Doctrine OHADA

Libres propos sur l’indépendance de l’auditeur légal des sociètés anonymes OHADA

Didier TAKAFO-KENFACK
Docteur en droit-Assistant
Université de Bamenda (Cameroun)

Les crises, au delà des effets néfastes qu’elles produisent, suscitent un éveil de conscience des Hommes désireux de tirer les leçons du passé pour préparer les lendemains meilleurs. En confiant aux commissaires aux comptes, le contrôle des comptes, la majorité des systèmes voulaient éviter la survenance des scandales financiers. Les résultats sont malencontreusement restés en deçà des attentes.

Les récents scandales financiers ont montré les faiblesses d’un système qui était censé empêcher leur survenance. Les manipulations comptables ont mis en doute la fiabilité des informations financières et exacerbé la méfiance à l’égard des commissaires aux comptes. Il était dès lors nécessaire d’adopter de nouvelles dispositions légales pour contrer la spirale de tels esclandres, vu l’importance des sociétés commerciales dans le développement des nations. C’est pourquoi, dans différents pays, les législateurs sont intervenus pour renforcer l’indépendance des commissaires aux comptes.

La réaction la plus prompte de ces dernières années provient des États-Unis, avec l’adoption, en 2002, du Sarbanes-Oxley Act . Cette loi prise d’urgence, à la suite du scandale Enron , entend rétablir la confiance des investisseurs. A cette fin, elle préconise plus de transparence dans l’établissement des comptes et met en avant l’importance de l’indépendance du contrôleur des comptes.

La loi française de sécurité financière est venue compléter le dispositif . Elle comporte un titre III « Modernisation du contrôle légal des comptes et transparence » qui apporte des modifications importantes à l’organisation et au contrôle de la profession du commissaire aux comptes en vue de restaurer l’honorabilité de la fonction.

Bien avant ces initiatives, l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales de 1998, révisé en 2014 , s’était investi à aménager l’indépendance du contrôleur externe dans plusieurs de ses dispositions. C’est par le truchement d’une indépendance adaptée que l’organe de contrôle peut efficacement accomplir ses missions. L’indépendance suppose l’absence d’assujettissement, la tranquillité d’esprit qu’on est à l’abri de toute pression extérieure.
L’indépendance d’esprit du contrôleur des comptes suppose que ce dernier n’est pas soumis à l’autorité du dirigeant, encore moins à celui des apporteurs de capitaux. Elle passe pour être la première vertu et la pierre angulaire de toute fonction de contrôle. Conscient de cet objectif, le législateur communautaire a fait de l’indépendance du contrôleur des comptes, l’une de ses préoccupations essentielles. Ce qui explique que dans l’acte uniforme, l’indépendance de ce « magistrat des chiffres » soit fort proclamée (I), bien que certaines situations viennent l’altérer de sorte qu’elle est aujourd’hui fortement éprouvée (II).

I. L’indépendance théoriquement proclamée

Qualité nécessaire à tout contrôle , l’indépendance est un principe reconduit par l’Acte uniforme pour s’assurer de l’exercice normal du contrôle, à toutes les étapes de la vie sociale qu’il s’agisse de l’entrée en fonction (A) ou pendant l’exercice des fonctions (B).

A. Les mesures d’indépendance lors de l’entrée en fonction

La fonction de régularité assurée par le commissaire aux comptes ne doit être que le fait d’un organe indépendant. L’indépendance est assurée par diverses incompatibilités (1) assorties de sanctions en cas de violation (2).

1. La diversité des incompatibilités

Si certaines situations empêchent l’exercice de la fonction de contrôleur, d’autres empêchent que ce dernier exerce auprès d’une société déterminée. D’autres enfin empêchent l’exercice avant l’écoulement d’un certains temps. Dans le premier cas, il s’agit des incompatibilités générales (a), dans le second, des incompatibilités spéciales (b) et enfin, des incompatibilités temporaires (c).

a. Les incompatibilités générales
Réitérant sur ce point la solution introduite par l’article 219-3 al 3 de la loi du 24 juillet 1966, l’article 697 de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales dispose que :
« Les fonctions du commissaire aux comptes sont incompatibles :
1° avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance ;
2° avec tout emploi salarié. Toutefois, un commissaire aux comptes peut dispenser un enseignement se rattachant à l’exercice de sa profession ou occuper un emploi rémunéré chez un commissaire aux comptes ou chez un expert-comptable ;
3° avec toute activité commerciale, qu’elle soit exercée directement ou par personne interposée ».

Cette dernière incompatibilité fait l’objet de dérogations. Un commissaire aux comptes peut occuper un emploi salarié rémunéré chez un expert-comptable. L’emploi doit respecter certaines conditions afin que l’indépendance ne soit pas altérée. De ce fait, l’expert-comptable qui rémunère le commissaire aux comptes ne doit pas être le réviseur des comptes de la société contrôlée par ce dernier.

Ces incompatibilités ont pour but d’éviter que le contrôleur ne soit sur la dépendance du contrôlé. Par conséquent, ne peuvent être nommés commissaires aux comptes, les personnes qui reçoivent de la société, une rémunération quelconque ou qui détiennent un intérêt dans celle-ci. On pourrait craindre que le commissaire aux comptes qui est salarié de la société exerce son contrôle avec mollesse de peur que la dénonciation d’une irrégularité n’entraîne son licenciement. L’article 697 apparaît ainsi comme le domaine des incompatibilités générales puisqu’il ne traite aucunement des incompatibilités spéciales.

b. Les incompatibilités spéciales
Le siège est l’article 698 de l’Acte uniforme. Bien qu’il n’emploie nullement le terme « incompatibilités », cet article traite des incompatibilités spéciales qui diffèrent selon qu’il y’a lien de parenté (b. 1) ou conflit d’intérêt (b. 2).

b. 1 – Les incompatibilités résultant des liens de parenté
Le législateur communautaire établit une série d’incompatibilités à l’égard des commissaires aux comptes, qui ne peuvent pas contrôler une société dans laquelle ils ont des liens de parenté. Ainsi ne peuvent être commissaires aux comptes les conjoints des fondateurs, apporteurs, bénéficiaires d’avantages particuliers, dirigeants sociaux de la société ou de ses filiales ; les parents jusqu’au quatrième degré inclusivement, des personnes visées ci-dessus. Sont ainsi visés tous les parents en ligne directe : parents, grands-parents, arrière-grands-parents, enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants.

En ligne collatérale, l’incompatibilité s’applique aux frères et sœurs, oncles et tantes, grands-oncles et grands-tantes, neveux et nièces, cousins germains ; les sociétés de commissaires aux comptes dont l’un des dirigeants, soit l’associé ou l’actionnaire exerçant les fonctions de commissaires aux comptes a son conjoint qui se trouve dans l’une des situations prévues au paragraphe 5° du présent article. Le conjoint doit être rémunéré à titre permanent par la société contrôlée.

En principe, le lien de parenté n’est pas en lui-même révélateur d’un défaut d’indépendance. Mais, parce que dans le monde des affaires, l’harmonie entre l’affection familiale et l’obligation d’indépendance risque bien souvent de s’établir aux dépens de cette dernière, l’existence d’un lien de parenté est prise en compte dans tout son ensemble, ce qui permet d’énumérer tous les cas de figure. Si l’on veut que l’entreprise soit « une maison de verre » , il faut que l’organe de contrôle brille par sa limpidité. C’est pourquoi, à coté des incompatibilités résultant des liens de parenté, la loi enjoint celles découlant des conflits d’intérêts.

b. 2 – Les incompatibilités spéciales découlant des conflits d’intérêts
Prenant en compte l’importance des intérêts dans la société anonyme, l’article 698 précité dispose que :
« Ne peuvent être nommés commissaires aux comptes :
1°) les fondateurs, apporteurs, bénéficiaires d’avantages particuliers, dirigeants sociaux de sociétés ou de ses filiales, ainsi que leur conjoint ». Les paragraphes 3 et suivant du même article renchérit : « 3°) les dirigeants sociaux de sociétés possédant le dixième du capital de la société ou dont celle-ci possède le dixième du capital, ainsi que leur conjoint ; 4°) les personnes qui, directement ou indirectement, ou par personne interposée, reçoivent, soit des personnes figurant au paragraphe 1°) du présent article, soit de toute société visée au paragraphe 3°) du présent article, un salaire ou une rémunération quelconque en raison d’une activité permanente autre que celle de commissaire aux comptes ; il en est de même pour les conjoints de ces personnes ; 5°) les sociétés de commissaires aux comptes dont l’un des associés, actionnaires ou dirigeants se trouve dans l’une des situations visées aux alinéas précédents ».

L’article 698 est certes riche dans son énumération, mais n’appréhende pas tous les cas d’incompatibilités découlant des conflits d’intérêts. Ainsi, le texte ne prévoit pas l’incompatibilité entre la qualité d’actionnaires et la fonction de commissaires aux comptes alors même qu’à notre sens, il est difficile d’admettre qu’un associé majoritaire puisse se faire nommer commissaire aux comptes sans rompre l’égalité entre les actionnaires.

En outre, bien que le paragraphe 4 du même article dispose que la fonction de commissaire aux comptes est incompatible avec les personnes qui directement ou par personnes interposées reçoivent de la société une rémunération quelconque à raison d’une activité autre que celle du commissaire aux comptes, des exceptions doivent être admises en ce qui concerne les missions particulières de révision effectuées par le commissaire aux comptes pour le compte de la société . Les commissaires aux comptes peuvent même recevoir des rémunérations de la société pour les missions temporaires d’objet limité, et entrant dans le cadre de leurs fonctions, dès lors que ces misions leur sont confiées par la société à la demande d’une autorité publique . Mise à part ces deux exceptions, toute autre situation contraire à l’esprit de l’article 698 serait constitutive d’incompatibilités spéciales à moins que l’on se trouve dans le domaine des incompatibilités temporaires.

c. Les incompatibilités temporaires
Toujours motivé par le souci d’améliorer la condition des contrôleurs, le législateur communautaire est allé au-delà des incompatibilités générales et spéciales pour consacrer une série d’interdictions à l’article 700 alinéa 1 et suivant de l’Acte uniforme. Pour éviter les états d’âme ultérieurs, ceux qui ont été « administrateurs généraux, administrateurs généraux adjoints, directeurs généraux adjoints, gérants ou salariés d’une société ne peuvent pas être nommés commissaires aux comptes de la société qu’ils contrôlent moins de cinq ans après la cessation de leurs fonctions dans ladite société ».
Pendant le même délai, ils ne peuvent être nommés commissaires aux comptes dans les sociétés possédant 10% du capital de la société dans laquelle elles exerçaient leurs fonctions ou dont celles-ci possédaient 10% du capital lors de la cessation de leurs fonctions.

Inversement, les commissaires aux comptes ne peuvent être administrateurs, directeurs généraux, directeurs généraux adjoints des sociétés qu’ils contrôlent moins de cinq ans après la cessation de fonctions. Pendant le même délai, ils ne peuvent exercer les fonctions dirigeantes dans les sociétés possédant 10% du capital de la société contrôlée par eux ou dont celle-ci possède 10% du capital lors de la cessation des fonctions. Rien n’empêche cependant le commissaire aux comptes de devenir immédiatement salarié à la fin de ses fonctions. L’indépendance du contrôleur dans l’Acte uniforme trouve, avec les diverses incompatibilités, une véritable application, parce que pénalement sanctionnées en cas de violation.

b. La sanction de la violation des incompatibilités
Les articles 697 à 700 de l’Acte uniforme exigent avec force, la nécessité pour le commissaire aux comptes d’exercer ses missions en toute indépendance en énonçant une série d’incompatibilités, renforcées par des interdictions. Pour assurer la pleine efficacité des prohibitions, l’article 898 précité dispose : « Encourt une sanction pénale, toute personne qui, soit en son nom personnel, soit à titre d’associé d’une société de commissaires aux comptes aura sciemment accepté, exercé ou conservé les fonctions de commissaires aux comptes nonobstant les incompatibilités légales. » Puisque le législateur communautaire a renvoyé aux États, le soin d’édicter les sanctions pénales , l’article 16 de la loi camerounaise du 10 Juillet 2003 punit d’un emprisonnement de 2 (deux) à 5 (cinq) ans et d’un amende de 200.000 à 5 .000.000 Fcfa ou de l’une de ces deux peines seulement, toute personne qui soit en son nom personnel, soit à titre d’associé d’une société de commissaire aux comptes a sciemment accepté, exercice ou conservé les fonctions de commissaires aux comptes nonobstant les incompatibilités.

L’article 898 utilise la formulation neutre « toute personne ». Il s’en suit que l’infraction peut être cumulée avec celle de l’exerce illégal de la profession. Ce qui signifie que les dirigeants sociaux qui ont agi sciemment pour faire nommer un commissaire aux comptes frappé d’une incompatibilité peuvent être condamnés comme complices.

Matériellement, l’infraction existe dès qu’il y’a eu soit acceptation même sans exercice concret des fonctions, soit poursuite des fonctions après apparition des incompatibilités et ce, quelle que soit la durée de cette infraction et/ou de l’importance de l’activité. L’élément moral de l’infraction est classiquement exigé. Il faut, prévoit l’article 899 de l’Acte uniforme que le commissaire aux comptes ait agi « sciemment ». On doit prouver que, non seulement le commissaire aux comptes a agi volontairement dans l’intention de nuire, mais aussi, qu’il connaissait la situation d’incompatibilité et n’en a pas tenu compte. En règle générale, il faut que soit établie la connaissance par le commissaire aux comptes de la situation des incompatibilités pour être puni. L’indépendance serait incomplète si le législateur s’était limité juste à l’entrée des fonctions. C’est pour lui donner sa pleine efficacité qu’il l’a étendu à l’exercice des fonctions.

B. Les garanties en cours de fonction : les conditions de rupture « anticipée » du mandat

Sous l’empire de la vielle loi de 1867 étendue aux colonies, il n’existait aucune garantie de stabilité de la fonction des contrôleurs. Ces derniers étaient révoqués à tout moment par les dirigeants comme ils l’entendaient. L’acte uniforme s’inscrit contre cette vision en prévoyant une longue durée du mandat et dans l’hypothèse où elle peut être affectée, la rupture est entourée des règles d’interprétation stricte. Le principe de la stabilité du contrôle recherché contribue à définir les conditions de la récusation (1) et de la révocation (2) du commissaire aux comptes.

1. La récusation des commissaires aux comptes

La récusation consiste à éviter l’entrée en fonction d’un commissaire aux comptes qui ne présente pas tous les caractères qu’exige le principe d’indépendance. Un commissaire aux comptes, suspecté de dépendance à l’égard des dirigeants peut faire l’objet d’une récusation de la part des actionnaires. Mais aussi, peut-on craindre qu’une majorité d’actionnaires, inquiétée des investigations du commissaire aux comptes ne profitent pour mettre prématurément fin à ses fonctions. C’est la raison pour laquelle le législateur l’entoure d’un formalisme de rigueur (a), la procédure (b) étant essentiellement judiciaire.

a. Le formalisme de la récusation
L’assemblée des actionnaires nomme le commissaire aux comptes, mais n’a plus en principe le pouvoir de mettre fin à ses fonctions en cours de mandat. Cependant, il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles il importe d’y mettre fin. L’article 731 de l’Acte uniforme dispose : « Un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social de même que le ministère public, peuvent demander en justice la récusation des commissaires aux comptes nommés par l’assemblée générale ordinaire ». La demande de récusation doit être fondée sur « un juste motif » propre à mettre en doute l’honorabilité et l’impartialité du commissaire aux comptes.

Le législateur n’a pas précisé les motifs de la récusation, le juste motif est de ce fait laissé à la charge du juge qui apprécie, en s’inspirant du droit commun et de la pertinence des raisons invoquées à l’appui de la demande. C’est ainsi que dans une espèce , le juge a considéré que les conditions dans lesquelles un commissaire aux comptes avait exercé des fonctions antérieures de conseiller de la société contrôlée ne permettaient pas de retenir à son encontre des reproches de partialité ou de dépendance justifiant sa récusation.

La récusation représente une procédure implicite de vérification, par chacun des partenaires de l’entreprise sociale, que le commissaire aux comptes désigné présente toutes les garanties d’indépendance à l’égard des autres partenaires. La récusation de l’article 731 doit donc permettre aux acteurs sociaux de corriger le choix d’un commissaire aux comptes qui méconnaît les règles de sa profession, au premier rang desquelles figure le principe d’indépendance. Cependant, l’actionnaire doit respecter la procédure y afférente.

b. La procédure de la récusation
La récusation est prononcée par le président de la juridiction du lieu de situation de la société contrôlée. L’action est intentée par un ou plusieurs actionnaires détenant au moins 10% du capital ainsi que le Ministère public, dans les trente jours de la désignation du commissaire aux comptes .

S’il est fait droit à la demande, un nouveau commissaire est désigné en justice. Il demeure en fonction jusqu’à l’entrée en fonction du commissaire aux comptes désigné par l’assemblée générale . Doit donc être remplacé, tout commissaire aux comptes qui ne présente plus les garanties que l’on attend « d’un organe de régularité » . Mais, parce que la mission de contrôle oblige parfois le commissaire aux comptes à prendre des positions qui déplaisent aux dirigeants véreux, ces derniers peuvent à tout bout de chemin vouloir le récuser. Au cas où ils n’auront pas réussi, ils essaieront de faire obstacle à sa réélection ou provoquer sa révocation.

2. Le régime de la révocation

Permettre aux associés, de mettre fin prématurément, serait-ce par caprice aux fonctions des commissaires aux comptes compromettrait leur indépendance et inévitablement l’efficacité du contrôle. Ainsi, l’article 732 de l’Acte uniforme pose le principe selon lequel la révocation du commissaire aux comptes ne peut être demandée en justice qu’en cas de faute ou d’empêchement. Parce que la procédure est essentiellement judiciaire, le juge se livrera à une appréciation de l’empêchement ou de la faute.

La faute s’entend généralement de l’inexécution ou de la mauvaise exécution des missions qui incombent au commissaire aux comptes . Ainsi, le commissaire aux comptes qui, ayant découvert les irrégularités et inexactitudes comptables, ne saisit pas l’assemblée générale en temps utile pour l’informer peut voir sa révocation justifiée . Il en est de même d’un commissaire aux comptes qui dissimule les actes de nature à porter atteinte à son indépendance. Quant à l’empêchement, il est constitué de tout fait qui peut obstruer à l’exécution de la mission du commissaire aux comptes. On peut distinguer l’empêchement interne et l’empêchement externe. Ce dernier est propre au commissaire aux comptes, indépendamment des conditions particulières d’un mandat de contrôle. Il s’agit soit d’une absence prolongée ou d’une maladie. Dans ces cas, la révocation est possible et justifiée en vertu de l’article 731 précité.

L’empêchement interne à la société contrôlée vise le commissaire aux comptes parfaitement apte physiquement, intellectuellement et matériellement à l’exercice de ses fonctions, mais qui, se trouve dans des circonstances particulières, indépendantes de sa volonté, qui l’empêchent d’assumer correctement sa mission. Il s’agira par exemple d’un bouleversement des structures comptables ou juridiques de la société contrôlée tels que les moyens des cabinets du commissaire aux comptes cessent d’être adaptés .

La procédure judiciaire de révocation est supposée exclusive de tout abus. Mais la révocation pour empêchement « interne » n’est-elle pas abusive ? Le commissaire aux comptes est révoqué pour des raisons indépendantes de sa volonté. A notre sens, le juge ne devrait admettre une telle révocation, tout au plus, il devrait même permettre au commissaire aux comptes d’exercer une action en dommage-intérêts contre la société. Les conditions de mise en œuvre de l’action en révocation apparaissent très protectrices pour les contrôleurs. L’idée est de parvenir à mettre fin à « la révocabilité ad nutum », jugée incompatible avec « l’indépendance de celui qui doit parfois déplaire » . La préoccupation du législateur communautaire était donc d’assurer l’indépendance de la fonction de contrôle . Pour atteindre ces objectifs initiaux, il faudra vaincre les obstacles pratiques qui persistent et contribuent à saper l’œuvre jusqu’ici entreprise.

II. L’indépendance pratiquement éprouvée

Les insuffisances de l’indépendance des commissaires aux comptes dans l’Acte uniforme s’expliquent par des atteintes infligées par les dirigeants sociaux (A). Ces entraves portent un coup dur à la règle d’or de l’indépendance qu’il faut nécessairement solutionner. Si le législateur veut que l’indépendance du contrôleur reste la pièce angulaire du contrôle, il serait souhaitable qu’il procède aux utiles et nécessaires adaptations (B).

A. Les intrusions abusives des dirigeants sociaux

Dans l’Acte uniforme, deux situations permettent de mettre en évidence l’indépendance factice des commissaires aux comptes. La première hypothèse intervient lors de leur désignation par l’assemblée générale des actionnaires. À ce stade, les dirigeants exercent une influence décisive sur ladite assemblée (1). La seconde hypothèse concerne les négociations d’honoraires des commissaires aux comptes où ces mêmes dirigeants sont omnipotents (2).

1. L’influence des dirigeants sur l’assemblée désignant les contrôleurs

L’article 703 de l’Acte uniforme dispose que le premier commissaire aux comptes et son suppléant sont désignés dans les statuts ou par l’assemblée générale constitutive, en cours de vie sociale par l’assemblée générale ordinaire. Cet article met en exergue la compétence de principe de l’assemblée des actionnaires dans le choix des commissaires aux comptes. Malheureusement, ce procédé n’offre pas une garantie d’indépendance suffisante puisque l’assemblée est généralement dominée par les dirigeants sociaux.

Ce sont eux finalement qui proposent la désignation ou le renouvellement du commissaire aux comptes chargé de les contrôler. De même, bien qu’il est interdit au directeur général s’il est administrateur de participer au vote du conseil d’administration proposant à l’assemblée des actionnaires, la désignation des commissaires aux comptes lorsque la société fait appel public à l’épargne, il pourra toujours par divers procédés , influencer le conseil d’administration ou ladite assemblée. Finalement, le choix des commissaires aux comptes par l’assemblée n’est jamais libre, celle-ci devenant une chambre d’enregistrement des volontés des dirigeants sociaux, chargée d’entériner le choix des commissaires aux comptes à elle proposée par ces derniers.

Quand les dirigeants proposent à l’assemblée, le choix d’un contrôleur, ledit choix n’est jamais hasardeux. Ils présentent toujours des contrôleurs avec lesquels ils ont des liens affinés, sachant que ces derniers ne peuvent exercer leur mission qu’avec mollesse, en évitant de mettre à mal le réseau de relation. Ils garderont toujours le silence sur une grande partie des manœuvres frauduleuses des dirigeants par peur de représailles.

Cette situation s’accompagne pour la société contrôlée, des conséquences néfastes. Le contrôle opéré par les commissaires aux comptes devient illusoire du fait du manque d’indépendance à l’égard des « dirigeants malhonnêtes » qu’ils sont censés pourtant contrôler. Même la publicité de la désignation intervenue plus tard ne fait pas disparaître le vice. Quand les dirigeants n’auraient pas réussi à corrompre l’assemblée des actionnaires du choix d’un commissaire aux comptes qui leur est favorable, ils attendront le moment des négociations des honoraires, pour mettre en œuvre toute leur omnipotence.

2. L’omnipotence des dirigeants dans la négociation des honoraires

L’article 723 alinéa 1 de l’Acte uniforme pose une règle d’or : « Les honoraires du commissaire aux comptes sont à la charge de la société ». Il en résulte une négociation des honoraires entre le commissaire et la société. Mais a-t-on oublié que la société est une personne morale agissant par le biais de ses représentants, en l’occurrence les dirigeants sociaux.

En effet, lorsqu’on affirme que la négociation des honoraires se fait d’un commun accord entre le commissaire aux comptes et la société, c’est à proprement parler, une négociation entre ce magistrat de chiffre et les dirigeants sociaux qui président aux destinées de la société. Ce système est critiquable, car tout marchandage entre le commissaire et le dirigeant est inconvenant, encore qu’il est sans doute très peu satisfaisant de faire payer le contrôleur par le contrôlé.

Ce dernier peut à l’occasion lui fournir une rémunération mirobolante, destinée à le détourner du contrôle et le contraindre à garder le silence sur certains de leurs actes fautifs passés au sein de l’entreprise. Décidément, le système de négociation des honoraires institué entre le dirigeant et le contrôleur n’offre aucune garantie réelle d’indépendance pour ce dernier. Eu égard à la nature insatiable de l’homme, tout commissaire aux comptes, aussi diligent soit-il, risque de succomber à la tentation. En conséquence, les résultats d’un contrôle livré par un contrôleur « financièrement dépendant » des dirigeants ne pourraient qu’être illusoires. Face à cette situation scabreuse, il est plus urgent de mettre en œuvre des « solutions à la fois originales et mieux à adaptées » pour que le contrôle reste la pièce angulaire de la transparence dans la gestion des sociétés commerciales.

B. La recherche des garanties d’indépendance mieux adaptées

L’émergence de nouvelles garanties d’indépendances du commissaire aux comptes a l’avantage de sortir ce dernier, du joug de la domination des dirigeants, lui permettant par la même occasion d’exercer efficacement ses missions. Elles pourront consister dans la proclamation d’un ensemble de mesures extrajudiciaires(1) et judiciaires (2) en leur faveur.

1. Les garanties extrajudiciaires d’indépendance

Les garanties concernent l’interdiction faite aux dirigeants sociaux de prendre part aux réunions de l’assemblée désignant le commissaire aux comptes (a), suivie de l’institution d’un système de barème des honoraires de taxation des honoraires (b).

a. L’interdiction des dirigeants aux réunions de l’assemblée désignant les contrôleurs
Aucun système a priori n’est prévu par l’Acte uniforme pour vaincre l’influence des dirigeants sociaux sur l’assemblée des actionnaires, et par voie de conséquence, pour protéger l’indépendance du commissaire aux comptes au moment de sa désignation. Fort heureusement, la loi française de sécurité financière proclame de nouvelles garanties d’indépendance lors de cette désignation en interdisant formellement au directeur général et le directeur général délégué, s’ils sont administrateurs, de prendre part aux réunions du conseil d’Administration ou de l’assemblée des actionnaires désignant le contrôleur lorsque la société fait appel public à l’épargne.

Dans ces structures, les comités d’audit joueront un rôle très important dans le choix desdits commissaires en faisant des propositions au conseil d’administration. Les actionnaires minoritaires peuvent également déposer des projets de résolution tendant à désigner un ou plusieurs commissaires aux comptes, avec l’interdiction toujours faite aux dirigeants sociaux d’y prendre part. Ces nouvelles mesures applicables aux sociétés faisant appel à l’épargne peuvent bien s’appliquer à toutes les sociétés commerciales.

Le législateur communautaire devrait introduire ces innovations dans son dispositif afin de renforcer davantage l’indépendance de l’auditeur légal. En présence d’un conseil ou d’une assemblée d’actionnaires libéré des pressions des dirigeants, le choix des commissaires aux comptes, dont on est sûre de la compétence et de l’indépendance est possible. Ce qui aura des répercussions très positives sur le contrôle des sociétés. Mise à part cette mesure, l’indépendance de l’organe de contrôle au niveau de son élection peut être renforcée à travers l’institution d’un barème des honoraires.

b. L’institution d’un système de barème des honoraires du commissaire aux comptes
Il ne servirait à rien de régler avec minutie les conditions de nomination et la durée du mandat des commissaires aux comptes si l’indépendance financière ainsi édifiée était menacée par la libre discussion des honoraires entre lui et la société. Pourtant, le législateur n’a rien prévu pour éviter cette situation.

La doctrine majoritaire souhaitant une atténuation de la dépendance financière des auditeurs légaux avait proposé un système libéral de négociation des honoraires entre le commissaire aux comptes et la société sous l’arbitrage de la chambre de discipline ou d’un juge. Ce système « mi-libéral, mi-interventionniste » n’est pas très cohérent. Les rapports de travail reposent sur la confiance mutuelle des parties et l’immixtion d’un tiers dans la fixation des honoraires risquerait non seulement de remettre en cause cette confiance, mais aussi, rendrait lourde et onéreuse la procédure de fixation des honoraires.

À notre sens, le renforcement de l’indépendance financière des commissaires aux comptes pourra passer par l’institution d’un système de barème des honoraires. A cet effet, les commissaires aux comptes établiront un programme de travail, indiquant le nombre d’heures nécessaires à l’accomplissement de ses diligences. Ce nombre d’heures doit se trouver à l’intérieur d’une fourchette fixée légalement en fonction de la taille de la société.

L’institutionnalisation d’un tel barème serait favorable aussi bien pour les actionnaires que pour le commissaire aux comptes. Pour ce dernier, il lui permettra de s’exprimer librement au sein de l’entreprise contrôlée en préservant pleinement son intégrité et son indépendance. Pour les actionnaires, le barème leur permettra de se faire une opinion sur l’état du contrôleur qu’ils ont nommé, d’avoir des informations précises sur le montant de leurs honoraires. Ce qui les rassure que le commissaire aux comptes ne s’érige pas en protecteur indéfectible des dirigeants.

L’institution du barème des honoraires des commissaires aux comptes est salutaire à plus d’un titre, raison pour laquelle le législateur communautaire gagnerait à l’intégrer aussi rapidement dans son espace. Ces mesures sont la bienvenue, mais, peuvent se révéler inefficaces du fait de la résistance des dirigeants véreux. Pour renforcer la pleine efficacité de ces garanties, il serait souhaitable de les compléter des garanties judiciaires.

2. Les garanties judiciaires : le délit d’entrave à la désignation des contrôleurs

Interdire aux dirigeants sociaux de prendre part aux réunions du conseil d’Administration ou de l’assemblée des actionnaires désignant le commissaire aux comptes peut être perçu comme une solution inefficace du fait de l’absence de responsabilité pénale. Pour que l’interdiction garde toute son importance et protège grandement l’indépendance des contrôleurs, il serait souhaitable pour le législateur, de reconnaître le délit d’entrave à la désignation des contrôleurs contre les dirigeants véreux. Cette responsabilité contribuerait à les responsabiliser davantage.

Le délit supposerait l’existence des conditions préalables : la réunion de l’assemblée des actionnaires et la désignation des commissaires aux comptes. L’élément matériel du délit pourra consister dans les manœuvres diverses, de nature quelconque apportées par l’auteur du délit à la désignation des commissaires aux comptes. Il peut résulter par exemple, dans la promesse faite aux actionnaires en vue de détourner leur choix, la rencontre avec les actionnaires « juste » avant l’ouverture de la séance, la non production ou la production partielle des documents, ou de l’opposition à fournir des moyens matériels pour procéder à des travaux.

Le délit peut également être retenu du fait de la seule présence des dirigeants à ladite assemblée à moins que l’auteur prouve qu’il ignorait l’existence d’une telle assemblée au moment des faits. Les éléments matériels doit être largement entendue pour réprimer tous les cas desquels , il est permis de constater un comportement fautif des dirigeants exerçant une influence sur l’assemblée des actionnaires.

En plus de l’élément matériel, l’intention sera exigée pour que le délit soit consommé. L’action en connaissance de cause est nécessaire à l’existence de l’infraction, Il faudra que les dirigeants aient volontairement fait obstacle à la désignation des commissaires aux comptes.

La répression du délit suppose donc que le législateur l’incrimine et que chaque État dans sa législation pénale prévoie des sanctions y afférentes. A notre sens, les sanctions pourront consister dans les peines de l’article 17 de la loi camerounaise du 10 juillet 2003 traitant du défaut de désignation ou de convocation des commissaires aux comptes aux assemblées. Il s’agira là d’une peine exemplaire. La menace d’une sanction pénale aussi forte permettra sans aucun doute de vaincre tous les obstacles à la règle d’or de l’indépendance des commissaires aux comptes.

L’indépendance du commissaire aux comptes, pour quoi faire ? Faut-il comprendre que la crédibilité ou la transparence des informations financières et comptables se lit dans les comptes sociaux. L’impartialité de l’organe est du reste la clé de voûte de toute fonction de contrôle. Le législateur se doit de la sauvegarder afin de donner davantage de poids à ce partenaire indétachable de l’entreprise. En définitive, l’émergence des nouvelles garanties ainsi proposées, permettrait au commissaire aux comptes d’accomplir ses missions avec plus d’objectivité.

Didier TAKAFO-KENFACK
Docteur en droit-Assistant
Université de Bamenda (Cameroun)

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Pratique professionnelle.