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LELO PHUATI Evariste
Assistant à l’Université Président Joseph Kasa Vubu en RD. Congo/Boma
Avocat au Barreau de Matadi et Formateur en Droit OHADA
INTRODUCTION
L’homme dans l’état de nature vivait selon son gré, sans être soumis à une quelconque règle. La justice était alors une question purement privée : chacun s’efforçait de se faire justice . Mais depuis la création de l’Etat, la société vouée à l’état de nature a connu une profonde transformation : le monopole de la mission de rendre justice a été confié exclusivement à l’Etat comme l’un des attributs de sa souveraineté.
Depuis lors, nul ne peut se rendre justice . Toute personne physique ou morale s’estimant être victime d’un préjudice doit s’adresser aux institutions judiciaires légalement établies pour chercher à obtenir réparation . Celles-ci selon une procédure appropriée rendent des décisions appelées jugements ou arrêts selon qu’elles sont rendues par des Tribunaux ou des Cours. Les décisions ainsi rendues doivent en fin de compte être exécutées.
En effet, l’exécution des décisions judiciaires est même l’essence de l’activité du juge et gage de l’Etat de droit. En réalité, « la finalité de toute décision judiciaire ou arbitrale, avant dire droit ou définitive, c’est d’être exécutée par les parties. Sinon, le recours à la justice étatique ou même arbitrale n’aurait aucun sens si la décision qui est rendue ne peut être exécutée volontairement ou par force » . Joseph DJOGBENOU abonde dans le même sens lorsqu’il soutient que : « …le droit serait sans intérêt pratique et son enseignement vain s’il n’est envisagé par la loi les mécanismes de son appropriation effective, de sa consommation » .
Les règles à suivre pour exécuter une décision judiciaire diffèrent selon que la condamnation prononcée porte sur la personne ou sur les biens du condamné.
Concernant l’exécution sur les biens, l’article 245 de la loi congolaise dite foncière pose un principe fondamental en ces termes : « Tous les biens du débiteur, présents et à venir sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légales de préférence ».
En vertu de cette disposition, toute décision judiciaire prononçant une condamnation pécuniaire crée un droit de créance au profit de son bénéficiaire et doit en principe être exécutée de gré ou de force sur le patrimoine du condamné , notamment par la saisie de ses biens. C’est donc sur l’actif du patrimoine de toute personne que s’exécutent les condamnations pécuniaires prononcées à sa charge.
Par ailleurs, l’exécution effective des décisions judiciaires a certes un rôle important dans la sécurisation juridique et judiciaire des affaires et, par ricochet, dans l’attraction des investissements dont l’Afrique a besoin pour son développement durable. En réalité, l’exécution des décisions judiciaires est notamment un facteur de création d’un climat propice aux affaires. Conscient de cette évidence, les pères fondateurs de l’OHADA ont prévu un acte uniforme spécifique sur cette question. Il s’agit précisément de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution du 10 avril 1998. Et, l’article 336 de cet Acte prévoit une disposition finale rédigée à des termes « sévères ». Nous y lisons ce qui suit : « Les présent acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les Etats parties ». L’article 28 alinéa 1er du même Acte est on peu plus explicite sur cette question lorsqu’il dispose qu’ : « A défaut d’exécution volontaire, tout créancier peut, quelle que soit la nature de sa créance, dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme, contraindre son débiteur défaillant à exécuter son obligation à son égard ou pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits » .
Il est donc clair que les auteurs de cet Acte uniforme ont voulu qu’il soit le seul à être appliqué dans le domaine des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution dans l’espace OHADA. Telle est également la position de la Cour Commune et d’Arbitrage qui a arrêté que : « L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution contient aussi bien des lois de fond que de procédure qui, en la matière ont seules vocation s’appliquer dans les Etats parties » .
Cependant, en dépit de cette évidence, l’efficacité cet Acte uniforme peut être sujet à caution lorsqu’il doit être appliqué en exécution d’une décision judiciaire ayant prononcé une condamnation pécuniaire contre un religieux en République Démocratique du Congo au regard de son vœu de pauvreté.
En effet, l’on sait qu’en faisant le vœu de pauvreté, les religieux renoncent à leurs biens présents et/ ou à venir (y comprise leur vocation ou aptitude à être propriétaire) au profit de leurs instituts ou congrégations. Les biens qui peuvent normalement leur revenir sont acquis de droit par leurs instituts religieux . Ils deviennent incapables de jouir pleinement du droit de propriété selon le droit canonique .
Ce qui précède, nous amène légitimement à nous poser la question de savoir comment peut-on appliquer l’Acte uniforme du 10 avril 1998 contre les religieux en exécution des condamnations pécuniaires prononcées à leur charge lorsqu’on sait qu’au regard de leur vœu de pauvreté, ils ne peuvent en principe être propriétaires ?
Telle est la question essentielle autour de laquelle nous allons réfléchir.
Dans notre démarche, nous analyserons le vœu de pauvreté des religieux(I) avant de parler des condamnations pécuniaires en Droit congolais(II). Nous terminerons par la problématique de l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution contre les religieux en RDC au regard de leur vœu de pauvreté(III).
I. Le vœu de pauvreté des religieux
Pour mieux comprendre le sens et les effets du vœu de pauvreté selon le droit canonique, nous commencerons par une brève notion des instituts religieux et des religieux.
A. Notions sur les Instituts religieux et les religieux
1. Les instituts religieux
L’institut religieux est une société (fondée au sein de l’Eglise catholique romaine) dans laquelle les membres prononcent, selon le droit propre, des vœux publics perpétuels ou temporaires à renouveler à leur échéance, et mènent en commun la vie de fraternité .
Il faut relever qu’il existe en République Démocratique du Congo plusieurs instituts religieux qui sont désignés de diverses manières : Congrégation, Couvent, Monastère, Communauté, etc. Cependant, de façon globale, il y a une distinction entre les instituts religieux de droit pontifical et ceux de droit diocésain. Les premiers sont ceux qui dépendent du Pape. Ce dernier doit en approuver les actes fondateurs. Ces instituts sont généralement installés dans plusieurs Etats. Les seconds sont ceux qui dépendent de l’Evêque. Il doit également en approuver les actes fondateurs. Leur champ de travail se limite au diocèse.
Historiquement, l’initiative de création des instituts religieux a toujours été l’œuvre des individus (homme et femme) inspirés . Lorsqu’ils sont créés, les instituts religieux ne font pas partie de la hiérarchie de l’Eglise. Ils sont autonomes. C’est ainsi que sous réserve des dispositions générales prévues dans le code de droit canonique de 1983, ils sont régis par un droit propre qui tient compte de leur nature particulière . Ce droit est généralement consigné dans un document appelé Constitution ou Code Fondamental.
2. Les religieux
Nous donnerons une définition sur ce qu’il faille entendre par religieux avant d’évoquer les conditions requises pour être admis dans un institut religieux.
a) Définition
Les religieux sont des membres d’un institut religieux qui ont émis des vœux temporaires ou perpétuels selon le droit propre. Ces membres sont communément appelés frères, sœurs, pères, moines… Ils ne sont pas à confondre avec les clercs.
Selon le droit canonique, les religieux sont des hommes et femmes qui se sont consacrés à l’Eglise d’une manière particulière . SERIAUX ajoute que les religieux sont des personnes qui ont dédié entièrement leur vie au service de Dieu . Pour cette raison, ils font les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.
b) L’admission dans les instituts religieux
L’admission d’un individu dans un institut religieux commence généralement par le noviciat. Les novices sont soumis à une formation spécifique avant de devenir religieux et font des vœux temporaires et ensuite des vœux perpétuels.
Selon le canon 641, le pouvoir d’admettre les candidats au noviciat appartient aux supérieurs compétents selon le droit propre de chaque institut. Toutefois, certaines conditions sont fixées en se basant notamment sur l’âge, l’état de santé, le tempérament, les qualités et la maturité.
B. Le vœu de pauvreté : son fondement et ses effets sur le patrimoine du religieux
Les religieux font le vœu de pauvreté. Ce vœu ne saura manquer d’incidences sur le patrimoine des religieux.
Nous analyserons donc le fondement du vœu de pauvreté et ses incidences sur le patrimoine du religieux.
1. La signification et le fondement du vœu de pauvreté
Le vœu de pauvreté signifie l’acceptation par les religieux d’être pauvres et de mener une vie de pauvreté. Pour cette raison, ils sont tenus d’intérioriser et d’exprimer l’esprit de pauvreté. Ils doivent donc dépendre de leurs supérieurs même pour l’acquisition et l’usage de leurs biens propres . Le fondement de ce vœu se trouve dans le christianisme. En effet, le droit canonique renseigne que les religieux font le vœu de pauvreté en imitant le Christ qui s’était fait pauvre à cause des hommes alors qu’il était riche .
3. Les effets et les conséquences du vœu de pauvreté sur le patrimoine du religieux
Nous pouvons dégager trois effets essentiels :
a) La cession de la gestion des biens propres
La cession dont il est question ici ne concerne que les novices admis dans des instituts religieux où les membres sont autorisés à être propriétaires de leurs biens acquis avant les vœux perpétuels. Le canon 668 §1 dispose à ce sujet : « Avant leur première profession, les membres céderont l’administration de leurs biens à qui ils voudront et, à moins que les constitutions n’en décident autrement, disposeront librement de l’usage de leurs biens et leur usufruit… ». En effet, les novices avant d’émettre leurs vœux temporaires sont tenus de céder l’administration de leurs biens à une personne de leur choix.
Cette cession résulte du vœu de pauvreté. Elle intervient avant même que les novices ne deviennent des religieux, c’est-à-dire, avant l’émission des vœux. A titre illustratif, les novices admis dans la congrégation des Frères de Saint Joseph du Diocèse de Boma procèdent à cette cession (voir article 44 de leurs constitutions).
b) L’incapacité d’acquérir des biens après les vœux perpétuels
Cette incapacité concerne les instituts religieux dans lesquels les membres sont tenus de renoncer à leurs biens avenir, c’est-à-dire, ceux acquis après les vœux perpétuels par un travail personnel ou au titre de l’institut et ceux qui leur proviennent de quelque autre source : pensions, subventions, rentes… Ces biens sont acquis de droit par l’institut ou la congrégation.
Il se constate dans la pratique que, dans la plupart de cas, ces religieux ne disposent pas de biens de grande valeur . En RDC, cette situation s’explique essentiellement par le fait que l’âge d’admission au noviciat coïncide généralement avec celui de la fin d’études secondaires (études de baccalauréat dans d’autres pays). Il y a alors lieu de se demander ce que peut avoir un jeune diplômé congolais comme biens de grande valeur.
Parmi les instituts religieux qui sont régis par ces règles dans notre pays, nous pouvons citer les congrégations des Frères de Saint Joseph de Boma, des Sœurs Servantes de Marie, des Pères Passionnistes.
Après les vœux perpétuels, les religieux de ces instituts renoncent donc à la capacité d’acquérir. Toutefois, nous précisions que cette incapacité de jouissance n’est que partielle car les religieux concernés restent tout de même propriétaires des biens acquis avant les vœux perpétuels au cas où ils existeraient.
c) L’incapacité totale ou la renonciation au droit de propriété
En raison de la nature propre à certains instituts religieux, les religieux qui y sont membres renoncent totalement au droit de propriété. Cette renonciation s’étend à leurs biens présents et à venir. En faisant le vœu de pauvreté, ils perdent la capacité d’acquérir des biens. Autrement dit, ils deviennent incapables de jouir du droit de propriété au regard du droit canonique.
Le canon 668 §5 déclare à ce sujet : « Le profès (religieux), qui aura, en raison de la nature de son institut, renoncé totalement à ses biens perd la capacité d’acquérir et de posséder , c’est pourquoi il pose invalidement les actes contraires au vœu de pauvreté. Les biens qui lui adviennent après cette renonciation reviennent donc à l’institut selon le droit propre ». Les Sœurs de la congrégation de Saint Vincent de Paul Servantes des Pauvres, par exemple, procèdent à la renonciation totale. De ce fait, le droit canonique les considère incapables de jouir du droit de propriété.
Cette précision sur les instituts religieux, les religieux et le vœu de pauvreté nous permet d’aborder les sortes des condamnations de nature pécuniaire qui peuvent être prononcée en Droit Congolais tout en se pencher sur la question de leur exécution au regard du droit OHADA.
II. Les condamnations pécuniaires en Droit congolais et leur exécution au regard de l’AUPSRVE
Nous donnerons une notion sur les condamnations pécuniaires, leur nature et leur exécution au regard l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution.
A. Notion
Les condamnations pécuniaires sont parmi les mesures auxquelles les juridictions congolaises peuvent recourir pour sanctionner les violations des lois et des obligations.
Nous entendons par condamnation pécuniaire, toute condamnation de nature pécuniaire qu’une juridiction prononce contre une personne à titre de remboursement ou de réparation d’un préjudice ou encore à titre de frais occasionnés par une instance judiciaire à laquelle elle a succombé totalement ou partiellement.
B. La nature des condamnations pécuniaires
En Droit congolais, les condamnations pécuniaires peuvent notamment être prononcées par une juridiction pénale, civile, administrative ou arbitrale.
1. Les condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions civiles
Par juridictions civiles, on entend celles qui sont légalement compétentes pour connaître des affaires de droit privé, c’est-à-dire les affaires où ne se trouvent en jeu que les intérêts particuliers . Nous assimilons par extension les matières du travail et commerciales aux matières civiles.
A ce niveau, la juridiction civile peut prononcer les condamnations pécuniaires suivantes :
- le payement d’une créance pure et simple ;
- le payement des dommages et intérêts ; et
le payement des frais de justice. 2. Les condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions répressives Par juridictions répressives, il faut entendre celles qui sont légalement compétentes pour connaître des faits infractionnels et de prononcer les peines prévues par la loi. La procédure devant ces juridictions est inquisitoriale . Ces juridictions peuvent prononcer les condamnations pécuniaires suivantes : - payement d’une créance soit à titre de remboursement ou de restitution ;
- le payement des dommages et intérêts. Ces dommages et intérêts peuvent être prononcés d’office ou à la requête de la victime qui a saisi la juridiction par citation directe ou qui s’est constituée partie civile ;
- les amendes judiciaires. L’article 5 du Code pénal congolais livre Ier retient la peine d’amende parmi les peines applicables aux infractions en République Démocratique du Congo. Il s’agit donc là d’une condamnation pécuniaire. Toutefois, le juge dans sa décision peut prévoir que la peine d’amende sera remplacée par une peine de servitude pénale subsidiaire qui ne doit jamais dépasser six mois au cas où elle (l’amende) n’est pas payée dans le délai ;
- les frais de justice. 3. Les condamnations civiles prononcées par les juridictions administratives La juridiction administrative est celle qui est compétence pour statuer sur les matières administratives. Conformément à l’article 149 du Code d’Organisation Judiciaire du 31 mars 1982, « l’action en réparation du préjudice causé par un acte, un règlement ou une décision illégale peut être portée en même temps que la demande en annulation devant la même Cour (d’appel), lorsque le préjudice subi ne peut être entièrement réparé par l’acte d’annulation ». Toutefois, la demande de réparation d’un dommage devant la section administrative de la C.A. ou de la C.S.J. en attendant l’installation effective des juridictions de l’ordre administratif n’est recevable que si elle est précédée d’une réclamation devant l’autorité dont l’acte est fait grief. En vertu de ces dispositions, la section administrative de la C.A. ou de la C.S.J. peut prononcer des dommages et intérêts contre l’administration ou un particulier, outre les frais de justice. C. L’exécution des condamnations pécuniaires en OHADA Rappelons que la finalité de toute décision judiciaire est d’être exécutée. A ce niveau, nous allons essentiellement parler de l’exécution des condamnations pécuniaires. Après avoir donné le principe fondamental sur question d’exécution des décisions judiciaires en Droit Congolais, nous nous pencherons brièvement sur les procédés d’exécution des décisions judiciaires en Droit OHADA. 1. Principe fondamental sur l’exécution des jugements au regard du droit congolais Comme nous l’avons souligné précédemment, la crédibilité de la justice s’effondrait certainement si les décisions rendues par les Cours et Tribunaux ne peuvent être exécutées de gré ou de force. L’exécution des décisions judiciaires est l’essence de la justice. En République Démocratique du Congo, le Constituant en a même fait une préoccupation majeure. En effet, l’article 149 alinéa 4 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour dispose que : « Les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et Tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République ». L’article 151 du même texte poursuit : « le pouvoir exécutif ne peut (…) ni entraver la cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice ». Historiquement, les modalités d’exécution des condamnations pécuniaires à travers le monde ont connu une longue évolution. En droit romain par exemple, la personne répondait corporellement de ses engagements . Ainsi, le créancier non payé pouvait s’emparer de son débiteur pour le vendre ou le réduire en esclave . Avec le temps, ce procédé manifestement inhumain fut abandonné . Depuis lors, c’est sur le patrimoine du débiteur que s’exécutent de gré ou de force ses obligations de nature pécuniaire. Ce principe fut formellement consacré par les articles 2092 et 2093 du Code Napoléon. Nous y lisons respectivement :
- Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers présents et à venir.
- Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence. En République Démocratique du Congo, le principe ainsi consacré par l’article 2093 du Code Napoléon avait été repris textuellement par l’article 245 de la loi foncière . Par ailleurs, le Droit OHADA ne s’écarte pas de cette logique. C’est dans cadre que l’Acte uniforme du 10 avril 1998 consacre le principe de recouvrement des créances sur les biens du créancier et non sur sa personne. 2. Le Droit OHADA et l’exécution des décisions judiciaires Comme pré rappelé, l’importance qu’il y a à faire exécuter les décisions judiciaires a amené les Etats Membres de l’OHADA à adopter un Acte uniforme spécifique en la matière. En effet, nous avons précédemment affirmé que l’exécution des décisions judiciaires est un facteur non négligeable susceptible d’assurer la sécurité juridique et judiciaire dont l’Afrique a besoin pour son développement. Cependant, il convient pour nous de préciser d’ores et déjà que notre démarche à ce niveau ne consistera pas à faire une étude approfondie sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution organisées par l’Acte uniforme précité. Cela paraît d’ailleurs quasi impossible dans une réflexion du genre. Cela étant, nous allons nous limiter à donner quelques notions qui nous permettront de démontrer de quelle manière le vœu de pauvreté que font les religieux en République Démocratique du Congo peut constituer une embûche à l’exécution effective d’une décision judiciaire conformément au Droit OHADA. En effet, l’Acte uniforme du 10 avril 1998 prévoit deux principales sortes de mesures de recouvrement. Il s’agit d’une part des procédures simplifiées de recouvrement , et d’autre part les voies d’exécution . Les procédures simplifiées sont de deux ordres ; à savoir l’injonction de payer et l’injonction de délivrer ou de restituer un bien meuble déterminé. La procédure d’injonction à payer est considérée comme étant la procédure de droit commun. En ce qui concerne les voies d’exécution, l’Acte uniforme précité organise les saisies conservatoires, la saisie-vente, la saisie-attribution des créances, la cession et la saisie des rémunérations, la saisie-appréhension et la saisie-revendication des biens meubles corporels, la saisie des droits d’associés et des valeurs mobilières et enfin la saisie immobilière. Les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ont un dénominateur commun en ce sens qu’elles portent sur le patrimoine du débiteur. C’est ainsi que le vœu de pauvreté des religieux qui porte également sur ce même patrimoine ne peut manquer d’effets à leur égard.
III. L’exécution des décisions judiciaires contre les religieux en RDC conformément à l’AUPSRVE au regard de leur vœu de pauvreté
Exécuter les condamnations pécuniaires contre un religieux paraît en tout cas complexe. En effet, nous avons relevé que c’est sur le patrimoine du religieux ayant pourtant fait le vœu de pauvreté que doit s’exécuter les condamnations pécuniaires prononcées contre lui.
A ce niveau, nous allons réfléchir sur cette problématique au regard du Droit canonique (A) et du Droit OHADA (B).
A. Aperçu sur l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux au regard du Droit canonique
Le droit canonique n’aborde pas particulièrement la question de l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux. L’article 639 du Code du droit canonique de 1983 fait plutôt allusion à la personne qui doit répondre des actes posés par un religieux. Nous y lisons en effet : « Si une personne juridique a contracté des dettes et obligations, même avec la permission des supérieurs, c’est elle qui est tenue d’en répondre. Si un membre, avec la permission du supérieur, s’est engagé sur ses propres biens, il doit en répondre lui-même ; mais s’il a reçu mandat de son supérieur pour régler une affaire de l’institut, c’est l’institut qui doit en répondre. Si un religieux a contracté sans aucune permission des Supérieurs, c’est à lui d’en répondre et non la personne juridique. Il reste cependant entendu qu’une action en justice peut toujours être intentée contre celui qui a tiré avantage du contrat. Les supérieurs religieux se garderont bien de permettre de contracter des dettes, à moins qu’il ne soit certain que les revenus habituels puissent couvrir les intérêts et que, dans un délai qui ne soit trop long, le capital puisse être remboursé par un amortissement légitime ».
De cette disposition, nous déduisons que le droit canonique prévoit deux solutions au problème des charges pécuniaires qui peuvent peser sur un religieux :
L’institut religieux est responsable des actes que le religieux pose au nom et pour le compte de l’institut.
Le religieux est lui-même responsable des actes qu’il pose en son nom et pour son propre compte.
B. La question de l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux conformément à l’AUPSRVE
Le vœu de pauvreté tel qu’il est prévu en droit canonique a des incidences certaines sur l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voix d’exécution surtout lorsqu’il faut pratiquer l’un ou l’autre type de saisie qui y est prévu .
Mais, avant de poursuivre notre réflexion, nous devons relever que le vœu de pauvreté ne fait même pas partie du droit positif congolais en ce qu’il n’est une simple règle interne des instituts religieux, qui eux-mêmes ont la nature juridique des associations sans but lucratif .
Ainsi, il convient à ce niveau d’examiner d’abord la conformité de ce vœu au droit positif congolais avant de nous pencher sur les incidences qu’il peut avoir sur l’application effective de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées et recouvrement et voies d’exécution.
1. La question de la conformité du vœu de pauvreté au Droit positif Congolais
Plusieurs congolais ont choisi l’état de vie religieuse et se soumettent de ce fait, dans les divers instituts religieux implantés en R.D.C. ou ailleurs, aux différentes règles canoniques que nous venons d’examiner.
Ils sont alors incapables selon le droit canonique.
Nous pouvons ainsi réfléchir sur la conformité de ces règles (canoniques) au droit positif congolais.
Nous allons commencer par un examen succinct des dispositions légales congolaises sur la capacité et l’incapacité avant de nous pencher sur la question.
a) La capacité et l’incapacité en Droit congolais
1°) Notion
Les textes légaux en vigueur en République Démocratique du Congo parlent de la capacité sans en donner la définition.
Nous pouvons nous référer à la doctrine qui la définit comme étant l’aptitude d’une personne à faire un acte juridique valable . En revanche, l’incapacité est l’état d’une personne privée par la loi de la jouissance ou de l’exercice de certains droits .
La législation congolaise consacre plusieurs dispositions sur la capacité et sur l’incapacité :
l’article 211 du code de la famille dispose que : « sauf les exceptions établies par la loi, toute personne jouit des droits civils depuis sa conception à condition qu’elle naisse vivante ».
l’article 23 du CCCL III déclare que : « toute personne peut contracter, si elle n’en est pas déclarée incapable par la loi ».
Ainsi, en R.D.C., le principe fondamental est que toute personne est capable ; ce n’est qu’à titre exceptionnel que la loi peut déclarer un individu incapable. Nous dirons alors que « la capacité est la règle ; l’incapacité l’exception ».
La doctrine opère une distinction entre la capacité d’exercice et de jouissance d’une part et, d’autre part l’incapacité d’exercice et de jouissance
GUILLIEN et VINCENT nous apprennent, en effet, que l’incapacité est dite d’exercice lorsque « la personne qui en est frappée est inapte à mettre en œuvre elle-même ou à exercer seule certains droits dont elle demeure titulaire. Elle est dite de jouissance lorsque la personne qui en est frappée est inapte à être titulaire d’un ou de plusieurs droits ; elle ne peut être générale » .
2°) Les incapables en droit congolais
• Enumération légale
L’article 215 du Code (congolais) de la famille énumère les incapables. Il s’agit de :
1) mineurs ;
2) majeurs aliénés interdits ;
3) majeurs faibles d’esprit, prodigues affaiblis par l’âge ou infirmes placés sous curatelle.
L’alinéa 2 de cet article ajoute que la capacité de la femme mariée trouve certaines limitations conformément à ce texte de la loi.
Nous devons vraiment souligner que cette énumération est limitative et est de stricte interprétation. Une personne qui n’est pas considérée incapable par la loi (seule) est capable. Cela revient à dire que la volonté d’une personne de se faire incapable est inopérante.
• Les régimes des incapables
Les régimes que nous allons présenter ont été institués dans l’intérêt des incapables eux-mêmes, puisqu’ils visent leur protection.
Il existe trois régimes en R.D.C. :
la représentation : elle consiste dans la substitution d’une personne capable dans l’exercice du droit. L’incapable disparait en quelque sorte de la scène juridique . C’est le cas des mineurs non émancipés et de majeurs aliénés interdits ;
l’assistance : c’est une mesure de protection de certains incapables majeurs (faibles d’esprit, prodigues, mineurs émancipés) pour l’accomplissement de certains actes ; ces dernières personnes sont alors placées sous curatelle. Le curateur, par son assistance, confère à l’acte sa validité. Toutefois, celui qui assiste ne représente pas.
l’autorisation : elle vise d’une manière spécifique la femme mariée ; celle-ci doit obtenir l’autorisation de son mari avant d’accomplir certains actes juridiques .
b) La question de la conformité du vœu de pauvreté au Droit positif congolais
Le vœu de pauvreté institue une incapacité de jouissance privant les religieux de l’aptitude à être titulaires du droit de propriété de leurs biens présents et/ou à venir ; les religieux renoncent donc au droit de propriété en tant que faculté ou aptitude.
Par rapport au droit congolais, l’incapacité établie en droit canonique à l’égard des religieux est sans effet juridique et ce, pour deux raisons essentielles :
D’abord, les articles 212, 213 du Code de la famille et 23 du CCCL III énoncent clairement que l’incapacité ne peut être établie que par la loi. Celle-ci doit rester de stricte interprétation, comme nous l’avons dit. L’article 215 du Code de la famille ne retient nullement les religieux parmi les incapables.
Ainsi, au regard de la loi, les religieux ayant la nationalité congolaise ne sont pas incapables malgré les règles canoniques auxquelles ils se soumettent et malgré leurs propres vœux.
Ensuite, la loi congolaise (le code de la famille) reconnaît à une personne physique le droit de renoncer à certains de ses biens ou même de les céder mais à la limite de la quotité disponible. Mais nul ne peut renoncer au droit de propriété lui-même en tant qu’aptitude. En effet, les normes internationales ratifiées par la R.D.C. garantissent ce droit (droit de propriété) et l’article 34 de la constitution déclare par ailleurs que « la propriété privée est sacrée ».
Le droit de propriété constitue un droit fondamental, une liberté publique ; il est inaliénable. Aucun individu ne peut le perdre, temporairement ou définitivement, partiellement ou totalement, volontairement ou de force, parce qu’il est inhérent à la personnalité humaine même. Son existence ne dépend ni de la volonté de l’Etat, ni de celle de son titulaire et ni de celle d’une tierce personne.
En plus, l’article 60 de la constitution du 18 février 2006 telle que révisée à ce jour déclare solennellement que : « Le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés dans la constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute personne ».
Ainsi, la volonté du religieux de renoncer à son droit d’être titulaire du droit de propriété est inopérante au regard de la législation congolaise.
2. Le vœu de pauvreté et l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux conformément à l’AUPSRVE
Il est certes vrai que le vœu de pauvreté n’est pas conforme au Droit positif congolais. Mais, il faut avouer que dans la pratique le vœu de pauvreté reste d’application dans pratiquement tous les instituts religieux installés en République Démocratique du Congo et ce, avec tous ses effets sur le patrimoine des religieux.
Dans ces conditions, il est clair que lorsqu’un religieux est condamné à payer une somme d’argent, l’exécution de la décision judiciaire le condamnant peut être problématique étant donné qu’en vertu du vœu de pauvreté le religieux ne peut pratiquement pas avoir des biens. C’est justement en cela que le vœu peut constituer une réelle embûche à l’application fructueuse de l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution. En effet, il va de soi que l’huissier exécutant peut être butté devant une situation de carence des biens du religieux susceptible de faire l’objet de saisie.
Néanmoins, étant donné que le vœu de pauvreté n’est pas conforme au droit congolais, nous estimons que l’acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution pourra tout de même être appliqué si le religieux concerné dispose des biens identifiés ou identifiable indépendamment de son vœu de pauvreté. Tel ne sera pas le cas si pareils biens ne sont pas identifiés ou identifiables.
*L’exécution d’une condamnation pécuniaire contre un religieux ayant des biens identifiés ou identifiables
Lorsque les biens du religieux ou ceux devant lui revenir sont identifiés ou identifiables, ils devront en tout cas faire l’objet de saisie conformément à l’une des formes des saisies prévues par l’acte uniforme du 10 avril 1998 portant procédure simplifiée de recouvrement et voies d’exécution.
Le religieux ne pourra pas se prévaloir avec succès de son vœu de pauvreté qui, avons-nous dit ne peut produire aucun effet juridique parce que contraire au Droit congolais.
Toutefois, nous reconnaissons que l’identification des biens religieux peut paraître difficile dans la pratique. Ce qui sera défavorable à leurs créanciers.
*L’exécution des condamnations pécuniaires contre un religieux n’ayant pas de biens identifiés ou identifiables
Lorsque le religieux condamné à payer une somme d’argent n’a pas de biens identifiés ou indentifiables, l’exécution d’une telle décision ne sera pas possible. L’huissier exécutant ne pourra qu’établir un procès-verbal de carence.
Néanmoins, le bénéficiaire de la décision concernée pourra l’exécuter sur les héritiers du religieux après la mort de ce dernier, mais seulement si ces héritiers n’ont pas renoncé à la succession du religieux.
Par ailleurs, l’exécution de la condamnation pécuniaire à charge du religieux pourra également se faire sur le patrimoine de l’institut religieux ou celui de l’église catholique si le religieux condamné avait agit au nom et pour le compte de l’institut. Mais pour cela il faudrait que l’institut religieux ou l’église ait été préalablement appelée à l’instance comme civilement responsable
CONCLUSION
Notre réflexion a porté sur le problématique de l’exécution des condamnations pécuniaires contre les religieux en application de l’Acte uniforme du 10 avril 1998 au regard de leur vœu de pauvreté. Il était essentiellement question pour nous de réfléchir comment on peut exécuter une condamnation pécuniaire contre un religieux alors que selon le droit canonique les religieux ne peuvent être totalement ou partiellement propriétaire de leurs biens.
Pour répondre à cette question, nous avons réparti notre étude en trois parties essentielles. Dans la première, nous avons analysé le vœu de pauvreté : son fondement et ses effets sur le patrimoine des religieux. Dans la deuxième partie, nous avons abordé les différentes condamnations pécuniaires qu’une personne peut encourir en justice selon le droit congolais. A travers la troisième, nous avons apporté quelques solutions sur la manière dont uns condamnation pécuniaire contre un religieux peut être exécutée en application de l’AUPSRVE en dépit de son vœu de pauvreté.
Ainsi avons-nous estimé que si le religieux ayant fait un vœu de pauvreté a tout de même des biens identifiés ou identifiables, ceux-ci feront l’objet de saisie conformément à l’Acte uniforme précité. Dans le cas contraire, le jugement ne pourra être exécuté ; à moins qu’il ne le soit contre les héritiers du religieux à sa mort. Le jugement ne peut en principe être exécuté contre l’Institut Religieux en tant que civilement responsable que si le religieux avait agi pour le compte l’Institut.
En ce qui nous concerne, nous pensons que le vœu de pauvreté peut constituer une véritable embûche de fait à l’exécution d’une condamnation pécuniaire contre un religieux conformément à l’AUPSRVE. Il est clair que cette situation ne protège pas les bénéficiaires des condamnations pécuniaires et peut même devenir un facteur de discrédit de la justice congolaise. En effet, nous rappelons que l’exécution des décisions judiciaires est l’essence de l’activité du juge et gage d’un Etat de droit. Rien ne sert à gagner une décision judiciaire dont l’exécution est impossible ou incertaine.
En définitive, nous pensons que le vœu de pauvreté des religieux doit être repensé car il n’est pas conforme au droit positif congolais. La position de l’article 22 de la Constitution congolaise à son alinéa 2 est ferme à ce sujet. Nous y lisons : « Toute personne a le droit de manifester sa religion ou ses convictions, seule ou en groupe, tant en public qu’en privé, (…) sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui ».
L’article 56 de la loi n° 004-2001 du 20 juillet 2001 portant dispositions générales applicables aux associations sans but lucratif et aux établissements d’utilité publique à son point 2 ajoute : « Outre les conditions prévues aux articles 4, 6 et 7 de la présente loi, l’association sans but lucratif confessionnelle doit remplir les conditions suivantes : « (…) s’interdire d’édicter des règles ni dispenser des enseignements qui iraient à l’encontre des lois, de bonnes mœurs et de l’ordre public… ».
C’est notamment à cette condition que l’Acte uniforme du 10 avril 1998 pourrait être appliqué avec succès en exécution d’une condition pécuniaire contre un religieux.
LELO PHUATI Evariste
Assistant à l’Université Président Joseph Kasa Vubu en RD. Congo/Boma
Avocat au Barreau de Matadi et Formateur en Droit OHADA
Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Pratique professionnelle.