CEMAC-CM du 4 avril 2003 portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme en Afrique centrale précise en son article 46 prévoit que les personnes morales autres que l’Etat, pour le compte ou au bénéfice desquelles le blanchiment des capitaux a été commis par l’un des organes ou représentants sont punies sans préjudice de la condamnation de ces derniers comme auteurs ou complices de l’infraction. En excluant l’Etat de son domaine d’application, on peut en déduire que les autres personnes morales, de droit privé ou de droit public, pourraient être poursuivies pénalement .

Ces textes sont insuffisants pour poser de manière générale la responsabilité des personnes morales et ne permettent pas d’avoir des indications en ce qui concerne les collectivités territoriales. Ils consacrent le principe de la spécialité de la responsabilité des personnes morales car la mise en cause pénale n’est envisagée que des infractions précises. Ils ne précisent pas toujours les modalités de mise en œuvre de cette responsabilité .

B – La question de la responsabilité des personnes morales : un choix de politique criminelle

La question de la responsabilité des personnes morales est un choix de politique criminelle qui dépend de chaque législation. Lorsqu’on analyse des systèmes européens, deux grands systèmes apparaissent. Dans un des systèmes, l’irresponsabilité pénale des personnes morales est la règle, mais des sanctions administratives peuvent être prononcées même en cas de commission d’une infraction pénale (1). Dans l’autre, la personne morale est responsable dans les conditions prévues par la loi (2).

1 – Le recours à des sanctions administratives palliant l’irresponsabilité pénale des personnes morales

A l’instar du droit camerounais, d’autres législations n’envisagent pas la responsabilité pénale des personnes morales. Ces entités morales ne bénéficient cependant pas d’une totale impunité.

Le droit allemand ne reconnaît pas la responsabilité pénale des personnes morales. Le maire, représentant légal de la commune, peut voir sa propre responsabilité pénale mise en cause lorsque la commune commet une infraction. Selon l’article 14 du code pénal allemand, lorsqu’une personne physique agit comme représentant légal d’un personne morale, une loi qui justifie une sanction pénale est applicable au représentant si les éléments constitutifs de l’infraction, bien qu’absents de sa propre personne, sont réalisés chez la personne représentée.

L’irresponsabilité pénale des entités morales n’aboutit cependant pas à une irresponsabilité totale en cas de commission d’une infraction. En effet, le droit allemand prévoit un système de responsabilité administrative qui constitue une sorte de droit para-pénal . A côté des crimes et des délits, le droit pénal allemand incrimine une autre catégorie d’infractions, les infractions administratives (Ordnungswidrigkeiten), dépourvues de tout caractère pénal et sanctionnées d’une amende dont le montant varie en fonction du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’acte (section 30, loi allemande sur les infractions administratives). La responsabilité administrative peut aussi jouer en présence d’une infraction pénale commise pour le compte de la société ou par laquelle la personne morale tire ou est censée tirer un profit. L’amende administrative peut alors être prononcée contre la personne morale au cours de poursuites pénales engagées à l’encontre de personnes physiques. Ces règles s’appliquent aux personnes morales de droit public à l’exception de l’Etat (Bund et Länders) .

En droit italien, l’article 27 de la Constitution pose de manière formelle le principe selon lequel la responsabilité pénale est personnelle. Elle n’est envisagée qu’à l’encontre des personnes physiques. La responsabilité des personnes morales ne peut être établie que sur le plan administratif. L’article 5 du décret-loi 231/2001 du 19 juin 2001 prévoit, en matière de fraude, concussion, corruption, faux, délits sociétaires et terrorisme international, la responsabilité des personnes morales pour des infractions commises par une personne agissant à titre de représentant, d’administrateur ou de dirigeant, une personne exerçant des pouvoirs de gestion et de contrôle ou une personne soumise à la direction ou contrôle de l’une des deux premières catégories. L’infraction doit être commise à l’avantage ou à l’intérêt de l’entité. La personne morale peut être responsable même si le contrevenant principal ne peut faire l’objet de poursuites. Le montant de la sanction pécuniaire est déterminé en fonction de la gravité des infractions. Il peut en outre être prononcé des sanctions complémentaires telles que la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement ou du siège social ou l’interdiction de se livrer à son activité ou de traiter avec l’administration publique. Le juge pénal est compétent et le code de procédure pénale est applicable pour la mise en œuvre de la responsabilité administrative.

2 – Les systèmes admettant la responsabilité pénale des personnes morales

Diverses législations européennes énoncent le principe de la responsabilité des personnes morales. Celle-ci est apparue pour la première fois en Angleterre d’abord comme une solution jurisprudentielle en 1842 qui a par la suite été consacrée par le législateur en 1889 . Le mouvement s’est par la suite largement répandu en Europe . Toutefois, les différents Etats qui prônent le principe de la responsabilité des personnes ne la prévoient pas nécessairement lorsqu’il s’agit des personnes morales de droit public.

a. Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales
En droit belge, toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense des ses intérêts ou celles dont les faits concrets démontrent qu’elles ont été commises pour son compte (art. 5 CP belge). La responsabilité de la personne morale est exclue si les personnes physiques profitent du cadre juridique et matériel du groupement pour commettre des infractions dans leur propre intérêt ou pour leur propre compte. Il n’est cependant pas nécessaire de prouver la commission d’une infraction par une personne physique individualisée au sein de la personne morale pour le comportement lui soit imputable. La réalisation de l’infraction résulte d’une décision intentionnelle prise au sein de la personne morale ou d’une négligence. Le cumul des poursuites est possible lorsque la personne physique a commis la faute sciemment et volontairement.

En droit français, la consécration de la responsabilité pénale des personnes a été l’une des principales réformes du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 . L’article 121-2 du code pénal dispose que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par leur organes ou représentants. Il s’agit d’une responsabilité indirecte, l’infraction devant être caractérisée en tous ses éléments sur la tête de l’organe ou représentant, personne physique. L’organe ou le représentant doit être identifié , sauf lorsque l’infraction résulte d’une délibération collective . Peu importe que l’élu y soit impliqué dès lors que l’infraction se rattache à ses missions . Mais il n’est pas nécessaire que la personne physique, auteur de l’infraction, soit poursuivie ou condamnée . Il s’agit également d’une responsabilité par représentation, la personne morale étant représentée pendant la procédure une personne physique. La mise en cause pénale des personnes morales ne fait cependant pas obstacle à ce que les personnes physiques soient également poursuivies pénalement à titre d’auteur ou complice des mêmes faits .

S’agissant des peines applicables aux personnes morales, l’amende dont le taux est le quintuple de celui prévu pour les personnes publiques est toujours encourue, quelque soit la nature de l’infraction (art. 131-37 CP fr.). Les autres peines criminelles ou correctionnelles sont l’interdiction une activité professionnelle ou sociale, la fermeture d’établissement, l’exclusion des marchés publics, l’affichage ou la diffusion de la décision (art. 131-39 CP fr.). La dissolution , le placement sous surveillance judiciaire ou l’interdiction de faire appel public à l’épargne ne s’appliquent pas à l’encontre des personnes morales de droit public . En matière de police, le juge peut prononcer l’interdiction d’émettre des chèques ou d’utiliser des cartes de paiement, de la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit (art. 131-40 CP fr.). L’application de ces peines peut toutefois porter atteinte au principe de continuité du service public ou sont parfois incompatibles avec le fonctionnement de la commune .

b. La situation des personnes morales de droit public
Alors que les personnes morales de droit privé peuvent sans exception faire l’objet de poursuites pénales, l’admission de la responsabilité pénale des personnes morales ne va toujours pas de pair avec celle des personnes morales de droit public .

Certaines législations excluent de manière expresse une telle responsabilité. En droit belge, ne peuvent être considérées comme des personnes morales l’Etat fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l’agglomération bruxelloise, les communes, les organes territoriaux intracommunaux, la commission communautaire française, la commission communautaire flamande, la commission communautaire et les centres publics d’aide sociale. Dans ce cas, seules les personnes physiques sont poursuivies.

D’autres législations prévoient la responsabilité des personnes morales de droit public. La responsabilité pénale de l’Etat est généralement exclue (art. 121-2 al 2 CP fr.) , exclusion justifiée par le monopole de répression que détient l’Etat et sur la séparation des autorités . S’agissant des collectivités territoriales, le risque pénal est limité afin d’assurer la continuité du service public.

Le droit luxembourgeois vise aussi bien les personnes morales de droit privé, à but lucratif ou non, que les personnes morales de droit public investies d’une mission d’intérêt général dès lors que l’infraction est commises au nom et dans l’intérêt du groupement par un des ses organes légaux ou représentants. Une commune peut voir sa responsabilité pénale engagée en cas d’infraction lorsqu’elle exerce une activité commerciale, une telle activité pouvant être définie comme celle qu’une entreprise privée pourrait effectuer à la place de la commune .

En droit français, les groupements d’intérêt public, les sociétés d’économie mixte, les entreprises nationalisés, les établissements publics sont responsables pénalement . Les collectivités territoriales ne le sont que pour les infractions commises dans l’exercice des activités susceptibles de faire l’objet d’une délégation de service public à condition qu’elles les gèrent elles-mêmes en régie . La délégation peut être prévue par un texte comme en matière de gestion de crématoriums (art. L2223-40 CGCT), des services extérieurs de pompes funèbres (art. L2223-19 CGCT) ou de gestion des plages (art. L2213-23 CGPPP). La circulaire d’application du nouveau code pénal du 14 mai 1993 et divers réponses ministérielles donnent aussi diverses indications quant aux activités délégables. Il en est ainsi du ramassage des ordures ménagères, des transports en communs ou de distribution de l’eau, de la gestion des infrastructures aéroportuaires, de la gestion des fourrières, de la gestion de place sur les marchés, de la gestion des maisons de retraite. Le juge pénal considère que peut être déléguée l’exploitation ou la gestion d’un abattoir , d’un parc , d’un théâtre municipal , d’une station de traitement de résidus urbains . Si ces activités sont déléguées ou concédées, le concessionnaire ou le gérant est pénalement responsable.

La responsabilité de la collectivité ou du groupement de collectivités ne peut être recherchée dans le cadre des activités non délégables qui sont exercées au nom et pour le compte de l’Etat (état civil, délivrance des permis de construire). Il est de même pour celles qui sont spécialement confiées à une collectivité déterminée, telle que l’organisation des transports scolaires (art. L213-11 C. éduc.) ou celles qui ne peuvent faire l’objet de délégation par nature comme l’organisation de l’enseignement public . Ne peuvent non plus faire l’objet de délégations les activités qui supposent l’exercice des prérogatives de puissance publique (police administrative, constatation des infractions) . Toutefois, la jurisprudence française distingue l’exploitation d’un service public du transport scolaire qui est délégable de son organisation qui ne l’est pas .

Pour que la collectivité locale soit mise en cause pénalement, il faut que l’infraction soit commise par un organe ou un représentant, à savoir le maire, le conseil municipal ou l’élu local titulaire d’une délégation de pouvoir et qui a la capacité d’engager la commune pour les infractions commises dans le cadre de cette délégation.

De ce qui précède, il en résulte qu’il est tout à fait possible d’envisager une responsabilité des personnes morales pour des infractions pénales. Elle n’est pas nécessairement pénale. Elle peut être de nature para-répressive. Mais il s’agit d’une nécessité aux fins d’une tentative d’assainissement de la gestion des affaires publiques.

Madeleine LOBE LOBAS
Maître de Conférences en Droit privé, HDR
Université de Haute-Alsace, Mulhouse
CERDACC, EA n° 3992

Revue de l’ERSUMA :: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine.