OHADA Doctrine

Practice of conciliation in matters of OHADA order for payment

Dr Karel Osiris Coffi DOGUE
(LL.D Montréal)
Et
Valencia ILOKI ENGAMBA

Résumé :

L’article 12 de l’AUPSRVE pose le principe de l’obligation prĂ©alable de tenter une conciliation en matiĂšre d’injonction de payer OHADA. Son analyse Ă  laquelle procĂšde cette recherche se dĂ©cline en diverses interrogations au nombre desquelles on peut retenir : quels sont les attributs, les caractĂ©ristiques, que le lĂ©gislateur entendait confĂ©rer Ă  cette conciliation pour la rendre opĂ©rationnelle et capable de se fondre adĂ©quatement dans une procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e de recouvrement de crĂ©ances telle que celle de l’injonction de payer ? Le lĂ©gislateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela se doit cette double fonction du juge qui consiste Ă  concilier et Ă  juger ? En effet, les attributions du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un Ă©ventuel conciliateur de justice, les obligations Ă  imposer aux parties litigantes, le dĂ©lai (lĂ©gal ou raisonnable) dans lequel doit ĂȘtre Ă©ventuellement enfermĂ©e cette phase de conciliation ou son dĂ©clenchement, les sanctions liĂ©es Ă  son inobservation, sont autant de questions laissĂ©es en suspens par le lĂ©gislateur de l’OHADA et que cet Ă©crit recense et traite en profondeur.

Notre contribution se veut utile pour le praticien en ce qu’elle revient toujours sur la position de la CCJA de l’OHADA, vĂ©ritable boussole en matiĂšre d’interprĂ©tation et d’application communes du TraitĂ© et des Actes uniformes OHADA, ainsi que sur les grandes tendances jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
La recherche se veut Ă©galement force de propositions puisqu’à travers les caractĂšres de cette conciliation, ses modalitĂ©s et ses effets, c’est Ă  un diagnostic Ă  double incidence lĂ©gislative et jurisprudentielle que l’auteur se livre de par cette recherche. Il fait ainsi des propositions au lĂ©gislateur de l’OHADA en mĂȘme temps qu’il invite la CCJA Ă  une rĂ©vision profonde de sa position qui, en cette matiĂšre prĂ©cise, a ratĂ© le rendez-vous de l’effectivitĂ© de l’un des modes alternatifs de rĂšglement des diffĂ©rends qu’est la conciliation.

Sommaire :

Virgule introductive

I- Les caractùres de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE
A- Le caractùre obligatoire de la conciliation de l’article 12
1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence
2- Une obligation légale non assortie de sanction
B- Le caractĂšre prĂ©alable de la conciliation de l’article 12

II- La mise en Ɠuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE
A- Les modalitĂ©s concrĂštes de la conciliation de l’article 12
1- L’identification et le statut du conciliateur de l’article 12
2- Les rĂšgles procĂ©durales de la conciliation de l’article 12
B- Les effets de la conciliation de l’article 12
1- Les effets de la réussite de la conciliation
2- Les effets de l’échec de la conciliation

Point conclusif

 

Virgule introductive

L’article 12 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des ProcĂ©dures SimplifiĂ©es de Recouvrement et des Voies d’ExĂ©cution (ci-aprĂšs AUPSRVE ) pose le principe de l’obligation prĂ©alable de tentative de conciliation en matiĂšre d’injonction de payer. Il s’énonce tel qu’il suit :
« La juridiction saisie sur opposition procĂšde Ă  une tentative de conciliation. Si celle-ci aboutit, le prĂ©sident dresse un procĂšs-verbal de conciliation signĂ© par les parties, dont une expĂ©dition est revĂȘtue de la formule exĂ©cutoire.

Si la tentative de conciliation Ă©choue, la juridiction statue immĂ©diatement sur la demande en recouvrement, mĂȘme en l’absence du dĂ©biteur ayant formĂ© opposition, par une dĂ©cision qui aura les effets d’une dĂ©cision contradictoire. ».

Rappelons que l’injonction de payer est, dans l’espace de l’OHADA, la procĂ©dure simplifiĂ©e de recouvrement d’une crĂ©ance qui doit revĂȘtir les caractĂšres cumulatifs de certitude , de liquiditĂ© et d’exigibilitĂ© . Cette crĂ©ance doit ĂȘtre soit de cause contractuelle, soit ĂȘtre une crĂ©ance dont l’engagement rĂ©sulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce
 . Du latin concilio, la conciliation quant Ă  elle est un mode alternatif de rĂšglement des diffĂ©rends que certains auteurs et institutions identifient Ă  tort avec la mĂ©diation . La conciliation peut ĂȘtre dĂ©finie comme la recherche d’un rĂšglement amiable d’un diffĂ©rend, conduite soit par un juge, soit par un conciliateur de justice, soit par un particulier . La conciliation peut donc ĂȘtre judiciaire ou ad hoc. Dans notre cas, le lĂ©gislateur de l’OHADA n’a pas Ă©tĂ© prĂ©cis dans la qualification de cette conciliation . Vu l’environnement procĂ©dural dans lequel il est enclenchĂ©, on pourrait penser d’emblĂ©e Ă  une conciliation judiciaire, conduite par un juge ou un conciliateur de justice nommĂ© par ce dernier ; nous y reviendrons au titre des problĂšmes de cet article 12 AUPSRVE relatifs Ă  ses modalitĂ©s de mise en Ɠuvre. Aussi, comme problĂšme majeur, est-ce en vain que l’on recherche dans les Actes uniformes, la sanction applicable au dĂ©faut de respect de cette exigence lĂ©gale qui, au demeurant, n’est pas commune comme rĂšgle dans de nombreux Etats .

Cette recherche revient Ă©galement sur d’autres problĂšmes juridiques relatifs Ă  l’encadrement thĂ©orique lacunaire et aux modalitĂ©s pratiques dĂ©ficientes de cette tentative de conciliation lĂ©gale prĂ©vue dans le cadre de l’injonction de payer OHADA. En effet, cette tentative de conciliation prĂ©sente un certain nombre d’obstacles qui rendent difficiles l’atteinte des objectifs que s’est fixĂ© le lĂ©gislateur de l’OHADA Ă  son propos. Nous tenterons dans cet article de relever ces obstacles, mais aussi et surtout de proposer des pistes de solutions aux praticiens pour rendre plus efficiente et effective cette conciliation lĂ©gale de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La problématique que pose cet article 12 AUPSRVE se décline en diverses interrogations au nombre desquelles nous pouvons retenir les suivantes :

Quelle sont les caractĂ©ristiques fondamentales de cette conciliation de l’article 12 ? Autrement, quels sont les attributs que le lĂ©gislateur entendait confĂ©rer Ă  cette conciliation pour la rendre opĂ©rationnelle et capable de se fondre adĂ©quatement dans une procĂ©dure accĂ©lĂ©rĂ©e de recouvrement de crĂ©ances telle que celle de l’injonction de payer OHADA ?
Le lĂ©gislateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela se doit cette double fonction du juge qui consiste Ă  concilier et Ă  juger ? En effet, les attributions du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un Ă©ventuel conciliateur de justice, les obligations Ă  imposer aux parties litigantes, le dĂ©lai dans lequel doit ĂȘtre Ă©ventuellement enfermĂ©e cette phase de conciliation ou son dĂ©clenchement, les sanctions liĂ©es Ă  son inobservation, sont autant de questions laissĂ©es en suspens par le lĂ©gislateur de l’OHADA et que nous aborderons. L’analyse du texte permet de constater quelques prĂ©cisions relatives aux effets de cette conciliation. Cependant, le silence du lĂ©gislateur de l’OHADA sur d’autres points permet de soutenir qu’il a voulu confier la tĂąche Ă  la jurisprudence de combler les vides juridiques laissĂ©s dans la charpente juridique de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE ou mĂȘme de bĂątir intĂ©gralement ce rĂ©gime juridique. C’est donc dans la jurisprudence des 17 Etats membres que nous irons chercher Ă  tirer les pistes de solution. Dans ce prolongement, l’analyse de la jurisprudence pertinente permet de se rendre compte de la non perception de l’intĂ©rĂȘt effectif de la conciliation dans la procĂ©dure d’injonction de payer par les acteurs incluant les juges eux-mĂȘmes et les avocats.

Notre article reviendra bien Ă©videmment sur la position de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA, vĂ©ritable boussole en matiĂšre d’interprĂ©tation et d’application communes du TraitĂ©, de ses rĂšglements d’application, des Actes uniformes OHADA et des dĂ©cisions, ainsi que les grandes tendances jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
Pour y arriver nous analyserons d’abord les caractĂšres (I-) de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE et ensuite les modalitĂ©s et effets (II-) de cette conciliation.

I- Les caractùres de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Nous relevons deux catĂ©gories de caractĂšres qui viennent avec un rĂ©gime juridique imprĂ©cis, qu’heureusement la jurisprudence vient clarifier un tant soit peu. Il s’agit du caractĂšre obligatoire (A-) et du caractĂšre prĂ©alable (B-) de la phase de conciliation prĂ©vue par l’article 12 de l’AUPSRVE.

A- Le caractùre obligatoire de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Le caractĂšre obligatoire dĂ©coule de la lettre de l’article 12 AUPSRVE et est confirmĂ© par la jurisprudence (1-). MalgrĂ© cela, on note tout de mĂȘme qu’il n’est assorti d’aucune sanction (2-) comme si le lĂ©gislateur n’avait pas pris toute la mesure de son Ă©diction.

1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence

La lettre de l’article 12 AUPSRVE ne laisse aucun doute quant au caractĂšre obligatoire de la conciliation. En effet, le prĂ©sent indicatif utilisĂ© dans le libellĂ© de l’article 12 AUPSRVE « La juridiction saisie sur opposition procĂšde Ă  une tentative de conciliation. » (nos soulignements), renvoie Ă  une injonction d’avoir Ă  procĂ©der, dĂšs qu’on est saisi sur opposition, Ă  une tentative de conciliation. Cette obligation en principe s’impose d’abord au juge mais aussi aux parties. Le juge doit donc ordonner impĂ©rativement une tentative de conciliation entre les parties Ă  la procĂ©dure et les parties elles-mĂȘmes doivent, Ă  notre avis, obligatoirement rĂ©clamer cette tentative de conciliation avant d’aller de l’avant avec l’injonction de payer. Il ne semble pas du tout exagĂ©rĂ© d’affirmer que mĂȘme les avocats des parties doivent tenter de rapprocher les intĂ©rĂȘts opposĂ©s de leurs clients en Ă©clairant leur avis pour conclure une entente et Ă©viter ainsi un affrontement long et ultimement douloureux Ă  travers le procĂšs. Ce rĂŽle de l’avocat est trĂšs mal perçu.

Une innovation du lĂ©gislateur de l’OHADA est assez notoire ici car en droit français par exemple et dans de nombreux droits continentaux, la procĂ©dure de tentative de conciliation en matiĂšre civile, commerciale et sociale n’est pas obligatoire sauf exception lĂ©gale . De plus, toujours en France, il a Ă©tĂ© instituĂ© pour accompagner cette conciliation lorsque proposĂ©e, le recours aux partenaires externes dits ‘‘conciliateurs de justice’’. Ces derniers exercent leur mission sous le contrĂŽle de la juridiction les ayant dĂ©signĂ© qui en fixe la durĂ©e. L’OHADA ne dit rien Ă  ce propos et n’ayant pas lĂ©gifĂ©rĂ© en matiĂšre de mĂ©diation ou de conciliation, il est encore plus notoire de souligner que le lĂ©gislateur de l’OHADA a plutĂŽt pris le contre pied de ses homologues continentaux notamment français en Ă©rigeant l’obligation de tenter la conciliation comme principe lĂ©gal. C’est ce qu’a su bien confirmer une sĂ©rie de dĂ©cisions concordantes du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou qui retient que la tentative de conciliation prĂ©vue Ă  l’article 12 AUPSRVE est une phase obligatoire (nos soulignements) dans la procĂ©dure d’opposition Ă  injonction de payer .

La surprise est donc Ă  son paroxysme lorsqu’à la suite d’une Ă©diction aussi ferme, on se rend compte que le lĂ©gislateur de l’OHADA n’a prĂ©vu aucune sanction consĂ©cutive au non respect de cette obligation lĂ©gale.

2- Une obligation légale non assortie de sanction

La lecture complĂšte de l’AUPSRVE ne laisse entrevoir nulle part une sanction expresse consĂ©cutive au dĂ©faut d’ordonner ou de rĂ©clamer cette tentative de conciliation obligatoire. On s’attendrait donc Ă  ce que la logique du texte soit respectĂ©e par la jurisprudence lorsque saisie. Et pourtant, la Cour d’appel d’Abidjan a pu, sans coup fĂ©rir, juger que la tentative de conciliation prĂ©alable n’est pas prescrite Ă  peine de nullitĂ©. La violation de l’obligation pour la juridiction saisie de l’opposition, de procĂ©der Ă  une tentative de conciliation, n’est donc pas sanctionnĂ©e par la nullitĂ© du jugement lorsque le juge ne l’exige pas .

Il ne s’agit lĂ  que de la position d’une Cour d’appel nationale, pourrait-on penser. L’analyse de la jurisprudence de la CCJA rĂ©vĂšle une position Ă  la fois sans Ă©quivoque et tranchĂ©e. En effet, dans un attendu lapidaire, la CCJA a rĂ©cemment encore, confirmĂ© la position de la Cour d’appel ivoirienne prĂ©citĂ©e.

« [
] Attendu en effet que l’article 12 de l’Acte uniforme, tout en rendant obligatoire la tentative de conciliation, n’a cependant prĂ©vu aucune sanction quant Ă  son omission ;[
] » ; il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Ce fut aussi la mĂȘme position que la CCJA tint quand elle affirma en 2012 que l’article 12 « prescrit la procĂ©dure prĂ©alable de tentative de conciliation en cas d’opposition d’une ordonnance d’injonction de payer, mais ne sanctionne cependant pas l’absence de l’exercice de cette obligation ».

Il est donc surprenant mais constant dans plusieurs arrĂȘts de la CCJA que, l’omission de la tentative de conciliation ne saurait donc entraĂźner la nullitĂ© du jugement rendu sur opposition, faute de texte prĂ©voyant ladite nullitĂ©, bien que cette formalitĂ© soit obligatoire.

Tout en sachant que la position de la CCJA s’impose Ă  tous, et en respectant l’autoritĂ© de ladite Cour, il faille tout de mĂȘme qu’elle rĂ©vise cette position directement attentatoire Ă  la lettre de l’AUPSRVE et Ă  l’intention du lĂ©gislateur. On ne saurait Ă©dicter une obligation dont la violation serait permissive : il y va de l’autoritĂ© de l’AUPSRVE, de la crĂ©dibilitĂ© de la CCJA et partant, de la sĂ©curitĂ© juridique et judiciaire du droit OHADA.

Une autre justification de notre position peut ĂȘtre tirĂ©e du Nouveau RĂšglement de procĂ©dure de la CCJA 2014 . Ce rĂšglement de procĂ©dure nouveau , modifiant et complĂ©tant celui du 18 avril 1996 prĂ©voit Ă  son article 28 bis (nouveau), de nouveaux motifs de recours en cassation . Au nombre de ces motifs de cassation se trouvent en premier lieu, la « violation de la loi ». Par quelle alchimie juridique, pourrait-on ne pas traiter le dĂ©faut de satisfaire cette exigence lĂ©gale de tenter une conciliation prĂ©alable comme une violation de l’article 12 et donc de la loi ? Nous ne voyons aucun moyen licite de se dĂ©rober Ă  cette analyse. Si l’interprĂ©tation de ce dĂ©faut de tenter une conciliation est donc bel et bien une violation de la loi, alors toutes les dĂ©cisions sur opposition Ă  injonction de payer, qui font l’impasse sur l’obligation de tentative de conciliation de l’art. 12 Ă©tudiĂ© devraient ĂȘtre cassĂ©es pour violation de la loi, dĂšs qu’un pourvoi est Ă©levĂ© contre elles. On reste donc perplexe, face au refus de sanctionner cette violation de l’article 12 de l’AUPSRVE que prĂŽne la CCJA dans sa jurisprudence malgrĂ© plusieurs saisines de justiciables. Vivement que le Nouveau rĂšglement de procĂ©dure soit invoquĂ© et donne une autre base lĂ©gale Ă  la cassation des dĂ©cisions concernĂ©es.

Une dichotomie similaire s’observe Ă©galement Ă  propos de la seconde caractĂ©ristique de cette tentative de conciliation qui est son caractĂšre prĂ©alable.

B- Le caractĂšre prĂ©alable de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

En liminaire, il faut prĂ©ciser comment cette phase de tentative de conciliation est « prĂ©alable » dans l’article 12 AUPSRVE. Le caractĂšre prĂ©alable ne signifie pas que la phase de la tentative de conciliation est une obligation prĂ©alable Ă  la saisine du juge qui a rendu l’ordonnance portant injonction de payer . Le caractĂšre prĂ©alable s’applique d’une part, aprĂšs l’ordonnance d’injonction de payer et d’autre part, aprĂšs l’opposition formĂ©e contre elle, mais avant toute dĂ©cision rendue sur opposition, dĂ©cision qui elle, est susceptible d’appel dans les conditions du droit national de chaque Etat partie .

Il faut aussi distinguer la phase prĂ©alable de conciliation qui est antĂ©rieure Ă  tout dĂ©bat au fond sur l’opposition, d’un Ă©ventuel dĂ©sistement d’action pour rĂšglement Ă  l’amiable ultĂ©rieur qui peut intervenir Ă  toute Ă©tape de la procĂ©dure. Dans ce dernier cas, le juge devrait rendre un vĂ©ritable jugement de dĂ©sistement d’action et non donner acte aux parties du contenu de leur procĂšs-verbal de conciliation qu’il signe.

Ensuite, selon la lettre de l’article 12 AUPSRVE, la demande de tentative de conciliation devrait ĂȘtre faite d’office par le juge saisi de l’opposition. Il ne s’agit pas de la saisine individuelle du juge mĂȘme ayant rendu l’ordonnance portant injonction de payer mais bien « de la juridiction compĂ©tente dont le prĂ©sident a rendu la dĂ©cision d’injonction de payer » . La prĂ©cision est utile puisqu’elle a fait l’objet d’un contentieux tranchĂ© par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de la Menoua qui a Ă©tĂ© conduit Ă  affirmer clairement que :

« La tentative de conciliation prĂ©vue par l’article 12 de l’AUPSRVE relĂšve de la compĂ©tence du tribunal dont le prĂ©sident a rendu l’ordonnance d’injonction de payer et non uniquement de celle de son prĂ©sident » .

C’est donc ici la juridiction qui est visĂ©e et non la personne du PrĂ©sident. C’est la juridiction qui a l’obligation prĂ©alable de dĂ©clencher la tentative de conciliation. On comprend sĂ»rement que dans la pratique c’est pour Ă©viter que des exceptions d’irrecevabilitĂ© soient soulevĂ©es par des plaideurs indĂ©licats prĂ©textant que c’est le mĂȘme juge ayant rendu l’ordonnance d’injonction de payer qui doit connaitre de l’opposition et de facto initier la conciliation prĂ©alable. Cette question est Ă©videmment tranchĂ©e par combinaison des articles 9 et 12 de l’AUPSRVE.

Il peut arriver que le juge, ou plutĂŽt la juridiction, ne dĂ©clenche pas cette tentative prĂ©alable et obligatoire. En pareille circonstance, il nous semble que si une partie diligente, soulĂšve in limine litis ce prĂ©alable, alors le juge doit y faire droit et procĂ©der Ă  la tentative de conciliation obligatoire. C’est Ă  bon droit, ce qu’a retenu le TGI de la Mifi dont la dĂ©cision retient que « la tentative de conciliation prĂ©vue par l’article 12 AUPSRVE doit se faire in limine litis ». La mĂȘme dĂ©cision permet de repousser tout risque de dilatoire que tenterait une partie qui, prĂ©textant de l’omission de cette tentative par le juge, longtemps aprĂšs le dĂ©but de la procĂ©dure d’opposition, la soulĂšve tardivement. Le juge du TGI de la Mifi va ainsi plus loin pour retenir que « la demande du demandeur Ă  l’opposition Ă  une ordonnance d’injonction de payer n’est pas recevable et doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un moyen dilatoire si elle est formulĂ©e six mois aprĂšs l’ouverture de l’instance » .

La question qui survient ici Ă©galement Ă  la lecture de cette analyse est, de suite, quelle est donc la sanction de cette omission de procĂ©der Ă  une tentative de conciliation prĂ©alable et obligatoire ? Il y a effectivement un risque que le juge ne soulĂšve pas d’office ; une possibilitĂ© qu’une partie ne soulĂšve pas in limine litis et une probabilitĂ© qu’elle veuille plus tard s’en prĂ©valoir sans idĂ©e de dilatoire. Comme nous l’avons dĂ©jĂ  vu, le lĂ©gislateur de l’OHADA reste muet et la CCJA, dans une jurisprudence constante , n’a pas jugĂ© cette omission susceptible d’entraĂźner la nullitĂ© du jugement rendu. Il y a donc un droit processuel exprĂšs des parties Ă  la conciliation prĂ©alable et obligatoire mais le manquement Ă  ce droit n’est pas, chose curieuse, assorti de sanction textuelle de la part du lĂ©gislateur et pire, est royalement ignorĂ© par la CCJA.

On peut ĂȘtre d’autant plus surpris que l’on sait que mĂȘme si le principe du rĂ©gime des nullitĂ©s des actes de procĂ©dure en droit OHADA est : pas de nullitĂ© sans texte » et secondairement « pas de nullitĂ© sans grief » , la CCJA a dĂ©jĂ  pu prononcer des nullitĂ©s sans grief . Pourquoi ne pas l’avoir fait ici ? Une premiĂšre explication est que l’article 12 n’affirme pas expressĂ©ment le groupe de mots « Ă  peine de nullitĂ© » qui est la formule magique OHADA des nullitĂ©s textuelles. Une seconde explication serait que rien ne permet de qualifier la phase de conciliation de l’article 12 comme Ă©tant d’ordre public. Une troisiĂšme explication rĂ©siderait dans l’analyse du contexte de la tentative de conciliation prĂ©alable et obligatoire qui s’inscrit dans une procĂ©dure simplifiĂ©e de recouvrement qui est censĂ©e ĂȘtre brĂšve et conduire Ă  une injonction de payer efficace : rendre cette Ă©tape d’ordre public serait contre-productif au regard du contentieux que cela gĂ©nĂ©rerait avec des consĂ©quences trĂšs fĂącheuses. Mais si la troisiĂšme explication est la bonne, alors le lĂ©gislateur a mal pensĂ© l’insertion de ladite procĂ©dure de conciliation et de lege feranda, il devrait revoir l’article 12 et son rĂ©gime juridique dans le cadre de la rĂ©vision en cours de l’AUPSRVE.

Mais de lege lata, il faut trouver une solution au justiciable Ă©ventuellement lĂ©sĂ©. Faut-il alors renvoyer simplement au droit commun de la responsabilitĂ© civile pour essayer de trouver une solution. A ce niveau, on se heurte Ă  la rĂ©alitĂ© que la tentative de conciliation demeure une simple tentative sans issue certaine pour l’une comme l’autre des parties, ce qui rend l’apprĂ©ciation des dommages et intĂ©rĂȘts hypothĂ©tique et illusoire en cas de demande, surtout quant Ă  la preuve du prĂ©judice subi qui, lui aussi, reste trĂšs hypothĂ©tique. C’est d’ailleurs ce que rappelle dans un premier temps, et ce Ă  quoi dans un second temps, la CCJA renvoie le plaignant dans son arrĂȘt n°096/2012 du 20 dĂ©cembre 2012 oĂč elle affirme que l’article 12 de l’AUPSRVE :
« […] ne subordonne nullement la validitĂ© du jugement Ă  intervenir aprĂšs opposition Ă  la procĂ©dure de tentative de conciliation qui peut aboutir ou qui peut ĂȘtre soldĂ© par un Ă©chec, [
] ; que sauf si Monsieur KENGNE POKAM Emmanuel dĂ©montre que l’absence de conciliation lui a causĂ© un prĂ©judice, la Cour ne peut sanctionner la nullitĂ© du jugement. » (nos soulignements).

Le rĂ©gime de cet article 12 est donc celui d’une nullitĂ© non seulement virtuelle mais qui exige un grief pour prospĂ©rer ! Nous le dĂ©plorons tout de mĂȘme. Il ne reste plus qu’à appeler en pareille occurrence Ă  la rescousse, la jurisprudence Ă©trangĂšre relative Ă  la perte d’une chance , qui seule, peut aider un tant soit peu le justiciable qui se sent lĂ©sĂ©.

Nos critiques sont encore plus acerbes quant Ă  l’organisation des dĂ©tails de la procĂ©dure de tentative de conciliation prĂ©alable et obligatoire et leurs consĂ©quences.

II- La mise en Ɠuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

La mise en Ɠuvre de la tentative de conciliation n’est pas du tout dĂ©taillĂ©e par le lĂ©gislateur de l’OHADA. En effet, il est restĂ© quasiment muet sur les modalitĂ©s (A-) de cette phase prĂ©alable et obligatoire de l’injonction de payer, pour subitement s’étendre en partie sur ses effets (B-).

A- Les modalitĂ©s concrĂštes de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Plusieurs questions restent en suspens quand on s’intĂ©resse au dĂ©roulement exact de la phase de conciliation de l’article 12. Certaines ont trait Ă  l’identification et au statut du conciliateur et d’autres Ă  la procĂ©dure de conciliation elle-mĂȘme.

1- L’identification et le statut du conciliateur

a. La personne du conciliateur
La procĂ©dure de conciliation lĂ©gale OHADA Ă©tant au cƓur d’une procĂ©dure judiciaire d’injonction de payer est-il obligatoire de laisser la direction de cette conciliation au mĂȘme juge ou bien serait- il possible de choisir un tiers ? Qui devrait ĂȘtre ce tiers le cas Ă©chĂ©ant ? En l’absence de prĂ©cision du lĂ©gislateur de l’OHADA dans l’article 12 de l’AUPSRVE ici analysĂ©, et face Ă  l’inexistence d’un Acte uniforme sur la mĂ©diation ou la conciliation OHADA, il est permis de penser que le champ des possibles quant Ă  la personne du conciliateur est vaste. En effet, il peut s’agir du juge lui-mĂȘme c’est-Ă -dire du prĂ©sident de la juridiction saisie aprĂšs opposition et qui a l’obligation de procĂ©der Ă  la conciliation prĂ©alable et obligatoire. C’est l’analyse Ă©galement tirĂ©e des travaux prĂ©paratoires de l’AUPSRVE et confortĂ©e par le besoin de simplification mais surtout de cĂ©lĂ©ritĂ© de la procĂ©dure d’injonction de payer. Rien n’interdist cependant qu’il puisse s’agir aussi d’un conciliateur de justice nommĂ© par le mĂȘme juge prĂ©citĂ©. Enfin il pourrait s’agir d’une tierce personne choisie par le juge ou mĂȘme par les parties si le juge les y autorise.

En fait, pour trancher le dĂ©bat, la lecture combinĂ©e des articles 12 et 33 traitant des titres exĂ©cutoires dans l’espace OHADA nous conduit Ă  confirmer que le lĂ©gislateur de l’OHADA pensait Ă  priori uniquement au juge comme conciliateur puisqu’il ne reconnaĂźt comme titre exĂ©cutoire qu’un procĂšs-verbal signĂ© par le juge et les parties. On aurait donc pas tord de dire, en plus des arguments Ă©noncĂ©s prĂ©cĂ©demment, et vu que sa signature est forcĂ©ment requise pour donner autoritĂ© de dĂ©cision judiciaire Ă  l’entente de conciliation consignĂ©e dans un procĂšs-verbal, qu’à priori, le lĂ©gislateur n’entendait attribuer cette facultĂ© de conciliation qu’au juge, prĂ©sident de la juridiction compĂ©tente.

Au demeurant, Ă  notre humble avis, rien ne devrait s’opposer Ă  ce que le juge valide une tierce personne proposĂ©e de commun accord par les parties si tant est que le but de cette procĂ©dure est d’arriver le plus vite possible Ă  un rĂšglement amiable et dĂ©finitif du litige sur la base du procĂšs-verbal de conciliation Ă  homologuer plus tard par le juge qui y apposerait sa signature. Si l’autonomie de la volontĂ© des parties, substrat de tout procĂ©dĂ© de rĂšglement amiable de diffĂ©rend, peut mieux aider Ă  atteindre cette rĂ©alitĂ©, alors ce serait Ă  encourager et l’article 33 ne devrait pas ĂȘtre lu dans le sens de limiter la conduite de la conciliation par le juge seul.

A contre-courant du recours Ă  des tiers que nous proposons ainsi, il faut relever pour le dĂ©plorer, qu’on observe malheureusement l’inexistence d’une professionnalisation en corporation de la fonction de conciliateur dans l’espace de l’OHADA . En effet, l’accĂšs Ă  la mission de conciliateur n’est pas rĂ©glementĂ© et est entiĂšrement libre en Afrique. Il n’existe pas Ă  notre connaissance un processus particulier d’habilitation avec des exigences et des qualifications prĂ©cises pour ĂȘtre conciliateur.

En tout Ă©tat de cause, qu’il soit juge ou tiers prĂ©vu par la rĂ©glementation applicable, dĂ©signĂ© derechef ou sur consensus des parties, la personnalitĂ© du conciliateur est essentielle. Il devrait ĂȘtre Ă  la fois expert du domaine sur lequel porte le diffĂ©rend, diplomate, juriste, andragogue averti, psychologue et mĂȘme psychanalyste parfois ! Il doit pouvoir saisir aisĂ©ment les pratiques, usages et mode de raisonnement des acteurs en prĂ©sence pour s’en tenir au peu.
Au-delà des éléments de la personnalité du conciliateur, il y a forcément des critÚres tenant à son statut.

b. Le statut du conciliateur
Au regard de la libertĂ© observĂ©e dans l’encadrement institutionnel de la conciliation et mĂȘme de la mĂ©diation professionnelle en Afrique, il faille tout de mĂȘme que le lĂ©gislateur de l’OHADA revoit et fixe certaines obligations dĂ©ontologiques qui constituerait le statut du conciliateur et s’imposeraient Ă  lui.

  • Quant aux pouvoirs et attributions du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Le conciliateur a-t-il pour attributions de vĂ©rifier l’étendue des pouvoirs des reprĂ©sentants en cas de mandat de reprĂ©sentation car les parties Ă  ce stade se font souvent reprĂ©senter par des personnes qui n’ont en rĂ©alitĂ© aucune marge de manƓuvre. Ces personnes sont lĂ  comme des moutons de panurge et se contentent d’objecter aux prĂ©tentions de l’autre partie sans pouvoir concĂ©der quoi que soit. Dans cette occurrence, le lĂ©gislateur ne devrait-il pas faire observer une obligation de prĂ©sence effective des parties demanderesse et dĂ©fenderesse ? Et si par extraordinaire une des parties devrait se faire reprĂ©senter, qu’elle le fasse par une personne habilitĂ©e Ă  « nĂ©gocier » au vrai sens du terme. Cela nous semble le minimum si on veut confĂ©rer Ă  cette phase de conciliation son plein potentiel dans la rĂ©solution du conflit. Le conciliateur devrait donc Ă  notre avis, avoir le pouvoir de refuser une reprĂ©sentation si elle n’est pas bien libellĂ©e Ă  l’effet gĂ©nĂ©ral d’autoriser le mandataire pendant la procĂ©dure de conciliation Ă  prendre toute mesure susceptible de concilier les intĂ©rĂȘts en prĂ©sence. Cette exigence pourrait dĂ©couler de cette obligation implicite des parties prenantes Ă  la conciliation de tenter la conciliation de bonne foi.

  • Quant aux obligations du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE

    -Respect du caractĂšre public de la procĂ©dure d’injonction de payer et obligation de confidentialitĂ© imposĂ©e au conciliateur
    Cette exigence de respect du caractĂšre public de la procĂ©dure d’injonction de payer, appelle de suite l’une des principales obligations du conciliateur qui est celle de l’obligation de confidentialitĂ©. Sachant les modes alternatifs de rĂšglement des conflits par nature empreints de confidentialitĂ© , nous sommes conduits Ă  nous demander si cette conciliation est obligatoirement publique ou si le juge peut en dĂ©cider autrement de son propre chef ou sur demande d’une partie. La pertinence du questionnement rĂ©side dans le caractĂšre par essence contradictoire et public de la procĂ©dure d’injonction de payer au sein de laquelle est introduite la conciliation qui se veut intrinsĂšquement confidentielle.

    Nous pensons que le silence du lĂ©gislateur de l’OHADA devrait permettre de laisser place au pouvoir prĂ©torien du juge. En effet, le juge devrait conserver la latitude , s’il est saisi d’une demande motivĂ©e visant Ă  requĂ©rir la confidentialitĂ© ou non de cette conciliation, d’y faire droit ou de la rejeter selon les arguments avancĂ©s et les intĂ©rĂȘts en prĂ©sence. Cette position qui est la nĂŽtre semble entĂ©rinĂ©e par les droits continentaux qui en majoritĂ© Ă©noncent le principe gĂ©nĂ©ral mais permettent les amĂ©nagements conventionnels de cette obligation de confidentialitĂ©. S’il est loisible de dĂ©roger conventionnellement Ă  cette obligation de confidentialitĂ©, elle n’est donc a priori pas impĂ©rative.

    S’il fallait cependant avoir un avis tranchĂ© et sans concession possible Ă  l’autonomie de la volontĂ©, sur la confidentialitĂ©, nous nous alignerions sur la tendance actuelle du lĂ©gislateur de l’OHADA qui, dans la perspective de la rĂ©forme de l’Acte uniforme portant organisation des procĂ©dures collectives d’apurement du passif adoptĂ© en 1998 et entrĂ© en vigueur en 1999, a prĂ©vu l’insertion d’une phase de conciliation caractĂ©risĂ©e par son caractĂšre confidentiel. Le lĂ©gislateur prend donc le parti de prĂ©ciser cette modalitĂ© de la conciliation spĂ©ciale OHADA.

    -Obligation d’impartialitĂ© du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Il est de principe qu’un mĂ©diateur soit impartial. Comme en matiĂšre d’arbitrage, le mĂ©diateur doit donc Ă©viter tout conflit d’intĂ©rĂȘts et mĂȘme toute apparence de conflit d’intĂ©rĂȘts. Il y a donc une double acception de l’impartialitĂ© ici. La premiĂšre, objective, qui veut qu’on dĂ©montre soi-mĂȘme l’impartialitĂ© mais la seconde, subjective, qui veut qu’on apparaisse comme tel aux yeux des parties et des tiers c’est-Ă -dire qu’il n’y a pas de facteurs ou mĂȘme des indices laissant entrevoir une apparence de conflit d’intĂ©rĂȘts. Le conciliateur ne devrait donc pas accepter de mandats d’arbitre ou de conseil d’une partie Ă  la conciliation en tout ce qui pourrait avoir trait au diffĂ©rend qu’il a aidĂ© Ă  concilier.
  • Quant Ă  la responsabilitĂ© du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Le conciliateur pourra ĂȘtre tenu d’une sĂ©rie de responsabilitĂ©s fonctions des actions qu’il pose et des fautes Ă©ventuelles qu’il commet. C’est ainsi qu’il pourra voir sa responsabilitĂ© pĂ©nale mise en jeu s’il commet des infractions de droit commun telle que la violation ou la divulgation du secret professionnel, le dĂ©lit d’initiĂ©, etc. Il pourra bien entendu ĂȘtre tenu d’une responsabilitĂ© dĂ©lictuelle Ă  l’égard des tiers pour tout fait prĂ©judiciable Ă  ces derniers et Ă  lui imputable. Les parties ne pourront que tout naturellement retenir Ă  son encontre une responsabilitĂ© de nature contractuelle sous rĂ©serve des stipulations spĂ©cifiques du contrat de conciliation s’il y en a un. Sinon, c’est une obligation de moyen qui s’impose Ă  lui avec toutes ses consĂ©quences de droit.

    Au final, le juge qui siĂšge comme conciliateur, tel que ce peut ĂȘtre le cas pour l’article 12 de l’AUPSRVE encourt le risque de ces responsabilitĂ©s spĂ©cifiques. A ces derniĂšres s’ajoute une responsabilitĂ© professionnelle s’il fait partie d’un corps professionnel rĂ©gi par un code d’éthique, un code de dĂ©ontologie et/ou d’autres rĂšgles corporatives qu’il ne respecte pas.

2- Les rĂšgles procĂ©durales de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE

Le silence du lĂ©gislateur sur les modalitĂ©s procĂ©durales de mise en Ɠuvre de l’article 12 AUPSRVE est pathologique Ă  plus d’un titre. Primo, on pourrait s’interroger sur la pertinence de l’application du principe du contradictoire. En effet, en arbitrage, ce principe directeur du procĂšs est cardinal mais en mĂ©diation, on peut douter de son efficacitĂ©. En conciliation, le partage d’information non stratĂ©gique et non confidentielle est important mais le mĂ©diateur use surtout Ă  notre avis de techniques de communication et de procĂ©dĂ©s d’orientation du processus individuel de prise de dĂ©cisions. Le principe du contradictoire est donc secondaire. Cependant, le conciliateur peut, Ă  cet effet, faire des rencontres sĂ©parĂ©es avec les parties qualifiĂ©es de « caucus » . Il peut et devrait utiliser toutes mĂ©thodes licites devant permettre de concilier les parties. Ce faisant, il doit inspirer confiance et faire preuve de loyautĂ© et de neutralitĂ© envers les parties. Sa loyautĂ© implique par exemple qu’il ne livre aucune information sensible portant sur les secrets d’affaires d’une ou des deux parties mĂȘme si ces informations seraient utiles pour sa conciliation.

Secundo, dans quel dĂ©lai Ă  compter de l’opposition Ă  l’ordonnance d’injonction de payer le juge doit-il obliger les parties Ă  se concilier ? Le lĂ©gislateur est restĂ© muet lĂ -dessus. Connaissant l’exigence de cĂ©lĂ©ritĂ© propre Ă  l’injonction de payer OHADA, nous pensons qu’il faille recourir Ă  une mise en Ɠuvre « Ă  bref dĂ©lai » tel que le lĂ©gislateur a dĂ©jĂ  eu Ă  l’exiger ailleurs dans les Actes uniformes.

Tertio, traitant toujours de dĂ©lai, on peut se demander si le juge-conciliateur peut enfermer les parties dans un dĂ©lai impĂ©ratif pour s’entendre, faute de quoi il considĂ©rerait la conciliation comme ayant Ă©chouĂ© ? Nous restons convaincus que sans pouvoir limiter techniquement la conciliation a un laps de temps qu’il fixe, le juge peut octroyer un dĂ©lai raisonnable aux parties pour s’entendre Ă  l’issu duquel, il pourrait tirer les conclusions qui s’imposent. L’apprĂ©ciation du dĂ©lai raisonnable ici sera faite au cas par cas en fonction des Ă©lĂ©ments en prĂ©sence.

Ainsi se dĂ©clinent Ă  notre avis, certaines des prĂ©cisions lacunaires Ă  faire quant Ă  l’édiction de cette tentative de conciliation prĂ©alable et obligatoire de l’article 12 de l’AUPSRVE. C’est en principe aprĂšs avoir Ă©noncĂ© ces dĂ©tails que le lĂ©gislateur aurait pu traiter des effets de ladite conciliation.

B- Les effets de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE

Ces effets diffĂšrent selon que la conciliation rĂ©ussit et aboutit Ă  une entente signĂ©e des parties et du juge conciliateur ou Ă©choue en laissant se poursuivre les suites de la procĂ©dure d’opposition Ă  injonction de payer.

1- Les effets de la rĂ©ussite de la conciliation de l’article 12

Le libellĂ© du second membre de phrase de l’article 12 est sans Ă©quivoque sur l’effet d’une conciliation rĂ©ussie. Celle-ci confĂšre Ă  l’objet de l’entente, aprĂšs Ă©tablissement d’un procĂšs-verbal signĂ© des parties et apposition de la formule exĂ©cutoire , les caractĂšres d’un titre exĂ©cutoire . La juridiction compĂ©tente informĂ©e, mĂȘme par simple dĂ©claration conjointe , doit prendre acte de la conciliation, leur donner acte de leur accord amiable et, par consĂ©quent, ordonner la radiation du dossier du rĂŽle . Il en va de mĂȘme lorsque les reprĂ©sentants lĂ©gaux des parties ont dĂ»ment signĂ© un protocole d’accord de remboursement comportant outre l’entente sur le montant principal, les frais accessoires ainsi que les modalitĂ©s de paiement de ladite somme et que ce document porte Ă©galement la signature du vice-prĂ©sident du tribunal et du greffier, mĂȘme s’il n’est pas datĂ© . La consĂ©quence directe de cela Ă©tant d’ordonner la main levĂ©e de la saisie conservatoire de la crĂ©ance pratiquĂ©e sur les comptes bancaires du dĂ©biteur .

Une jurisprudence a mĂȘme constatĂ© qu’un accord de conciliation selon l’article 12 AUPSRVE, met fin Ă  la procĂ©dure d’injonction de payer nonobstant le fait qu’il soit intervenu au cours de l’instance en appel . Il en sera de mĂȘme si cette conciliation intervient de mĂȘme avant l’audience. Une juridiction est allĂ©e encore plus loin lorsqu’elle prĂ©cise que ‘‘les conventions lĂ©galement formĂ©es tiennent lieu de la loi Ă  ceux qui les ont faites et doivent ĂȘtre exĂ©cutĂ©es de bonne foi’’. DĂšs lors, est de mauvaise foi et doit voir son moyen rejetĂ©, un opposant qui soulĂšve une exception de fin de non recevoir pour dĂ©faut de qualitĂ© des parties, et refuse de payer alors qu’il a Ă©tĂ© mentionnĂ© expressĂ©ment comme Ă©tant une des parties signataires dans le protocole d’accord fixant les modalitĂ©s de rĂšglement du prix de vente des vĂ©hicules [
]’’ .

Les effets d’une conciliation rĂ©ussie ne sont pas pour autant complexes, comparĂ©s aux suites rĂ©servĂ©es Ă  une conciliation qui Ă©choue et qui laisse place au dĂ©roulement de la procĂ©dure d’opposition.

2- Les effets de l’échec de la conciliation de l’article 12

L’échec de la conciliation est souvent dĂ©duit du dĂ©faut de prĂ©sentation d’une des parties en l’occurrence le dĂ©biteur. En effet, la pratique permet de constater que l’opposant Ă  l’injonction de payer, le dĂ©biteur, s’abstient souvent simplement de venir Ă  la conciliation ou de se faire dĂ»ment reprĂ©senter Ă  celle-ci. Le TGI de Ouagadougou retient simplement que « l’opposant est censĂ© avoir renoncĂ© Ă  l’instance lorsque, bien qu’ayant Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement appelĂ© Ă  cette tentative de conciliation, il n’a pas comparu, ni personne pour lui. Il y a lieu donc de valider l’ordonnance portant injonction de payer » . C’est donc en toute logique qu’au nombre des suites de l’échec de la conciliation et dĂšs lors que le dĂ©biteur ne conteste pas devoir Ă  son crĂ©ancier le montant de la crĂ©ance spĂ©cifiĂ©e sur l’ordonnance d’injonction de payer, il est tenu au paiement .

Pour ce qui est des droits de la dĂ©fense, il a Ă©tĂ© clairement jugĂ© que la partie demanderesse Ă  l’opposition ne saurait ignorer la phase prĂ©alable et obligatoire de conciliation. En Ă©tant dĂ©faillante, elle n’a pas entendu valablement se prĂ©valoir de ses moyens de dĂ©fense. Il convient dĂšs lors de confirmer l’ordonnance portant injonction de payer . C’est ce qu’a confirmĂ© la mĂȘme juridiction burkinabĂš lorsqu’elle affirmait de maniĂšre incisive que la phase prĂ©alable de conciliation ne peut avoir pour effet de priver le plaideur de tout ou partie de ses moyens de dĂ©fense Ă  la reprise des dĂ©bats aprĂšs Ă©chec de conciliation . Elle va plus loin cependant en ajoutant que le juge ou la juridiction ne retrouve sa fonction de dire le droit qu’une fois que l’échec de la conciliation est consommĂ©. DĂšs lors, les plaideurs retrouvent tous leurs moyens de dĂ©fense, aussi bien de forme et de procĂ©dure, que de fond, en vue du succĂšs de leurs prĂ©tentions conformĂ©ment Ă  la portĂ©e des dispositions prĂ©vues Ă  l’alinĂ©a 2 de l’article 12 AUPSRVE .

Cette portĂ©e de l’échec de la conciliation sur les pouvoirs prĂ©toriens du juge est prĂ©cisĂ©e par la CCJA qui prĂŽne qu’il est Ă©vident qu’en cas d’échec de la conciliation, le juge reprend son impĂ©rium complet sur le litige et son aboutissement.

« qu’ainsi, le juge saisi de l’opposition Ă  injonction de payer connaĂźt de l’entiĂšretĂ© du litige et rend, en cas d’échec de la tentative de conciliation des parties, une dĂ©cision qui se substitue Ă  l’ordonnance d’injonction de payer en examinant tous les aspects du litige et, sans mĂ©connaĂźtre les caractĂšres de certitude, de liquiditĂ© et d’exigibilitĂ© de la crĂ©ance, peut en arrĂȘter le montant au regard des piĂšces et des textes applicables 
 » .

Bien entendu, l’échec de la conciliation ne saurait empĂȘcher que le juge se prononce sur l’opposition ayant toujours son objet. On sait que l’opposition remet les parties dans l’état antĂ©rieur et permet d’examiner Ă  nouveau le fond du litige et de vĂ©rifier la rĂ©gularitĂ© de la procĂ©dure qui peut aboutir Ă  un rejet ou non.

Point conclusif

La prĂ©sente Ă©tude relĂšve plusieurs tendances pouvant expliquer la pratique dĂ©ficiente de la conciliation prĂ©alable et obligatoire de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La premiĂšre est une mĂ©connaissance ou une ignorance des caractĂšres obligatoire et prĂ©alable de l’obligation de conciliation surtout par le juge mais aussi par les parties et leurs conseils au niveau de nos juridictions mĂȘme si cette ignorance est marginale. On pourrait penser que les raisons, Ă  priori, de cet Ă©tat de choses sont Ă  rechercher dans un conservatisme qui ne dit pas son nom et qui s’expliquerait par la peur du nouveau ; les doutes quant Ă  la rĂ©elle efficacitĂ© de la phase de conciliation qu’on accuse d’allonger au contraire les dĂ©lais d’une procĂ©dure requĂ©rant une extrĂȘme cĂ©lĂ©ritĂ© ; l’inaptitude du juge aux techniques de conciliation ; la baisse supposĂ©e du chiffre d’affaires des avocats et autres conseils qui tirent avantage de la multiplicitĂ© des contentieux. Mais loin de jeter la pierre aux praticiens, il nous semble que les raisons sont ailleurs. On les retrouve dans une seconde hypothĂšse que cette recherche jurisprudentielle a confirmĂ©.

La seconde tendance, effective celle-lĂ , est surtout que les acteurs judiciaires connaissent bien l’existence de la procĂ©dure mais, sachant que le dĂ©faut de respect de cette exigence lĂ©gale est dĂ©nuĂ© de tout effet coercitif Ă  proprement parler, selon la jurisprudence constante de la CCJA, ils se contentent de la fouler au pied concluant trĂšs souvent hĂątivement, Ă  l’échec de la conciliation alors mĂȘme qu’ils n’ont pas invitĂ© les parties Ă  ce prĂ©alable de conciliation obligatoire en matiĂšre d’injonction de payer OHADA.

Face Ă  ce constat, il est indispensable de souhaiter vivement que la CCJA rĂ©vise sa position sur la sanction du dĂ©faut de respect des caractĂšres prĂ©alable et obligatoire de la tentative de conciliation en matiĂšre d’injonction de payer. Le droit n’est pas la force, n’est pas synonyme d’office de sanction, mais le droit a besoin de la sanction pour ĂȘtre respectĂ© !
Une autre alternative, que nous ne recommandons pas du tout, serait que le lĂ©gislateur, Ă  l’occasion de la rĂ©forme en cours de cet Acte uniforme phare de l’OHADA, portant sur les procĂ©dures simplifiĂ©es de recouvrement et les voies d’exĂ©cution, pense Ă  revoir le texte de l’article 12 pour rendre cette procĂ©dure clairement facultative . La consĂ©quence fĂącheuse serait que la conciliation perdrait ainsi sa place de choix dans l’injonction de payer OHADA mais au moins, on aurait un texte qui serait respectĂ© et force resterait au droit, Ă  la loi. La sĂ©curitĂ© juridique Ă  travers une meilleure prĂ©visibilitĂ© lĂ©gislative et jurisprudentielle s’en trouverait renforcĂ©e Ă  travers les dĂ©cisions de la Haute Cour supranationale.

Une fois encore, nous ne saurions recommander ce virement lĂ©gislatif d’autant plus que le lĂ©gislateur communautaire est en train d’insĂ©rer une procĂ©dure similaire de conciliation prĂ©alable dans le cadre du projet de rĂ©vision de l’AUPCAP en marge du rĂšglement prĂ©ventif . Dans le mĂȘme sens, nous nous opposons Ă  ce revirement lĂ©gislatif qui serait certes une solution mais la moins indiquĂ©e au regard du fait que l’article 24.1 (nouveau) de l’Acte uniforme portant Organisation des ProcĂ©dures Collectives d’Apurement du Passif (AUPCAP), instaure lui aussi, une nouvelle procĂ©dure de liquidation simplifiĂ©e qui s’apparente Ă  un mode de rĂšglement allĂ©gĂ© et amiable des difficultĂ©s de l’entreprise.

Comme on le constate, la tendance en droit de l’OHADA en est Ă  la confirmation de l’insertion des autres modes alternatifs de rĂšglement des conflits (MARC) en plus de l’arbitrage, dans les Actes uniformes. C’est une tendance Ă  encourager et qui devrait culminer avec l’adoption prochaine d’un Acte uniforme sur la mĂ©diation commerciale dans l’espace OHADA. Toutefois, cette adoption ne serait salutaire que si le lĂ©gislateur fait plus attention au rĂ©gime pratique de ces MARC afin d’en prĂ©ciser le contenu et les sanctions le cas Ă©chĂ©ant. Vivement que ces quelques lignes aident Ă  une meilleure opĂ©rationnalitĂ© des MARC dĂ©jĂ  prĂ©vus ainsi que ceux Ă  venir, dans le corpus iuris de l’OHADA.

Dr Karel Osiris Coffi DOGUE,
(LL.D Montréal)
Et
Valencia ILOKI ENGAMBA

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.