NJUTAPVOUI Zakari
Docteur en Droit des Affaires,
Assistant au Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala
INTRODUCTION
« Paye-moi ! Tant que je ne serai pas payĂ©, je garderai la chose » . Cette formule consacre ce quâil est convenu dâappeler le droit de rĂ©tention . Ce droit, issu des articles 67 et suivants du nouvel Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s permet Ă un crĂ©ancier de retenir entre ses mains lâobjet quâil doit restituer Ă son dĂ©biteur tant que celui-ci ne lâa pas lui-mĂȘme payĂ© .
Au sein des sĂ»retĂ©s mobiliĂšres prĂ©vues par lâarticle 50 de lâActe uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s , le droit de rĂ©tention occupe une place prĂ©occupante . Si lâadmission de ce droit ne fait lâobjet dâaucune controverse , sa nature et sa fonction divisent la doctrine . Câest donc sans surprise quâon peut bien se poser la question de savoir si au regard des nouvelles dispositions de lâActe uniforme sur les sĂ»retĂ©s, le droit de rĂ©tention apparaĂźt comme une sĂ»retĂ© active ou une sĂ»retĂ© passive.
Sous le rĂ©gime de lâancien Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, le droit de rĂ©tention apparaissait comme une sorte de gage lĂ©gal, qui permettait au rĂ©tenteur de poursuivre la vente forcĂ©e du bien retenu, en ayant alors les mĂȘmes droits que le crĂ©ancier gagiste . Cependant, sous lâempire de la nouvelle lĂ©gislation, le droit de rĂ©tention apparaĂźt comme une prĂ©rogative purement passive, qui permet simplement au rĂ©tenteur de sâopposer Ă la reprise du bien par le dĂ©biteur . Le constat qui se dĂ©gage au-delĂ de toute controverse est que lâActe uniforme rĂ©novĂ© a profondĂ©ment transformĂ© le rĂ©gime juridique du droit de rĂ©tention . Ce constat justifie de nouvelles analyses juridiques sur le droit de rĂ©tention.
ConsidĂ©rĂ© comme une sĂ»retĂ© , on peut se demander quelle est vĂ©ritablement lâĂ©tendue du pouvoir reconnu au rĂ©tenteur sur la chose retenue au regard de lâActe Uniforme rĂ©novĂ©. Autrement dit, quelles sont les prĂ©rogatives susceptibles dâĂȘtre exercĂ©es ou non par le rĂ©tenteur sur la chose retenue sous lâempire de la nouvelle lĂ©gislation de lâOHADA ? Pour assurer Ă la fois lâefficacitĂ© du droit de rĂ©tention si chĂšre Ă lâesprit du droit OHADA et la sauvegarde des droits du dĂ©biteur sur la chose retenue, le lĂ©gislateur a mis en place dans lâActe Uniforme rĂ©novĂ© des moyens visant Ă prĂ©server les intĂ©rĂȘts du dĂ©biteur sur la chose, objet de la rĂ©tention.
Traditionnellement, lâon sait quâen cas de dĂ©faillance du dĂ©biteur dans lâancien Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, le crĂ©ancier rĂ©tenteur pouvait procĂ©der Ă la vente aux enchĂšres publiques du bien retenu . Cette prĂ©rogative classique a Ă©tĂ© supprimĂ©e dans lâActe uniforme rĂ©novĂ© , rompant ainsi avec une assimilation erronĂ©e entre le droit de rĂ©tention et le gage . Sans vouloir contraindre le crĂ©ancier rĂ©tenteur Ă renoncer au bĂ©nĂ©fice de son droit de rĂ©tention on ne le dira jamais assez, lâoption nâest pas de laisser le dĂ©biteur dĂ©faillant Ă la merci de celui-ci. Ainsi, on peut aisĂ©ment observer que dans la rĂ©vision de lâActe uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s de dĂ©cembre 2010, le titulaire dâun droit de rĂ©tention reste dans une situation bien meilleure que celle reconnue au crĂ©ancier titulaire dâune sĂ»retĂ© traditionnelle . Ce droit apparaĂźt ainsi comme une sĂ»retĂ© active quant Ă sa portĂ©e (I). NĂ©anmoins, avec la suppression de certaines prĂ©rogatives dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, le crĂ©ancier rĂ©tenteur est dĂ©sormais cantonnĂ© dans une position dâattente en cas de non paiement. Le droit de rĂ©tention sâapparente ainsi Ă une sĂ»retĂ© passive quant Ă sa rĂ©alisation (II).
I. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE ACTIVE QUANT A SA PORTEE.
Le droit de rĂ©tention est un moyen de pression lĂ©gitime confĂ©rĂ© au crĂ©ancier pour tenter de contraindre son dĂ©biteur Ă exĂ©cuter ses obligations envers lui . Il confĂšre Ă celui-ci dâimportantes prĂ©rogatives dont-il peut se prĂ©valoir aussi bien dans ses rapports avec le dĂ©biteur (A) que dans ses rapports avec les tiers (B).
A. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC LE DEBITEUR : LE REFUS DE RESTITUTION DU BIEN RETENU
La principale prĂ©rogative que confĂšre le droit de rĂ©tention au crĂ©ancier est la facultĂ© de ne pas dĂ©livrer, de ne pas restituer la chose au propriĂ©taire . Toute la force de cette prĂ©rogative sâaffirme tant Ă lâĂ©gard du dĂ©biteur in bonis (1) quâĂ lâĂ©gard du dĂ©biteur en difficultĂ© (2).
1. Les refus de restitution du bien retenu dâun dĂ©biteur in bonis
Aux termes de lâarticle 67 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, le droit de rĂ©tention permet au crĂ©ancier de retenir la chose aussi longtemps quâil nâest pas payĂ© . Contrairement Ă lâancien Acte uniforme, aucune limite importante nâest imposĂ©e au crĂ©ancier dans lâexercice de cette prĂ©rogative dans lâActe uniforme rĂ©novĂ© .
Le crĂ©ancier ne peut renoncer Ă son droit de rĂ©tention que sâil a obtenu un paiement complet . La question sâest posĂ©e de savoir si le crĂ©ancier est fondĂ© Ă sâopposer Ă la restitution du bien retenu mĂȘme aprĂšs paiement de la majeure partie de la dette. Lâarticle 67 de lâActe uniforme (Nouveau) apporte une rĂ©ponse positive Ă cette question. Selon ce texte en effet, le droit de rĂ©tention est indivisible. Le crĂ©ancier peut alors refuser la restitution de la chose retenue jusquâau paiement complet, sans tenir compte des paiements partiels . Il en sera ainsi mĂȘme si la chose, objet de la rĂ©tention est susceptible de division . Cette solution est plusieurs fois confirmĂ©e par la jurisprudence .
On peut Ă©galement se demander si lâabus dans lâexercice de cette prĂ©rogative peut donner lieu Ă la mise en Ćuvre de la responsabilitĂ© du crĂ©ancier rĂ©tenteur. Lâon pourrait penser au cas dâun comptable impayĂ© qui retient des documents devant ĂȘtre produits Ă lâadministration fiscale. Pour la doctrine, le refus de restitution du bien retenu relĂšve du pouvoir discrĂ©tionnaire du crĂ©ancier rĂ©tenteur. Il peut retenir le bien alors mĂȘme quâil cause un prĂ©judice Ă son propriĂ©taire . La jurisprudence sâest dĂ©jĂ prononcĂ©e en faveur de cette position .
On peut enfin se demander sâil doit y avoir proportionnalitĂ© entre la valeur de la chose retenue et le montant de la crĂ©ance. La question divise la doctrine. Pour le Professeur KALIEU ELONGO Yvette Rachel, aucune proportionnalitĂ© nâest exigĂ©e . Ainsi, le crĂ©ancier peut refuser de restituer un bien dâune valeur sans commune mesure avec celle de sa crĂ©ance contre le dĂ©biteur. Par contre, pour le professeur Dominique LEGEAIS, la mise en Ćuvre de la thĂ©orie de lâabus de droit peut permettre de sanctionner cette attitude du crĂ©ancier . Lâarticle 67 du nouvel Acte uniforme sur les sĂ»retĂ©s nâayant apportĂ© aucune limite Ă lâexercice du droit de rĂ©tention, nous pensons que la thĂ©orie de lâabus du droit dont parle le Professeur LEGEAIS ne cadre pas avec les particularitĂ©s du droit de rĂ©tention tel quâil apparaĂźt dans lâActe Uniforme rĂ©novĂ©. Ce point de vue cadre dâailleurs avec la position de la jurisprudence sur la question .
2. Le refus de restitution du bien retenu dâun dĂ©biteur en difficultĂ©
Le crĂ©ancier rĂ©tenteur peut-il toujours sâopposer Ă la restitution du bien dâun dĂ©biteur mĂȘme dans lâhypothĂšse oĂč ce dernier fait lâobjet dâune procĂ©dure collective ? La question est dâautant plus importante lorsquâon sait que lâadmission du dĂ©biteur Ă une procĂ©dure collective a pour finalitĂ© la suspension des poursuites individuelles . Aucune disposition particuliĂšre de lâActe uniforme rĂ©novĂ© ne permet dâenvisager une rĂ©ponse Ă cette question . NĂ©anmoins, la doctrine sâaccorde Ă dire quâen dĂ©pit du caractĂšre prĂ©caire du droit de rĂ©tention dans le nouvel Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, lâinvincibilitĂ© du procĂ©dĂ© sâimpose face aux procĂ©dures collectives . Ainsi, lorsquâune procĂ©dure collective est ouverte Ă lâencontre du dĂ©biteur, le crĂ©ancier rĂ©tenteur est dans une position trĂšs favorable. Il peut toujours refuser la restitution du bien, mĂȘme si celui-ci est indispensable Ă la continuation de lâentreprise .
Le droit de rĂ©tention assure ainsi au crĂ©ancier une situation dâexclusivitĂ© quâaucune autre sĂ»retĂ© rĂ©elle ne peut procurer en plaçant son bĂ©nĂ©ficiaire en marge de tout concours . En effet, quelle que soit lâĂ©tape de la procĂ©dure, le droit de rĂ©tention garde toute son efficacitĂ© dans une procĂ©dure collective et le crĂ©ancier peut toujours faire valoir sa prĂ©rogative de refus de restitution du bien retenu. La jurisprudence est restĂ©e ferme sur cette position dans un arrĂȘt rendu en date du 07 janvier 1992 . Si un plan de continuation de lâentreprise est adoptĂ©, le crĂ©ancier rĂ©tenteur peut continuer dâopposer son refus de restitution au dĂ©biteur en difficultĂ©. Si un plan de cession de lâentreprise est adoptĂ©, il pourra opposer son refus de restitution au cessionnaire. Si la liquidation judiciaire de lâentreprise est prononcĂ©e, lâarticle 149 de lâActe uniforme portant organisation des procĂ©dures collectives dâapurement du passif permet au juge commissaire dâautoriser le liquidateur Ă payer le rĂ©tenteur afin de retirer la chose retenue. Dans le cas contraire, le crĂ©ancier sera toujours fondĂ© Ă sâopposer Ă la restitution du bien retenu .
Malheureusement, saisie de la difficultĂ©, la cour dâappel dâAbidjan nâa pas pu procĂ©der Ă une saine apprĂ©ciation des Ă©lĂ©ments de la cause . Saisie sur la question de la validitĂ© juridique dâun droit de rĂ©tention Ă lâĂ©gard dâun dĂ©biteur en difficultĂ©, le juge a vite fait de conclure sur lâinefficacitĂ© du droit de rĂ©tention face Ă une procĂ©dure collective . Ce faisant, câest oublier que le droit de rĂ©tention est lâune des sĂ»retĂ©s qui Ă©chappent aux affres du rĂšglement prĂ©ventif , ce qui est extrĂȘmement regrettable.
B. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC LES TIERS : LâOPPOSABILITE DES DROITS DU RETENTEUR SUR LA CHOSE RETENUE
Une autre prĂ©rogative que le droit de rĂ©tention confĂšre au crĂ©ancier est la facultĂ© dâopposer ses droits Ă tous . Cette opposabilitĂ© concerne Ă la fois les tiers propriĂ©taires ayant acquis un bien dĂ©jĂ retenu (1) et les crĂ©anciers du dĂ©biteur (2).
1. LâopposabilitĂ© des droits du rĂ©tenteur au tiers acquĂ©reur de la propriĂ©tĂ© du bien retenu
Lâon peut se demander si le propriĂ©taire dâun bien retenu dispose encore du droit Ă la cession sur ledit bien. La question est dâautant plus importante lorsquâun sait que le droit de rĂ©tention enlĂšve au propriĂ©taire le droit Ă la libre disposition sur le bien retenu. En principe, les articles 67 Ă 70 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© qui traitent du droit de rĂ©tention nâenlĂšvent pas au dĂ©biteur son droit de propriĂ©tĂ© sur la chose retenue. Celui-ci est alors libre de cĂ©der le bien, objet de la rĂ©tention Ă un tiers. Seulement, la dĂ©livrance dâun bien grevĂ© dâun droit de rĂ©tention pourra bien ĂȘtre paralysĂ©e par le crĂ©ancier rĂ©tenteur . La jurisprudence sâest plusieurs fois prononcĂ©e en faveur de cette paralysie .
Il revient donc Ă lâacquĂ©reur dâexiger que le bien lui soit livrĂ© libre de tout droit de rĂ©tention. Dans le cas contraire, il aura lâobligation de dĂ©sintĂ©resser le crĂ©ancier rĂ©tenteur avant dâobtenir livraison du bien acquis . La question ne manque pas de surgir sur le fondement de cette opposabilitĂ© au tiers acquĂ©reur. Une bonne partie de la doctrine pense que cette opposabilitĂ© se fonde sur un principe gĂ©nĂ©ral de droit selon lequel « nul ne saurait transfĂ©rer plus de droit quâil nâen a » .
A cette justification, lâon pense quâon peut ajouter lâindisponibilitĂ© du bien acquis . En effet, le bien retenu, bien quâappartenant encore au dĂ©biteur ne fait plus rĂ©ellement partie de son patrimoine par lâeffet du droit de rĂ©tention. Lâexercice de son droit de propriĂ©tĂ© sur ledit bien, pour ĂȘtre efficace est dĂ©sormais affectĂ© dâune condition rĂ©solutoire , notamment, le dĂ©sintĂ©ressement du crĂ©ancier rĂ©tenteur. Le tiers acquĂ©reur ne peut donc rentrer en possession de la chose acquise grevĂ©e dâun droit de rĂ©tention quâĂ la condition que le rĂ©tenteur soit intĂ©gralement payĂ© par le dĂ©biteur ou par lui-mĂȘme. Cette opposabilitĂ© rapproche davantage le droit de rĂ©tention Ă un gage . La mĂȘme solution sâimpose Ă lâayant cause Ă titre particulier devenu propriĂ©taire postĂ©rieurement Ă la rĂ©tention .
2. LâopposabilitĂ© des droits du rĂ©tenteur aux crĂ©anciers du dĂ©biteur
La question peut se poser de savoir si dâautres crĂ©anciers du dĂ©biteur dont le bien fait dĂ©jĂ lâobjet dâune rĂ©tention peuvent encore procĂ©der Ă la saisie sur le mĂȘme bien. La question est dâautant plus importante lorsquâon sait quâaux termes de lâarticle 50 de lâActe uniforme portant organisation des procĂ©dures simplifiĂ©es de recouvrement et des voies dâexĂ©cution , la dĂ©tention du bien du dĂ©biteur par un tiers nâest plus un obstacle aux saisies . Certes, le droit de rĂ©tention nâempĂȘche pas les autres crĂ©anciers du dĂ©biteur de faire valoir leur droit de saisie sur le bien, objet de la rĂ©tention. Cette saisie rendra certainement le bien indisponible, mais sous rĂ©serve des droits et charges qui le grĂšvent au jour de la saisie, notamment ici les droits du crĂ©ancier rĂ©tenteur . Le crĂ©ancier rĂ©tenteur peut alors normalement opposer son droit aux autres crĂ©anciers du dĂ©biteur, quâils soient chirographaires ou privilĂ©giĂ©s . Il sâen suit que lorsquâun crĂ©ancier entend saisir et faire vendre le bien objet de la rĂ©tention, le rĂ©tenteur peut sây opposer. Il reviendra au crĂ©ancier saisissant de le dĂ©sintĂ©resser avant de pouvoir exercer son droit de saisie .
Quâadviendrait-il si le bien objet de la rĂ©tention fait ultĂ©rieurement lâobjet dâun gage sans dĂ©possession. Le crĂ©ancier gagiste pourra-t-il faire valoir son droit de suite sur le bien objet de la rĂ©tention ? Lâarticle 107 alinĂ©a 2 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s apporte une rĂ©ponse clairement nĂ©gative en ces termes : « Le droit de rĂ©tention du crĂ©ancier gagiste antĂ©rieur est opposable au crĂ©ancier postĂ©rieur qui ne pourra prĂ©tendre exercer ses droits sur le bien, tant que le crĂ©ancier antĂ©rieur nâaura pas Ă©tĂ© entiĂšrement payĂ© ». LâinvincibilitĂ© du droit de rĂ©tention sâaffirme encore dans cette hypothĂšse . Il reviendra au crĂ©ancier gagiste de dĂ©sintĂ©resser le crĂ©ancier rĂ©tenteur avant de faire valoir son droit de suite.
En est-il de mĂȘme lorsque le bien objet de la rĂ©tention fait lâobjet dâun gage sans dĂ©possession antĂ©rieurement. Certes, le droit de suite du crĂ©ancier gagiste antĂ©rieur est opposable au crĂ©ancier rĂ©tenteur postĂ©rieur, mais sous rĂ©serve des droits de ce dernier . On peut alors comprendre que le droit de rĂ©tention Ă travers sa force confĂšre au crĂ©ancier rĂ©tenteur un vĂ©ritable pouvoir dâaction . Sur ce point de vue particuliĂšrement, il peut ĂȘtre assimilĂ© Ă une sĂ»retĂ© active . Cependant, dans la rĂ©alisation de ce droit, le crĂ©ancier rĂ©tenteur devient essentiellement passif .
II. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE PASSIVE QUANT A SA REALISATION
Il convient dâobserver que le droit de rĂ©tention tel quâil est aujourdâhui conçu par lâActe uniforme rĂ©novĂ© cantonne le crĂ©ancier rĂ©tenteur dans une situation dâattente en cas de non paiement . Contrairement Ă lâActe uniforme ancien , lâActe uniforme rĂ©novĂ© ne reconnaĂźt au crĂ©ancier rĂ©tenteur en cas de non paiement, ni une vĂ©ritable prĂ©rogative classique sur le bien retenu (A), ni une vĂ©ritable prĂ©rogative supplĂ©mentaire sur ledit bien (B).
A. LE REFUS DâUNE VERITABLE PREROGATIVE CLASSIQUE AU PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU
Dans lâancien Acte uniforme, lâarticle 43 disposait que « si le crĂ©ancier ne reçoit ni paiement ni sĂ»retĂ©, il peut, aprĂšs signification faite au dĂ©biteur et au propriĂ©taire de la chose, exercer ses droits de suite et de prĂ©fĂ©rence comme en matiĂšre de gage ». Dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, ces prĂ©rogatives ont Ă©tĂ© supprimĂ©es . Si le crĂ©ancier rĂ©tenteur nâobtient pas le paiement malgrĂ© la rĂ©tention du bien, il nâa ni droit de suite (1) ni droit de prĂ©fĂ©rence sur le bien retenu (2).
1. Lâabsence dâun droit de suite sur le bien retenu
Dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, le bĂ©nĂ©ficiaire dâun droit de rĂ©tention ne dispose pas dâun droit de suite . Il ne peut donc se permettre de revendiquer la restitution du bien sâil passe en dâautres mains. La consĂ©quence logique et directe de cette absence de droit de suite est que la dĂ©possession du crĂ©ancier du bien emporte extinction du droit de rĂ©tention. Il est en effet de lâessence mĂȘme du droit de rĂ©tention que le crĂ©ancier dĂ©tient matĂ©riellement la chose. DĂšs lors quâil sâen dessaisit, il perd son droit . De mĂȘme, pour la jurisprudence, la dĂ©tention de la chose par le crĂ©ancier est une condition essentielle du droit de rĂ©tention. Cette position est confirmĂ©e par la cour de cassation française lorsquâelle affirme : « Pour retenir, il faut dâabord tenir » . Il nâest cependant pas nĂ©cessaire que le crĂ©ancier dĂ©tienne personnellement le bien. Il peut exercer son droit de rĂ©tention par lâintermĂ©diaire dâun tiers qui dĂ©tient le bien pour son compte (entiercement) .
On peut bien sâinterroger sur lâopportunitĂ© du refus dâun droit de suite au profit du crĂ©ancier rĂ©tenteur dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©. On peut aussi comprendre que dans lâhypothĂšse oĂč le dessaisissement du crĂ©ancier du bien retenu est volontaire, il peut sâanalyser comme une renonciation du droit de rĂ©tention de la part de ce dernier. Par consĂ©quent, il ne peut plus prĂ©tendre exercer plus tard un droit de suite sur ledit bien. Câest le cas dâun crĂ©ancier qui, sans prĂ©alablement avoir reçu paiement intĂ©gral de la dette remet volontairement le bien retenu au dĂ©biteur .
Quâadviendrait-il si le dessaisissement intervient de maniĂšre involontaire ? Nous pensons Ă lâhypothĂšse oĂč ce dessaisissement intervient Ă la suite dâun vol ou dâune perte de la chose. Une partie de la doctrine pense quâavec la suppression dâun droit de suite dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, le crĂ©ancier rĂ©tenteur ne peut plus sâen prĂ©valoir en toute circonstance . Cependant, nous pensons que sur le fondement de lâarticle 2279 du Code civil qui fait du crĂ©ancier rĂ©tenteur le possesseur de bonne foi, celui-ci peut toujours revendiquer la restitution du bien lorsquâil se trouve entre les mains dâun tiers sâil en a Ă©tĂ© involontairement dessaisit, notamment en cas de perte ou de vol . Cette solution ne peut sâincliner quâen cas de destruction matĂ©rielle de la chose, objet du droit de rĂ©tention .
2. Lâabsence dâun droit de prĂ©fĂ©rence sur le bien retenu
Il rĂ©sulte de lâarticle 70 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© que le crĂ©ancier rĂ©tenteur ne dispose pas dâun droit de prĂ©fĂ©rence sur le bien retenu. Il ne peut donc pas procĂ©der Ă la rĂ©alisation forcĂ©e du bien retenu afin de se payer sur le prix de vente. Sâil ne reçoit pas le paiement malgrĂ© la rĂ©tention du bien, il doit se contenter de demeurer dans une position passive et nĂ©gative, câest-Ă -dire de nâengager aucune procĂ©dure de rĂ©alisation . Il lui sera alors prĂ©fĂ©rable dâattendre que les autres crĂ©anciers se manifestent. En effet, ces derniers voudront certainement rĂ©aliser le bien retenu afin de pouvoir se payer sur le prix de vente. Pour cela, ils devront donc au prĂ©alable dĂ©sintĂ©resser le crĂ©ancier rĂ©tenteur car, la rĂ©alisation du bien retenu entraĂźne lâextinction du droit de rĂ©tention, le crĂ©ancier rĂ©tenteur ne disposant aucun droit de prĂ©fĂ©rence sur le prix de vente .
Par dĂ©rogation Ă lâarticle 70 alinĂ©a premier de lâActe uniforme rĂ©novĂ©, lâalinĂ©a 2 permet au crĂ©ancier rĂ©tenteur de procĂ©der Ă la rĂ©alisation forcĂ©e du bien retenu si lâĂ©tat ou la nature pĂ©rissable de ce dernier le justifie ou si les frais occasionnĂ©s par sa garde sont hors de proportion avec sa valeur . En disposant que le droit de rĂ©tention se reporte dans ce cas sur le prix de vente qui doit ĂȘtre consignĂ©, cet article laisserait croire que le crĂ©ancier rĂ©tenteur va bĂ©nĂ©ficier dâun droit de prĂ©fĂ©rence sur ce prix. Malheureusement, lâarticle 226 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© sây oppose dans la mesure oĂč il institue un classement entre les crĂ©anciers pour la distribution des deniers provenant de la rĂ©alisation du bien. Il rĂ©sulte de ce classement que le crĂ©ancier rĂ©tenteur sera primĂ© par des crĂ©anciers privilĂ©giĂ©s et ne saurait se prĂ©valoir dâaucun droit de prĂ©fĂ©rence .
Lâon pourrait sâinterroger sur le fondement de ce refus du droit de prĂ©fĂ©rence sur le prix de vente au crĂ©ancier rĂ©tenteur dans le nouvel Acte uniforme. Une partie de la doctrine pense que ce refus se justifie par le souci de protĂ©ger le dĂ©biteur du risque que le bien retenu ne soit bradĂ© par un crĂ©ancier animĂ© par le seul souci de se faire payer . A notre humble avis, nous pensons que ce refus se justifie par une idĂ©e simple selon laquelle la rĂ©alisation forcĂ©e du bien entraĂźne extinction du droit de rĂ©tention .
B. LE REFUS DâUNE VERITABLE PREROGATIVE SUPPLEMENTAIRE AU PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU
Dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, si le crĂ©ancier rĂ©tenteur nâobtient pas le paiement malgrĂ© la rĂ©tention du bien, il nâa pas pour autant le droit de demander lâattribution judiciaire du bien (1) ou le droit de faire usage du bien retenu (2).
1. Le refus dâun droit Ă lâattribution du bien retenu
Lâattribution constitue une technique dâĂ©viction du concours pour le crĂ©ancier, puisquâelle est indĂ©pendante de lâordre dans lequel sâexercent les privilĂšges . Sous lâempire de lâancienne lĂ©gislation de lâOHADA, la doctrine sâaccordait Ă affirmer quâen cas de non paiement, le crĂ©ancier rĂ©tenteur pouvait se faire attribuer la propriĂ©tĂ© du bien retenu. Elle tirait argument de lâarticle 43 de lâAncien Acte uniforme qui renvoyait au droit de prĂ©fĂ©rence du crĂ©ancier gagiste . La jurisprudence sâĂ©tait toujours prononcĂ©e en faveur de cette prĂ©rogative au profit du crĂ©ancier rĂ©tenteur .
Dans lâActe uniforme rĂ©visĂ©, cette prĂ©rogative a Ă©tĂ© supprimĂ©e. Le crĂ©ancier rĂ©tenteur nâa plus le droit de solliciter lâattribution du bien retenu. Si cette solution se justifie amplement en cas de demande dâattribution judiciaire du bien retenu par le crĂ©ancier , en sera-t-il de mĂȘme en cas dâattribution conventionnelle. Nous pensons ici Ă lâhypothĂšse dans laquelle le crĂ©ancier et le dĂ©biteur auraient convenu un pacte commissoire . La question est dâautant plus importante lorsquâon sait que dans lâActe uniforme rĂ©novĂ©, on assiste Ă une gĂ©nĂ©ralisation de lâattribution en propriĂ©tĂ© Ă travers lâadmission du pacte commissoire et lâextension de lâattribution judiciaire . Ici encore, le crĂ©ancier rĂ©tenteur ne sera toujours pas autorisĂ© Ă solliciter lâattribution du bien en sa possession .
Lâon pourrait bien sâinterroger sur lâopportunitĂ© du refus de cette prĂ©rogative dâattribution au profit du crĂ©ancier rĂ©tenteur tant du point de vue judiciaire que du droit de vue conventionnel. Lâon peut comprendre quâĂ la lecture des articles 67 Ă 70 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© qui traitent spĂ©cialement du droit de rĂ©tention, il nâapparaĂźt nulle part le bĂ©nĂ©fice de lâattribution au profit du crĂ©ancier rĂ©tenteur. Lâon peut Ă©galement comprendre que lâadmission du pacte commissoire prĂ©vue dans les dispositions gĂ©nĂ©rales du nouvel Acte Uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s ne peut sâaccommoder quâavec quelques sĂ»retĂ©s rĂ©elles Ă lâexclusion des autres, notamment le droit de rĂ©tention . Le crĂ©ancier rĂ©tenteur qui nâa pas reçu le paiement doit alors rester passif et nâa pas le droit de demander lâattribution du bien retenu .
2. Le refus dâun droit Ă lâusage sur le bien retenu
Aux termes de lâarticle 70 alinĂ©a 1 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© portant organisation des sĂ»retĂ©s, « le crĂ©ancier a lâobligation de conserver le bien retenu en bon Ă©tat ». Il rĂ©sulte de cet article que le crĂ©ancier rĂ©tenteur doit veiller sur la chose retenue en bon pĂšre de famille , toute dĂ©tĂ©rioration totale ou partielle pouvant engager sa responsabilitĂ© . Comme principale consĂ©quence de cette obligation, le crĂ©ancier rĂ©tenteur ne dispose pas dâun droit Ă lâusage sur le bien retenu. Il nâa droit ni aux fruits, ni Ă la jouissance de la chose .
Quâadviendrait-il si le crĂ©ancier rĂ©tenteur au mĂ©pris de ce refus viendrait Ă percevoir les fruits de la chose objet de la rĂ©tention. Aucune disposition particuliĂšre sur le droit de rĂ©tention ne permet dâenvisager une solution Ă cette attitude fautive du crĂ©ancier. On peut nĂ©anmoins faire recours Ă une disposition gĂ©nĂ©rale de lâActe uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, notamment lâarticle 103 qui prĂ©voit que dans ce cas, le crĂ©ancier doit imputer les fruits perçus sur ce qui lui est dĂ» en intĂ©rĂȘts ou Ă dĂ©faut sur le capital de la dette .
Quâadviendrait-il Ă©galement si le crĂ©ancier rĂ©tenteur procĂšde Ă la jouissance du bien retenu, violant par lĂ son obligation de conservation . A travers lâarticle 109 de lâActe uniforme rĂ©novĂ© sur le droit des sĂ»retĂ©s, on peut dĂ©duire que cette nouvelle attitude fautive du crĂ©ancier donne au dĂ©biteur le droit de rĂ©clamer la restitution du bien retenu .
Lâon peut sâinterroger sur le fondement de ce refus du droit Ă lâusage au profit du crĂ©ancier rĂ©tenteur. La doctrine affirme que le droit de rĂ©tention confĂšre au crĂ©ancier une simple dĂ©tention de la chose et non une possession . Ne pouvant donc aucunement se comporter comme le vĂ©ritable propriĂ©taire de la chose, il ne peut pas lâutiliser puisquâil dĂ©tient la chose dâautrui
â
CONCLUSION
Avec la rĂ©vision de lâActe Uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s le 15 dĂ©cembre 2010, le dĂ©bat sur la nature juridique du droit de rĂ©tention est loin dâĂȘtre tranchĂ© . Traditionnellement envisagĂ© comme une vĂ©ritable sĂ»retĂ© active sous lâempire de lâancienne lĂ©gislation, le droit de rĂ©tention apparaĂźt plus avec la rĂ©vision comme une sĂ»retĂ© passive. Il sâest vu dĂ©possĂ©der de tous les attributs actifs qui en faisaient la force , cantonnant ainsi le rĂ©tenteur dans la position dâattente en cas de non paiement . La seule vĂ©ritable prĂ©rogative qui lui est reconnue aujourdâhui rĂ©side dans son refus de restitution .
Cependant, le moins que lâon puisse dire au-delĂ de toute controverse , câest quâavec la rĂ©vision de lâActe Uniforme portant organisation des sĂ»retĂ©s, lâefficacitĂ© du droit de rĂ©tention ne sâen est pas trouvĂ©e affaiblie. Le dĂ©biteur nâa plus la possibilitĂ© de fournir une sĂ»retĂ© rĂ©elle Ă©quivalente de substitution au crĂ©ancier rĂ©tenteur afin de lâobliger Ă renoncer au droit de rĂ©tention . DĂ©sormais, le dĂ©biteur ne peut paralyser le droit de rĂ©tention que par le paiement de la crĂ©ance garantie, ce qui permet au crĂ©ancier de rester passif. NĂ©anmoins, cette consĂ©cration du droit de rĂ©tention soulĂšve de nouvelles questions dont les rĂ©ponses ne sont pas toutes Ă©videntes dans lâActe uniforme rĂ©visĂ© et qui parfois nĂ©cessiteront la modification dudit Acte.
NJUTAPVOUI Zakari
Docteur en Droit des Affaires,
Assistant au Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala
Revue de lâERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.