Doutrina OHADA​

A questão da definição do contrato no direito privado: ensaio de uma teoria institucional

Dr MONEBOULOU MINKADA Hervé Magloire
Ph./D en droit privé
Chargé de cours à la Faculté des Sciences juridiques et politiques
Université de Douala

Résumé

Le thème intitulé : « La question de la définition du contrat en droit privé : essai d’une théorie institutionnelle » offre une grille de lecture iconoclaste de la notion de contrat. Si classiquement la matrice du contrat est l’accord de volontés, on propose que juridiquement l’accord de volontés ne génère qu’un projet de contrat. Ce projet ne deviendra contrat qu’en se conformant à la Loi. Cette Loi canalise l’accord de volontés ou impose aux parties des clauses. Au-delà de la définition du contrat, on trouve dans la logique institutionnelle souple un champ intégrateur des composantes des différentes doctrines sur la notion de contrat. Qui plus est, une théorie institutionnelle souple du contrat a le mérite de s’adapter aux fluctuations de la conjoncture économique, relativisant ainsi la crise du contrat.

Abstract

Classicaly, the root of the contract is the agreement of the contracting parties. That is why, sometimes people consider the contract as the agreement of the contracting parties. However, the agreement is not the contract. Both are different. In fact, if for the contracting parties there is a contract after an agreement, for the law there is a contract when the agreement of the contracting parties respects the frame previewed by the law. That is why the contract must be an institution. This view of the contract enables to have another meaning and to gather the keys ideas of the different opinions on the meaning of the contract. Thanks to the contract as an institution, we can no longer be afraid of the crisis of the contract.

Sommaire

I–UNE DIFFICILE STABILISATION DOCTRINALE DE LA DEFINITION DU CONTRAT EN DROIT PRIVE

A–Une partielle conceptualisation de la notion de contrat sous l’empire de l’autonomie de la volonté
1–L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté
a-Le contenu de la théorie de l’autonomie de la volonté
b-Les corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle
2–Une définition volontariste lacunaire du contrat
a-La définition volontariste du contrat
b-Les lacunes de la définition volontariste du contrat

B–Une insuffisante définition du contrat par les critiques de l’autonomie de la volonté
1–Une définition dirigiste critiquable du contrat
a-L’essentiel de la doctrine dirigiste du contrat
b-La critique de la définition dirigiste du contrat
2–Une définition solidariste insatisfaisante du contrat
a-La quintessence du solidarisme contractuel
b-La critique de la théorie solidariste du contrat

II–UNE POSSIBLE STABILISATION DE LA DEFINITIONDU CONTRAT SOUS LE PRISME INSTITUTIONNEL EN DROIT PRIVE

A–Le caractère matriciel de l’institutionnel dans le contrat
1–Le visage caché de l’institutionnel dans la définition du contrat
a-Un faisceau de règles préétablies : un garde-fou canalisant la volonté des parties
b-Un accord de volontés assujetti aux règles préétablies
2–La face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat
a-Le fondement institutionnel de la force obligatoire du contrat
b-La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat
c-La matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel

B–L’encadrement de la logomachie doctrinale dans la logique institutionnelle du contrat
1–le contrat-institution : un instrumentum de fédération doctrinale adaptable
a– La contribution éclectique de la doctrine à l’édification d’une logique institutionnelle du contrat
b–L’adaptation du contrat-institution aux fluctuations de la conjoncture
2–Le particularisme de la logique institutionnelle souple à l’aune des approches classiques du contrat
a-La théorie autonomiste du contrat et la théorie institutionnelle souple du contrat
b-Le dirigisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat
c-Le solidarisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat

Introduction

1–Il est certainement téméraire et risqué de chercher une nouvelle grille de lecture du contrat après autant de controverses doctrinales . Une opinion majoritaire de la doctrine sacralise l’omnipotence de l’accord de volontés dans la définition du contrat . Si on respecte cette opinion, on s’en désolidarise en relativisant l’omnipotence de l’accord de volontés dans la genèse juridique du contrat en droit privé. Cette ambition a pour socle la logique institutionnelle du contrat. Pour y parvenir, il est apodictique de préciser la terminologie du contrat et celle de l’institution dans leur appréhension classique.

2–Le mot contrat vient du latin contractus, dérivé de contrahere, et signifie rassembler, réunir, conclure. Pourpréciser l’origine sémantique du mot contrat, on se réfère à la convention. Le mot convention vient du latin conventio, dérivé de convenire qui signifie venir ensemble, d’où être d’accord. Conclure un contrat c’est se mettre d’accord sur quelque chose.La convention désigne tout accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à produire un effet de droit quelconque : créer une obligation, transférer la propriété, transmettre ou éteindre une obligation .Il est établi que la convention est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes en vue de produire des effets de droit . C’est aussi un acte juridique conventionnel générateur d’obligations et permettant le transfert des droits réels . En réalité, le contrat est une variété d’une catégorie plus large qui serait la convention. Le contrat se distingue de la convention, terme plus générique désignant tout accord produisant des effets de droit. Si tout contrat est une convention, l’inverse n’est pas vrai ; car il existe des conventions qui ne créent pas d’obligations, mais les transfèrent ou les éteignent . Cependant en pratique, on parle souvent indifféremment de contrat ou de convention . C’est ainsi que l’article 1101 du code civil définit le contrat comme une, « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Cette définition fait du contrat une convention génératrice d’obligations .

3–Il importe de ne pas confondre le contrat avec les accords volontaires non obligatoires. Ne constituent pas des contrats, les accords de volontés qui font naître les obligations sociales ou morales. Ne produisent pas des effets de droit : l’entraide familiale ou amicale, les relations mondaines , l’engagement d’honneur . On ne saurait citer la lettre d’intention parce qu’elle constitue, selon les circonstances de l’espèce, un simple engagement moral ou un véritable contrat pouvant obliger le débiteur d’assurer le résultat . En bref, la qualification de contrat devrait être écartée « lorsque l’accord des volontés n’a pas donné naissance à des effets pourvus d’une force juridique obligatoire ». De tels accords, dépourvus de sanction juridique, appartiennent au non-droit .

4–Cet exposé classique sur la notion de contrat constitue l’objet de l’analyse, dont il convient de mettre en relief avec le concept : « institutionnel ». L’adjectif « institutionnel »dérive du substantif :« institution », qui a la valeur (la pérennité) d’une institution ;qui échappe aux volontés particulières . Pour cerner l’adjectif institutionnel, il faut se référer au substantif : institution.

Sous le prisme juridique, l’institution n’était qu’une des espèces du genre personnes juridiques, qu’on opposait aux corporations. Seule la théorie de la personnalité morale a recouru à ce concept.Cette théorie s’est développée d’abord et principalement en droit privé.L’idée d’institution est demeurée stérile en droit public . La doctrine germanique l’a mise à profit afin d’élucider la notion de personne juridique. En droit administratif allemand s’est dessinée la figure de l’office public (Anstall), qui ne serait pas une personne juridique, mais une unité composée d’un ensemble de moyens matériels ou personnels réunis dans les mains d’un sujet de droit relevant de l’administration publique, pour le service permanent d’un intérêt public déterminé : l’armée, une école, un observatoire, une académie, les postes,etc . En France, Maurice Hauriou estimait que l’institution constitue une catégorie générale apte à expliquer bon nombre de principes et à recevoir d’importantes applications. C’est une organisation sociale .Pour Maurice Hauriou , l’institution se veut une réalité qui constitue, soit un organisme existant , soit lorsque s’y dégagent la conscience d’une mission et la volonté de la remplir , etc. Dans un sens large, l’institution renvoie à un ensemble d’éléments constituant la structure juridique de la réalité sociale ; ensemble des mécanismes et structures juridiques encadrant les conduites au sein d’une collectivité . Selon Santi Romano , l’institution désigne tout être ou corps social . Pour Rawls, une institution renvoie à un système public de règles qui définit des fonctions et des positions avec leurs droits et leurs devoirs, leurs pouvoirs et leurs immunités et ainsi de suite. D’après ces règles, certaines formes d’action sont autorisées, d’autres sont interdites ; en cas d’infractions, elles prévoient des peines, des mesures de protection et ainsi de suite .

Toute institution juridique se caractérise par les trois traits positifs suivants : l’idée , le pouvoir organique et la communauté de sentiments . Elle débouche sur une totalité organique . L’institution se singularise ainsi par sa durée et sa construction organisée . Cette analyse s’attachera particulièrement à la définition de l’institution comme une unité stable et permanente, qui ne perd donc pas nécessairement son identité à la suite de mutations intervenues dans certains de ses éléments constitutifs : les personnes qui en font partie, son patrimoine, ses moyens, ses intérêts, ses bénéficiaires, ses règles, etc. Elle peut se renouveler tout en conservant inchangée son individualité propre . On distingue les institutions-personnes, les institutions-organes et les institutions-mécanismes. On s’attardera sur les institutions-mécanismes. Elles s’entendent des faisceaux de règles régissant une certaine institution-organe ou une situation juridique donnée, tels que le droit de dissolution, le mariage ou la responsabilité civile . Ces règles peuvent être formelles ou non écrites.

5–Au terme de l’exposé terminologique sur ces notions, on peut mieux cerner le libellé de la thématique : « La question de la définition du contrat en droit privé : essai d’une théorie institutionnelle ». Cette analyse n’est pas dénuée d’intérêts.

6–Le premier intérêt est cognitif. La notion de « contrat institutionnel » a déjà été évoquée en droit public . Elle traduit le souci de pérennisation du contrat au-delà des vicissitudes affectant le sort des parties. S’il est d’usage de reconnaître le caractère institutionnel du contrat en droit public, l’affirmation n’est pas d’usage en droit privé . En effet, l’approche institutionnelle souple du contrat devrait donner une autre grille de lecture, se désolidarisant des classiques tout en s’y inspirant. On aura ainsi une proposition de définition du contrat. Le deuxième intérêt réside dans le décryptage des éléments constitutifs de la notion de contrat. La prétention n’est pas de créer ce qui n’existe pas, mais de rechercher parmi les composantes du contrat, celle qui garantit réellement la force exécutoire. En d’autres termes, la contrainte étatique garantit-elle l’exécution du contrat au titre de l’accord des volontés ou plutôt de l’assujettissement de l’accord aux règles préétablies parla Loi ? Il s’agit d’apporter une réponse à la question : que reste-t-il de l’accord de volontés comme fondement de la force obligatoire du contrat ? La réponse à ces questions nécessite le décryptage de la notion d’institution. Un autre intérêt réside dans l’appréhension qu’on donne au concept « institution ». En effet, un distinguo peut s’établir entre institution rigide et institution souple . On optera pour une lecture souple de l’institution pour avoir une définition du contrat adaptable aux secousses et crises des doctrines sur le contrat. Ce résultat ne sera possible qu’en recourant à la méthode exégétique , syncrétiste et éclectique . Par ailleurs, moins à créer une notion institutionnelle du contrat, qui est une arlésienne en droit privé, il est plus question de voir dans la lecture institutionnelle une zone d’osmose faisant place à toutes les tendances doctrinales sur la notion de contrat, sans en être prisonnière. Le but est de relativiser la crise du contrat . Elle renvoie à un renforcement de la réglementation de certains contrats, les apparentant aux statuts. Plus que la crise du contrat, certains ont prédit la mort de celui-ci .Une lecture institutionnelle souple du contrat permet de tempérer la frayeur de cette tendance .Sur le volet pratique, la définition institutionnelle du contrat en droit privé invite les usagers des contrats à plus de vigilance dans le respect des conditions de validité. Il est particulièrement décevant pour une partie de découvrir tardivement devant le juge, que l’accord qui a sous-tendu les transactions entre elles, n’a jamais été un contrat. La conséquence est la perte des effets de droit et de la protection non seulement du juge , mais aussi de la Loi .

7–Au-delà des intérêts de la présente analyse, il convient de préciser la question centrale et le nœud gordien de cette étude. Elle se libelle de la manière suivante : au regard de la polémique doctrinale sur la notion de contrat, peut-on concevoir une définition stable et constante du contrat en droit privé sous le prisme institutionnel ? La réponse à cette question est affirmative et exige d’établir en amont une difficile stabilisation doctrinale de la définition du contrat en droit privé (I). Au terme de cette entreprise, on pourra en aval proposer une possible stabilisation de la définition du contrat sous le prisme institutionnel en droit privé (II).

I–UNE DIFFICILE STABILISATION DOCTRINALE DE LA DEFINITION DU CONTRAT EN DROIT PRIVE

Si la définition du contrat donnée par l’article 1101 du Code civil arrange le législateur, elle laisse la doctrine divisée. En effet, on assiste en doctrine à une réelle logomachie entre les courants de pensée sur la notion de contrat. On distingue selon les chapelles de pensée : la théorie de l’autonomie de la volonté, celle de l’interventionnisme étatique et celle du solidarisme contractuel. La similitude entre toutes ces doctrines est une approche partielle (A) et insuffisante (B) de la notion de contrat.

A–Une partielle conceptualisation de la notion de contrat sous l’empire de l’autonomie de la volonté

Avant de conclure sur une définition volontariste lacunaire du contrat (2), il est logique d’exposer préalablement la doctrine y relative (1).

1–L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté

L’exposé de la doctrine autonomiste de la volonté s’articule autour de son contenu (a) et de ses corollaires (b).

a–Le contenu de la théorie de l’autonomie de la volonté
8–La théorie de l’autonomie de la volonté est l’œuvre d’une partie de la doctrine de la fin du XIXe et du début du XXe siècle . Sur le plan philosophique, elle est fortement imprégnée des idées du contrat social de Jean Jacques Rousseau. Selon les idées rousseauistes, « l’état de liberté est l’état naturel de l’homme. Cette idée qui rappelle inconsciemment l’état de nature de Rousseau et place comme idéal que chacun en société soit aussi libre qu’auparavant dans le prétendu état de nature … ». En fait, l’autonomie de la volonté est un résultat de la philosophie individualiste et du libéralisme économique. Elle a fortement influencé le Code civil de 1810, en France.

Les auteurs qui inspirèrent le Code civil, comme Domat et Pothier , ses rédacteurs et surtout les interprètes du XIXe siècle fondaient le contrat sur la théorie de l’autonomie de la volonté : le contrat repose sur la volonté de ceux qui s’y engagent . Cette théorie s’inspirait des doctrines philosophiques et économiques variées.

L’origine philosophique de la théorie de l’autonomie de la volonté est à chercher chez les canonistes. Le contractant qui a donné sa parole est lié, s’il ne veut pas mentir, commettre un péché : « Pacta sunt servanda ». Une autre source de l’autonomie de la volonté est dans le droit naturel laïc et la philosophie du siècle des Lumières : « L’homme est libre et ne peut être lié que parce qu’il a voulu, dans la mesure de ce qu’il a voulu ». Selon la lecture rousseauiste, le contrat social librement accepté par les citoyens est le fondement de toute société .

Sous le prisme économique, l’autonomie de la volonté est le substrat du libéralisme. La loi du marché repose sur l’idée d’échange. Son meilleur instrument est le contrat dont la conclusion et le contenu sont abandonnés à la libre négociation des individus. Selon Kant, la volonté source unique de toute obligation juridique est également seule source de justice : « Quand quelqu’un décide quelque chose à l’égard d’un autre, dit-il, il est toujours possible qu’il lui fasse quelque injustice ; mais toute injustice est impossible dans ce qu’il décide pour lui-même ». Dans une formule célèbre, Fouillée, disciple de Kant, affirmait que « Toute justice est contractuelle ; qui dit contractuel dit juste », que l’on pourrait compléter par « Qui dit contractuel dit efficace ». Chaque individu étant le meilleur juge de ses intérêts, on peut présumer que ceux-ci sont parfaitement respectés par les engagements qu’il a volontairement souscrits .Cette lecture de la théorie de l’autonomie de la volonté a des corollaires juridiques en matière contractuelle.

b-Les corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle
9–Sous l’angle juridique, la théorie de l’autonomie de la volonté conduit à la proclamation de certains principes. Il s’agit du principe de la liberté contractuelle : les parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter . De même, elles sont libres de conclure un contrat et d’en fixer le contenu . De l’accord de volontés, se déduit le principe du consensualisme. Il signifie que la volonté d’une personne suffit à l’engager. Le contrat est valable du fait de l’échange des consentements, sans qu’aucune condition de forme ne soit exigée . C’est ce que traduit la célèbre maxime de Loysel : « On lie les bœufs par les cornes et les hommes par les paroles ». Ensuite, l’autonomie de la volonté a également pour corollaire : le principe de la force obligatoire du contrat. En substance, un individu qui s’est librement lié, ne peut se délier de cet engagement : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » . « Le contrat valablement formé lie ceux qui l’ont conclu. Les parties ne peuvent le modifier ou y mettre fin que selon ses dispositions, d’un commun accord ou encore pour les causes énoncées par le présent Acte Uniforme » pour reprendre l’article 1/4 de l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats (Avant-projet).Enfin, le principe de l’effet relatif du contrat : sont seules tenues les personnes qui ont entendu se lier ou « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ».

Ces corollaires juridiques de la théorie de l’autonomie de la volonté dévoilent la philosophie de la liberté contractuelle. Selon cette philosophie, le droit des contrats se révèle comme une matière ouverte à l’imagination des particuliers, et des entreprises, qui ont toute latitude pour façonner selon leurs besoins propres, les arrangements qui leur conviennent. Ils ne sont pas tenus de se couler dans l’un ou l’autre moule préfabriqué, que la loi met à leur disposition. Telle est, dans toute sa force, la liberté contractuelle. Lorsqu’on évoque celle-ci dans la théorie générale des obligations, c’est avant tout pour dire que les individus ont le droit, à condition de respecter l’ordre public, de déroger aux règles des contrats . C’est dire si la notion « d’ordre public » qu’on évoque ici, n’est que décorative. La sacralité de l’accord des volontés range au second plan l’ordre public, et donc la Loi.

A ce stade de l’analyse, la doctrine de l’autonomie de la volonté propose le schéma suivant : l’accord de volontés est la locomotive + le législateur est un wagon=le tout formant le contrat (un train). Le particularisme de cette équation est de mettre la Loi au service de l’accord de volontés. Il en ressort une sorte de suprématie de l’accord de volontés sur la Loi. Cette approche volontariste du contrat aboutit à une définition lacunaire.

2–Une définition volontariste lacunaire du contrat

La démarche consistera en première amorce à présenter la définition volontariste du contrat (a). En seconde approche, on établira ses lacunes (b).

a–La définition volontariste du contrat
10–L’évolution s’est faite sous l’ancien droit, grâce à l’influence des canonistes qui ont promu le respect de la parole donnée : pacta sunt servanda. Déjà Beaumanoir disait : « Toutes convenances sont à tenir ». Domat et Pothier, inspirateurs directs du code civil, adoptèrent définitivement des définitions consensualistes du contrat .Au XVIIe siècle, Domat introduit la première partie de son ouvrage sur les : Loix civiles dans l’ordre naturel, par ces mots :« les conventions sont les engagements qui se forment par le consentement mutuel de deux ou de plusieurs personnes, qui se font entre elles une loi d’exécuter ce qu’elles promettent ». Et, au XVIIIe siècle, Pothier peut écrire que « toute convention, par laquelle les parties, ou l’une d’elles, promet à l’autre de lui donner, ou de faire ou ne pas faire quelque chose (est) selon la simplicité de notre droit, un vrai contrat ». Ainsi pour Pothier, la convention est « le consentement de deux ou plusieurs personnes pour former entre elles quelque engagement ou pour en résoudre un précédent ou le modifier », tandis que le contrat est « l’espèce de convention qui a pour objet de former un engagement ». De même pour Domat, « toutes les conventions nommées ou innommées ont toujours leur effet et elles obligent à ce qui est convenu » . Cette approche volontariste du contrat souffre de certaines lacunes.

b-Les lacunes de la définition volontariste du contrat
11–La définition volontariste du contrat cristallise l’importance sur le consentement des parties ou l’accord des volontés, l’égalité des parties et leur liberté. Toutefois, cette liberté et cette égalité sont théoriques. Dans les faits, l’inégalité entre les parties n’est pas nouvelle. La société de l’Ancien Régime était fondamentalement inégalitaire. En fait dans l’échange, la partie, qui doit satisfaire un besoin vital, est désavantagée. De même le vendeur, parce qu’il connait mieux l’objet vendu, est avantagé par rapport à l’acheteur . Qu’il s’agisse des relations entre professionnels ou entre profanes et professionnels, cette inégalité est aggravée par la pratique des contrats d’adhésion. En effet, dans certains contrats la position des parties est telle que l’un des contractants est obligé de traiter aux conditions qui lui sont par l’autre à la fois offertes et imposées. On a donné à ces contrats le nom de contrats d’adhésion . Ce sont de véritable réglementation unilatérale du contrat, que l’une des parties présente à l’adhésion de l’autre ; et que cette dernière ne peut guère en fait refuser, parce qu’elle est le plus souvent commune à toute une profession . C’est l’hypothèse des contrats d’adhésion inventés par Saleilles en 1901, ou les contrats sources d’autorité légale décrits par Demogue en 1911, et que Christophe Jamin appelle les contrats de sujétion. Ils ont la particularité de s’inscrire dans la durée et de ne pas être seulement le support d’un échange. Parce qu’ils mettent aux prises des parties de force inégale, ces contrats peuvent réserver à l’une d’entre elles le droit de fixer les règles du jeu au cours de leur exécution. On peut illustrer avec les contrats de travail, les contrats hybrides des économistes (sous-traitance, franchise, concession, etc.) ou encore les contrats de la vie courante, tels que ces contrats d’abonnement conclus dans les multiples secteurs (téléphonie mobile, internet, crédit, etc.) qui réservent conventionnellement au professionnel le droit de modifier des clauses importantes du contrat au cours de son exécution, en laissant au consommateur la possibilité de le résilier, si cette modification ne lui convient pas. Ces contrats ont la particularité de faire de l’un des contractants le sujet de l’autre .
Les contractants n’ont pas la même force économique et le plus puissant peut dicter sa loi au plus faible . A la formule de Fouillée « Qui dit contractuel dit juste » répond celle de Lacordaire « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui asservit, la loi qui affranchit ». L’illustration du déséquilibre entre les contractants est manifeste dans les relations de travail, dans le droit de la consommation, nécessitant la réglementation du contrat entre consommateur et professionnel, qui influence la théorie des contrats . Au postulat qui voulait que le libre jeu des volontés individuelles conduise aux rapports socialement les plus utiles, on a objecté que les hommes s’orientent naturellement vers les activités les plus rentables, lesquelles ne sont pas nécessairement les plus utiles . Bien plus, l’autonomie de la volonté peut être conforme à l’intérêt des contractants,mais heurter l’intérêt général .

Au regard des lacunes de la définition volontariste du contrat, d’autres courants sur la notion de contrat se sont développés. Il s’est agi du dirigisme contractuel et du solidarisme contractuel. A l’observation de ces deux doctrines, il ressort une conceptualisation du contrat qui est tout aussi insuffisante.

B–Une insuffisante définition du contrat par les critiques de l’autonomie de la volonté

La définition du contrat proposée par la théorie de l’autonomie de la volonté a été critiquée par le dirigisme contractuel (1) et le solidarisme contractuel (2). Ces courants de pensée aboutissent elles aussi à des définitions tout aussi critiquables.

1–Une définition dirigiste critiquable du contrat
Pour critiquer la définition dirigiste du contrat (b), il importe préalablement de la présenter (a).

a–L’essentiel de la doctrine dirigiste du contrat
12–L’inégalité a naturellement engendré l’injustice. Elle a aussi permis aux plus forts d’imposer leur loi ; qui visait à protéger leurs intérêts particuliers, sans se soucier de l’intérêt général, de l’utilité publique. Sous l’influence des doctrines socialistes et sociales chrétiennes, et sous la pression des syndicats, et plus récemment des associations de consommateurs, l’Etat est intervenu . L’interventionnisme étatique a été systématisé par la doctrine dirigiste.

La doctrine dirigiste du contrat promeut l’interventionnisme de l’Etat par le truchement du législateur pour canaliser l’activité contractuelle, au nom de l’intérêt général. En effet, le grand mouvement interventionniste de la seconde moitié du XIXe siècle a demandé avec insistance l’action du législateur pour repousser les abus du contrat et dénoncé notamment le contrat de travail « l’exploitation de l’homme par l’homme » . C’est ainsi que pour éviter que le fort n’exploite le faible, le législateur réglemente impérativement le contenu des contrats passés entre des parties qui sont dans une situation d’inégalité structurelle : employeur et salarié, transporteur et transporté, assureur et assuré, bailleur et locataire etc. De même, pour lutter contre l’inflation, le gouvernement peut pratiquer une politique de taxation, c’est-à-dire qu’il fixera le prix des biens et des services .

L’interventionnisme étatique va parfois jusqu’à remettre en cause la liberté de conclure le contrat ou de choisir son cocontractant. On est en présence d’un contrat imposé . En guise d’illustration, tout propriétaire exploitant d’un véhicule est obligé de conclure un contrat d’assurance. Et au Cameroun tout fonctionnaire, qui perçoit un salaire supérieur à cent milles (100 000) FCFA, est obligé d’ouvrir un compte bancaire. En bref, l’idée est que dans une situation d’interventionnisme étatique, « le sujet a voulu contracter et c’est tout » ; « les effets de droit sont du domaine objectif et sont produits par le droit objectif sans que la volonté y ait un rôle quelconque ». Cette doctrine dirigiste du contrat aboutit à une définition critiquable.

b-La critique de la définition dirigiste du contrat
13–Selon la doctrine dirigiste, l’acte de contracter se réduit pour les parties à se placer sous l’empire d’un statut légal impératif. Aussi a-t-on pu parler à ce propos des rapports légaux d’origine contractuelle et voir dans le contrat un acte-condition, c’est-à-dire un acte qui n’a pas pour but de modeler des droits et des obligations, mais d’appliquer à la personne les droits et les obligations résultant d’un statut réglementaire .

Sous le prisme dirigiste, le contrat est un statut réglementaire de droits et d’obligations déclenché par l’accord de volontés. Cette définition neutralise la capacité des contractants à créer des droits et obligations. Seul le législateur ou le gouvernement dans un acte réglementaire peut créer des droits et des obligations. En effet, cette lecture est critiquable ; car si la loi ou le règlement fixe le régime des contrats nommés , les contrats innommés sont le fruit de l’accord des volontés et relèvent du droit commun des contrats . Si pour des raisons d’intérêt général et de protection de la partie économiquement faible, le législateur ou le gouvernement réglemente certains contrats ; on ne saurait généraliser cette réglementation à tous les contrats, paralysant ainsi le génie créateur de la volonté des parties. Il survit en conséquence la liberté de contracter, celle de choisir un domaine pas encore élaboré par le Code civil ou un autre texte, tant que l’accord des parties est conforme aux conditions de validité des contrats. Mieux encore, les parties sont libres de concevoir des projets de contrat en définissant des droits et des obligations ; c’est une possibilité aménagée par les contrats innommés du Code civil.

Après l’éviction de la notion dirigiste du contrat, il convient d’examiner l’approche solidariste du contrat. Elle aboutit aussi à une définition insatisfaisante du contrat.

2–Une définition solidariste insatisfaisante du contrat
Pour démontrer l’insatisfaction de la définition solidariste du contrat (b), il est logique de rappeler la quintessence de cette doctrine (a).

a–La quintessence du solidarisme contractuel
14–Il convient de résumer la philosophie qui innerve le solidarisme contractuel. C’est avant tout à un renversement radical de la philosophie rousseauiste du contrat social, censée avoir gouverné la Révolution française, auquel procède le solidarisme. Celui-ci substitue au mythe fondateur d’un contrat librement conclu entre des individus, celui d’une société déjà constituée à laquelle ces derniers s’agrègent. Le fait social l’emporte, mais il n’écrase pas l’individu, qui est censé donner implicitement et en quelque sorte rétroactivement son accord à cette agrégation par le biais d’un contrat d’adhésion. L’individu s’agrège à la société, il est en outre le débiteur des autres membres qui la composent, qu’ils soient ses prédécesseurs ou ses contemporains. Chacun de nous (…) est nécessairement le débiteur de tous . C’est ainsi que l’état naturel en société est la solidarité.La liberté peut simplement être considérée comme souhaitable dans une certaine mesure. Elle n’est plus placée au pinacle dans les rapports individuels .

L’exposé de la genèse du solidarisme est une entreprise quantitative considérable . Toutefois, il convient de convoquer certaines figures comme Pierre Leroux , Léon Bourgeois , F. Buisson , C. Gide , C Bouglé (…) pour donner quelques précisions sur l’évolution du solidarisme . A défaut de refaire l’histoire, on peut s’en tenir en droit privé à la perception de René Demogue. Dès l’entre-deux guerres, René Demogue avait pris appui sur l’article 1134 al 3 du Code civil pour développer une autre conception du contrat. Selon lui, le contrat serait, non le résultat d’une tension entre des intérêts antagonistes, mais « une petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis (par les contractants), absolument comme la société civile ou commerciale ».Pour Demogue, « l’opposition entre l’intérêt du créancier et l’intérêt du débiteur tend à se substituer une certaine union », qu’il pèse sur le créancier non seulement une obligation de « coopérer à l’exécution » et « de faciliter au débiteur l’exécution du contrat » ; mais aussi, ce qui est généralement moins noté, une obligation de minimiser son dommage ou ses pertes .Ce sont là des conséquences neuves à tirer de l’idée de bonne foi .Seréclamant du « solidarisme contractuel », tout un courant de pensée contemporain soutient que le contrat « devient un haut lieu de sociabilité et d’amitié où chacune des parties tâche de rendre toute justice à l’autre ». « Loyauté, solidarité, fraternité », telle serait la « nouvelle devise contractuelle ». En vertu de celle-ci, on assisterait au « dépassement d’une conception(…) individualiste et antagoniste du contrat où chacun veillait à la défense de ses propres intérêts ».Il est question de se soucier de l’autre et de ses intérêts, à mettre ses forces en commun au service du contrat, en une exigence d’une sorte de solidarité, voire de fraternité contractuelle. Le souci n’est plus seulement d’être juste ; il est aussi d’être altruiste . Chaque contractant devrait non seulement considérer mais aussi privilégier les intérêts de son partenaire, puisque la bonne foi commanderait « d’aimer (son contractant) comme un frère ». Il s’agirait d’une troisième voie « à mis chemin entre une conception dirigiste et une vision purement libérale du contrat ».

Le solidarisme contractuel n’a pas pour objectif de placer les deux contractants sur le même plan pour les rendre solidaires l’un de l’autre, mais de faire en sorte que le plus puissant d’entre eux ne puisse priver l’autre de ses droits issus du contrat. C’est bien à un travail de rééquilibrage que se livre le courant solidarisme . Ce travail est confié au juge. Pour le courant solidariste, la voie de la révision du contrat pour imprévision est sans doute maintenant dégagée. Pourtant en matière civile, il n’est pas encore établi la désuétude de la jurisprudence De Gallifet c/ Commune de Pelissanne ou affaire Canal de Craponne en France .

15–En fait, le solidarisme n’épargne pas le volontarisme de toute critique. C’est d’abord le dogme de l’autonomie de la volonté qui est susceptible d’être remis en cause . La volonté individuelle ne peut plus être une pure puissance créatrice, pas plus qu’elle n’est en mesure de modeler seule les effets de droit qu’elle engendre. Le principe de liberté primordiale de l’individu, qui fonde cette conception du contrat, est désormais contesté au nom de la primauté du social. Ainsi que l’exprime très clairement Durkheim en 1893, ce n’est plus la volonté qui fonde la force obligatoire du contrat, mais la réglementation du contrat qui est d’origine sociale . Il est question d’en finir avec la liberté contractuelle en déniant tout rôle à la volonté individuelle ; il s’agit simplement de contester son autonomie en la soumettant à certaines exigences sociales censées lui être supérieures. Ces exigences tiennent le plus souvent à l’existence d’un lien de solidarité qui unit les individus .

Ainsi, le solidarisme rompt avec une conception purement volontariste du contrat, c’est-à-dire avec le contractualisme, mais non point avec la contractualisation . En effet, le contratest en définitive perçu comme un instrument de solidarité où l’échange des services doit l’emporter sur l’opposition des intérêts, afin de conjurer le risque d’anomie, et plus largement de crise politique auquel aurait conduit le volontarisme individualiste du XIXe siècle . Selon la définition solidariste, « …le contrat est une union d’intérêts équilibrés, instrument de coopération loyale, œuvre de mutuelle confiance, sous l’égide d’un juge qui sait être, quand il le faut, juge d’équité … ».Le solidarisme permet aux radicaux d’offrir une voie médiane à l’alternative libéralisme/socialisme en préservant un ordre économique et social bourgeois rendu plus humain. Il apparaît ainsi, comme l’ont montré Nicole et André-Jean Arnaud, comme « une doctrine de l’Etat tranquillisante ». Toutefois bien que séduisante, l’approche solidariste du contrat n’a pas échappé à la critique.

b-La critique de la théorie solidariste du contrat
16–Une des études critiques du solidarisme contractuel a été effectuée par Laurent Leveneur . Il démontre que ce courant n’a pas d’assise dans la réalité contractuelle d’une part et que le mythe du solidarisme contractuel est dangereux d’autre part.
Le solidarisme n’a pas d’assise dans la réalité contractuelle, parce que la fraternité contractuelle est une vue de l’esprit.Contracter, ce n’est pas entrer en religion, ni même communier dans l’amour de l’humanité, c’est essayer de « faire ses affaires ». La critique est parfaitement ciselée par la plume de Philippe Delebecque, quand il affirme que : le contrat « n’est pas et ne doit pas être une œuvre de charité. Il repose avant tout, comme l’a écrit et dit le doyen Carbonnier, sur un antagonisme d’intérêts et doit permettre tout simplement de faire de bonnes affaires. S’il faut réprimer les manœuvres déloyales, il n’est pas nécessaire d’encourager le sentimentalisme ».

En voulant que tous les contrats soient traités sur le modèle du contrat de société, Demogue confondait contrat-échange et contrat-organisation . Dans le contrat-échange, les intérêts des contractants sont divergents ; alors que dans le contrat-organisation, les intérêts des contractants sont convergents, malgré des situations de divergences entre minoritaires et majoritaires . Obéissant à des logiques différentes, ces deux catégories de contrats ne sauraient relever de la même philosophie . M. Malaurie, derechef, a entrepris de « dissiper quelques idées fausses contemporaines » : « il faut, disent (des auteurs) que les contractants s’aiment comme des frères, ou qu’ils s’aident les uns les autres ». « Cette vision du contrat relève du mythe », répond-t-il : c’est une vision sentimentale et irréaliste du droit des contrats. Dans les actes commutatifs…, il n’y a pas de jus fraternitatis. Aimez-vous les uns les autres, aidez-vous les uns les autres sont d’admirables règles évangéliques. Elles ne relèvent pas du droit ».
Plutôt que de tabler sur une hypothétique solidarité humaine, il convient de conserver le fait que les hommes portent plus d’attention à leurs propres intérêts qu’à ceux d’autrui. La solidarité et la fraternité qui uniraient naturellement tous les membres du genre humain ne témoignent pas d’une connaissance approfondie des ressorts de l’âme humaine. Le droit des contrats doit être conçu en fonction de l’homme tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il fût .

17–Le mythe du solidarisme contractuel est dangereux à raison de l’insécurité et l’imprévisibilité juridiques d’une part et le risque de recul de la protection de la partie faible d’autre part.

S’agissant de l’insécurité et l’imprévisibilité juridiques, on ne peut faire du droit sûr avec des concepts mous. La bonne foi est source d’insécurité et d’imprévisibilité. Comme le reconnaît D. Mazeaud, les trois éléments de la devise solidariste : « loyauté, solidarité, fraternité ») sont d’une « très faible charge normative ». Accepter la mise en œuvre de cette doctrine, c’est donc nécessairement livrer le contrat au juge, avec un fort risque d’arbitraire. Des auteurs l’ont bien vu : « les principes d’égalité et de fraternité constituent, par hypothèse, des directives vagues dont la mise en œuvre ne peut qu’être abandonnée au juge et dont le contenu concret ne se révélera donc qu’après coup, non sans risque d’arbitraire et au détriment de la sécurité des contractants . Ainsi, un simple défaut d’équivalence des obligations au prétexte que l’une des parties ne se serait pas montrée assez dévouée envers son partenaire menacerait gravement la sécurité des transactions ». Cela conduit à privilégier l’équilibre des volontés par une certaine justice contractuelle. On retrouve un dirigisme non plus du législateur mais du juge .Qui sait mieux que les parties, ce qui est bon pour elles .

Concernant le risque paradoxal de recul de la protection de la partie faible, il ressort à deux stades. En premier, si l’on considère la démarche solidariste, on peut faire confiance aux parties parce qu’elles se protègent mutuellement les intérêts. On a vu plus haut que l’homme est naturellement porté vers la protection de ses intérêts et ceux de l’autre en second plan. Cette donnée ontologique ne peut être abolie par le solidarisme. En second lieu, le solidarisme contractuel a pour but de permettre un rééquilibrage du contrat . Or, selon Ripert « la liberté contractuelle n’est reconnue que parce que l’échange des produits et des services nous apparaît comme la plus juste et la plus facile organisation des rapports sociaux. Si, dans certains cas, cette liberté aboutit à l’exploitation injuste des faibles par les forts, il faut la briser ».Mais, s’il faut empêcher les abus de la puissance économique, ce n’est pas par la voie judiciaire, dans laquelle « on ne peut aller bien loin (…) sous peine d’établir un redoutable arbitraire », qu’il faut le faire : « C’est au législateur, puissance politique, qu’il appartient d’empêcher les abus de la puissance économique ».

18–On reproche au solidarisme contractuel de reposer sur une appréhension angélique et irénique du contrat , imprégnée de solidarité et de fraternité, et sur une vision de l’homme idéalisée et régénérée. Cette doctrine livrerait le contrat pieds et poings liés au juge, investi du pouvoir d’imposer sa vision personnelle de l’équilibre et du contrat . Au-delà du feu des critiques, le solidarisme contractuel a pu renaître des cendres et brûle par ses braises le droit positif de lege lata et de lege ferenda . Il s’est autonomisé en ciblant les contrats répondant aux trois critères suivants : la durée, l’intérêt commun et la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre. On peut citer les contrats de sujétion , les contrats de distribution .L’esprit du solidarisme est perceptible sur les lois protégeant les consommateurs profanes ou professionnels. Dans son article : « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle », Denis Mazeaud va au-delà des critiques pour restaurer le réalisme du solidarisme contractuel et son pragmatisme au quotidien. Dans cette veine, la Cour de cassation a rigoureusement balisé le domaine du pouvoir de révision judiciaire, en le limitant aux seules clauses méritant le label de clause pénale, et en a strictement canalisé le régime . La loyauté contractuelle interdit qu’un contractant puisse réclamer l’application des clauses clandestines, illisibles ou inintelligibles . Dans le même sillage, l’article 1134 alinéa 1er du code civil ne peut constituer l’alibi permettant à un contractant de confisquer le contrat à son seul profit, au point de sacrifier les intérêts de son partenaire ; l’article 1134, alinéa 3, au nom de l’idée de bonne foi, s’y oppose . Pour synthétiser sa pensée, Dénis Mazeaud conclut : « …plaider pour la bonne foi dans les contrats ne revient pas nécessairement à prêcher pour un contrat sans foi, ni loi … »

En guise de synthèse, on observe une lecture variable du contrat selon qu’on est en présence soit du volontarisme, soit du dirigisme, soit enfin du solidarisme contractuel. Il en ressort une réelle difficulté à cerner une définition constante, stable et fédératrice de ces courants de pensée sur la notion de contrat. Faut-il pour cette raison abdiquer à l’instar de l’épreuve de Penelope ? On pense qu’il est possible de stabiliser la notion du contrat en droit privé, par une lecture institutionnelle souple.

II–UNE POSSIBLE STABILISATION DE LA DEFINITIONDU CONTRAT SOUS LE PRISME INSTITUTIONNEL EN DROIT PRIVE

On ne crée rien en affirmant que le contrat est une institution. On en veut pour preuve l’illustration du concept « institution » par le contrat dans les lexiques juridiques . La doctrine a même affirmé que « le contrat est devenu un paradigme, comme l’est l’institution ». Ce qui intéresse la présente analyse est de contribuer à une définition institutionnelle souple du contrat en droit privé. La première approche est consécutive à la difficile définition doctrinale illustrée en première partie. En seconde analyse, on prône une approche institutionnelle souple de la notion de contrat, parce que l’institutionnel est le visage caché du contrat (A) et le meilleur moyen de fédérer la logomachie sur la notion de contrat (B).

A–Le caractère matriciel de l’institutionnel dans le contrat

Par institutionnel ou institution, on entend un faisceau de règles préétablies dont le non-respect entraine la sanction par les autorités . L’institution se particularise par sa posture démarquée des acteurs qui doivent s’y conformer. A la lecture de l’article 1101 du Code civil et de multiples essais sur la définition du contrat, il ressort en premier : « l’accord de volontés ». Il est la partie visible de l’iceberg, qui masque la partie invisible,mais plus décisive : « l’institutionnel ». Il est le visage caché de la définition du contrat (1) et sa force obligatoire (2).

1–Le visage caché de l’institutionnel dans la définition du contrat

19–L’article 1101 du Code civil définit le contrat comme « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Une convention est un accord de volontés, entre deux ou plusieurs personnes en vue de produire un effet de droit quelconque . De même aux Etats-Unis, le Restatement (Second) of the Law of Contracts définit le contrat comme « a promise or a set of promises for the breach of which the law gives a remedy, or the performance of which the law in some way recognizes as a duty ». Sur le plandoctrinal, Ghestin entend par contrat, un accord de volontés, qui sont exprimées en vue de produire des effets de droits et auxquels le droit objectif fait produire de tels effets .L’accord des volontés ne produit des effets de droit que parce que le droit objectif lui reconnaît un tel pouvoir et dans les limites définies par celui-ci .Dans cette veine, Dutilleul définit le contrat comme un accord de volontés que la loi et/ou le juge reconnaissent autoritairement comme tel et qu’ils soumettent au droit des contrats . Pour Jestaz, le contrat est un système normateur à courte portée, qui régit deux personnes (ou parfois davantage), et dont les assujettis ont eux-mêmes l’initiative de déclencher la mise en jeu. Son contenu normatif est d’abord fixé d’autorité par la loi et/ou par le juge, puis dans la mesure où la loi le permet, par une réglementation privée qui passe par l’œuvre commune des parties même quand elle émane d’une seule d’entre elles . Ces multiples définitions du contrat, en général, celle de Jestaz avec l’expression « …dans la mesure où la loi le permet… » en particulier, permettent d’affirmer que si le contrat produit des effets, ce n’est pas tellement en raison de l’accord des volontés (b), mais surtout parce que cet accord est en phase avec un faisceau de règles préétablies (a). La dynamique institutionnelle commande ainsi de primer la conformité aux règles préétablies sur l’accord des volontés.

a-Un faisceau de règles préétablies : un garde-fou canalisant la volonté des parties
20–Le contrat est souvent évoqué comme exemple d’acte juridique par excellence. En instituant l’acte juridique comme fait créateur de droit, l’ordre juridique habilite les sujets de droit à régler leurs relations réciproques, dans le cadre des normes juridiques générales créées par la législation ou par la coutume. Ces normes créées par acte juridique ne sont pas des normes juridiques autonomes, se suffisant à elles-mêmes ; elles ne statuent pas sur des sanctions, mais seulement sur une conduite dont le contraire est la condition d’une sanction, qu’établissent les normes juridiques générales. Elles ne sont autonomes ou complètes, que si on les combine avec les normes juridiques générales qui prévoient les sanctions .

A la suite de Kelsen, la volonté a été considérée comme un pouvoir délégué et encadré par la loi, ou comme un simple élément subjectif dont le droit tient compte. Si la volonté était l’égale de la loi, les contractants seraient eux-mêmes leur propre législateur. Mais, la situation de la loi à la fois au-dessus et dans le contrat conduit à un « changement d’état » de la volonté . Ainsi avant que les parties n’envisagent accorder leurs volontés, il existe déjà une réglementation qui trace le permis et l’interdit. Ce faisceau de règles concerne aussi bien les contrats nommés que les contrats innommés . En quoi consistent ces règles préétablies ? Elles consistent notamment en des lois, des usages…

S’agissant de la loi, on peut citer de lege lata, les règles préétablies par le Code civil ou de lege ferenda l’Acte Uniforme sur le droit des contrats (Avant-projet), avant que les parties n’accordent leurs volontés. C’est ainsi que les conditions de formation du contrat , les effets du contrat , les sanctions des conditions de formation et l’inexécution du contrat sont préétablies dans le code civil en général. Bien plus, le Code civil préétablit l’encadrement juridique de contrats nommés à l’instar : du contrat de mariage , du contrat de vente , du contrat d’échange , du contrat de louage , du contrat de société , du contrat de prêt , du contrat de dépôt et du séquestre , du contrat de mandat , du cautionnement , du nantissement , etc.

Concernant les usages en droit du commerce international, ce sont des pratiques préétablies qui encadrent les transactions commerciales internationales. On parle de Lex mercatoria . Il convient de distinguer les usages du commerce international, des usages conventionnels . Si les usages conventionnels sont envisagés sous l’angle des relations d’affaires entre les parties et sont donc assez relatifs ; les usages du commerce international ont une portée vaste qui dépasse largement le seul cadre des contractants et correspondent à une répétition de pratiques dans un milieu professionnel particulier. On peut alors parler « d’usage-règle » dans la mesure où ils ont une aptitude à la généralisation. De tels usages peuvent être relatifs à une branche ou un secteur d’activités. Par conséquent, le seul fait d’en faire partie a pour effet que l’on est obligé de les respecter .

Ce corps de règles préétablies n’est pas le contrat mais un élément décisif pour valider ou invalider le projet de contrat des parties. C’est pourquoi l’accord de volontés doit être conforme au système normatif.

b-Un accord de volontés assujetti aux règles préétablies
21–À l’opposé du consensualisme où le contrat est formé par la seule rencontre des volontés, on partage la lecture romaine où le contrat n’acquiert de valeur juridique que s’il se moule dans un rituel et dans les formalités précises . Mais, il convient de partir du formalisme pour aboutir à l’institutionnel.Au regard des approches qui sacralisent l’accord de volontés comme créateur des effets de droit, il n’est pas aisé de rendre compte de la dynamique institutionnelle. C’est illusoire de donner à l’accord de volontés une importance qu’il n’a pas. En effet cet accord, nonobstant toute la considération du consensualisme, se résume à un déclencheur des règles préétablies. C’est pourquoi un contrat qui ne remplit pas les conditions établies par la loi à sa reconnaissance est inefficace.Au sens le plus large, il ne produit pas l’effet juridique voulu par les parties . Ainsi, la volonté ne produit d’effets juridiques, que si elle se manifeste dans les conditions et formes prévues par la loi .

On se rapproche de l’invalidité du contrat. C’est l’hypothèse dans laquelle nonobstant l’accord de volontés, le projet de contrat n’est pas valable, parce qu’il ne remplit pas toutes les exigences légales. Les parties ne sont pas en principe liées .La sanction prévue par la loi dans cette hypothèse est la nullité. Elle concerne le cas où un accord est pourtant conclu, mais qui ne remplit pas les exigences légales.En dépit de l’accord, il n y a pas de contrat.
On ne saurait confondre cette hypothèse d’invalidité de l’accord a priori avec l’invalidité du contrat a posteriori. Lorsque le contrat est invalidé a posteriori, la sanction consiste dans la résolution ou la résiliation . En fait, l’accord des parties était conforme au faisceau de règles préétablies, d’où un contrat valide ; mais des difficultés sont apparues au stade de l’exécution.

A ce stade de l’analyse, il ressort une information sur les composantes du contrat. Ce dernier comprend : un accord de volontés + un faisceau de règles préétablies=contrat. Le +renvoie à la conformité. L’inverse est possible. Sous cet angle, le contrat= un faisceau de règles préétablies + accord de volontés. Le + signifie : déclencher par. Cette lecture du contrat permet de mieux cerner la face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat.

2–La face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat

Pour appréhender la face cachée de l’institutionnel dans la force obligatoire du contrat, il convient d’établir le fondement institutionnel de la force obligatoire du contrat(a), la validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat (b) et la matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel (c).

a- Le fondement institutionnel de la force obligatoire du contrat

22–Déterminer le fondement d’une règle, c’est rechercher la raison qui la justifie. Le fondement d’une norme juridique doit être recherché en dehors du droit, dans un principe métajuridique. La raison est que l’on ne peut songer trouver le fondement d’une norme établie par le droit dans le droit lui-même. En effet, une norme juridique ne peut jamais permettre de justifier une autre norme juridique, c’est-à-dire d’affirmer qu’une telle norme est juste (ou injuste). Elle peut seulement permettre d’en juger, d’apprécier la validité. Autrement dit, le fondement de la norme juridique doit être recherché dans une règlesupra-juridique, c’est-à-dire l’ordre moral . A partir de cette approche globale, on peut mieux s’appesantir sur le particularisme du fondement de la force obligatoire du contrat. Qu’est ce qui fonde la force obligatoire du contrat ? Quelles sont les raisons qui ont amené le législateur à instituer la convention comme étant un fait créateur de droit ? C’est la recherche par le droit objectif de l’utile et du juste, qui justifie la force obligatoire du contrat . Cette réponse ne constitue pas le but de l’analyse ; car l’enjeu est d’exposer le visage de l’institutionnel dans l’utilité et la justice contractuelles.

23–Peut-on illustrer l’institutionnel dans l’utilité du contrat ? Il faut partir du postulat suivant lequel : « le contrat est obligatoire parce qu’il est utile ». Toutefois, on ne saurait confondre l’utilité particulière avec l’utilité publique. L’utilité particulière du contrat apprécie la capacité ou les pouvoirs de l’une des parties. Il ne semble pas que l’utilité particulière du contrat pour chacune des parties soit une condition nécessaire de sa validité . C’est ainsi que la jurisprudence admet la validité d’un contrat qui ne présente aucune utilité pour l’une des parties, parce qu’il fait double emploi avec un autre . Si l’utilité particulière renseigne peu sur le caractère institutionnel, l’utilité publique consolide le volet institutionnel de la force obligatoire du contrat. En effet, le contrat est sanctionné par le droit objectif en raison de son utilité sociale. Le contrat est un instrument que le droit sanctionne parce qu’il permet des opérations socialement utiles. Ces opérations ou échanges doivent être conformes à l’utilité publique, c’est-à-dire à l’intérêt général .Ce n’est donc plus le jeu pur et simple des intérêts privés et des caprices individuels qui dicte la convention, c’est une nécessité première d’organisation d’un service . Toutefois, L’utilité sociale ou publique du contrat n’est pas exclusive des volontés individuelles. En fait, elle les encadre. On parle de « l’utilité économique du contrat qui est un acte de prévision » et de prise de possession de l’avenir . C’est surtout dans sa fonction principale d’échange qu’apparaît cette utilité du contrat. Comme l’écrivait Gounot, « les hommes sentent le besoin d’embrasser l’avenir dans un acte de prévision et…d’obtenir contre des services actuels des avantages futurs, ou contre des avantages futurs des services actuels ».Or, une telle opération à terme, dont l’utilité est certaine, est inconcevable sans la force obligatoire du contrat. Celle-ci dépend du droit objectif et, concrètement, de la volonté du législateur. Cette volonté n’est pas arbitraire. Sur le plan strict de l’utilité publique, il est opportun de laisser aux individus un pouvoir d’initiative dont ils recueilleront les fruits sous forme d’avantages personnels. C’est un moyen de les faire collaborer volontairement à la recherche du bien commun. Appliquée au contrat, lorsque l’engagement a été librement assumé, l’obligation de l’exécuter est ressentie par le débiteur comme un devoir de conscience, qui justifie à ses yeux la force obligatoire du contrat et renforce la contrainte étatique. La règle morale du respect de la parole donnée peut être ainsi justifiée par son utilité sociale . Le plus important dans cette analyse est le rôle que joue le législateur dans la détermination de l’utilité publique ou de l’intérêt général. Ce législateur est une institution étrangère aux parties contractantes. C’est ce qui garantit le caractère institutionnel dans l’utilité du contrat. La force obligatoire du contrat vient aussi de ce qu’il est juste.

24–Peut-on ressortir le volet institutionnel dans la justice contractuelle ? Il convient au préalable de définir le juste. Dans un premier sens, le juste peut être défini comme ce qui est conforme au droit. Les positivistes ajouteront que c’est ce qui est conforme au droit positif. Pour Saint Thomas d’Aquin, la loi humaine doit être juste, c’est-à-dire orientée vers le bien commun du peuple auquel il est orienté . On distingue la justice distributive et la justice commutative ou corrective, dont la justice contractuelle n’est qu’une application particulière. La justice contractuelle conduit à exiger que le contrat ne remette pas en cause l’équilibre qui existait antérieurement entre les patrimoines. C’est ainsi que considéré dans sa fonction principale d’instrument des échanges de biens et de services, le contrat est, comme les obligations en général, soumis au principe de justice commutative. Il ne faut pas qu’il compromette l’équilibre qui existait antérieurement entre les patrimoines ; ce qui implique que chacune des parties reçoive l’équivalent de ce qu’elle donne . Il y a lieu pour cela de présumer que le contrat, conclu par des individus libres et responsables, est de ce fait conforme à la justice. Mais, il ne s’agit que d’une simple présomption . La constatation d’un déséquilibre excessif entre les prestations, ou la preuve que l’une des parties n’a pas été en situation d’apprécier ou de défendre normalement ses intérêts justifie l’intervention des pouvoirs publics .Par pouvoirs publics in abstracto, il faut entendre le juge in concreto. Le législateur prévoit l’intervention du juge dans le contrat en organisant le droit de la résolution de l’article 1184 du Code civil . La résolution, dit la Cour de cassation, est la « consécration de cette règle d’équité qui ne permet pas de laisser un des contractants dans le lien du contrat dont l’autre partie ne lui fournit pas l’équivalent » . Le juge apprécie le degré de l’inexécution et essaye en un mot de sauver le contrat . Il peut même modifier le droit du créancier en retardant les poursuites .

Le juge est une institution extérieure aux parties. Il ne peut être saisi que par une des parties, pour qu’il se prononce sur la validité de la force obligatoire du contrat et les questions d’ordre public contractuel.

b-La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat

25–Le contrat a force obligatoire, c’est dire que les parties sont tenues d’exécuter les obligations découlant du contrat. Pour Marty et Raynaud, « pourvu que le contrat soit formé, il s’impose aux parties : le créancier peut exiger l’exécution de l’obligation convenue » . Pour MM Malaurie et Aynès, « le contrat a pour effet de faire naître des obligations ; en d’autres termes, il a une force obligatoire » . De façon plus précise, Flour et Aubert pensent que la force obligatoire « ne signifie pas seulement que le débiteur est tenu d’exécuter ses obligations et qu’il y sera éventuellement contraint par l’autorité publique, qui veille au respect des contrats comme à l’observation de la loi. Elle signifie, en outre, que les obligations qui doivent être ainsi exécutées sont, en principe, toutes celles, mais celles seulement qu’ont voulues les parties ».

Derrière cette explication, il importe de cerner la validité de cette force obligatoire : d’où le contrat tire-t-il cette force ? Une lecture médiane contourne la question en affirmant que : le contrat tire sa force obligatoire non pas de la seule volonté des parties, mais aussi du droit objectif qui la lui confère . Une distinction entre « l’accord de volontés » et « le droit objectif ou la Loi » s’impose pour apprécier la place de l’institutionnel dans la validité de la force obligatoire du contrat. Le contrat la tire-t-il de l’accord de volontés ? Si la réponse est affirmative, on retrouve la philosophie du consensualisme. Or,celle-ci affirme que si l’homme est lié, c’est parce qu’il a voulu. Toutefois, tout accord de volontés est-il légal ou juridique ? Est-ce que tout ce que les parties veulent, oblige l’autorité publique à en garantir le respect ? La réponse est négative, parce que seul l’accord de volontés conforme à une Loi devient la loi des parties. Il y a donc emprunt de la légalité à la Loi . Le contrat tire ainsi sa légalité du fait que l’accord des parties est conforme à un faisceau de règles préétablies par la loi. On retrouve dans cette démarche l’approche kelsenienne. En effet, inscrivant le contrat dans son univers normativiste, Kelsen le définit comme une procédure créant une norme. Cette norme est située à l’étage inférieur de la pyramide et elle tient sa valeur de la norme supérieure qui autorise les contractants à la créer . Une norme donnée est une norme juridique tant qu’elle appartient à un ordre juridique ; et elle fait partie d’un ordre juridique déterminé si sa validité repose sur la norme fondamentale de cet ordre . En effet, le contrat tire sa force obligatoire, non de lui-même, mais d’une norme qui lui est extérieure. Le pouvoir reconnu aux volontés individuelles n’est pas originaire, mais dérivé. La force obligatoire du contrat n’est pas une réalité qui existerait et s’imposerait indépendamment de l’ordre juridique . Dans cette veine, contracter, ce n’est pas seulement vouloir, c’est aussi employer un instrument forgé par le droit .

26–La validité institutionnelle de la force obligatoire du contrat vient de sa conformité à la loi ou aux règles préétablies par la loi sur les contrats ou les usages. Ces règles existent indépendamment de la volonté des contractants. Toutefois, on ne conteste pas l’approche subjectiviste du contrat comme le pur produit des volontés des parties, soit de manière radicale , soit de manière nuancée . Il est nécessaire de préciser que le contrat reste l’affaire des parties tant que l’accord de volontés est conforme aux règles préétablies par la loi ou les usages. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les dispositions de l’article 1134 du code civil « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ». On peut reformuler en affirmant que « les conventions (accord de volontés) légalement formées (formées dans le strict respect de la Loi préétablie) deviennent la petite loi des contractants ». Cette Loi préétablie comprend les règles législatives et coutumières réglementant ce que doit être un contrat. La Loi préétablie se veut impersonnelle, générale et neutre par rapport aux sujets qui veulent convertir leur accord en contrat. On retrouve la caractéristique de l’institution, qui renvoie à la dépersonnalisation.
Ayant cerné le caractère institutionnel dans la validité de la force obligatoire du contrat, on peut mieux rendre compte de l’ordre public contractuel comme une conséquence de l’institutionnel.

b-La matérialisation de l’institutionnel par un ordre public contractuel

27–Chère au publiciste , la notion d’ordre public ne laisse pas les privatistes indifférents . Selon le Vocabulaire juridique de Capitant, l’ordre public est défini comme l’ « ensemble de principes, écrits ou non, qui sont, au moment même où l’on raisonne, considérés, dans un ordre juridique, comme fondamentaux et qui, pour cette raison, imposent d’écarter l’effet, dans cet ordre juridique, non seulement de la volonté privée, mais aussi des lois étrangères… » . Le privatiste y voit le caractère des règles juridiques qui s’imposent pour des raisons de moralité ou de sécurité impératives dans les rapports sociaux. Les parties ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public . L’ordre public désigne en d’autres mots l’ensemble des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Traditionnellement, l’ordre public se décompose entre la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique. C’est une limite de la liberté contractuelle .Appliquée au champ du contrat, on a le concept d’ordre public contractuel. Seule la logique institutionnelle permet de comprendre l’imposition d’un ordre public dans le contrat. C’est ainsi que les contractants n’ont le pouvoir de créer des normes que parce que, et dans la mesure où l’Etat le leur reconnaît. Cette subordination permet d’expliquer que le contenu de la norme contractuelle échappe dans une large mesure à la volonté des parties : soit que le droit étatique impose tel ou tel contenu au contrat par des lois impératives, soit que dans le silence de la loi, il prescrive au juge d’intégrer dans la norme contractuelle le contenu des lois supplétives et/ou de les compléter par le recours aux usages ou à l’équité selon la formule de l’article 1135 du Code civil .

28–Selon les articles 6 du Code civil et l’article 3/1 de l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des contrats (Avant-projet), la référence à l’ordre public et aux bonnes mœurs permettait au juge de sanctionner les contrats qui heurteraient les valeurs essentielles de la société. Sont, par conséquent illicites, les contrats qui contreviennent aux règles d’organisation de l’Etat ou de la famille, à la morale sexuelle ou atteignent la dignité de la personne humaine , etc. En matière commerciale, « Sont d’ordre public les dispositions des articles 101 , 102 , 103 , 107 , 110 , 111 , 117 , 123 , 124 , 125 , 126 , 127 , 130 et 133 du présent Acte uniforme », dispose l’article 134 de l’Acte uniforme portant sur le Droit commercial général, adopté le 15 décembre 2010 à Lomé.

La notion d’ordre public a connu un développement remarquable correspondant à l’intervention croissante de l’Etat dans le domaine économique . De nos jours, on distingue un ordre public de direction et un ordre public de protection . Dans le prolongement de l’ordre public, le développement des droits fondamentaux contribue à limiter le rôle de la volonté des contractants . Une clause qui porterait une atteinte injustifiée à l’un de ces droits pourrait être neutralisée par les juges. Ainsi la Cour de cassation a considéré comme contraire à l’article 8 de la CEDH–proclamant le droit au respect de la vie privée et familiale–, la clause d’un contrat de bail qui interdit au locataire d’héberger ses proches . C’est dans la même lancée qu’il importe d’inscrire les lois de police en droit du commerce international. Frances cakis les définit comme des lois « dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays ». Il s’agit des lois substantielles internes que le juge doit appliquer en principe immédiatement, avant tout raisonnement conflictuel. Le Règlement de Rome I dispose désormais à son article 9 « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement ». Que les parties aient ou non choisi la loi applicable à leur contrat, ce dernier reste soumis à la contrainte des lois de police . Les lois de police ont pour domaine de prédilection le droit de la consommation , le droit des assurances , le droit du travail , etc. C’est à juste titre que l’article 3 du code civil dispose : « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ».

29–La notion d’ordre public contractuel invisible est récurrente en droit du commerce international. Les contractants doivent se soumettre non pas à des règles écrites, mais aux usages. On en veut pour preuve l’applicabilité des usages du commerce international. S’agissant de l’applicabilité des usages du commerce international, les parties sont tenues au respect desdits usages. C’est ce qui ressort de l’article 1135 du code civil , article 9 de la Convention de la Haye du 1er juillet 1964 , article 9 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 et l’article 7 de la Convention sur l’arbitrage commercial international du 21 avril 1961 . En synthèse, les usages du commerce international ont une valeur supérieure aux stipulations contractuelles .

En bref, le champ contractuel comporte ainsi un ordre public = faisceau de règles préétablies. Lorsque les parties accordent leurs volontés, elles doivent suivre la discipline prévue par les textes sous la vigilance du juge . On retrouve le schéma de l’institutionnel, c’est-à-dire un faisceau de règles préétablies sanctionnées par une autorité (le juge). Ce schéma institutionnel permet de cerner le fondement de la force obligatoire du contrat. Dans l’ensemble, la logique institutionnelle souple du contrat encadre ou fédère la logomachie doctrinale sur la définition du contrat.

B–L’encadrement de la logomachie doctrinale dans la logique institutionnelle du contrat

On part du constat que le mot contrat en doctrine a plusieurs sens difficilement conciliables, pour conclure à une logomachie. Faut-il y voir une cacophonie inconciliable ? On pense qu’il faut positiver cette diversité et l’encadrer ; le contrat-institution souple est un instrumentum de fédération doctrinale adaptable (1). Bien plus, il importe de ressortir le particularisme de la logique institutionnelle souple du contrat à l’aune des autres approches classiques (2).

1–Le contrat-institution : un instrumentum de fédération doctrinale adaptable

La lecture du contrat sous le prisme d’une institution souple procède de l’éclectisme des différentes doctrines classiques. Chacune de ces doctrines dans une autre lecture offre un outil apodictique à l’édification d’une définition institutionnelle souple du contrat (a). La souplesse du contrat-institution est illustrée par son adaptation aux fluctuations de la conjoncture (b).

a–La contribution éclectique de la doctrine à l’édification d’une logique institutionnelle du contrat
28–Loin de demeurer un champ conflictuel, les différentes lectures doctrinales participent en fait à l’édification de la logique institutionnelle du contrat. Pour s’en convaincre, scrutons l’apport de chaque doctrine dans le contrat institution.

29–La doctrine de l’autonomie de la volonté assimile le contrat à l’accord de volontés. Ce qui débouche au consensualisme. En effet, c’est par la rencontre des volontés qui consentent à quelque chose, qu’on aura l’opportunité d’arriver au contrat. Il est vrai l’accord des volontés n’est pas le contrat ; mais pour arriver au contrat il faut que les volontés s’accordent. Il en découle une réciprocité existentielle entre l’accord de volontés et le contrat ; sans toutefois fertiliser la confusion ou l’assimilation des deux notions. Vu sous l’angle institutionnel, un accord permet de déclencher un système normatif encadrant le contrat. On peut en conséquence retenir de la théorie de l’autonomie de la volonté : l’importance de l’accord de volontés dans le déclenchement des mécanismes institutionnels conditionnant la genèse juridique du contrat.

30–S’agissant du dirigisme contractuel, il permet de comprendre le rôle que joue l’Etat par le truchement de la loi pour discipliner les volontés accordées. Cette doctrine soutient que l’Etat met en place un système de normes préétablies pour encadrer les volontés accordées. En fait, le dirigisme contractuel permet de cerner les constituants de ce qu’on désigne par « faisceau de règles préétablies ». C’est tout ce qui gouverne le contrat à l’exclusion de la volonté des parties. Il peut s’agir : d’une décision gouvernementale, de la loi, des usages et du juge. Le gouvernement peut imposer des clauses abusives. La loi, à l’instar du code civil, définit à l’avance le contrat, son contenu, le permis et l’interdit, les sanctions…Les usages dans le commerce international fixe les pratiques en vigueur et qui s’imposent aux parties. Le juge sanctionne le non-respect de ce cadre préétabli en cas de contestation d’un contractant. Il ressort un apport décisif du dirigisme contractuel dans la logique institutionnelle du contrat. Mais la confusion des deux n’est pas plausible. Si le dirigisme contractuel neutralise le dynamisme créateur des volontés individuelles, la logique institutionnelle a contrario n’impacte pas sur l’initiative créatrice du projet de contrat par les parties. Elle assujettit la conversion de ce projet de contrat en contrat au respect d’un système normateur préétabli. Cette logique institutionnelle intègre la contribution solidariste.

31–Quant au solidarisme contractuel, il justifie et amplifie l’intervention du juge dans le contrat pour garantir les normes préétablies ou forcer le contrat. Le juge force le contrat en interprétant activement le contenu. En conséquence, il va imposer les comportements loyaux, coopératifs, voire solidaires . Bien plus, le juge peut réputer non écrite une clause abusive à condition que celle-ci crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des contractants. Il ne peut réviser une clause pénale qu’à condition que celle-ci soit manifestement excessive. Il peut aussi sanctionner le contractant qui a fixé un prix déséquilibré. Le prix peut être considéré comme n’étant pas abusif, alors qu’il est déséquilibré . Cet activisme du juge dans le contrat est extérieur à l’accord des parties et s’impose à elles en cas de litige. C’est cette extériorité de l’office du juge qui conforte l’apport du solidarisme dans la logique institutionnelle. Le juge devient ainsi l’autorité ou l’organe de l’institution contractuelle.

En synthèse, l’accord de volontés, les règles préétablies par la loi ou les usages et l’intervention du juge constituent la contribution de la doctrine à l’élaboration d’une définition institutionnelle du contrat. Sur la base de ces éléments, on peut définir le contrat comme un accord de volontés assujetti aux règles préétablies pour pouvoir produire des effets de droit. On parle de contrat-institution. Ce dernier doit s’adapter aux fluctuations de la conjoncture par sa souplesse.

b–L’adaptation du contrat-institution aux fluctuations de la conjoncture
32–Les fluctuations de la conjoncture renvoient aux changements qui peuvent s’effectuer dans l’environnement socio-économique. Le droit, qui régule aussi l’activité économique, doit prévoir des outils susceptibles de s’y adapter. L’outil juridique présentement analysé est le contrat-institution. Pour que le contrat-institution s’ajuste aux fluctuations de la conjoncture, il faut que l’institution soit souple. C’est aussi reconnaître au sein de l’institution un noyau-dur dont les éléments sont inamovibles au péril de ruiner l’institution. Au tour de ce noyau gravitent des atomes amovibles au gré de la conjoncture. Parmi les éléments inamovibles du contrat-institution, on peut énumérer : l’article 6 du Code civil , les conditions de validité de l’article 1108 du Code civil : le consentement, la capacité, la cause et l’objet ; l’article 3 du Code civil portant sur les lois de police et de sûreté ; et l’article 1135 du Code civil . On peut assimiler cette énumération à des lois ou normes impératives. Parmi les éléments amovibles du contrat-institution figurent : le rôle du gouvernement ou de l’Etat et du juge. Il s’agit des entités alternatives, dont le recours est justifié par des circonstances particulièrement définies.

33–L’illustration de la fluctuation est la suivante : lorsqu’on veut promouvoir l’initiative privée (le libéralisme économique), on fait reculer l’interventionnisme étatique et du juge. Lorsqu’on veut protéger les parties faibles, l’Etat peut prévoir des clauses abusives sanctionnées par l’office du juge. Lorsque le contrat présente un déséquilibre manifeste dans les prestations, le juge peut intervenir pour les équilibrer, nonobstant le refus catégorique institué par l’arrêt du Canal de Craponne en France. Il s’agit en fait d’une construction théorique pour illustrer l’adaptabilité du contrat-institution selon les contraintes du moment. Bien plus, que le contrat soit de gré à gré ou d’adhésion, il reste qu’on est libre de s’engager ou de ne pas s’engager selon qu’on veut obtenir ou non les effets juridiques d’une institution contractuelle donnée. C’est ce qui relativise les inquiétudes sur la crise du contrat.

En synthèse partielle, empruntant à chaque doctrine classique sur le contrat, on réussit par le truchement de l’exégèse institutionnelle à construire une définition institutionnelle souple du contrat en droit privé. Cette construction théorique est suivie d’une illustration empirique. Mais, une question demeure : en quoi cette définition institutionnelle souple du contrat se démarque des définitions doctrinales classiques ? La réponse est nécessaire à l’admission ou non de cette possible doctrine.

2–Le particularisme de la logique institutionnelle souple à l’aune des approches classiques du contrat
A ce stade de l’analyse, il est question d’exploiter les données déjà acquises pour ressortir, à chaque articulation, la distinction et la spécificité des doctrines avec la logique institutionnelle. C’est ce qui affermira son particularisme.

a-La théorie autonomiste du contrat et la théorie institutionnelle souple du contrat
34–Le point commun entre ces deux théories est la reconnaissance de l’accord de volontés comme élément basique du processus contractuel. Celui-ci permet aux parties soit de créer leur projet de contrat (hypothèse des contrats innommés), soit de s’engager pour un contrat nommé. Toutefois, si dans la théorie autonomiste du contrat, l’accord des volontés suffit à créer le contrat ; dans la théorie institutionnelle, la genèse juridique du contrat est assujettie au respect des conditions ou règles préétablies tributaires de la validité du contrat. En fait, l’accord de volontés n’est pas le contrat ; il peut selon l’hypothèse, créer un projet de contrat que les parties veulent convertir en contrat. Pour ce faire, l’accord des parties doit être conforme à la loi pour devenir un contrat. Il se dégage une exigence de validation d’un accord privé en amont pour pouvoir devenir le contrat en aval. Le filtre est constitué des composantes institutionnelles du contrat. Il s’agit des règles ou normes écrites ou non écrites. Ainsi dans la dynamique institutionnelle, « la volonté entre (dans l’acte juridique) par son pouvoir d’initiative », puisque « la liberté reste toujours la racine subjective du contrat ». La théorie institutionnelle souple du contrat n’est non plus à assimiler avec le dirigisme contractuel.

b–Le dirigisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat
35–La confusion est possible entre les deux théories au regard de la marge importante occupée par les composantes institutionnelles. Dans le dirigisme contractuel, l’Etat règlemente le contenu du contrat ; qui s’apparente à un statut. Et ce statut ne peut être modifié par les contractants ; au risque que le plus fort s’impose au plus faible. On retrouve la marque des institutions rigides, qui ne laissent pas de marge de manœuvre aux utilisateurs. Cette dimension institutionnelle est prise en compte dans les éléments institutionnels de la théorie souple du contrat. Il s’agit des articles 6, 1108 et 1135 du code civil, des usages, des lois de police, etc. Ce sont les éléments inamovibles de l’institution contractuelle. A contrario, le dirigisme contractuel exclut la capacité créatrice des droits et des obligations par l’accord de volontés ; car le contrat ici est un acte-condition. Le contenu est règlementé et les parties doivent accepter ou refuser. Tel n’est pas le cas avec la théorie institutionnelle souple, qui reconnait la liberté aux parties de créer des projets de contrat. Mais, ces projets de contrat n’ont pas d’existence juridique tant qu’ils ne sont pas conformes aux composantes institutionnelles. Derechef, la théorie institutionnelle souple admet dans l’ensemble « institutionnel » : des composantes inamovibles et celles amovibles. A l’inverse, le dirigisme contractuel n’est constitué que d’un corpus institutionnel inamovible. Il impose systématiquement le contenu du contrat, en annihilant la capacité des parties à concevoir un projet de contrat (de droits et d’obligations). L’intérêt de cette distinction concerne aussi le solidarisme contractuel.

c–Le solidarisme contractuel et la théorie institutionnelle souple du contrat
36–Le rapprochement entre ces deux doctrines est considérable pour certaines raisons. Sur le plan philosophique, le solidarisme se veut la médiane entre le libéralisme et le socialisme. Ce qui suppose la reconnaissance de la marge de manœuvre des parties et le respect de l’intérêtgénéral. La théorie institutionnelle souple du contrat combine aussi ces deux finalités : liberté des parties de concevoir leur projet d’une part et le strict respect de l’intérêt social incarné par la loi d’autre part. Bien plus l’intervention du juge dans le contrat pour le rééquilibrer, est commune aux deux théories.
37–Au départ, en cas de changement de circonstances provoquant un bouleversement des prévisions contractuelles initiales, la Cour de cassation avait édicté dans les arrêts rendus en 1992 et 1998 : le devoir de renégocier dans tous les projets . Les avant-projets « Gouvernemental » et « Terré » admettent exceptionnellement soit la résiliation, soit la révision judiciaire pour imprévision. L’avancée est de taille car, comme chacun le sait, le juge judiciaire ne peut pas réviser un contrat en dépit du profond bouleversement que son économie interne a subi en cours d’exécution à la suite d’un changement imprévu des circonstances qui avaient présidé à sa conclusion. Les raisons étaient les suivantes : la révision judiciaire pour imprévision entraîne l’ingérence du juge dans le contrat, cause d’instabilité économique et d’insécurité contractuelle. Une autre raison : les contractants sont « des individus libres et responsables, capables de prévoyance(…). L’absence de révision judiciaire est préférable, en ce qu’elle est une puissante incitation à l’adoption par les parties de clauses qui apportent une réponse sur mesure aux difficultés nées de l’instabilité économique ou monétaire ».

38–La consolidation de la révision judiciaire est sous tendue par une surestimation de la rationalité des contractants en pensant : qu’ils soient des individus libres et responsables, ils sont capables au jour de la conclusion du contrat d’anticiper et de gérer le risque de changement de circonstances via des clauses appropriées. En réponse à cette naïveté juridique, l’ « Avant-projet Terré » admet qu’en cas d’échec de la renégociation conventionnelle du contrat devenu profondément déséquilibré à la suite d’un changement imprévisible de circonstances (pendant l’exécution), que « le juge peut adapter le contrat en considération des attentes légitimes des parties(…) ». C’est dans le même sens que s’oriente l’Avant-projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats dans l’espace OHADA. Son article 6/24 dispose : « 1) En cas de bouleversement des circonstances, la partie lésée peut demander l’ouverture de renégociations. La demande doit être faite sans retard indu et être motivée. 2) La demande ne donne pas par elle-même à la partie lésée le droit de suspendre l’exécution de ses obligations. 3) Faute d’accord entre les parties dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre peut saisir le tribunal. 4) Le tribunal qui conclut à l’existence d’un cas de bouleversement des circonstances peut, s’il l’estime raisonnable : a) mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe ; ou b) adapter le contrat en vue de rétablir l’équilibre des prestations. »

La nature de l’interventionnisme du juge rapproche aussi ces deux théories. En effet, le juge intervient à titre exceptionnel. C’est pourquoi les solidaristes réclament un rôle accru du juge pour tempérer les abus et les excès engendrés par la liberté unilatérale dans certaines relations contractuelles échappant à la théorie générale des contrats, et pour résoudre les crises contractuelles exceptionnelles . Cet interventionnisme exceptionnel du juge est l’une des caractéristiques de la théorie institutionnelle souple du contrat. Il rentre dans les éléments amovibles du contrat-institution.

39–Toutefois, la théorie institutionnelle souple du contrat s’éloigne du solidarisme contractuel par son domaine. Sous le prisme institutionnel souple, on éprouve le contrat dans sa généralité. On se situe au niveau de la théorie générale du contrat sans s’appesantir sur les spécialités. On n’opère pas une distinction sur une typologie de contrat. A l’inverse, le solidarisme contractuel se veut limitatif à certains contrats : contrats de sujétion, contrats de distribution.C’est une conséquence tirée des trois critères d’éligibilité des contrats d’obédience solidariste : la durée, l’intérêt commun et la dépendance d’un contractant vis-à-vis de l’autre. Il ressort que par sa généralité, la théorie institutionnelle souple intègre le solidarisme contractuel. Toutefois, l’inverse n’est pas possible.

40–Un autre critère est fondamental dans la distinction du solidarisme contractuel d’avec la théorie institutionnelle souple du contrat : il s’agit de la nature des rapports entre les éléments constitutifs du contrat. Dans le solidarisme contractuel, on cherche à concilier les libertés et les exigences de la collectivité : le libéralisme et le socialisme. Cependant, la théorie institutionnelle souple du contrat assujettit les libertés au respect des exigences de la collectivité : le libéralisme est assujettit au socialisme. Ainsi, le solidarisme contractuel plaide la collaboration entre le libéralisme et le socialisme ; alors que la théorie institutionnelle souple du contrat propose l’emprise du socialisme sur le libéralisme.

Conclusion

41–En conclusion, la thématique s’intitule : « la question de la définition du contrat en droit prive : essai d’une théorie institutionnelle ». Les développements se sont structurés autour de la question suivante : peut-on concevoir une définition stable et constante du contrat en droit privé sous le prisme institutionnel ? A partir du constat d’une difficile stabilisation doctrinale de la définition du contrat en droit privé, on a abouti à une possible stabilisation par une définition institutionnelle souple du contrat en droit privé. Les enjeux de cette analyse sont de deux ordres. L’enjeu mineur a consisté en la proposition d’une définition institutionnelle du contrat. A ce titre, on a défini le contrat comme un accord de volonté assujetti aux règles préétablies pour pouvoir produire des effets de droit. L’enjeu majeur est dans l’élaboration de la théorie institutionnelle souple du contrat en droit privé. Elle se nourrit des théories classiques pour briller par son particularisme et son réalisme. Il est à espérer que cette grille de lecture résistera aux secousses futures sur la notion de contrat.

Dr MONEBOULOU MINKADA Hervé Magloire
Ph./D en droit privé                                                                                                                                                                                   
Chargé de cours à la Faculté des Sciences juridiques et politiques
Université de Douala

Revue de l’ERSUMA :: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Doctrine.