Doctrine OHADA

Pratique de la conciliation en matière d’injonction de payer OHADA

Dr Karel Osiris Coffi DOGUE
(LL.D Montréal)
Et
Valencia ILOKI ENGAMBA

Résumé :

L’article 12 de l’AUPSRVE pose le principe de l’obligation préalable de tenter une conciliation en matière d’injonction de payer OHADA. Son analyse à laquelle procède cette recherche se décline en diverses interrogations au nombre desquelles on peut retenir : quels sont les attributs, les caractéristiques, que le législateur entendait conférer à cette conciliation pour la rendre opérationnelle et capable de se fondre adéquatement dans une procédure accélérée de recouvrement de créances telle que celle de l’injonction de payer ? Le législateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela se doit cette double fonction du juge qui consiste à concilier et à juger ? En effet, les attributions du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un éventuel conciliateur de justice, les obligations à imposer aux parties litigantes, le délai (légal ou raisonnable) dans lequel doit être éventuellement enfermée cette phase de conciliation ou son déclenchement, les sanctions liées à son inobservation, sont autant de questions laissées en suspens par le législateur de l’OHADA et que cet écrit recense et traite en profondeur.

Notre contribution se veut utile pour le praticien en ce qu’elle revient toujours sur la position de la CCJA de l’OHADA, véritable boussole en matière d’interprétation et d’application communes du Traité et des Actes uniformes OHADA, ainsi que sur les grandes tendances jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
La recherche se veut également force de propositions puisqu’à travers les caractères de cette conciliation, ses modalités et ses effets, c’est à un diagnostic à double incidence législative et jurisprudentielle que l’auteur se livre de par cette recherche. Il fait ainsi des propositions au législateur de l’OHADA en même temps qu’il invite la CCJA à une révision profonde de sa position qui, en cette matière précise, a raté le rendez-vous de l’effectivité de l’un des modes alternatifs de règlement des différends qu’est la conciliation.

Sommaire :

Virgule introductive

I- Les caractères de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE
A- Le caractère obligatoire de la conciliation de l’article 12
1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence
2- Une obligation légale non assortie de sanction
B- Le caractère préalable de la conciliation de l’article 12

II- La mise en œuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE
A- Les modalités concrètes de la conciliation de l’article 12
1- L’identification et le statut du conciliateur de l’article 12
2- Les règles procédurales de la conciliation de l’article 12
B- Les effets de la conciliation de l’article 12
1- Les effets de la réussite de la conciliation
2- Les effets de l’échec de la conciliation

Point conclusif

 

Virgule introductive

L’article 12 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (ci-après AUPSRVE ) pose le principe de l’obligation préalable de tentative de conciliation en matière d’injonction de payer. Il s’énonce tel qu’il suit :
« La juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation. Si celle-ci aboutit, le président dresse un procès-verbal de conciliation signé par les parties, dont une expédition est revêtue de la formule exécutoire.

Si la tentative de conciliation échoue, la juridiction statue immédiatement sur la demande en recouvrement, même en l’absence du débiteur ayant formé opposition, par une décision qui aura les effets d’une décision contradictoire. ».

Rappelons que l’injonction de payer est, dans l’espace de l’OHADA, la procédure simplifiée de recouvrement d’une créance qui doit revêtir les caractères cumulatifs de certitude , de liquidité et d’exigibilité . Cette créance doit être soit de cause contractuelle, soit être une créance dont l’engagement résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce… . Du latin concilio, la conciliation quant à elle est un mode alternatif de règlement des différends que certains auteurs et institutions identifient à tort avec la médiation . La conciliation peut être définie comme la recherche d’un règlement amiable d’un différend, conduite soit par un juge, soit par un conciliateur de justice, soit par un particulier . La conciliation peut donc être judiciaire ou ad hoc. Dans notre cas, le législateur de l’OHADA n’a pas été précis dans la qualification de cette conciliation . Vu l’environnement procédural dans lequel il est enclenché, on pourrait penser d’emblée à une conciliation judiciaire, conduite par un juge ou un conciliateur de justice nommé par ce dernier ; nous y reviendrons au titre des problèmes de cet article 12 AUPSRVE relatifs à ses modalités de mise en œuvre. Aussi, comme problème majeur, est-ce en vain que l’on recherche dans les Actes uniformes, la sanction applicable au défaut de respect de cette exigence légale qui, au demeurant, n’est pas commune comme règle dans de nombreux Etats .

Cette recherche revient également sur d’autres problèmes juridiques relatifs à l’encadrement théorique lacunaire et aux modalités pratiques déficientes de cette tentative de conciliation légale prévue dans le cadre de l’injonction de payer OHADA. En effet, cette tentative de conciliation présente un certain nombre d’obstacles qui rendent difficiles l’atteinte des objectifs que s’est fixé le législateur de l’OHADA à son propos. Nous tenterons dans cet article de relever ces obstacles, mais aussi et surtout de proposer des pistes de solutions aux praticiens pour rendre plus efficiente et effective cette conciliation légale de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La problématique que pose cet article 12 AUPSRVE se décline en diverses interrogations au nombre desquelles nous pouvons retenir les suivantes :

Quelle sont les caractéristiques fondamentales de cette conciliation de l’article 12 ? Autrement, quels sont les attributs que le législateur entendait conférer à cette conciliation pour la rendre opérationnelle et capable de se fondre adéquatement dans une procédure accélérée de recouvrement de créances telle que celle de l’injonction de payer OHADA ?
Le législateur de l’OHADA encadre-t-il comme cela se doit cette double fonction du juge qui consiste à concilier et à juger ? En effet, les attributions du juge-conciliateur, les qualifications et obligations d’un éventuel conciliateur de justice, les obligations à imposer aux parties litigantes, le délai dans lequel doit être éventuellement enfermée cette phase de conciliation ou son déclenchement, les sanctions liées à son inobservation, sont autant de questions laissées en suspens par le législateur de l’OHADA et que nous aborderons. L’analyse du texte permet de constater quelques précisions relatives aux effets de cette conciliation. Cependant, le silence du législateur de l’OHADA sur d’autres points permet de soutenir qu’il a voulu confier la tâche à la jurisprudence de combler les vides juridiques laissés dans la charpente juridique de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE ou même de bâtir intégralement ce régime juridique. C’est donc dans la jurisprudence des 17 Etats membres que nous irons chercher à tirer les pistes de solution. Dans ce prolongement, l’analyse de la jurisprudence pertinente permet de se rendre compte de la non perception de l’intérêt effectif de la conciliation dans la procédure d’injonction de payer par les acteurs incluant les juges eux-mêmes et les avocats.

Notre article reviendra bien évidemment sur la position de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA, véritable boussole en matière d’interprétation et d’application communes du Traité, de ses règlements d’application, des Actes uniformes OHADA et des décisions, ainsi que les grandes tendances jurisprudentielles des cours et tribunaux nationaux sur la question.
Pour y arriver nous analyserons d’abord les caractères (I-) de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE et ensuite les modalités et effets (II-) de cette conciliation.

I- Les caractères de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Nous relevons deux catégories de caractères qui viennent avec un régime juridique imprécis, qu’heureusement la jurisprudence vient clarifier un tant soit peu. Il s’agit du caractère obligatoire (A-) et du caractère préalable (B-) de la phase de conciliation prévue par l’article 12 de l’AUPSRVE.

A- Le caractère obligatoire de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Le caractère obligatoire découle de la lettre de l’article 12 AUPSRVE et est confirmé par la jurisprudence (1-). Malgré cela, on note tout de même qu’il n’est assorti d’aucune sanction (2-) comme si le législateur n’avait pas pris toute la mesure de son édiction.

1- Une obligation légale implicite, confirmée par la jurisprudence

La lettre de l’article 12 AUPSRVE ne laisse aucun doute quant au caractère obligatoire de la conciliation. En effet, le présent indicatif utilisé dans le libellé de l’article 12 AUPSRVE « La juridiction saisie sur opposition procède à une tentative de conciliation. » (nos soulignements), renvoie à une injonction d’avoir à procéder, dès qu’on est saisi sur opposition, à une tentative de conciliation. Cette obligation en principe s’impose d’abord au juge mais aussi aux parties. Le juge doit donc ordonner impérativement une tentative de conciliation entre les parties à la procédure et les parties elles-mêmes doivent, à notre avis, obligatoirement réclamer cette tentative de conciliation avant d’aller de l’avant avec l’injonction de payer. Il ne semble pas du tout exagéré d’affirmer que même les avocats des parties doivent tenter de rapprocher les intérêts opposés de leurs clients en éclairant leur avis pour conclure une entente et éviter ainsi un affrontement long et ultimement douloureux à travers le procès. Ce rôle de l’avocat est très mal perçu.

Une innovation du législateur de l’OHADA est assez notoire ici car en droit français par exemple et dans de nombreux droits continentaux, la procédure de tentative de conciliation en matière civile, commerciale et sociale n’est pas obligatoire sauf exception légale . De plus, toujours en France, il a été institué pour accompagner cette conciliation lorsque proposée, le recours aux partenaires externes dits ‘‘conciliateurs de justice’’. Ces derniers exercent leur mission sous le contrôle de la juridiction les ayant désigné qui en fixe la durée. L’OHADA ne dit rien à ce propos et n’ayant pas légiféré en matière de médiation ou de conciliation, il est encore plus notoire de souligner que le législateur de l’OHADA a plutôt pris le contre pied de ses homologues continentaux notamment français en érigeant l’obligation de tenter la conciliation comme principe légal. C’est ce qu’a su bien confirmer une série de décisions concordantes du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou qui retient que la tentative de conciliation prévue à l’article 12 AUPSRVE est une phase obligatoire (nos soulignements) dans la procédure d’opposition à injonction de payer .

La surprise est donc à son paroxysme lorsqu’à la suite d’une édiction aussi ferme, on se rend compte que le législateur de l’OHADA n’a prévu aucune sanction consécutive au non respect de cette obligation légale.

2- Une obligation légale non assortie de sanction

La lecture complète de l’AUPSRVE ne laisse entrevoir nulle part une sanction expresse consécutive au défaut d’ordonner ou de réclamer cette tentative de conciliation obligatoire. On s’attendrait donc à ce que la logique du texte soit respectée par la jurisprudence lorsque saisie. Et pourtant, la Cour d’appel d’Abidjan a pu, sans coup férir, juger que la tentative de conciliation préalable n’est pas prescrite à peine de nullité. La violation de l’obligation pour la juridiction saisie de l’opposition, de procéder à une tentative de conciliation, n’est donc pas sanctionnée par la nullité du jugement lorsque le juge ne l’exige pas .

Il ne s’agit là que de la position d’une Cour d’appel nationale, pourrait-on penser. L’analyse de la jurisprudence de la CCJA révèle une position à la fois sans équivoque et tranchée. En effet, dans un attendu lapidaire, la CCJA a récemment encore, confirmé la position de la Cour d’appel ivoirienne précitée.

« […] Attendu en effet que l’article 12 de l’Acte uniforme, tout en rendant obligatoire la tentative de conciliation, n’a cependant prévu aucune sanction quant à son omission ;[…] » ; il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Ce fut aussi la même position que la CCJA tint quand elle affirma en 2012 que l’article 12 « prescrit la procédure préalable de tentative de conciliation en cas d’opposition d’une ordonnance d’injonction de payer, mais ne sanctionne cependant pas l’absence de l’exercice de cette obligation ».

Il est donc surprenant mais constant dans plusieurs arrêts de la CCJA que, l’omission de la tentative de conciliation ne saurait donc entraîner la nullité du jugement rendu sur opposition, faute de texte prévoyant ladite nullité, bien que cette formalité soit obligatoire.

Tout en sachant que la position de la CCJA s’impose à tous, et en respectant l’autorité de ladite Cour, il faille tout de même qu’elle révise cette position directement attentatoire à la lettre de l’AUPSRVE et à l’intention du législateur. On ne saurait édicter une obligation dont la violation serait permissive : il y va de l’autorité de l’AUPSRVE, de la crédibilité de la CCJA et partant, de la sécurité juridique et judiciaire du droit OHADA.

Une autre justification de notre position peut être tirée du Nouveau Règlement de procédure de la CCJA 2014 . Ce règlement de procédure nouveau , modifiant et complétant celui du 18 avril 1996 prévoit à son article 28 bis (nouveau), de nouveaux motifs de recours en cassation . Au nombre de ces motifs de cassation se trouvent en premier lieu, la « violation de la loi ». Par quelle alchimie juridique, pourrait-on ne pas traiter le défaut de satisfaire cette exigence légale de tenter une conciliation préalable comme une violation de l’article 12 et donc de la loi ? Nous ne voyons aucun moyen licite de se dérober à cette analyse. Si l’interprétation de ce défaut de tenter une conciliation est donc bel et bien une violation de la loi, alors toutes les décisions sur opposition à injonction de payer, qui font l’impasse sur l’obligation de tentative de conciliation de l’art. 12 étudié devraient être cassées pour violation de la loi, dès qu’un pourvoi est élevé contre elles. On reste donc perplexe, face au refus de sanctionner cette violation de l’article 12 de l’AUPSRVE que prône la CCJA dans sa jurisprudence malgré plusieurs saisines de justiciables. Vivement que le Nouveau règlement de procédure soit invoqué et donne une autre base légale à la cassation des décisions concernées.

Une dichotomie similaire s’observe également à propos de la seconde caractéristique de cette tentative de conciliation qui est son caractère préalable.

B- Le caractère préalable de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

En liminaire, il faut préciser comment cette phase de tentative de conciliation est « préalable » dans l’article 12 AUPSRVE. Le caractère préalable ne signifie pas que la phase de la tentative de conciliation est une obligation préalable à la saisine du juge qui a rendu l’ordonnance portant injonction de payer . Le caractère préalable s’applique d’une part, après l’ordonnance d’injonction de payer et d’autre part, après l’opposition formée contre elle, mais avant toute décision rendue sur opposition, décision qui elle, est susceptible d’appel dans les conditions du droit national de chaque Etat partie .

Il faut aussi distinguer la phase préalable de conciliation qui est antérieure à tout débat au fond sur l’opposition, d’un éventuel désistement d’action pour règlement à l’amiable ultérieur qui peut intervenir à toute étape de la procédure. Dans ce dernier cas, le juge devrait rendre un véritable jugement de désistement d’action et non donner acte aux parties du contenu de leur procès-verbal de conciliation qu’il signe.

Ensuite, selon la lettre de l’article 12 AUPSRVE, la demande de tentative de conciliation devrait être faite d’office par le juge saisi de l’opposition. Il ne s’agit pas de la saisine individuelle du juge même ayant rendu l’ordonnance portant injonction de payer mais bien « de la juridiction compétente dont le président a rendu la décision d’injonction de payer » . La précision est utile puisqu’elle a fait l’objet d’un contentieux tranché par le Tribunal de Grande Instance (TGI) de la Menoua qui a été conduit à affirmer clairement que :

« La tentative de conciliation prévue par l’article 12 de l’AUPSRVE relève de la compétence du tribunal dont le président a rendu l’ordonnance d’injonction de payer et non uniquement de celle de son président » .

C’est donc ici la juridiction qui est visée et non la personne du Président. C’est la juridiction qui a l’obligation préalable de déclencher la tentative de conciliation. On comprend sûrement que dans la pratique c’est pour éviter que des exceptions d’irrecevabilité soient soulevées par des plaideurs indélicats prétextant que c’est le même juge ayant rendu l’ordonnance d’injonction de payer qui doit connaitre de l’opposition et de facto initier la conciliation préalable. Cette question est évidemment tranchée par combinaison des articles 9 et 12 de l’AUPSRVE.

Il peut arriver que le juge, ou plutôt la juridiction, ne déclenche pas cette tentative préalable et obligatoire. En pareille circonstance, il nous semble que si une partie diligente, soulève in limine litis ce préalable, alors le juge doit y faire droit et procéder à la tentative de conciliation obligatoire. C’est à bon droit, ce qu’a retenu le TGI de la Mifi dont la décision retient que « la tentative de conciliation prévue par l’article 12 AUPSRVE doit se faire in limine litis ». La même décision permet de repousser tout risque de dilatoire que tenterait une partie qui, prétextant de l’omission de cette tentative par le juge, longtemps après le début de la procédure d’opposition, la soulève tardivement. Le juge du TGI de la Mifi va ainsi plus loin pour retenir que « la demande du demandeur à l’opposition à une ordonnance d’injonction de payer n’est pas recevable et doit être considérée comme un moyen dilatoire si elle est formulée six mois après l’ouverture de l’instance » .

La question qui survient ici également à la lecture de cette analyse est, de suite, quelle est donc la sanction de cette omission de procéder à une tentative de conciliation préalable et obligatoire ? Il y a effectivement un risque que le juge ne soulève pas d’office ; une possibilité qu’une partie ne soulève pas in limine litis et une probabilité qu’elle veuille plus tard s’en prévaloir sans idée de dilatoire. Comme nous l’avons déjà vu, le législateur de l’OHADA reste muet et la CCJA, dans une jurisprudence constante , n’a pas jugé cette omission susceptible d’entraîner la nullité du jugement rendu. Il y a donc un droit processuel exprès des parties à la conciliation préalable et obligatoire mais le manquement à ce droit n’est pas, chose curieuse, assorti de sanction textuelle de la part du législateur et pire, est royalement ignoré par la CCJA.

On peut être d’autant plus surpris que l’on sait que même si le principe du régime des nullités des actes de procédure en droit OHADA est : pas de nullité sans texte » et secondairement « pas de nullité sans grief » , la CCJA a déjà pu prononcer des nullités sans grief . Pourquoi ne pas l’avoir fait ici ? Une première explication est que l’article 12 n’affirme pas expressément le groupe de mots « à peine de nullité » qui est la formule magique OHADA des nullités textuelles. Une seconde explication serait que rien ne permet de qualifier la phase de conciliation de l’article 12 comme étant d’ordre public. Une troisième explication résiderait dans l’analyse du contexte de la tentative de conciliation préalable et obligatoire qui s’inscrit dans une procédure simplifiée de recouvrement qui est censée être brève et conduire à une injonction de payer efficace : rendre cette étape d’ordre public serait contre-productif au regard du contentieux que cela générerait avec des conséquences très fâcheuses. Mais si la troisième explication est la bonne, alors le législateur a mal pensé l’insertion de ladite procédure de conciliation et de lege feranda, il devrait revoir l’article 12 et son régime juridique dans le cadre de la révision en cours de l’AUPSRVE.

Mais de lege lata, il faut trouver une solution au justiciable éventuellement lésé. Faut-il alors renvoyer simplement au droit commun de la responsabilité civile pour essayer de trouver une solution. A ce niveau, on se heurte à la réalité que la tentative de conciliation demeure une simple tentative sans issue certaine pour l’une comme l’autre des parties, ce qui rend l’appréciation des dommages et intérêts hypothétique et illusoire en cas de demande, surtout quant à la preuve du préjudice subi qui, lui aussi, reste très hypothétique. C’est d’ailleurs ce que rappelle dans un premier temps, et ce à quoi dans un second temps, la CCJA renvoie le plaignant dans son arrêt n°096/2012 du 20 décembre 2012 où elle affirme que l’article 12 de l’AUPSRVE :
« […] ne subordonne nullement la validité du jugement à intervenir après opposition à la procédure de tentative de conciliation qui peut aboutir ou qui peut être soldé par un échec, […] ; que sauf si Monsieur KENGNE POKAM Emmanuel démontre que l’absence de conciliation lui a causé un préjudice, la Cour ne peut sanctionner la nullité du jugement. » (nos soulignements).

Le régime de cet article 12 est donc celui d’une nullité non seulement virtuelle mais qui exige un grief pour prospérer ! Nous le déplorons tout de même. Il ne reste plus qu’à appeler en pareille occurrence à la rescousse, la jurisprudence étrangère relative à la perte d’une chance , qui seule, peut aider un tant soit peu le justiciable qui se sent lésé.

Nos critiques sont encore plus acerbes quant à l’organisation des détails de la procédure de tentative de conciliation préalable et obligatoire et leurs conséquences.

II- La mise en œuvre de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

La mise en œuvre de la tentative de conciliation n’est pas du tout détaillée par le législateur de l’OHADA. En effet, il est resté quasiment muet sur les modalités (A-) de cette phase préalable et obligatoire de l’injonction de payer, pour subitement s’étendre en partie sur ses effets (B-).

A- Les modalités concrètes de la conciliation de l’article 12 de l’AUPSRVE

Plusieurs questions restent en suspens quand on s’intéresse au déroulement exact de la phase de conciliation de l’article 12. Certaines ont trait à l’identification et au statut du conciliateur et d’autres à la procédure de conciliation elle-même.

1- L’identification et le statut du conciliateur

a. La personne du conciliateur
La procédure de conciliation légale OHADA étant au cœur d’une procédure judiciaire d’injonction de payer est-il obligatoire de laisser la direction de cette conciliation au même juge ou bien serait- il possible de choisir un tiers ? Qui devrait être ce tiers le cas échéant ? En l’absence de précision du législateur de l’OHADA dans l’article 12 de l’AUPSRVE ici analysé, et face à l’inexistence d’un Acte uniforme sur la médiation ou la conciliation OHADA, il est permis de penser que le champ des possibles quant à la personne du conciliateur est vaste. En effet, il peut s’agir du juge lui-même c’est-à-dire du président de la juridiction saisie après opposition et qui a l’obligation de procéder à la conciliation préalable et obligatoire. C’est l’analyse également tirée des travaux préparatoires de l’AUPSRVE et confortée par le besoin de simplification mais surtout de célérité de la procédure d’injonction de payer. Rien n’interdist cependant qu’il puisse s’agir aussi d’un conciliateur de justice nommé par le même juge précité. Enfin il pourrait s’agir d’une tierce personne choisie par le juge ou même par les parties si le juge les y autorise.

En fait, pour trancher le débat, la lecture combinée des articles 12 et 33 traitant des titres exécutoires dans l’espace OHADA nous conduit à confirmer que le législateur de l’OHADA pensait à priori uniquement au juge comme conciliateur puisqu’il ne reconnaît comme titre exécutoire qu’un procès-verbal signé par le juge et les parties. On aurait donc pas tord de dire, en plus des arguments énoncés précédemment, et vu que sa signature est forcément requise pour donner autorité de décision judiciaire à l’entente de conciliation consignée dans un procès-verbal, qu’à priori, le législateur n’entendait attribuer cette faculté de conciliation qu’au juge, président de la juridiction compétente.

Au demeurant, à notre humble avis, rien ne devrait s’opposer à ce que le juge valide une tierce personne proposée de commun accord par les parties si tant est que le but de cette procédure est d’arriver le plus vite possible à un règlement amiable et définitif du litige sur la base du procès-verbal de conciliation à homologuer plus tard par le juge qui y apposerait sa signature. Si l’autonomie de la volonté des parties, substrat de tout procédé de règlement amiable de différend, peut mieux aider à atteindre cette réalité, alors ce serait à encourager et l’article 33 ne devrait pas être lu dans le sens de limiter la conduite de la conciliation par le juge seul.

A contre-courant du recours à des tiers que nous proposons ainsi, il faut relever pour le déplorer, qu’on observe malheureusement l’inexistence d’une professionnalisation en corporation de la fonction de conciliateur dans l’espace de l’OHADA . En effet, l’accès à la mission de conciliateur n’est pas réglementé et est entièrement libre en Afrique. Il n’existe pas à notre connaissance un processus particulier d’habilitation avec des exigences et des qualifications précises pour être conciliateur.

En tout état de cause, qu’il soit juge ou tiers prévu par la réglementation applicable, désigné derechef ou sur consensus des parties, la personnalité du conciliateur est essentielle. Il devrait être à la fois expert du domaine sur lequel porte le différend, diplomate, juriste, andragogue averti, psychologue et même psychanalyste parfois ! Il doit pouvoir saisir aisément les pratiques, usages et mode de raisonnement des acteurs en présence pour s’en tenir au peu.
Au-delà des éléments de la personnalité du conciliateur, il y a forcément des critères tenant à son statut.

b. Le statut du conciliateur
Au regard de la liberté observée dans l’encadrement institutionnel de la conciliation et même de la médiation professionnelle en Afrique, il faille tout de même que le législateur de l’OHADA revoit et fixe certaines obligations déontologiques qui constituerait le statut du conciliateur et s’imposeraient à lui.

  • Quant aux pouvoirs et attributions du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Le conciliateur a-t-il pour attributions de vérifier l’étendue des pouvoirs des représentants en cas de mandat de représentation car les parties à ce stade se font souvent représenter par des personnes qui n’ont en réalité aucune marge de manœuvre. Ces personnes sont là comme des moutons de panurge et se contentent d’objecter aux prétentions de l’autre partie sans pouvoir concéder quoi que soit. Dans cette occurrence, le législateur ne devrait-il pas faire observer une obligation de présence effective des parties demanderesse et défenderesse ? Et si par extraordinaire une des parties devrait se faire représenter, qu’elle le fasse par une personne habilitée à « négocier » au vrai sens du terme. Cela nous semble le minimum si on veut conférer à cette phase de conciliation son plein potentiel dans la résolution du conflit. Le conciliateur devrait donc à notre avis, avoir le pouvoir de refuser une représentation si elle n’est pas bien libellée à l’effet général d’autoriser le mandataire pendant la procédure de conciliation à prendre toute mesure susceptible de concilier les intérêts en présence. Cette exigence pourrait découler de cette obligation implicite des parties prenantes à la conciliation de tenter la conciliation de bonne foi.

  • Quant aux obligations du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE

    -Respect du caractère public de la procédure d’injonction de payer et obligation de confidentialité imposée au conciliateur
    Cette exigence de respect du caractère public de la procédure d’injonction de payer, appelle de suite l’une des principales obligations du conciliateur qui est celle de l’obligation de confidentialité. Sachant les modes alternatifs de règlement des conflits par nature empreints de confidentialité , nous sommes conduits à nous demander si cette conciliation est obligatoirement publique ou si le juge peut en décider autrement de son propre chef ou sur demande d’une partie. La pertinence du questionnement réside dans le caractère par essence contradictoire et public de la procédure d’injonction de payer au sein de laquelle est introduite la conciliation qui se veut intrinsèquement confidentielle.

    Nous pensons que le silence du législateur de l’OHADA devrait permettre de laisser place au pouvoir prétorien du juge. En effet, le juge devrait conserver la latitude , s’il est saisi d’une demande motivée visant à requérir la confidentialité ou non de cette conciliation, d’y faire droit ou de la rejeter selon les arguments avancés et les intérêts en présence. Cette position qui est la nôtre semble entérinée par les droits continentaux qui en majorité énoncent le principe général mais permettent les aménagements conventionnels de cette obligation de confidentialité. S’il est loisible de déroger conventionnellement à cette obligation de confidentialité, elle n’est donc a priori pas impérative.

    S’il fallait cependant avoir un avis tranché et sans concession possible à l’autonomie de la volonté, sur la confidentialité, nous nous alignerions sur la tendance actuelle du législateur de l’OHADA qui, dans la perspective de la réforme de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif adopté en 1998 et entré en vigueur en 1999, a prévu l’insertion d’une phase de conciliation caractérisée par son caractère confidentiel. Le législateur prend donc le parti de préciser cette modalité de la conciliation spéciale OHADA.

    -Obligation d’impartialité du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Il est de principe qu’un médiateur soit impartial. Comme en matière d’arbitrage, le médiateur doit donc éviter tout conflit d’intérêts et même toute apparence de conflit d’intérêts. Il y a donc une double acception de l’impartialité ici. La première, objective, qui veut qu’on démontre soi-même l’impartialité mais la seconde, subjective, qui veut qu’on apparaisse comme tel aux yeux des parties et des tiers c’est-à-dire qu’il n’y a pas de facteurs ou même des indices laissant entrevoir une apparence de conflit d’intérêts. Le conciliateur ne devrait donc pas accepter de mandats d’arbitre ou de conseil d’une partie à la conciliation en tout ce qui pourrait avoir trait au différend qu’il a aidé à concilier.
  • Quant à la responsabilité du conciliateur de l’article 12 de l’AUPSRVE
    Le conciliateur pourra être tenu d’une série de responsabilités fonctions des actions qu’il pose et des fautes éventuelles qu’il commet. C’est ainsi qu’il pourra voir sa responsabilité pénale mise en jeu s’il commet des infractions de droit commun telle que la violation ou la divulgation du secret professionnel, le délit d’initié, etc. Il pourra bien entendu être tenu d’une responsabilité délictuelle à l’égard des tiers pour tout fait préjudiciable à ces derniers et à lui imputable. Les parties ne pourront que tout naturellement retenir à son encontre une responsabilité de nature contractuelle sous réserve des stipulations spécifiques du contrat de conciliation s’il y en a un. Sinon, c’est une obligation de moyen qui s’impose à lui avec toutes ses conséquences de droit.

    Au final, le juge qui siège comme conciliateur, tel que ce peut être le cas pour l’article 12 de l’AUPSRVE encourt le risque de ces responsabilités spécifiques. A ces dernières s’ajoute une responsabilité professionnelle s’il fait partie d’un corps professionnel régi par un code d’éthique, un code de déontologie et/ou d’autres règles corporatives qu’il ne respecte pas.

2- Les règles procédurales de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE

Le silence du législateur sur les modalités procédurales de mise en œuvre de l’article 12 AUPSRVE est pathologique à plus d’un titre. Primo, on pourrait s’interroger sur la pertinence de l’application du principe du contradictoire. En effet, en arbitrage, ce principe directeur du procès est cardinal mais en médiation, on peut douter de son efficacité. En conciliation, le partage d’information non stratégique et non confidentielle est important mais le médiateur use surtout à notre avis de techniques de communication et de procédés d’orientation du processus individuel de prise de décisions. Le principe du contradictoire est donc secondaire. Cependant, le conciliateur peut, à cet effet, faire des rencontres séparées avec les parties qualifiées de « caucus » . Il peut et devrait utiliser toutes méthodes licites devant permettre de concilier les parties. Ce faisant, il doit inspirer confiance et faire preuve de loyauté et de neutralité envers les parties. Sa loyauté implique par exemple qu’il ne livre aucune information sensible portant sur les secrets d’affaires d’une ou des deux parties même si ces informations seraient utiles pour sa conciliation.

Secundo, dans quel délai à compter de l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer le juge doit-il obliger les parties à se concilier ? Le législateur est resté muet là-dessus. Connaissant l’exigence de célérité propre à l’injonction de payer OHADA, nous pensons qu’il faille recourir à une mise en œuvre « à bref délai » tel que le législateur a déjà eu à l’exiger ailleurs dans les Actes uniformes.

Tertio, traitant toujours de délai, on peut se demander si le juge-conciliateur peut enfermer les parties dans un délai impératif pour s’entendre, faute de quoi il considérerait la conciliation comme ayant échoué ? Nous restons convaincus que sans pouvoir limiter techniquement la conciliation a un laps de temps qu’il fixe, le juge peut octroyer un délai raisonnable aux parties pour s’entendre à l’issu duquel, il pourrait tirer les conclusions qui s’imposent. L’appréciation du délai raisonnable ici sera faite au cas par cas en fonction des éléments en présence.

Ainsi se déclinent à notre avis, certaines des précisions lacunaires à faire quant à l’édiction de cette tentative de conciliation préalable et obligatoire de l’article 12 de l’AUPSRVE. C’est en principe après avoir énoncé ces détails que le législateur aurait pu traiter des effets de ladite conciliation.

B- Les effets de la conciliation de l’article 12 AUPSRVE

Ces effets diffèrent selon que la conciliation réussit et aboutit à une entente signée des parties et du juge conciliateur ou échoue en laissant se poursuivre les suites de la procédure d’opposition à injonction de payer.

1- Les effets de la réussite de la conciliation de l’article 12

Le libellé du second membre de phrase de l’article 12 est sans équivoque sur l’effet d’une conciliation réussie. Celle-ci confère à l’objet de l’entente, après établissement d’un procès-verbal signé des parties et apposition de la formule exécutoire , les caractères d’un titre exécutoire . La juridiction compétente informée, même par simple déclaration conjointe , doit prendre acte de la conciliation, leur donner acte de leur accord amiable et, par conséquent, ordonner la radiation du dossier du rôle . Il en va de même lorsque les représentants légaux des parties ont dûment signé un protocole d’accord de remboursement comportant outre l’entente sur le montant principal, les frais accessoires ainsi que les modalités de paiement de ladite somme et que ce document porte également la signature du vice-président du tribunal et du greffier, même s’il n’est pas daté . La conséquence directe de cela étant d’ordonner la main levée de la saisie conservatoire de la créance pratiquée sur les comptes bancaires du débiteur .

Une jurisprudence a même constaté qu’un accord de conciliation selon l’article 12 AUPSRVE, met fin à la procédure d’injonction de payer nonobstant le fait qu’il soit intervenu au cours de l’instance en appel . Il en sera de même si cette conciliation intervient de même avant l’audience. Une juridiction est allée encore plus loin lorsqu’elle précise que ‘‘les conventions légalement formées tiennent lieu de la loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi’’. Dès lors, est de mauvaise foi et doit voir son moyen rejeté, un opposant qui soulève une exception de fin de non recevoir pour défaut de qualité des parties, et refuse de payer alors qu’il a été mentionné expressément comme étant une des parties signataires dans le protocole d’accord fixant les modalités de règlement du prix de vente des véhicules […]’’ .

Les effets d’une conciliation réussie ne sont pas pour autant complexes, comparés aux suites réservées à une conciliation qui échoue et qui laisse place au déroulement de la procédure d’opposition.

2- Les effets de l’échec de la conciliation de l’article 12

L’échec de la conciliation est souvent déduit du défaut de présentation d’une des parties en l’occurrence le débiteur. En effet, la pratique permet de constater que l’opposant à l’injonction de payer, le débiteur, s’abstient souvent simplement de venir à la conciliation ou de se faire dûment représenter à celle-ci. Le TGI de Ouagadougou retient simplement que « l’opposant est censé avoir renoncé à l’instance lorsque, bien qu’ayant été régulièrement appelé à cette tentative de conciliation, il n’a pas comparu, ni personne pour lui. Il y a lieu donc de valider l’ordonnance portant injonction de payer » . C’est donc en toute logique qu’au nombre des suites de l’échec de la conciliation et dès lors que le débiteur ne conteste pas devoir à son créancier le montant de la créance spécifiée sur l’ordonnance d’injonction de payer, il est tenu au paiement .

Pour ce qui est des droits de la défense, il a été clairement jugé que la partie demanderesse à l’opposition ne saurait ignorer la phase préalable et obligatoire de conciliation. En étant défaillante, elle n’a pas entendu valablement se prévaloir de ses moyens de défense. Il convient dès lors de confirmer l’ordonnance portant injonction de payer . C’est ce qu’a confirmé la même juridiction burkinabè lorsqu’elle affirmait de manière incisive que la phase préalable de conciliation ne peut avoir pour effet de priver le plaideur de tout ou partie de ses moyens de défense à la reprise des débats après échec de conciliation . Elle va plus loin cependant en ajoutant que le juge ou la juridiction ne retrouve sa fonction de dire le droit qu’une fois que l’échec de la conciliation est consommé. Dès lors, les plaideurs retrouvent tous leurs moyens de défense, aussi bien de forme et de procédure, que de fond, en vue du succès de leurs prétentions conformément à la portée des dispositions prévues à l’alinéa 2 de l’article 12 AUPSRVE .

Cette portée de l’échec de la conciliation sur les pouvoirs prétoriens du juge est précisée par la CCJA qui prône qu’il est évident qu’en cas d’échec de la conciliation, le juge reprend son impérium complet sur le litige et son aboutissement.

« qu’ainsi, le juge saisi de l’opposition à injonction de payer connaît de l’entièreté du litige et rend, en cas d’échec de la tentative de conciliation des parties, une décision qui se substitue à l’ordonnance d’injonction de payer en examinant tous les aspects du litige et, sans méconnaître les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité de la créance, peut en arrêter le montant au regard des pièces et des textes applicables … » .

Bien entendu, l’échec de la conciliation ne saurait empêcher que le juge se prononce sur l’opposition ayant toujours son objet. On sait que l’opposition remet les parties dans l’état antérieur et permet d’examiner à nouveau le fond du litige et de vérifier la régularité de la procédure qui peut aboutir à un rejet ou non.

Point conclusif

La présente étude relève plusieurs tendances pouvant expliquer la pratique déficiente de la conciliation préalable et obligatoire de l’article 12 de l’AUPSRVE.
La première est une méconnaissance ou une ignorance des caractères obligatoire et préalable de l’obligation de conciliation surtout par le juge mais aussi par les parties et leurs conseils au niveau de nos juridictions même si cette ignorance est marginale. On pourrait penser que les raisons, à priori, de cet état de choses sont à rechercher dans un conservatisme qui ne dit pas son nom et qui s’expliquerait par la peur du nouveau ; les doutes quant à la réelle efficacité de la phase de conciliation qu’on accuse d’allonger au contraire les délais d’une procédure requérant une extrême célérité ; l’inaptitude du juge aux techniques de conciliation ; la baisse supposée du chiffre d’affaires des avocats et autres conseils qui tirent avantage de la multiplicité des contentieux. Mais loin de jeter la pierre aux praticiens, il nous semble que les raisons sont ailleurs. On les retrouve dans une seconde hypothèse que cette recherche jurisprudentielle a confirmé.

La seconde tendance, effective celle-là, est surtout que les acteurs judiciaires connaissent bien l’existence de la procédure mais, sachant que le défaut de respect de cette exigence légale est dénué de tout effet coercitif à proprement parler, selon la jurisprudence constante de la CCJA, ils se contentent de la fouler au pied concluant très souvent hâtivement, à l’échec de la conciliation alors même qu’ils n’ont pas invité les parties à ce préalable de conciliation obligatoire en matière d’injonction de payer OHADA.

Face à ce constat, il est indispensable de souhaiter vivement que la CCJA révise sa position sur la sanction du défaut de respect des caractères préalable et obligatoire de la tentative de conciliation en matière d’injonction de payer. Le droit n’est pas la force, n’est pas synonyme d’office de sanction, mais le droit a besoin de la sanction pour être respecté !
Une autre alternative, que nous ne recommandons pas du tout, serait que le législateur, à l’occasion de la réforme en cours de cet Acte uniforme phare de l’OHADA, portant sur les procédures simplifiées de recouvrement et les voies d’exécution, pense à revoir le texte de l’article 12 pour rendre cette procédure clairement facultative . La conséquence fâcheuse serait que la conciliation perdrait ainsi sa place de choix dans l’injonction de payer OHADA mais au moins, on aurait un texte qui serait respecté et force resterait au droit, à la loi. La sécurité juridique à travers une meilleure prévisibilité législative et jurisprudentielle s’en trouverait renforcée à travers les décisions de la Haute Cour supranationale.

Une fois encore, nous ne saurions recommander ce virement législatif d’autant plus que le législateur communautaire est en train d’insérer une procédure similaire de conciliation préalable dans le cadre du projet de révision de l’AUPCAP en marge du règlement préventif . Dans le même sens, nous nous opposons à ce revirement législatif qui serait certes une solution mais la moins indiquée au regard du fait que l’article 24.1 (nouveau) de l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures Collectives d’Apurement du Passif (AUPCAP), instaure lui aussi, une nouvelle procédure de liquidation simplifiée qui s’apparente à un mode de règlement allégé et amiable des difficultés de l’entreprise.

Comme on le constate, la tendance en droit de l’OHADA en est à la confirmation de l’insertion des autres modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) en plus de l’arbitrage, dans les Actes uniformes. C’est une tendance à encourager et qui devrait culminer avec l’adoption prochaine d’un Acte uniforme sur la médiation commerciale dans l’espace OHADA. Toutefois, cette adoption ne serait salutaire que si le législateur fait plus attention au régime pratique de ces MARC afin d’en préciser le contenu et les sanctions le cas échéant. Vivement que ces quelques lignes aident à une meilleure opérationnalité des MARC déjà prévus ainsi que ceux à venir, dans le corpus iuris de l’OHADA.

Dr Karel Osiris Coffi DOGUE,
(LL.D Montréal)
Et
Valencia ILOKI ENGAMBA

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.