OHADA Doctrine

Mutual bonding and financial inclusion in Africa

Willy TADJUDJE
Docteur en Droit privé,
Chargé de Cours Associé
Université du Luxembourg

Résumé :

Dans la plupart des pays d’Afrique, il est paradoxal de relever que les banques et Ă©tablissements financiers sont en Ă©tat de surliquiditĂ©, tandis que les micro-entrepreneurs n’ont pas accĂšs au crĂ©dit. Cela s’explique principalement par la difficultĂ© de ces derniers Ă  fournir des garanties. Le cautionnement mutuel constitue un moyen efficace et durable, dans la mesure oĂč il permet Ă  des personnes de se rĂ©unir dans le cadre d’une sociĂ©tĂ©, afin de se fournir mutuellement une caution, Ă  l’occasion de demandes de crĂ©dit. Toutefois, jusqu’ici, le cautionnement mutuel n’a pas Ă©tĂ© rĂ©glementĂ© en Afrique, que ce soit en droit interne ou en droit communautaire, alors qu’il constitue une technique efficace pour l’inclusion financiĂšre. L’objectif de cette recherche est de prĂ©senter le potentiel du cautionnement mutuel comme instrument d’inclusion financiĂšre, ainsi que les stratĂ©gies de construction de son cadre juridique dans l’espace OHADA.

Mots-clés : cautionnement mutuel, inclusion financiÚre, entreprenariat.

Abstract :

In most African countries, it is contradictory to note that banks and financial establishments are in a state of excess liquidity, while micro-entrepreneurs do not have access to credit. This is mainly due to the difficulty of micro-entrepreneurs to provide collaterals. Mutual guarantee is an effective and sustainable way, insofar as it allows people to come together in the context of a society to provide each other with sponsorship, on the occasion of credit applications. However, so far, the mutual guarantee has not been regulated in Africa, either in domestic law or Community law, even though it is an effective technique for financial inclusion. The objective of this research is to present the potential of mutual guarantee as a tool for financial inclusion, as well as strategies to build its legal framework in the OHADA zone.

Keywords : mutual guarantee, financial inclusion, entrepreneurship.

 

Introduction

L’inclusion financiĂšre (ou finance inclusive) dĂ©signe l’offre de services financiers et bancaires de base Ă  faible coĂ»t pour des consommateurs en difficultĂ©s et exclus des services traditionnels. Ces personnes rencontrent des difficultĂ©s pour accĂ©der Ă  des services et produits financiers proposĂ©s par les prestataires classiques notamment les banques. En effet, ces services et produits ne sont pas habituellement adaptĂ©s Ă  leurs capacitĂ©s financiĂšres .

Au XXIe siĂšcle, tous les individus ont besoin d’accĂ©der Ă  des services bancaires, Ă©tant donnĂ© qu’ils sont indispensables pour leur intĂ©gration dans la sociĂ©tĂ©. Malheureusement, plusieurs rapports rĂ©vĂšlent que le niveau d’exclusion financiĂšre est encore important. D’aprĂšs le dernier rapport de la Banque mondiale par exemple, plus de 2,5 milliards de personnes Ă  travers le monde n’ont pas accĂšs Ă  des services bancaires et prĂšs de 90% d’entre elles vivent en Afrique, en Asie et en AmĂ©rique latine. Plus concrĂštement, prĂšs de 75 % des adultes gagnant moins de deux dollars par jour n’ont pas de compte en banque. De mĂȘme, plus 50% de la population vivant dans les pays en dĂ©veloppement n’ont pas de compte en banque, contre 10 % dans les pays riches et dĂ©veloppĂ©s. Enfin, parmi les personnes ayant un compte, seul 43 % l’utilisent pour Ă©pargner (World Bank, 2014).

L’accĂšs aux services financiers est compromis, entre autres, en raison de l’incapacitĂ© des individus Ă  fournir une garantie en contrepartie de l’obtention d’un crĂ©dit, que ce soit auprĂšs des banques classiques ou auprĂšs des Ă©tablissements de microfinance (HUGON Ph., 2007 ; LABIE M. et al., 2004), alors que toutes ces institutions financiĂšres sont dĂ©clarĂ©es ĂȘtre en Ă©tat de surliquiditĂ© (DOUMBIA S., 2011 ; FOUDA OWOUNDI J.-P., 2009).

Or l’importance du crĂ©dit, notamment pour les investissements n’est plus Ă  dĂ©montrer, surtout pour un continent comme l’Afrique oĂč beaucoup reste Ă  faire en matiĂšre de dĂ©veloppement Ă©conomique et social (DIAKITE B.S., 2009 ; LELOUP F. et al., 2003).

Dans la plupart des cas, face Ă  l’impossibilitĂ© d’accĂ©der au crĂ©dit dans des Ă©tablissements financiers, ou par le biais des finances traditionnelle et informelle, les micro-entrepreneurs ont tendance Ă  recourir aux usuriers , ce qui peut s’avĂ©rer trĂšs nĂ©faste pour la survie de leur activitĂ©, au vu des taux d’intĂ©rĂȘt pratiquĂ©s.

Compte tenu de l’importance du crĂ©dit dans la stratĂ©gie du dĂ©veloppement, il devient crucial d’organiser des mĂ©canismes destinĂ©s Ă  faciliter son accessibilitĂ©, particuliĂšrement aux petits entrepreneurs. Le cautionnement mutuel, organisĂ© dans le cadre d’une sociĂ©tĂ©, semble ĂȘtre un crĂ©neau porteur, au vu des preuves qu’il a faites dans d’autres rĂ©gions du monde.

Les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel sont des associations Ă  but non lucratif consistant Ă  offrir aux Ă©tablissements financiers une garantie afin que des personnes sollicitant un crĂ©dit puissent l’obtenir dans des conditions favorables. A cet effet, le cautionnement mutuel est une technique de mutualisation des risques qui permet de favoriser l’accĂšs au crĂ©dit des petits entrepreneurs et mĂȘme des particuliers, par un accompagnement spĂ©cifique d’une sociĂ©tĂ© (de cautionnement mutuel). Elle a pour objet de permettre l’octroi de crĂ©dit par un partenaire financier dans des conditions satisfaisantes, mĂȘme lorsque les garanties offertes par l’emprunteur sont jugĂ©es insuffisantes (LEGRAND V., 2011).

Ainsi, le cautionnement mutuel consiste Ă  « (…) substituer au dĂ©biteur isolĂ© une collectivitĂ© formĂ©e par l’ensemble des dĂ©biteurs. Il a pour but d’apporter (
) une garantie collective Ă  l’occasion d’opĂ©rations traitĂ©es par un sociĂ©taire avec des tiers » (WAMPFLER B., 2012). Le crĂ©dit contractĂ© au bĂ©nĂ©fice d’un membre se dĂ©sindividualise pour se communautariser. Le cautionnement mutuel constitue un mĂ©canisme de garantie qui vise Ă  responsabiliser l’ensemble des acteurs impliquĂ©s pour le remboursement du crĂ©dit.

Le cautionnement mutuel se prĂ©sente en Afrique comme une garantie d’accĂšs au crĂ©dit accessible Ă  toutes les couches de la population. Mais son rĂ©gime juridique n’a pas Ă©tĂ© dĂ©fini. Dans une approche essentiellement juridique, les analyses porteront sur la zone OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) .

Au sein de l’espace OHADA cohabitent deux organisations d’intĂ©gration Ă©conomique : la CEMAC (CommunautĂ© Ă©conomique et monĂ©taire des Etats de l’Afrique centrale) et l’UEMOA (Union Ă©conomique et monĂ©taire ouest africaine). Nous invoquerons Ă©galement le droit dĂ©rivĂ© produit par ces deux organisations , ainsi que le droit de la CIMA (ConfĂ©rence interafricaine des marchĂ©s de l’assurance).
 
I- Le cautionnement mutuel, une sûreté

Le cautionnement mutuel est une sûreté particuliÚre et accessible à tous.

A- Une sûreté particuliÚre

Le cautionnement mutuel est avant tout une sĂ»retĂ©. D’aprĂšs l’article 1er de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sĂ»retĂ©s, une sĂ»retĂ© est l’affectation au bĂ©nĂ©fice d’un crĂ©ancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exĂ©cution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci. Dans le cadre d’une sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel, les associĂ©s rĂ©unissent des fonds pour garantir le prĂȘt bancaire d’un des leurs, et il s’agit effectivement d’une sĂ»retĂ©. Entre autres classifications, les sĂ»retĂ©s peuvent ĂȘtre personnelles ou rĂ©elles.

Les sĂ»retĂ©s rĂ©elles portent sur des biens offerts au banquier prĂȘtant les fonds, ce qui n’est pas le cas pour le cautionnement mutuel qui se prĂ©sente plutĂŽt comme une sĂ»retĂ© personnelle. Une sĂ»retĂ© personnelle est une garantie de paiement offerte au crĂ©ancier, lui permettant d’aller demander le paiement de sa crĂ©ance, sous certaines conditions, dans le patrimoine d’une autre personne que son dĂ©biteur . Un exemple classique de sĂ»retĂ© personnelle c’est le cautionnement. D’aprĂšs l’article 13 de l’acte uniforme de l’OHADA portant organisation des sĂ»retĂ©s, « le cautionnement est un contrat par lequel la caution s’engage, envers le crĂ©ancier qui accepte, Ă  exĂ©cuter une obligation prĂ©sente ou future contractĂ©e par le dĂ©biteur, si celui-ci n’y satisfait pas lui-mĂȘme ».

Certes, le cautionnement mutuel n’a pas Ă©tĂ© mentionnĂ© par l’acte uniforme, mais au vu de sa dĂ©finition, il en dĂ©coule qu’il s’agit d’une forme particuliĂšre de cautionnement.
Le cautionnement peut ĂȘtre simple ou solidaire. En cas de cautionnement simple, le crĂ©ancier ne peut poursuivre la caution que lorsque le dĂ©biteur principal est dĂ©finitivement dĂ©faillant et que les recours utilisables contre lui ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s. En cas de cautionnement solidaire, la caution peut ĂȘtre appelĂ©e Ă  payer Ă  la place de l’emprunteur dĂšs que ce dernier est dĂ©faillant. De plus, lorsque plusieurs personnes sont cautions solidaires, elles garantissent ensemble le crĂ©ancier et chacune d’entre elles est engagĂ©e pour le tout, sous rĂ©serve de pouvoir exercer, ultĂ©rieurement, Ă  l’encontre de ses codĂ©biteurs, une action rĂ©cursoire (BROU KOUAKOU M., 2006).

Comme le cautionnement simple ou solidaire, le cautionnement mutuel met en relation un demandeur de crĂ©dit et une ou plusieurs personnes se portant garantes de son prĂȘt (ROUTIER R., 2011 ; WAMPFLER B., 2002). Toutefois, le cautionnement mutuel se distingue du cautionnement simple et du cautionnement solidaire par deux principales caractĂ©ristiques.

D’abord la mutualitĂ©. « La principale caractĂ©ristique des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel est la mutualitĂ©, un principe de solidaritĂ© qui unit des petits entrepreneurs (…), Ă©conomiquement faibles, et leur permet de s’apporter une aide rĂ©ciproque grĂące aux garanties constituĂ©es par les versements des diffĂ©rents adhĂ©rents (…) » (FIDI F., DE GOBBI S., 2003).

En effet, dans le cautionnement mutuel, les associĂ©s collectent les fonds (assiette du cautionnement) au prĂ©alable, ce qui constitue une garantie de plus pour le crĂ©ancier. Or en cas de cautionnement solidaire (mĂȘme portĂ© par plusieurs personnes), certes le crĂ©ancier peut poursuivre n’importe quelle caution, mais il court toujours le risque de lenteur d’exĂ©cution et mĂȘme d’inexĂ©cution de l’obligation de remboursement. De plus, chaque associĂ©, sachant qu’il bĂ©nĂ©ficiera du support du groupe Ă  son tour, s’engage Ă  respecter ses obligations, ce qui donne plus de crĂ©dibilitĂ© au cautionnement mutuel. A cet effet, le cautionnement mutuel « conjugue les principes classiques du mutualisme (Ă©pargne prĂ©alable) avec l’approche de la caution solidaire » (WAMPFLER B., 2012).

Ensuite le caractĂšre institutionnel du cautionnement mutuel. En effet, le cautionnement mutuel est pratiquĂ© dans le cadre d’un Ă©tablissement de crĂ©dit, la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel, ce qui n’est pas forcĂ©ment le cas pour le cautionnement, simple ou solidaire (HUGON Ph., 2007).

B- Une sûreté accessible à tous

Comme le notent des auteurs, l’exclusion financiĂšre prend de l’ampleur et la microfinance classique peine Ă  rĂ©duire sa progression. Face Ă  cette exclusion financiĂšre, les populations ont souvent recours Ă  leurs relations sociales (KEMAYOU R.L. et al., 2011).

Ces pratiques financiĂšres qualifiĂ©es de « finance informelle » (DIAKITE B.S., 2009 ; FERRATON C., VALLAT D., 2011) puisent dans les valeurs sociales, coutumiĂšres et ethniques des populations et traduisent ce que l’on pourrait qualifier de permanence des valeurs traditionnelles aux cĂŽtĂ©s de la finance moderne (LELART M., 2002). Ces pratiques se prĂ©sentent sous plusieurs formes, notamment celle des tontines. Ce qui caractĂ©rise ces pratiques informelles c’est qu’elles reposent sur des relations personnelles (lien de parentĂ©, lien social, etc.).

Dans la plupart des cas, non seulement les personnes dans ces relations financiĂšres se connaissent, mais aussi les opĂ©rations qu’elles effectuent ensemble ne sont pas forcĂ©ment liĂ©es Ă  leur activitĂ© Ă©conomique, mais sont encastrĂ©es dans leurs relations sociales. « La finance informelle prĂ©sente de ce point de vue un avantage comparatif intĂ©ressant par rapport Ă  la microfinance dans son contexte de commercialisation » (SOME Y., 2010).

Le cautionnement mutuel est accessible Ă  tous dans la mesure oĂč il repose sur un fonctionnement proche de celui des tontines.
La dĂ©finition de la tontine n’est pas aisĂ©e (SERVET J.-M., 1990 ; NZEMEN M., 1988). En Afrique, la tontine se prĂ©sente sous de trĂšs nombreuses facettes, rendant difficile toute activitĂ© destinĂ©e Ă  les cataloguer. NĂ©anmoins, d’aprĂšs la plupart des auteurs, une tontine est une association de personnes qui, unies par des liens familiaux, d’amitiĂ©, de profession, de clan ou de rĂ©gion, se retrouvent Ă  des pĂ©riodes d’intervalles plus ou moins variables afin de mettre en commun leur Ă©pargne, ou d’organiser la distribution du crĂ©dit, en vue de solutionner les problĂšmes particuliers ou collectifs des membres (LOWE R., 2005 ; KOUNKOU D., 2008 ; MOURGUES N., 1990).

Dans les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel, il s’agit pour tous les membres de rĂ©unir de l’argent pour constituer un fonds de garantie pouvant servir de sĂ»retĂ© Ă  tous. Cette garantie sera dĂ©posĂ©e auprĂšs d’un Ă©tablissement financier dans le cadre d’une demande d’obtention d’un crĂ©dit au bĂ©nĂ©fice d’un des membres (FIDI F., DE GOBBI S., 2003).

Dans la tontine comme dans la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel, les membres rĂ©unissent de l’argent devant servir, Ă  un moment donnĂ©, Ă  rĂ©soudre les problĂšmes financiers d’un des leurs, soit parce que les fonds lui seront remis (tontine), soit parce que les fonds serviront de garantie pour son prĂȘt (sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel). De ce point de vue, l’on se rend compte que la dynamique est similaire dans les tontines et dans les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel.

Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, la principale caractĂ©ristique des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel, comme des tontines d’ailleurs, est la mutualitĂ© (EUZEN S., 1998) ; laquelle n’est qu’un systĂšme organisĂ© de solidaritĂ© et de rĂ©ciprocitĂ©.

Dans un entendement gĂ©nĂ©ral, la rĂ©ciprocitĂ© suppose l’existence entre deux ou plusieurs personnes, d’obligations de mĂȘme nature qui les lient les uns envers les autres, lorsque chacune est tenu envers les autres d’un devoir ayant le mĂȘme objet (SERVET J.-M., 2007).

Dans les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel, chaque membre est tenu de maintenir ses fonds Ă  la disposition du groupe afin qu’ils servent de garantie aux autres sur une certaine durĂ©e, y compris celle au cours de laquelle il bĂ©nĂ©ficiera de la garantie. Le mĂ©canisme est similaire dans les tontines. Chaque membre reçoit la somme des cotisations de tout le groupe Ă  son tour et est par consĂ©quent obligĂ© de cotiser Ă  chaque session pour permettre Ă  tous les autres membres de bĂ©nĂ©ficier de la cagnotte de la mĂȘme façon que lui (SERVET J.-M., 1990).

Dans l’un et l’autre cas, on assiste Ă  un entremĂȘlement et une interconnexion d’activitĂ©s d’épargne et de crĂ©dit. Une telle rĂ©ciprocitĂ© n’existe pas forcĂ©ment dans les banques et les Ă©tablissements de microfinance au sein desquelles les activitĂ©s d’épargne et de crĂ©dit peuvent ĂȘtre parfaitement dĂ©tachĂ©es.

II- Le cautionnement mutuel, une sûreté non réglementée

Les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel dans leur conception moderne sont d’origine occidentale. Elles existent dans plusieurs pays d’Europe depuis longtemps. Leur introduction en Afrique est trĂšs rĂ©cente et ne repose, jusqu’ici, sur aucune base lĂ©gislative (WAMPFLER B., 2002). En droit français par exemple, c’est une loi du 13 mars 1917 qui a donnĂ© une existence lĂ©gale aux sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel. Le texte de la loi de 1917 a Ă©tĂ© codifiĂ© aux articles L. 515-4 et suivants du code monĂ©taire et financier (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005).

Pour envisager l’intĂ©gration des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel en droit OHADA, une question principale se pose : de quelle maniĂšre le lĂ©gislateur OHADA peut-il Ă©laborer les rĂšgles destinĂ©es Ă  rĂ©gir ces sociĂ©tĂ©s ?

Plusieurs possibilitĂ©s se prĂ©sentent : la conception d’une loi nationale comme en France ou le dĂ©veloppement de rĂšgles dans le cadre du droit uniforme OHADA ou communautaire. Il nous semble que la deuxiĂšme option devrait ĂȘtre privilĂ©giĂ©e Ă©tant donnĂ© que le cautionnement mutuel constitue un Ă©lĂ©ment important du droit des affaires que l’OHADA s’est donnĂ©e pour mission d’uniformiser.

A cet effet, trois branches du droit pourront ĂȘtre concernĂ©es pour le dĂ©veloppement du droit rĂ©gissant le cautionnement mutuel : le droit des sociĂ©tĂ©s, le droit des sĂ»retĂ©s et le droit de la microfinance.

A- Des contributions transversales : droit des sûretés et droit de la microfinance

Les articles 13 Ă  38 de l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sĂ»retĂ©s rĂ©gissent le cautionnement dans toutes ses Ă©tapes, de la formation Ă  l’extinction. Il n’est nullement fait mention du cautionnement mutuel, alors mĂȘme qu’il constitue une sĂ»retĂ© particuliĂšrement efficace et accessible Ă  tous.

Parce qu’il constitue un moyen de promotion de l’inclusion financiĂšre, le cautionnement mutuel aurait dĂ» ĂȘtre considĂ©rĂ© par le lĂ©gislateur OHADA du droit des sĂ»retĂ©s. A tout le moins, il aurait pu dĂ©finir la relation contractuelle entre l’institution prĂȘteuse des deniers et la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel qui se porte garante pour le demandeur de crĂ©dit.

Comme on le verra plus loin, le cautionnement mutuel fonctionne dans le cadre d’une sociĂ©tĂ© et cette derniĂšre est un Ă©tablissement de crĂ©dit (de microfinance) devant ĂȘtre agrĂ©Ă©. A cet effet, la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel doit ĂȘtre reconnue comme Ă©tablissement de microfinance. Le droit de la microfinance n’a pas Ă©tĂ© rĂ©glementĂ© par l’OHADA, mais par les sous-rĂ©gions UEMOA et CEMAC .

En droit CEMAC, elle devrait appartenir Ă  la premiĂšre et/ou Ă  la troisiĂšme catĂ©gorie. D’aprĂšs le rĂšglement EMF/21 du 15 avril 2002, sont classĂ©s en premiĂšre catĂ©gorie les Ă©tablissements qui procĂšdent Ă  la collecte de l’épargne de leurs membres qu’ils emploient en opĂ©rations de crĂ©dit, exclusivement au profit de ceux-ci. Il s’agit notamment des associations, des coopĂ©ratives et des mutuelles. La deuxiĂšme ne s’ouvre qu’aux sociĂ©tĂ©s pouvant collecter l’épargne des membres et accorder du crĂ©dit Ă  des tiers (sociĂ©tĂ©s anonymes). La troisiĂšme catĂ©gorie concerne les Ă©tablissements qui accordent du crĂ©dit sans collecter l’épargne et peut ĂȘtre mise en Ɠuvre sous n’importe quelle forme juridique (sociĂ©tĂ© anonyme, coopĂ©rative, mutuelle, association)

En droit UEMOA de la microfinance, il n’existe pas de catĂ©gories comme en droit CEMAC. L’article 15 de la rĂ©glementation UEMOA de 2007 relative aux SystĂšmes financiers dĂ©centralisĂ©s (SFD) prĂ©cise les formes juridiques que peuvent adopter les SFD. D’aprĂšs cette disposition, les SFD doivent ĂȘtre constituĂ©s sous forme de sociĂ©tĂ© anonyme, de sociĂ©tĂ© Ă  responsabilitĂ© limitĂ©e, de sociĂ©tĂ© coopĂ©rative ou mutualiste ou d’association.

Que ce soit en droit CEMAC ou en droit UEMOA, les lĂ©gislateurs devront dĂ©finir les rĂšgles prudentielles, ainsi que les conditions d’agrĂ©ment des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel. Ils devront Ă©galement convenir de la forme juridique appropriĂ©e pour le cautionnement mutuel (en liaison avec le lĂ©gislateur du droit des sociĂ©tĂ©s), et nous verrons plus loin que la forme mutualiste semble ĂȘtre la plus indiquĂ©e.

À cĂŽtĂ© du droit des sĂ»retĂ©s et du droit de la microfinance, l’essentiel des rĂšgles rĂ©gissant le cautionnement mutuel devra ĂȘtre prĂ©cisĂ© par le droit des sociĂ©tĂ©s. Il va s’agir de rĂ©glementer le droit des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel en relation avec les rĂšgles dĂ©jĂ  fixĂ©es en droit des sĂ»retĂ©s et en droit de la microfinance. Une concertation entre les trois lĂ©gislateurs est nĂ©cessaire pour parvenir Ă  un droit homogĂšne et efficacement applicable. Des renvois nĂ©cessaires d’un droit Ă  un autre, pourraient permettre d’allĂ©ger le cadre juridique applicable.

B- L’intervention du droit des sociĂ©tĂ©s

Si l’on prend en considĂ©ration la dĂ©finition de la sociĂ©tĂ© de cautionnement prĂ©sentĂ©e ci-dessus, ainsi que les Ă©volutions en droit français , il est Ă©vident qu’il ne peut pas s’agir d’une forme de sociĂ©tĂ© commerciale. Etant donnĂ© que la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel est, par principe Ă  but non lucratif (FIDI F., DE GOBBI S., 2003), notre regard se tourne forcĂ©ment du cĂŽtĂ© des coopĂ©ratives et des mutuelles (voire des associations). Egalement, Ă©tant donnĂ©, que l’activitĂ© que mĂšnent les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel est une activitĂ© de microfinance (crĂ©dit), le choix se fera finalement entre la coopĂ©rative d’épargne et de crĂ©dit (COOPEC) et la mutuelle d’épargne et de crĂ©dit (MEC).

Dans la plupart des pays occidentaux, les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel sont constituĂ©es sous la forme juridique des coopĂ©ratives de crĂ©dit (MOUSERIE-BEN M.-H., 2005). Toutefois, dans le contexte de l’OHADA, nous proposons que le lĂ©gislateur intĂšgre les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel dans son droit en tant que MEC. Il ne s’agirait pas d’une volontĂ© de l’OHADA de simplement se distinguer des autres. Une telle attitude peut se justifier.

Dans certains pays (notamment ceux de l’UEMOA), on a pu remarquer que les COOPEC sont assimilĂ©es aux MEC et inversement, et que l’on confond abusivement ces deux appellations (TADJUDJE W., 2013b). La raison proviendrait du fait qu’il n’existe pas encore de statut propre aux MEC, alors que les droits UEMOA et CEMAC les autorisent Ă  exercer l’activitĂ© de microfinance. Or la dĂ©finition de ce statut s’avĂšre importante, car la coopĂ©rative ne saurait continuer Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une mutuelle et vice versa .

Aucun lĂ©gislateur africain n’ayant encore dĂ©veloppĂ© des rĂšgles propres aux MEC, il conviendrait que le lĂ©gislateur OHADA se penche sur son opportunitĂ©, dans l’intĂ©rĂȘt de la clarification des concepts juridiques qu’il peut ĂȘtre appelĂ© Ă  utiliser.

DĂ©finir la MEC stricto sensu est une entreprise dĂ©licate. Une telle forme juridique d’entreprise n’existe nulle part, Ă  proprement parler, puisqu’elles sont gĂ©nĂ©ralement assimilĂ©es ou confondues aux COOPEC. Etant donnĂ© que les MEC actuelles sont gĂ©rĂ©es comme des COOPEC, pour projeter la construction de leur statut juridique, il conviendrait de procĂ©der Ă  une minutieuse Ă©tude socio-anthropologique destinĂ©e Ă  identifier les pratiques sociales pouvant se mouler sous cette forme juridique, ou alors les activitĂ©s de microfinance particuliĂšres, dĂ©laissĂ©es par les COOPEC, que les MEC pourraient porter afin de contribuer, dans une perspective complĂ©mentaire avec les COOPEC, au dĂ©veloppement Ă©conomique et social des populations. Dans un tel contexte, l’idĂ©al serait que les rĂšgles dĂ©veloppĂ©es soient fonctionnelles et qu’il ne s’agisse pas simplement d’une forme juridique d’entreprise de plus, venant surabonder le paysage du droit des organisations.

En l’absence de tout encadrement conceptuel concret de la MEC jusqu’ici, nous essayerons d’en proposer un. La dĂ©finition sera Ă©laborĂ©e sur la base de celle de la mutuelle sociale. Cette derniĂšre se dĂ©finit comme un groupement qui, au moyen des cotisations des membres se propose de mener, dans l’intĂ©rĂȘt de ceux-ci et de leurs ayants droit, une action de prĂ©voyance, d’entraide et de solidaritĂ© visant la prĂ©vention des risques sociaux liĂ©s Ă  la personne et la rĂ©paration de leurs consĂ©quences (article 1er du RĂšglement UEMOA relatif Ă  la mutualitĂ© sociale ; TADJUDJE W., 2013b).

De cette dĂ©finition, l’on peut dĂ©duire que la MEC peut s’entendre comme un groupement autonome de personnes qui, au moyen de l’épargne des membres ou d’autres ressources, se propose d’accorder Ă  ces derniers, des crĂ©dits et des assistances diverses, dans un esprit d’entraide et de solidaritĂ© visant Ă  vaincre l’exclusion Ă©conomique et financiĂšre.
Si telle peut ĂȘtre la dĂ©finition de la MEC, d’autre part, il convient d’essayer de distinguer les caractĂ©ristiques de la MEC de celles de la COOPEC puisque fondamentalement, chacune des deux aurait pour mission d’accorder des services financiers Ă  des personnes exclues des systĂšmes bancaires classiques Ă  travers la mise en Ɠuvre non pas de l’activitĂ© bancaire, mais de celle de microfinance (SOME Y., 2010).

A premiĂšre vue, l’on ne peut souligner qu’une diffĂ©rence entre la COOPEC et MEC. Cette diffĂ©rence concerne l’absence de capital social dans les mutuelles sociales, ce que l’on pourrait gĂ©nĂ©raliser Ă  toutes les formes de mutuelles, en conservant cette carence comme trait caractĂ©ristique de leur spĂ©cificitĂ© (TADJUDJE W. 2015). L’on aurait pu Ă©galement pointer du doigt le principe d’exclusivitĂ© qui connait des tempĂ©raments dans les coopĂ©ratives et qui garde toute sa fermetĂ© dans les mutuelles.

NĂ©anmoins, dans le cadre de l’exercice d’activitĂ©s de microfinance, le droit de la microfinance exige des coopĂ©ratives et des mutuelles qu’elles n’engagent de services qu’avec leurs membres, en exclusion des tiers. Cela suppose qu’exceptionnellement, la COOPEC et contrairement aux autres formes de coopĂ©ratives, ne peut pas admettre en son sein des associĂ©s non coopĂ©rateurs (TADJUDJE W. 2013b).

En dehors de la diffĂ©rence reposant sur l’absence de capital social dans les mutuelles et de leur prĂ©sence dans les coopĂ©ratives, il serait plus difficile de relever d’autres diffĂ©rences entre les coopĂ©ratives et les mutuelles financiĂšres.

Toutefois, la diffĂ©rence entre les coopĂ©ratives et les mutuelles financiĂšres pourrait reposer, Ă  certains Ă©gards, sur les activitĂ©s. La microassurance (dans le cadre du droit de la CIMA) est rĂ©servĂ©e aux mutuelles et aux sociĂ©tĂ©s anonymes, et les coopĂ©ratives en sont exclues. Les coopĂ©ratives sont autorisĂ©es Ă  exercer toute autre activitĂ©. Le droit de la microfinance reconnaĂźt les mutuelles comme institution pouvant mettre en Ɠuvre cette activitĂ©, sans qu’il ne puisse s’agir de la mutuelle sociale, ou de la mutuelle d’assurance ou de microassurance, de façon plus gĂ©nĂ©rale. De ce point de vue, la MEC pourrait exercer l’activitĂ© de microfinance au cas oĂč son statut serait dĂ©veloppĂ© par le lĂ©gislateur (TADJUDJE W., 2013c).

Afin d’éviter d’éventuelles concurrences entre les COOPEC et les MEC sur le terrain de la microfinance exercĂ©e par les organisations de l’économie sociale et solidaire, le lĂ©gislateur devrait prĂ©ciser leurs domaines d’intervention respectifs, lesquels pourraient faire naĂźtre des partenariats du fait de la complĂ©mentaritĂ© entre les activitĂ©s particuliĂšres des deux formes juridiques d’organisation. Cette prĂ©cision participerait de l’attitude du lĂ©gislateur visant Ă  distinguer les coopĂ©ratives des mutuelles par les activitĂ©s.

Ainsi, le lĂ©gislateur pourrait confier aux MEC des activitĂ©s de microfinance d’un genre particulier. Il s’agirait notamment d’activitĂ©s non encore prises en compte par les COOPEC telles que le cautionnement mutuel ou l’activitĂ© des tontines. La mutuelle prĂ©senterait ainsi l’avantage d’ĂȘtre conçue sur la base des rĂšgles traditionnelles rĂ©gissant la finance informelle.

Plus techniquement, il se pose la question de savoir si les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel doivent ĂȘtre dotĂ©es d’un capital social ou d’un simple fonds d’établissement Ă  cĂŽtĂ© du fonds de garantie. La question revĂȘt une certaine importance car, habituellement, l’absence de capital social est gĂ©nĂ©ralisĂ©e comme marque de la particularitĂ© des mutuelles (TADJUDJE W., 2013a). Or si la sociĂ©tĂ© de cautionnement mutuel peut disposer d’un capital social, notre proposition ne vaut plus. Pour rĂ©pondre Ă  la question, il convient au prĂ©alable de faire la diffĂ©rence entre le capital social et les fonds d’établissement.

Les fonctions des fonds d’établissement sont Ă©quivalentes Ă  celles du capital social et les mutuelles de microassurance disposent toutes de fonds d’établissement (TADJUDJE W., 2015). Pour garder la mĂȘme cohĂ©rence, le lĂ©gislateur pourrait concevoir le fonctionnement des sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel sur la base des fonds d’établissement.

Si les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel peuvent ainsi ĂȘtre intĂ©grĂ©es en droit OHADA sous la forme juridique des MEC, des partenariats peuvent ĂȘtre envisagĂ©s entre ces sociĂ©tĂ©s et des COOPEC dans le cadre de l’obtention du crĂ©dit.

En effet, comme le note un auteur, « si les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel prenaient la forme d’organisations Ă  but non lucratif, il est trĂšs probable qu’elles ne seraient pas prises au sĂ©rieux par les banques » (BALKENHOL B., 1990). Cette affirmation peut se justifier car, dans la plupart des cas, les sociĂ©tĂ©s commerciales connaissent mal le potentiel des organisations Ă  but non lucratif.

MĂȘme si l’affirmation se vĂ©rifiait, les sociĂ©tĂ©s de cautionnement mutuel pourraient orienter leurs demandes de crĂ©dit vers les COOPEC qui sont de la mĂȘme famille qu’elles. Dans ce contexte naĂźtrait une nouvelle forme de partenariat entre les coopĂ©ratives et les mutuelles, justifiant la nĂ©cessitĂ© de la construction d’un acte uniforme relatif au droit des sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives et mutualistes sous l’égide de l’OHADA (TADJUDJE W., 2015).

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Willy TADJUDJE
Docteur en Droit privé,
Chargé de Cours Associé
Université du Luxembourg

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine.