Doctrine OHADA

Le Droit de rétention dans le nouvel acte Uniforme portant organisation des sûretés: sûreté active ou passive?

NJUTAPVOUI Zakari
Docteur en Droit des Affaires,
Assistant au Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala

INTRODUCTION

« Paye-moi ! Tant que je ne serai pas payé, je garderai la chose » . Cette formule consacre ce qu’il est convenu d’appeler le droit de rétention . Ce droit, issu des articles 67 et suivants du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés permet à un créancier de retenir entre ses mains l’objet qu’il doit restituer à son débiteur tant que celui-ci ne l’a pas lui-même payé .

Au sein des sûretés mobilières prévues par l’article 50 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés , le droit de rétention occupe une place préoccupante . Si l’admission de ce droit ne fait l’objet d’aucune controverse , sa nature et sa fonction divisent la doctrine . C’est donc sans surprise qu’on peut bien se poser la question de savoir si au regard des nouvelles dispositions de l’Acte uniforme sur les sûretés, le droit de rétention apparaît comme une sûreté active ou une sûreté passive.

Sous le régime de l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés, le droit de rétention apparaissait comme une sorte de gage légal, qui permettait au rétenteur de poursuivre la vente forcée du bien retenu, en ayant alors les mêmes droits que le créancier gagiste . Cependant, sous l’empire de la nouvelle législation, le droit de rétention apparaît comme une prérogative purement passive, qui permet simplement au rétenteur de s’opposer à la reprise du bien par le débiteur . Le constat qui se dégage au-delà de toute controverse est que l’Acte uniforme rénové a profondément transformé le régime juridique du droit de rétention . Ce constat justifie de nouvelles analyses juridiques sur le droit de rétention.

Considéré comme une sûreté , on peut se demander quelle est véritablement l’étendue du pouvoir reconnu au rétenteur sur la chose retenue au regard de l’Acte Uniforme rénové. Autrement dit, quelles sont les prérogatives susceptibles d’être exercées ou non par le rétenteur sur la chose retenue sous l’empire de la nouvelle législation de l’OHADA ? Pour assurer à la fois l’efficacité du droit de rétention si chère à l’esprit du droit OHADA et la sauvegarde des droits du débiteur sur la chose retenue, le législateur a mis en place dans l’Acte Uniforme rénové des moyens visant à préserver les intérêts du débiteur sur la chose, objet de la rétention.

Traditionnellement, l’on sait qu’en cas de défaillance du débiteur dans l’ancien Acte uniforme portant organisation des sûretés, le créancier rétenteur pouvait procéder à la vente aux enchères publiques du bien retenu . Cette prérogative classique a été supprimée dans l’Acte uniforme rénové , rompant ainsi avec une assimilation erronée entre le droit de rétention et le gage . Sans vouloir contraindre le créancier rétenteur à renoncer au bénéfice de son droit de rétention on ne le dira jamais assez, l’option n’est pas de laisser le débiteur défaillant à la merci de celui-ci. Ainsi, on peut aisément observer que dans la révision de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés de décembre 2010, le titulaire d’un droit de rétention reste dans une situation bien meilleure que celle reconnue au créancier titulaire d’une sûreté traditionnelle . Ce droit apparaît ainsi comme une sûreté active quant à sa portée (I). Néanmoins, avec la suppression de certaines prérogatives dans l’Acte uniforme rénové, le créancier rétenteur est désormais cantonné dans une position d’attente en cas de non paiement. Le droit de rétention s’apparente ainsi à une sûreté passive quant à sa réalisation (II).

I. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE ACTIVE QUANT A SA PORTEE.

Le droit de rétention est un moyen de pression légitime conféré au créancier pour tenter de contraindre son débiteur à exécuter ses obligations envers lui . Il confère à celui-ci d’importantes prérogatives dont-il peut se prévaloir aussi bien dans ses rapports avec le débiteur (A) que dans ses rapports avec les tiers (B).

A. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC LE DEBITEUR : LE REFUS DE RESTITUTION DU BIEN RETENU

La principale prérogative que confère le droit de rétention au créancier est la faculté de ne pas délivrer, de ne pas restituer la chose au propriétaire . Toute la force de cette prérogative s’affirme tant à l’égard du débiteur in bonis (1) qu’à l’égard du débiteur en difficulté (2).

1. Les refus de restitution du bien retenu d’un débiteur in bonis

Aux termes de l’article 67 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés, le droit de rétention permet au créancier de retenir la chose aussi longtemps qu’il n’est pas payé . Contrairement à l’ancien Acte uniforme, aucune limite importante n’est imposée au créancier dans l’exercice de cette prérogative dans l’Acte uniforme rénové .

Le créancier ne peut renoncer à son droit de rétention que s’il a obtenu un paiement complet . La question s’est posée de savoir si le créancier est fondé à s’opposer à la restitution du bien retenu même après paiement de la majeure partie de la dette. L’article 67 de l’Acte uniforme (Nouveau) apporte une réponse positive à cette question. Selon ce texte en effet, le droit de rétention est indivisible. Le créancier peut alors refuser la restitution de la chose retenue jusqu’au paiement complet, sans tenir compte des paiements partiels . Il en sera ainsi même si la chose, objet de la rétention est susceptible de division . Cette solution est plusieurs fois confirmée par la jurisprudence .

On peut également se demander si l’abus dans l’exercice de cette prérogative peut donner lieu à la mise en œuvre de la responsabilité du créancier rétenteur. L’on pourrait penser au cas d’un comptable impayé qui retient des documents devant être produits à l’administration fiscale. Pour la doctrine, le refus de restitution du bien retenu relève du pouvoir discrétionnaire du créancier rétenteur. Il peut retenir le bien alors même qu’il cause un préjudice à son propriétaire . La jurisprudence s’est déjà prononcée en faveur de cette position .

On peut enfin se demander s’il doit y avoir proportionnalité entre la valeur de la chose retenue et le montant de la créance. La question divise la doctrine. Pour le Professeur KALIEU ELONGO Yvette Rachel, aucune proportionnalité n’est exigée . Ainsi, le créancier peut refuser de restituer un bien d’une valeur sans commune mesure avec celle de sa créance contre le débiteur. Par contre, pour le professeur Dominique LEGEAIS, la mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit peut permettre de sanctionner cette attitude du créancier . L’article 67 du nouvel Acte uniforme sur les sûretés n’ayant apporté aucune limite à l’exercice du droit de rétention, nous pensons que la théorie de l’abus du droit dont parle le Professeur LEGEAIS ne cadre pas avec les particularités du droit de rétention tel qu’il apparaît dans l’Acte Uniforme rénové. Ce point de vue cadre d’ailleurs avec la position de la jurisprudence sur la question .

2. Le refus de restitution du bien retenu d’un débiteur en difficulté

Le créancier rétenteur peut-il toujours s’opposer à la restitution du bien d’un débiteur même dans l’hypothèse où ce dernier fait l’objet d’une procédure collective ? La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait que l’admission du débiteur à une procédure collective a pour finalité la suspension des poursuites individuelles . Aucune disposition particulière de l’Acte uniforme rénové ne permet d’envisager une réponse à cette question . Néanmoins, la doctrine s’accorde à dire qu’en dépit du caractère précaire du droit de rétention dans le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés, l’invincibilité du procédé s’impose face aux procédures collectives . Ainsi, lorsqu’une procédure collective est ouverte à l’encontre du débiteur, le créancier rétenteur est dans une position très favorable. Il peut toujours refuser la restitution du bien, même si celui-ci est indispensable à la continuation de l’entreprise .

Le droit de rétention assure ainsi au créancier une situation d’exclusivité qu’aucune autre sûreté réelle ne peut procurer en plaçant son bénéficiaire en marge de tout concours . En effet, quelle que soit l’étape de la procédure, le droit de rétention garde toute son efficacité dans une procédure collective et le créancier peut toujours faire valoir sa prérogative de refus de restitution du bien retenu. La jurisprudence est restée ferme sur cette position dans un arrêt rendu en date du 07 janvier 1992 . Si un plan de continuation de l’entreprise est adopté, le créancier rétenteur peut continuer d’opposer son refus de restitution au débiteur en difficulté. Si un plan de cession de l’entreprise est adopté, il pourra opposer son refus de restitution au cessionnaire. Si la liquidation judiciaire de l’entreprise est prononcée, l’article 149 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif permet au juge commissaire d’autoriser le liquidateur à payer le rétenteur afin de retirer la chose retenue. Dans le cas contraire, le créancier sera toujours fondé à s’opposer à la restitution du bien retenu .

Malheureusement, saisie de la difficulté, la cour d’appel d’Abidjan n’a pas pu procéder à une saine appréciation des éléments de la cause . Saisie sur la question de la validité juridique d’un droit de rétention à l’égard d’un débiteur en difficulté, le juge a vite fait de conclure sur l’inefficacité du droit de rétention face à une procédure collective . Ce faisant, c’est oublier que le droit de rétention est l’une des sûretés qui échappent aux affres du règlement préventif , ce qui est extrêmement regrettable.

B. LES PREROGATIVES DU RETENTEUR DANS SES RAPPORTS AVEC LES TIERS : L’OPPOSABILITE DES DROITS DU RETENTEUR SUR LA CHOSE RETENUE

Une autre prérogative que le droit de rétention confère au créancier est la faculté d’opposer ses droits à tous . Cette opposabilité concerne à la fois les tiers propriétaires ayant acquis un bien déjà retenu (1) et les créanciers du débiteur (2).

1. L’opposabilité des droits du rétenteur au tiers acquéreur de la propriété du bien retenu

L’on peut se demander si le propriétaire d’un bien retenu dispose encore du droit à la cession sur ledit bien. La question est d’autant plus importante lorsqu’un sait que le droit de rétention enlève au propriétaire le droit à la libre disposition sur le bien retenu. En principe, les articles 67 à 70 de l’Acte uniforme rénové qui traitent du droit de rétention n’enlèvent pas au débiteur son droit de propriété sur la chose retenue. Celui-ci est alors libre de céder le bien, objet de la rétention à un tiers. Seulement, la délivrance d’un bien grevé d’un droit de rétention pourra bien être paralysée par le créancier rétenteur . La jurisprudence s’est plusieurs fois prononcée en faveur de cette paralysie .

Il revient donc à l’acquéreur d’exiger que le bien lui soit livré libre de tout droit de rétention. Dans le cas contraire, il aura l’obligation de désintéresser le créancier rétenteur avant d’obtenir livraison du bien acquis . La question ne manque pas de surgir sur le fondement de cette opposabilité au tiers acquéreur. Une bonne partie de la doctrine pense que cette opposabilité se fonde sur un principe général de droit selon lequel « nul ne saurait transférer plus de droit qu’il n’en a » .

A cette justification, l’on pense qu’on peut ajouter l’indisponibilité du bien acquis . En effet, le bien retenu, bien qu’appartenant encore au débiteur ne fait plus réellement partie de son patrimoine par l’effet du droit de rétention. L’exercice de son droit de propriété sur ledit bien, pour être efficace est désormais affecté d’une condition résolutoire , notamment, le désintéressement du créancier rétenteur. Le tiers acquéreur ne peut donc rentrer en possession de la chose acquise grevée d’un droit de rétention qu’à la condition que le rétenteur soit intégralement payé par le débiteur ou par lui-même. Cette opposabilité rapproche davantage le droit de rétention à un gage . La même solution s’impose à l’ayant cause à titre particulier devenu propriétaire postérieurement à la rétention .

2. L’opposabilité des droits du rétenteur aux créanciers du débiteur

La question peut se poser de savoir si d’autres créanciers du débiteur dont le bien fait déjà l’objet d’une rétention peuvent encore procéder à la saisie sur le même bien. La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait qu’aux termes de l’article 50 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution , la détention du bien du débiteur par un tiers n’est plus un obstacle aux saisies . Certes, le droit de rétention n’empêche pas les autres créanciers du débiteur de faire valoir leur droit de saisie sur le bien, objet de la rétention. Cette saisie rendra certainement le bien indisponible, mais sous réserve des droits et charges qui le grèvent au jour de la saisie, notamment ici les droits du créancier rétenteur . Le créancier rétenteur peut alors normalement opposer son droit aux autres créanciers du débiteur, qu’ils soient chirographaires ou privilégiés . Il s’en suit que lorsqu’un créancier entend saisir et faire vendre le bien objet de la rétention, le rétenteur peut s’y opposer. Il reviendra au créancier saisissant de le désintéresser avant de pouvoir exercer son droit de saisie .

Qu’adviendrait-il si le bien objet de la rétention fait ultérieurement l’objet d’un gage sans dépossession. Le créancier gagiste pourra-t-il faire valoir son droit de suite sur le bien objet de la rétention ? L’article 107 alinéa 2 du nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés apporte une réponse clairement négative en ces termes : « Le droit de rétention du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier postérieur qui ne pourra prétendre exercer ses droits sur le bien, tant que le créancier antérieur n’aura pas été entièrement payé ». L’invincibilité du droit de rétention s’affirme encore dans cette hypothèse . Il reviendra au créancier gagiste de désintéresser le créancier rétenteur avant de faire valoir son droit de suite.

En est-il de même lorsque le bien objet de la rétention fait l’objet d’un gage sans dépossession antérieurement. Certes, le droit de suite du créancier gagiste antérieur est opposable au créancier rétenteur postérieur, mais sous réserve des droits de ce dernier . On peut alors comprendre que le droit de rétention à travers sa force confère au créancier rétenteur un véritable pouvoir d’action . Sur ce point de vue particulièrement, il peut être assimilé à une sûreté active . Cependant, dans la réalisation de ce droit, le créancier rétenteur devient essentiellement passif .

II. LE DROIT DE RETENTION, UNE SURETE PASSIVE QUANT A SA REALISATION

Il convient d’observer que le droit de rétention tel qu’il est aujourd’hui conçu par l’Acte uniforme rénové cantonne le créancier rétenteur dans une situation d’attente en cas de non paiement . Contrairement à l’Acte uniforme ancien , l’Acte uniforme rénové ne reconnaît au créancier rétenteur en cas de non paiement, ni une véritable prérogative classique sur le bien retenu (A), ni une véritable prérogative supplémentaire sur ledit bien (B).

A. LE REFUS D’UNE VERITABLE PREROGATIVE CLASSIQUE AU PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU

Dans l’ancien Acte uniforme, l’article 43 disposait que « si le créancier ne reçoit ni paiement ni sûreté, il peut, après signification faite au débiteur et au propriétaire de la chose, exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière de gage ». Dans l’Acte uniforme rénové, ces prérogatives ont été supprimées . Si le créancier rétenteur n’obtient pas le paiement malgré la rétention du bien, il n’a ni droit de suite (1) ni droit de préférence sur le bien retenu (2).

1. L’absence d’un droit de suite sur le bien retenu

Dans l’Acte uniforme rénové, le bénéficiaire d’un droit de rétention ne dispose pas d’un droit de suite . Il ne peut donc se permettre de revendiquer la restitution du bien s’il passe en d’autres mains. La conséquence logique et directe de cette absence de droit de suite est que la dépossession du créancier du bien emporte extinction du droit de rétention. Il est en effet de l’essence même du droit de rétention que le créancier détient matériellement la chose. Dès lors qu’il s’en dessaisit, il perd son droit . De même, pour la jurisprudence, la détention de la chose par le créancier est une condition essentielle du droit de rétention. Cette position est confirmée par la cour de cassation française lorsqu’elle affirme : « Pour retenir, il faut d’abord tenir » . Il n’est cependant pas nécessaire que le créancier détienne personnellement le bien. Il peut exercer son droit de rétention par l’intermédiaire d’un tiers qui détient le bien pour son compte (entiercement) .

On peut bien s’interroger sur l’opportunité du refus d’un droit de suite au profit du créancier rétenteur dans l’Acte uniforme rénové. On peut aussi comprendre que dans l’hypothèse où le dessaisissement du créancier du bien retenu est volontaire, il peut s’analyser comme une renonciation du droit de rétention de la part de ce dernier. Par conséquent, il ne peut plus prétendre exercer plus tard un droit de suite sur ledit bien. C’est le cas d’un créancier qui, sans préalablement avoir reçu paiement intégral de la dette remet volontairement le bien retenu au débiteur .

Qu’adviendrait-il si le dessaisissement intervient de manière involontaire ? Nous pensons à l’hypothèse où ce dessaisissement intervient à la suite d’un vol ou d’une perte de la chose. Une partie de la doctrine pense qu’avec la suppression d’un droit de suite dans l’Acte uniforme rénové, le créancier rétenteur ne peut plus s’en prévaloir en toute circonstance . Cependant, nous pensons que sur le fondement de l’article 2279 du Code civil qui fait du créancier rétenteur le possesseur de bonne foi, celui-ci peut toujours revendiquer la restitution du bien lorsqu’il se trouve entre les mains d’un tiers s’il en a été involontairement dessaisit, notamment en cas de perte ou de vol . Cette solution ne peut s’incliner qu’en cas de destruction matérielle de la chose, objet du droit de rétention .

2. L’absence d’un droit de préférence sur le bien retenu

Il résulte de l’article 70 de l’Acte uniforme rénové que le créancier rétenteur ne dispose pas d’un droit de préférence sur le bien retenu. Il ne peut donc pas procéder à la réalisation forcée du bien retenu afin de se payer sur le prix de vente. S’il ne reçoit pas le paiement malgré la rétention du bien, il doit se contenter de demeurer dans une position passive et négative, c’est-à-dire de n’engager aucune procédure de réalisation . Il lui sera alors préférable d’attendre que les autres créanciers se manifestent. En effet, ces derniers voudront certainement réaliser le bien retenu afin de pouvoir se payer sur le prix de vente. Pour cela, ils devront donc au préalable désintéresser le créancier rétenteur car, la réalisation du bien retenu entraîne l’extinction du droit de rétention, le créancier rétenteur ne disposant aucun droit de préférence sur le prix de vente .

Par dérogation à l’article 70 alinéa premier de l’Acte uniforme rénové, l’alinéa 2 permet au créancier rétenteur de procéder à la réalisation forcée du bien retenu si l’état ou la nature périssable de ce dernier le justifie ou si les frais occasionnés par sa garde sont hors de proportion avec sa valeur . En disposant que le droit de rétention se reporte dans ce cas sur le prix de vente qui doit être consigné, cet article laisserait croire que le créancier rétenteur va bénéficier d’un droit de préférence sur ce prix. Malheureusement, l’article 226 de l’Acte uniforme rénové s’y oppose dans la mesure où il institue un classement entre les créanciers pour la distribution des deniers provenant de la réalisation du bien. Il résulte de ce classement que le créancier rétenteur sera primé par des créanciers privilégiés et ne saurait se prévaloir d’aucun droit de préférence .

L’on pourrait s’interroger sur le fondement de ce refus du droit de préférence sur le prix de vente au créancier rétenteur dans le nouvel Acte uniforme. Une partie de la doctrine pense que ce refus se justifie par le souci de protéger le débiteur du risque que le bien retenu ne soit bradé par un créancier animé par le seul souci de se faire payer . A notre humble avis, nous pensons que ce refus se justifie par une idée simple selon laquelle la réalisation forcée du bien entraîne extinction du droit de rétention .

B. LE REFUS D’UNE VERITABLE PREROGATIVE SUPPLEMENTAIRE AU PROFIT DU RETENTEUR SUR LE BIEN RETENU

Dans l’Acte uniforme rénové, si le créancier rétenteur n’obtient pas le paiement malgré la rétention du bien, il n’a pas pour autant le droit de demander l’attribution judiciaire du bien (1) ou le droit de faire usage du bien retenu (2).

1. Le refus d’un droit à l’attribution du bien retenu

L’attribution constitue une technique d’éviction du concours pour le créancier, puisqu’elle est indépendante de l’ordre dans lequel s’exercent les privilèges . Sous l’empire de l’ancienne législation de l’OHADA, la doctrine s’accordait à affirmer qu’en cas de non paiement, le créancier rétenteur pouvait se faire attribuer la propriété du bien retenu. Elle tirait argument de l’article 43 de l’Ancien Acte uniforme qui renvoyait au droit de préférence du créancier gagiste . La jurisprudence s’était toujours prononcée en faveur de cette prérogative au profit du créancier rétenteur .

Dans l’Acte uniforme révisé, cette prérogative a été supprimée. Le créancier rétenteur n’a plus le droit de solliciter l’attribution du bien retenu. Si cette solution se justifie amplement en cas de demande d’attribution judiciaire du bien retenu par le créancier , en sera-t-il de même en cas d’attribution conventionnelle. Nous pensons ici à l’hypothèse dans laquelle le créancier et le débiteur auraient convenu un pacte commissoire . La question est d’autant plus importante lorsqu’on sait que dans l’Acte uniforme rénové, on assiste à une généralisation de l’attribution en propriété à travers l’admission du pacte commissoire et l’extension de l’attribution judiciaire . Ici encore, le créancier rétenteur ne sera toujours pas autorisé à solliciter l’attribution du bien en sa possession .

L’on pourrait bien s’interroger sur l’opportunité du refus de cette prérogative d’attribution au profit du créancier rétenteur tant du point de vue judiciaire que du droit de vue conventionnel. L’on peut comprendre qu’à la lecture des articles 67 à 70 de l’Acte uniforme rénové qui traitent spécialement du droit de rétention, il n’apparaît nulle part le bénéfice de l’attribution au profit du créancier rétenteur. L’on peut également comprendre que l’admission du pacte commissoire prévue dans les dispositions générales du nouvel Acte Uniforme portant organisation des sûretés ne peut s’accommoder qu’avec quelques sûretés réelles à l’exclusion des autres, notamment le droit de rétention . Le créancier rétenteur qui n’a pas reçu le paiement doit alors rester passif et n’a pas le droit de demander l’attribution du bien retenu .

2. Le refus d’un droit à l’usage sur le bien retenu

Aux termes de l’article 70 alinéa 1 de l’Acte uniforme rénové portant organisation des sûretés, « le créancier a l’obligation de conserver le bien retenu en bon état ». Il résulte de cet article que le créancier rétenteur doit veiller sur la chose retenue en bon père de famille , toute détérioration totale ou partielle pouvant engager sa responsabilité . Comme principale conséquence de cette obligation, le créancier rétenteur ne dispose pas d’un droit à l’usage sur le bien retenu. Il n’a droit ni aux fruits, ni à la jouissance de la chose .

Qu’adviendrait-il si le créancier rétenteur au mépris de ce refus viendrait à percevoir les fruits de la chose objet de la rétention. Aucune disposition particulière sur le droit de rétention ne permet d’envisager une solution à cette attitude fautive du créancier. On peut néanmoins faire recours à une disposition générale de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, notamment l’article 103 qui prévoit que dans ce cas, le créancier doit imputer les fruits perçus sur ce qui lui est dû en intérêts ou à défaut sur le capital de la dette .

Qu’adviendrait-il également si le créancier rétenteur procède à la jouissance du bien retenu, violant par là son obligation de conservation . A travers l’article 109 de l’Acte uniforme rénové sur le droit des sûretés, on peut déduire que cette nouvelle attitude fautive du créancier donne au débiteur le droit de réclamer la restitution du bien retenu .

L’on peut s’interroger sur le fondement de ce refus du droit à l’usage au profit du créancier rétenteur. La doctrine affirme que le droit de rétention confère au créancier une simple détention de la chose et non une possession . Ne pouvant donc aucunement se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, il ne peut pas l’utiliser puisqu’il détient la chose d’autrui


CONCLUSION

Avec la révision de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés le 15 décembre 2010, le débat sur la nature juridique du droit de rétention est loin d’être tranché . Traditionnellement envisagé comme une véritable sûreté active sous l’empire de l’ancienne législation, le droit de rétention apparaît plus avec la révision comme une sûreté passive. Il s’est vu déposséder de tous les attributs actifs qui en faisaient la force , cantonnant ainsi le rétenteur dans la position d’attente en cas de non paiement . La seule véritable prérogative qui lui est reconnue aujourd’hui réside dans son refus de restitution .

Cependant, le moins que l’on puisse dire au-delà de toute controverse , c’est qu’avec la révision de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés, l’efficacité du droit de rétention ne s’en est pas trouvée affaiblie. Le débiteur n’a plus la possibilité de fournir une sûreté réelle équivalente de substitution au créancier rétenteur afin de l’obliger à renoncer au droit de rétention . Désormais, le débiteur ne peut paralyser le droit de rétention que par le paiement de la créance garantie, ce qui permet au créancier de rester passif. Néanmoins, cette consécration du droit de rétention soulève de nouvelles questions dont les réponses ne sont pas toutes évidentes dans l’Acte uniforme révisé et qui parfois nécessiteront la modification dudit Acte.

NJUTAPVOUI Zakari
Docteur en Droit des Affaires,
Assistant au Département de Droit Privé Fondamental, Université de Douala

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.