Doctrina OHADA

Vinculación mutua e inclusión financiera en África

Willy TADJUDJE
Docteur en Droit privé,
Chargé de Cours Associé
Université du Luxembourg

Résumé :

Dans la plupart des pays d’Afrique, il est paradoxal de relever que les banques et établissements financiers sont en état de surliquidité, tandis que les micro-entrepreneurs n’ont pas accès au crédit. Cela s’explique principalement par la difficulté de ces derniers à fournir des garanties. Le cautionnement mutuel constitue un moyen efficace et durable, dans la mesure où il permet à des personnes de se réunir dans le cadre d’une société, afin de se fournir mutuellement une caution, à l’occasion de demandes de crédit. Toutefois, jusqu’ici, le cautionnement mutuel n’a pas été réglementé en Afrique, que ce soit en droit interne ou en droit communautaire, alors qu’il constitue une technique efficace pour l’inclusion financière. L’objectif de cette recherche est de présenter le potentiel du cautionnement mutuel comme instrument d’inclusion financière, ainsi que les stratégies de construction de son cadre juridique dans l’espace OHADA.

Mots-clés : cautionnement mutuel, inclusion financière, entreprenariat.

Abstract :

In most African countries, it is contradictory to note that banks and financial establishments are in a state of excess liquidity, while micro-entrepreneurs do not have access to credit. This is mainly due to the difficulty of micro-entrepreneurs to provide collaterals. Mutual guarantee is an effective and sustainable way, insofar as it allows people to come together in the context of a society to provide each other with sponsorship, on the occasion of credit applications. However, so far, the mutual guarantee has not been regulated in Africa, either in domestic law or Community law, even though it is an effective technique for financial inclusion. The objective of this research is to present the potential of mutual guarantee as a tool for financial inclusion, as well as strategies to build its legal framework in the OHADA zone.

Keywords : mutual guarantee, financial inclusion, entrepreneurship.

 

Introduction

L’inclusion financière (ou finance inclusive) désigne l’offre de services financiers et bancaires de base à faible coût pour des consommateurs en difficultés et exclus des services traditionnels. Ces personnes rencontrent des difficultés pour accéder à des services et produits financiers proposés par les prestataires classiques notamment les banques. En effet, ces services et produits ne sont pas habituellement adaptés à leurs capacités financières .

Au XXIe siècle, tous les individus ont besoin d’accéder à des services bancaires, étant donné qu’ils sont indispensables pour leur intégration dans la société. Malheureusement, plusieurs rapports révèlent que le niveau d’exclusion financière est encore important. D’après le dernier rapport de la Banque mondiale par exemple, plus de 2,5 milliards de personnes à travers le monde n’ont pas accès à des services bancaires et près de 90% d’entre elles vivent en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Plus concrètement, près de 75 % des adultes gagnant moins de deux dollars par jour n’ont pas de compte en banque. De même, plus 50% de la population vivant dans les pays en développement n’ont pas de compte en banque, contre 10 % dans les pays riches et développés. Enfin, parmi les personnes ayant un compte, seul 43 % l’utilisent pour épargner (World Bank, 2014).

L’accès aux services financiers est compromis, entre autres, en raison de l’incapacité des individus à fournir une garantie en contrepartie de l’obtention d’un crédit, que ce soit auprès des banques classiques ou auprès des établissements de microfinance (HUGON Ph., 2007 ; LABIE M. et al., 2004), alors que toutes ces institutions financières sont déclarées être en état de surliquidité (DOUMBIA S., 2011 ; FOUDA OWOUNDI J.-P., 2009).

Or l’importance du crédit, notamment pour les investissements n’est plus à démontrer, surtout pour un continent comme l’Afrique où beaucoup reste à faire en matière de développement économique et social (DIAKITE B.S., 2009 ; LELOUP F. et al., 2003).

Dans la plupart des cas, face à l’impossibilité d’accéder au crédit dans des établissements financiers, ou par le biais des finances traditionnelle et informelle, les micro-entrepreneurs ont tendance à recourir aux usuriers , ce qui peut s’avérer très néfaste pour la survie de leur activité, au vu des taux d’intérêt pratiqués.

Compte tenu de l’importance du crédit dans la stratégie du développement, il devient crucial d’organiser des mécanismes destinés à faciliter son accessibilité, particulièrement aux petits entrepreneurs. Le cautionnement mutuel, organisé dans le cadre d’une société, semble être un créneau porteur, au vu des preuves qu’il a faites dans d’autres régions du monde.

Les sociétés de cautionnement mutuel sont des associations à but non lucratif consistant à offrir aux établissements financiers une garantie afin que des personnes sollicitant un crédit puissent l’obtenir dans des conditions favorables. A cet effet, le cautionnement mutuel est une technique de mutualisation des risques qui permet de favoriser l’accès au crédit des petits entrepreneurs et même des particuliers, par un accompagnement spécifique d’une société (de cautionnement mutuel). Elle a pour objet de permettre l’octroi de crédit par un partenaire financier dans des conditions satisfaisantes, même lorsque les garanties offertes par l’emprunteur sont jugées insuffisantes (LEGRAND V., 2011).

Ainsi, le cautionnement mutuel consiste à « (…) substituer au débiteur isolé une collectivité formée par l’ensemble des débiteurs. Il a pour but d’apporter (…) une garantie collective à l’occasion d’opérations traitées par un sociétaire avec des tiers » (WAMPFLER B., 2012). Le crédit contracté au bénéfice d’un membre se désindividualise pour se communautariser. Le cautionnement mutuel constitue un mécanisme de garantie qui vise à responsabiliser l’ensemble des acteurs impliqués pour le remboursement du crédit.

Le cautionnement mutuel se présente en Afrique comme une garantie d’accès au crédit accessible à toutes les couches de la population. Mais son régime juridique n’a pas été défini. Dans une approche essentiellement juridique, les analyses porteront sur la zone OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) .

Au sein de l’espace OHADA cohabitent deux organisations d’intégration économique : la CEMAC (Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale) et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine). Nous invoquerons également le droit dérivé produit par ces deux organisations , ainsi que le droit de la CIMA (Conférence interafricaine des marchés de l’assurance).

I- Le cautionnement mutuel, une sûreté

Le cautionnement mutuel est une sûreté particulière et accessible à tous.

A- Une sûreté particulière

Le cautionnement mutuel est avant tout une sûreté. D’après l’article 1er de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sûretés, une sûreté est l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci. Dans le cadre d’une société de cautionnement mutuel, les associés réunissent des fonds pour garantir le prêt bancaire d’un des leurs, et il s’agit effectivement d’une sûreté. Entre autres classifications, les sûretés peuvent être personnelles ou réelles.

Les sûretés réelles portent sur des biens offerts au banquier prêtant les fonds, ce qui n’est pas le cas pour le cautionnement mutuel qui se présente plutôt comme une sûreté personnelle. Une sûreté personnelle est une garantie de paiement offerte au créancier, lui permettant d’aller demander le paiement de sa créance, sous certaines conditions, dans le patrimoine d’une autre personne que son débiteur . Un exemple classique de sûreté personnelle c’est le cautionnement. D’après l’article 13 de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des sûretés, « le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le créancier qui accepte, à exécuter une obligation présente ou future contractée par le débiteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-même ».

Certes, le cautionnement mutuel n’a pas été mentionné par l’acte uniforme, mais au vu de sa définition, il en découle qu’il s’agit d’une forme particulière de cautionnement.
Le cautionnement peut être simple ou solidaire. En cas de cautionnement simple, le créancier ne peut poursuivre la caution que lorsque le débiteur principal est définitivement défaillant et que les recours utilisables contre lui ont été épuisés. En cas de cautionnement solidaire, la caution peut être appelée à payer à la place de l’emprunteur dès que ce dernier est défaillant. De plus, lorsque plusieurs personnes sont cautions solidaires, elles garantissent ensemble le créancier et chacune d’entre elles est engagée pour le tout, sous réserve de pouvoir exercer, ultérieurement, à l’encontre de ses codébiteurs, une action récursoire (BROU KOUAKOU M., 2006).

Comme le cautionnement simple ou solidaire, le cautionnement mutuel met en relation un demandeur de crédit et une ou plusieurs personnes se portant garantes de son prêt (ROUTIER R., 2011 ; WAMPFLER B., 2002). Toutefois, le cautionnement mutuel se distingue du cautionnement simple et du cautionnement solidaire par deux principales caractéristiques.

D’abord la mutualité. « La principale caractéristique des sociétés de cautionnement mutuel est la mutualité, un principe de solidarité qui unit des petits entrepreneurs (…), économiquement faibles, et leur permet de s’apporter une aide réciproque grâce aux garanties constituées par les versements des différents adhérents (…) » (FIDI F., DE GOBBI S., 2003).

En effet, dans le cautionnement mutuel, les associés collectent les fonds (assiette du cautionnement) au préalable, ce qui constitue une garantie de plus pour le créancier. Or en cas de cautionnement solidaire (même porté par plusieurs personnes), certes le créancier peut poursuivre n’importe quelle caution, mais il court toujours le risque de lenteur d’exécution et même d’inexécution de l’obligation de remboursement. De plus, chaque associé, sachant qu’il bénéficiera du support du groupe à son tour, s’engage à respecter ses obligations, ce qui donne plus de crédibilité au cautionnement mutuel. A cet effet, le cautionnement mutuel « conjugue les principes classiques du mutualisme (épargne préalable) avec l’approche de la caution solidaire » (WAMPFLER B., 2012).

Ensuite le caractère institutionnel du cautionnement mutuel. En effet, le cautionnement mutuel est pratiqué dans le cadre d’un établissement de crédit, la société de cautionnement mutuel, ce qui n’est pas forcément le cas pour le cautionnement, simple ou solidaire (HUGON Ph., 2007).

B- Une sûreté accessible à tous

Comme le notent des auteurs, l’exclusion financière prend de l’ampleur et la microfinance classique peine à réduire sa progression. Face à cette exclusion financière, les populations ont souvent recours à leurs relations sociales (KEMAYOU R.L. et al., 2011).

Ces pratiques financières qualifiées de « finance informelle » (DIAKITE B.S., 2009 ; FERRATON C., VALLAT D., 2011) puisent dans les valeurs sociales, coutumières et ethniques des populations et traduisent ce que l’on pourrait qualifier de permanence des valeurs traditionnelles aux côtés de la finance moderne (LELART M., 2002). Ces pratiques se présentent sous plusieurs formes, notamment celle des tontines. Ce qui caractérise ces pratiques informelles c’est qu’elles reposent sur des relations personnelles (lien de parenté, lien social, etc.).

Dans la plupart des cas, non seulement les personnes dans ces relations financières se connaissent, mais aussi les opérations qu’elles effectuent ensemble ne sont pas forcément liées à leur activité économique, mais sont encastrées dans leurs relations sociales. « La finance informelle présente de ce point de vue un avantage comparatif intéressant par rapport à la microfinance dans son contexte de commercialisation » (SOME Y., 2010).

Le cautionnement mutuel est accessible à tous dans la mesure où il repose sur un fonctionnement proche de celui des tontines.
La définition de la tontine n’est pas aisée (SERVET J.-M., 1990 ; NZEMEN M., 1988). En Afrique, la tontine se présente sous de très nombreuses facettes, rendant difficile toute activité destinée à les cataloguer. Néanmoins, d’après la plupart des auteurs, une tontine est une association de personnes qui, unies par des liens familiaux, d’amitié, de profession, de clan ou de région, se retrouvent à des périodes d’intervalles plus ou moins variables afin de mettre en commun leur épargne, ou d’organiser la distribution du crédit, en vue de solutionner les problèmes particuliers ou collectifs des membres (LOWE R., 2005 ; KOUNKOU D., 2008 ; MOURGUES N., 1990).

Dans les sociétés de cautionnement mutuel, il s’agit pour tous les membres de réunir de l’argent pour constituer un fonds de garantie pouvant servir de sûreté à tous. Cette garantie sera déposée auprès d’un établissement financier dans le cadre d’une demande d’obtention d’un crédit au bénéfice d’un des membres (FIDI F., DE GOBBI S., 2003).

Dans la tontine comme dans la société de cautionnement mutuel, les membres réunissent de l’argent devant servir, à un moment donné, à résoudre les problèmes financiers d’un des leurs, soit parce que les fonds lui seront remis (tontine), soit parce que les fonds serviront de garantie pour son prêt (société de cautionnement mutuel). De ce point de vue, l’on se rend compte que la dynamique est similaire dans les tontines et dans les sociétés de cautionnement mutuel.

Dans le même ordre d’idées, la principale caractéristique des sociétés de cautionnement mutuel, comme des tontines d’ailleurs, est la mutualité (EUZEN S., 1998) ; laquelle n’est qu’un système organisé de solidarité et de réciprocité.

Dans un entendement général, la réciprocité suppose l’existence entre deux ou plusieurs personnes, d’obligations de même nature qui les lient les uns envers les autres, lorsque chacune est tenu envers les autres d’un devoir ayant le même objet (SERVET J.-M., 2007).

Dans les sociétés de cautionnement mutuel, chaque membre est tenu de maintenir ses fonds à la disposition du groupe afin qu’ils servent de garantie aux autres sur une certaine durée, y compris celle au cours de laquelle il bénéficiera de la garantie. Le mécanisme est similaire dans les tontines. Chaque membre reçoit la somme des cotisations de tout le groupe à son tour et est par conséquent obligé de cotiser à chaque session pour permettre à tous les autres membres de bénéficier de la cagnotte de la même façon que lui (SERVET J.-M., 1990).

Dans l’un et l’autre cas, on assiste à un entremêlement et une interconnexion d’activités d’épargne et de crédit. Une telle réciprocité n’existe pas forcément dans les banques et les établissements de microfinance au sein desquelles les activités d’épargne et de crédit peuvent être parfaitement détachées.

II- Le cautionnement mutuel, une sûreté non réglementée

Les sociétés de cautionnement mutuel dans leur conception moderne sont d’origine occidentale. Elles existent dans plusieurs pays d’Europe depuis longtemps. Leur introduction en Afrique est très récente et ne repose, jusqu’ici, sur aucune base législative (WAMPFLER B., 2002). En droit français par exemple, c’est une loi du 13 mars 1917 qui a donné une existence légale aux sociétés de cautionnement mutuel. Le texte de la loi de 1917 a été codifié aux articles L. 515-4 et suivants du code monétaire et financier (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005).

Pour envisager l’intégration des sociétés de cautionnement mutuel en droit OHADA, une question principale se pose : de quelle manière le législateur OHADA peut-il élaborer les règles destinées à régir ces sociétés ?

Plusieurs possibilités se présentent : la conception d’une loi nationale comme en France ou le développement de règles dans le cadre du droit uniforme OHADA ou communautaire. Il nous semble que la deuxième option devrait être privilégiée étant donné que le cautionnement mutuel constitue un élément important du droit des affaires que l’OHADA s’est donnée pour mission d’uniformiser.

A cet effet, trois branches du droit pourront être concernées pour le développement du droit régissant le cautionnement mutuel : le droit des sociétés, le droit des sûretés et le droit de la microfinance.

A- Des contributions transversales : droit des sûretés et droit de la microfinance

Les articles 13 à 38 de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sûretés régissent le cautionnement dans toutes ses étapes, de la formation à l’extinction. Il n’est nullement fait mention du cautionnement mutuel, alors même qu’il constitue une sûreté particulièrement efficace et accessible à tous.

Parce qu’il constitue un moyen de promotion de l’inclusion financière, le cautionnement mutuel aurait dû être considéré par le législateur OHADA du droit des sûretés. A tout le moins, il aurait pu définir la relation contractuelle entre l’institution prêteuse des deniers et la société de cautionnement mutuel qui se porte garante pour le demandeur de crédit.

Comme on le verra plus loin, le cautionnement mutuel fonctionne dans le cadre d’une société et cette dernière est un établissement de crédit (de microfinance) devant être agréé. A cet effet, la société de cautionnement mutuel doit être reconnue comme établissement de microfinance. Le droit de la microfinance n’a pas été réglementé par l’OHADA, mais par les sous-régions UEMOA et CEMAC .

En droit CEMAC, elle devrait appartenir à la première et/ou à la troisième catégorie. D’après le règlement EMF/21 du 15 avril 2002, sont classés en première catégorie les établissements qui procèdent à la collecte de l’épargne de leurs membres qu’ils emploient en opérations de crédit, exclusivement au profit de ceux-ci. Il s’agit notamment des associations, des coopératives et des mutuelles. La deuxième ne s’ouvre qu’aux sociétés pouvant collecter l’épargne des membres et accorder du crédit à des tiers (sociétés anonymes). La troisième catégorie concerne les établissements qui accordent du crédit sans collecter l’épargne et peut être mise en œuvre sous n’importe quelle forme juridique (société anonyme, coopérative, mutuelle, association)

En droit UEMOA de la microfinance, il n’existe pas de catégories comme en droit CEMAC. L’article 15 de la réglementation UEMOA de 2007 relative aux Systèmes financiers décentralisés (SFD) précise les formes juridiques que peuvent adopter les SFD. D’après cette disposition, les SFD doivent être constitués sous forme de société anonyme, de société à responsabilité limitée, de société coopérative ou mutualiste ou d’association.

Que ce soit en droit CEMAC ou en droit UEMOA, les législateurs devront définir les règles prudentielles, ainsi que les conditions d’agrément des sociétés de cautionnement mutuel. Ils devront également convenir de la forme juridique appropriée pour le cautionnement mutuel (en liaison avec le législateur du droit des sociétés), et nous verrons plus loin que la forme mutualiste semble être la plus indiquée.

À côté du droit des sûretés et du droit de la microfinance, l’essentiel des règles régissant le cautionnement mutuel devra être précisé par le droit des sociétés. Il va s’agir de réglementer le droit des sociétés de cautionnement mutuel en relation avec les règles déjà fixées en droit des sûretés et en droit de la microfinance. Une concertation entre les trois législateurs est nécessaire pour parvenir à un droit homogène et efficacement applicable. Des renvois nécessaires d’un droit à un autre, pourraient permettre d’alléger le cadre juridique applicable.

B- L’intervention du droit des sociétés

Si l’on prend en considération la définition de la société de cautionnement présentée ci-dessus, ainsi que les évolutions en droit français , il est évident qu’il ne peut pas s’agir d’une forme de société commerciale. Etant donné que la société de cautionnement mutuel est, par principe à but non lucratif (FIDI F., DE GOBBI S., 2003), notre regard se tourne forcément du côté des coopératives et des mutuelles (voire des associations). Egalement, étant donné, que l’activité que mènent les sociétés de cautionnement mutuel est une activité de microfinance (crédit), le choix se fera finalement entre la coopérative d’épargne et de crédit (COOPEC) et la mutuelle d’épargne et de crédit (MEC).

Dans la plupart des pays occidentaux, les sociétés de cautionnement mutuel sont constituées sous la forme juridique des coopératives de crédit (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005). Toutefois, dans le contexte de l’OHADA, nous proposons que le législateur intègre les sociétés de cautionnement mutuel dans son droit en tant que MEC. Il ne s’agirait pas d’une volonté de l’OHADA de simplement se distinguer des autres. Une telle attitude peut se justifier.

Dans certains pays (notamment ceux de l’UEMOA), on a pu remarquer que les COOPEC sont assimilées aux MEC et inversement, et que l’on confond abusivement ces deux appellations (TADJUDJE W., 2013b). La raison proviendrait du fait qu’il n’existe pas encore de statut propre aux MEC, alors que les droits UEMOA et CEMAC les autorisent à exercer l’activité de microfinance. Or la définition de ce statut s’avère importante, car la coopérative ne saurait continuer à être considérée comme une mutuelle et vice versa .

Aucun législateur africain n’ayant encore développé des règles propres aux MEC, il conviendrait que le législateur OHADA se penche sur son opportunité, dans l’intérêt de la clarification des concepts juridiques qu’il peut être appelé à utiliser.

Définir la MEC stricto sensu est une entreprise délicate. Une telle forme juridique d’entreprise n’existe nulle part, à proprement parler, puisqu’elles sont généralement assimilées ou confondues aux COOPEC. Etant donné que les MEC actuelles sont gérées comme des COOPEC, pour projeter la construction de leur statut juridique, il conviendrait de procéder à une minutieuse étude socio-anthropologique destinée à identifier les pratiques sociales pouvant se mouler sous cette forme juridique, ou alors les activités de microfinance particulières, délaissées par les COOPEC, que les MEC pourraient porter afin de contribuer, dans une perspective complémentaire avec les COOPEC, au développement économique et social des populations. Dans un tel contexte, l’idéal serait que les règles développées soient fonctionnelles et qu’il ne s’agisse pas simplement d’une forme juridique d’entreprise de plus, venant surabonder le paysage du droit des organisations.

En l’absence de tout encadrement conceptuel concret de la MEC jusqu’ici, nous essayerons d’en proposer un. La définition sera élaborée sur la base de celle de la mutuelle sociale. Cette dernière se définit comme un groupement qui, au moyen des cotisations des membres se propose de mener, dans l’intérêt de ceux-ci et de leurs ayants droit, une action de prévoyance, d’entraide et de solidarité visant la prévention des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences (article 1er du Règlement UEMOA relatif à la mutualité sociale ; TADJUDJE W., 2013b).

De cette définition, l’on peut déduire que la MEC peut s’entendre comme un groupement autonome de personnes qui, au moyen de l’épargne des membres ou d’autres ressources, se propose d’accorder à ces derniers, des crédits et des assistances diverses, dans un esprit d’entraide et de solidarité visant à vaincre l’exclusion économique et financière.
Si telle peut être la définition de la MEC, d’autre part, il convient d’essayer de distinguer les caractéristiques de la MEC de celles de la COOPEC puisque fondamentalement, chacune des deux aurait pour mission d’accorder des services financiers à des personnes exclues des systèmes bancaires classiques à travers la mise en œuvre non pas de l’activité bancaire, mais de celle de microfinance (SOME Y., 2010).

A première vue, l’on ne peut souligner qu’une différence entre la COOPEC et MEC. Cette différence concerne l’absence de capital social dans les mutuelles sociales, ce que l’on pourrait généraliser à toutes les formes de mutuelles, en conservant cette carence comme trait caractéristique de leur spécificité (TADJUDJE W. 2015). L’on aurait pu également pointer du doigt le principe d’exclusivité qui connait des tempéraments dans les coopératives et qui garde toute sa fermeté dans les mutuelles.

Néanmoins, dans le cadre de l’exercice d’activités de microfinance, le droit de la microfinance exige des coopératives et des mutuelles qu’elles n’engagent de services qu’avec leurs membres, en exclusion des tiers. Cela suppose qu’exceptionnellement, la COOPEC et contrairement aux autres formes de coopératives, ne peut pas admettre en son sein des associés non coopérateurs (TADJUDJE W. 2013b).

En dehors de la différence reposant sur l’absence de capital social dans les mutuelles et de leur présence dans les coopératives, il serait plus difficile de relever d’autres différences entre les coopératives et les mutuelles financières.

Toutefois, la différence entre les coopératives et les mutuelles financières pourrait reposer, à certains égards, sur les activités. La microassurance (dans le cadre du droit de la CIMA) est réservée aux mutuelles et aux sociétés anonymes, et les coopératives en sont exclues. Les coopératives sont autorisées à exercer toute autre activité. Le droit de la microfinance reconnaît les mutuelles comme institution pouvant mettre en œuvre cette activité, sans qu’il ne puisse s’agir de la mutuelle sociale, ou de la mutuelle d’assurance ou de microassurance, de façon plus générale. De ce point de vue, la MEC pourrait exercer l’activité de microfinance au cas où son statut serait développé par le législateur (TADJUDJE W., 2013c).

Afin d’éviter d’éventuelles concurrences entre les COOPEC et les MEC sur le terrain de la microfinance exercée par les organisations de l’économie sociale et solidaire, le législateur devrait préciser leurs domaines d’intervention respectifs, lesquels pourraient faire naître des partenariats du fait de la complémentarité entre les activités particulières des deux formes juridiques d’organisation. Cette précision participerait de l’attitude du législateur visant à distinguer les coopératives des mutuelles par les activités.

Ainsi, le législateur pourrait confier aux MEC des activités de microfinance d’un genre particulier. Il s’agirait notamment d’activités non encore prises en compte par les COOPEC telles que le cautionnement mutuel ou l’activité des tontines. La mutuelle présenterait ainsi l’avantage d’être conçue sur la base des règles traditionnelles régissant la finance informelle.

Plus techniquement, il se pose la question de savoir si les sociétés de cautionnement mutuel doivent être dotées d’un capital social ou d’un simple fonds d’établissement à côté du fonds de garantie. La question revêt une certaine importance car, habituellement, l’absence de capital social est généralisée comme marque de la particularité des mutuelles (TADJUDJE W., 2013a). Or si la société de cautionnement mutuel peut disposer d’un capital social, notre proposition ne vaut plus. Pour répondre à la question, il convient au préalable de faire la différence entre le capital social et les fonds d’établissement.

Les fonctions des fonds d’établissement sont équivalentes à celles du capital social et les mutuelles de microassurance disposent toutes de fonds d’établissement (TADJUDJE W., 2015). Pour garder la même cohérence, le législateur pourrait concevoir le fonctionnement des sociétés de cautionnement mutuel sur la base des fonds d’établissement.

Si les sociétés de cautionnement mutuel peuvent ainsi être intégrées en droit OHADA sous la forme juridique des MEC, des partenariats peuvent être envisagés entre ces sociétés et des COOPEC dans le cadre de l’obtention du crédit.

En effet, comme le note un auteur, « si les sociétés de cautionnement mutuel prenaient la forme d’organisations à but non lucratif, il est très probable qu’elles ne seraient pas prises au sérieux par les banques » (BALKENHOL B., 1990). Cette affirmation peut se justifier car, dans la plupart des cas, les sociétés commerciales connaissent mal le potentiel des organisations à but non lucratif.

Même si l’affirmation se vérifiait, les sociétés de cautionnement mutuel pourraient orienter leurs demandes de crédit vers les COOPEC qui sont de la même famille qu’elles. Dans ce contexte naîtrait une nouvelle forme de partenariat entre les coopératives et les mutuelles, justifiant la nécessité de la construction d’un acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives et mutualistes sous l’égide de l’OHADA (TADJUDJE W., 2015).

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Willy TADJUDJE
Docteur en Droit privé,
Chargé de Cours Associé
Université du Luxembourg

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine.