Doctrine OHADA

« L’assurabilité du risque de développement dans l’espace CIMA?»

BEKADA EBENE Christiane Nicole
Assistante à la faculté des sciences juridiques et politiques
Université de Douala

Le développement technologique et scientifique du monde contemporain revêt de plus en plus un caractère progressif considérablement accentué. Cette vitesse qui s’accroît du jour au jour se voit dans tous les domaines qui touchent la vie du consommateur. Ainsi le domaine industriel n’a pas fait l’exception, car divers produits sont fabriqués et mis sur le marché pour être consommés par le public sous la seule condition d’en payer le prix convenu . En effet, la mise en circulation de ces produits ne va pas sans risques, certains défauts peuvent être découverts plus tard, surtout lorsque ceux-ci ont été prouvés grâce à un progrès de connaissances très avancé. Il est alors évident que ces défauts soient la cause, d’une manière ou d’une autre, d’éventuels. Ce qui implique la nécessité de réparation des dommages subis par les victimes du fait des produits défectueux. D’ailleurs, dans la plupart des pays africains en voie de développement, l’on assiste régulièrement au retrait des produits sur le marché pour des raisons d’insécurité .

Par produit défectueux, on entend « tout meuble naturel ou industriel, brut ou manufacturé, même incorporé dans un autre meuble ou immeuble qui n’offre pas la sécurité à la quelle on peut légalement s’attendre » . Selon l’article 1386 du code civil français, un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Pour une certaine doctrine , le produit est défectueux lorsqu’il n’est pas conforme à l’attente légitime de celui auquel il est fourni en exécution d’un contrat, parce qu’il n’a pas les qualités convenues ou qu’il n’est pas apte à l’usage auquel on le destine.

De toutes ces définitions, l’on peut retenir qu’un produit défectueux est celui qui est impropre à la consommation. La défectuosité d’un produit peut être actuelle ou future. Elle est actuelle lorsqu’il est possible de la déceler dès la fabrication du produit. Ici, l’origine du défaut se situe toujours en cours d’exploitation de l’entreprise. Il peut s’agir « d’une erreur, une maladresse ou de la négligence commise à l’occasion d’une opération intellectuelle ou technique lors de la conception, de la fabrication, du conditionnement ou de la distribution du produit » . Cette défectuosité peut recouvrir différentes situations, notamment le vice propre qui constitue un défaut interne, préexistant à la remise du produit, et le rendant impropre à l’usage auquel on le destine ; des cas de malfaçon dans l’emballage ou le mauvais conditionnement ; des mauvaises conditions de stockage ou même des erreurs d’étiquetage au niveau de la distribution du produit .

En revanche, la défectuosité est future lorsqu’elle n’est pas décelable au moment de la conception ou de la mise en circulation du produit. Celle-ci correspond exactement à la notion de risque de développement.

Le risque de développement est défini comme l’ensemble des « dommages qui proviennent d’une cause qui ne pouvait être ni prévue, ni évitée compte tenu de l’état de la science au moment où il a été mis en circulation » . Il s’agit en réalité du risque de dommage dont la cause résulterait de l’insuffisance du développement de la science ou de la technique au moment où le produit a été mis en circulation . Il est constitué par l’éventualité de voir sur des dommages causés par un produit après sa mise en circulation, du fait d’un défaut qui lui est inhérent, et qui, au moment de sa mise en circulation, était indécelable, insoupçonnable, imprévisible, voire inévitable, car l’état des connaissances scientifiques et techniques, à ce moment, ne permettait pas de l’identifier . En d’autres termes, ce n’est pas vraiment la défectuosité qui est future, mais sa découverte. C’est le développement de techniques nouvelles qui permettra de déceler ce qui, avant elles, était indécelable . Ainsi, le vice que des investigations exceptionnelles auraient permis de découvrir, n’est pas simplement « indécelable », mais un vice qu’il est matériellement impossible pour le fabricant de connaitre, car les techniques existantes sont insuffisantes . Il pèse donc sur le producteur le risque d’un développement de l’état des connaissances pouvant révéler un défaut jusqu’alors ignoré.

En réalité, le risque de développement ne devrait pas être confondu avec certaines notions voisines, notamment le risque produit. En effet, bien que les deux notions soient toutes deux des risques de produits, il ya lieu de retenir qu’ avec le risque produit, l’état de la science au moment de l’introduction du produit sur le marché permet d’identifier le vice que ce dernier est susceptible de présenter, et donc, de mesurer le risque lié à l’utilisation du produit, tandis que, pour le risque de développement, il est impossible de le prévoir, de le déceler et de le mesurer. Tout ceci pose un problème sérieux de couverture de ce risque par une assurance, étant donné qu’un risque assurable est caractérisé par la précision de l’estimation de sa loi de probabilité, et donc par la possibilité de le traiter comme un coût prévisible pouvant donner lieu à une mise en réserves financières
Par ailleurs, le risque de développement présente plusieurs caractéristiques. Certaines sont liées au défaut ou à la défectuosité du produit, d’autres, par contre, se rattachent à son assurabilité .

S’agissant des premières, le risque de développement est tout d’abord un risque résultant d’un défaut inhérent, parce que lié au produit même. Ainsi, il ne s’agirait pas du risque de développement, si le défaut du produit était postérieur à sa fabrication ou à sa mise en circulation. Ensuite, ce risque provient d’un défaut indécelable et insoupçonnable, car le producteur doit se trouver dans l’impossibilité de découvrir le défaut contenu dans son produit, compte tenu de l’incapacité des connaissances techniques et scientifiques actuelles à en révéler la défectuosité. Enfin, c’est un risque pratiquement difficile de prévoir et d’en éviter la réalisation. En fait, il est impossible de déterminer et de quantifier le défaut lors de la mise sur le marché d’un produit. Ce qui rend difficile toute évaluation prévisionnelle, l’assureur n’ayant aucune base statistique lui permettant d’évaluer le coût éventuel d’un sinistre, surtout s’il s’agit d’un dommage sériel comme l’ont montré les affaires du sang contaminé, de l’amiante , de la vache folle , de l’hépatite C , pour ne citer que celles-là.

Concernant les secondes, le risque de développement présente quatre caractéristiques qui rendent problématique son assurabilité. De prime abord, ce risque concerne essentiellement des atteintes à la santé. Certes, on peut imaginer des incertitudes de développement à conséquences matérielles, mais le problème du risque de développement, tel qu’il a été posé par les auteurs de la Convention du Conseil de l’Europe et de la directive de 1985, réside dans la menace que certains produits peuvent faire peser sur la vie ou la santé des hommes . Ensuite, c’est un risque de masse qui présente un caractère catastrophique en raison du nombre de victimes et de la nature des dommages causés . Il ne s’agit pas d’un vice atteignant une série ou un lot, mais d’une conséquence de conception pouvant atteindre des centaines ou des milliers de personnes.

Par ailleurs, le risque de développement se traduit par un changement d’évaluation dans le rapport cout/bénéfice d’un produit. Ainsi, la réalisation de ce risque fait découvrir que les avantages vérifiés sont liés à des désavantages dont on n’était pas en mesure d’établir l’existence ni l’ampleur, et qui apparaissent comme supérieurs aux avantages obtenus. Le risque de développement transforme donc l’évaluation jusqu’alors, faite sur un produit : le bien devient un mal, et le mal trouve un responsable identifiable . Le produit a été mis en circulation en raison des propriétés positives qu’il présentait, par exemple, le médicament pour ses qualités préventives ou curatives. Mais son fabricant, au lieu d’en tirer un bénéfice, il en tire plutôt une perte.
Enfin, le risque de développement apparaît généralement après plusieurs années . Ceci s’explique par le fait qu’il soit détecté grâce à l’évolution scientifique et technologique, et très souvent ladite évolution ne se fait pas spontanément, la science évolue au fil des ans, ce qui rend difficile son assurance, car, on ne sait quand la science sera capable de détecter et découvrir le défaut.

Le risque de développement apparait, au vu de toutes ces caractéristiques, comme un risque difficilement assurable. Cependant cette difficile assurabilité ne signifie nullement l’impossibilité d’assurer ce risque. Une partie de la doctrine en est favorable . Certains systèmes juridiques l’ont même déjà intégré dans la sphère de l’assurable . Partant de ce constat, l’on est en droit de se demander si le marché d’assurance communautaire CIMA peut aussi intégrer le risque de développement dans la matière assurable y existante. En d’autres termes, peut-on assurer le risque de développement dans l’espace CIMA ?

La question trouve tout son intérêt quand on sait que l’espace CIMA est en majorité composé des pays en voie de développement qui sont généralement des dépotoirs des produits contrefaits et non contrôlés, exposant régulièrement la santé et la vie des populations. Cet espace communautaire connait aussi un marché d’assurance qui souffre de plusieurs maux , notamment un champ assez limité de la matière assurable.
De ce fait la réflexion sur l’assurabilité du risque de développement serait d’un triple intérêt. Sur le plan juridique, elle attirerait l’attention du législateur sur la nécessité de légiférer sur le risque de développement qui semble être une notion encore méconnue dans notre contexte. Sur le plan économique, elle aiderait à élargir la matière assurable exploitée dans la zone CIMA en suscitant une augmentation des parts de marché. Sur le plan social, elle susciterait le renforcement de la protection des consommateurs et une bonne prise en charge des victimes.

A la réflexion, il apparait plausible d’affirmer que le risque de développement peut être assurable dans l’espace CIMA. Cependant, cette assurabilité doit observer certaines conditions (I) et surtout justifier des fondements, aussi bien théoriques, que pratiques (II)

I. LES CONDITIONS D’ASSURABILITE DU RISQUE DE DEVELOPPEMENT DANS L’ESPACE CIMA

La notion de risque de développement est désormais constante dans l’actualité. Elle gagne de plus en plus du terrain, tant avec l’émergence forte du droit de la responsabilité environnementale, qui élargit la question de la réparation corporelle à la réparation des dommages à l’environnement, qu’avec le déploiement du principe de précaution dans le droit positif. Cependant, il est à déplorer que la plupart des systèmes juridiques africains, pourtant fort interpellés par les préoccupations environnementales, méconnaissent encore le risque de développement. Or, pour que ce risque soit assurable dans l’espace CIMA, il faut d’abord qu’il soit intégré dans les différents systèmes juridiques de ladite zone (A) et qu’ensuite, sa nature juridique soit déterminée (B).

A. L’intégration du risque de développement dans les systèmes juridiques de l’espace CIMA

La nécessité d’intégrer le risque de développement dans les législations révèle l’importance des lieux d’inscriptions du droit. Ceux-ci varient selon les objectifs poursuivis par les situations juridiques. Ainsi, si la doctrine peut contribuer à d’importantes réformes, ces reformes ne peuvent être effectives que si la loi les entérine. Dès lors, il appartient au législateur de veiller à une remise à jour permanente du corpus règlementaire afin de pallier certains vides juridiques. L’ensemble des législations de la zone CIMA gagnerait ainsi à légiférer sur la question du risque de développement aussi bien au niveau des droits nationaux (1), qu’au sein même du droit CIMA(2).

1) Dans les droits nationaux

La plupart des législations africaines sont aujourd’hui obsolètes. Certaines se contentent encore de l’héritage législatif colonial . D’autres essayent de s’adapter à l’évolution des sociétés et des instruments juridiques . Mais cet effort reste perfectible dans la mesure où de nombreux domaines sont encore ignorés du droit local. C’est le cas de la responsabilité du fait des produits défectueux, en général, et du risque de développement, en particulier. L’urgence d’une législation en la matière ne fait plus aucun doute, dans un contexte où les mutations de la responsabilité civile tant dans sa notion , que dans son régime appellent à des refontes certaines. L’Afrique et surtout, les pays de l’espace CIMA ne peuvent plus continuer à nier ce besoin à l’heure où la majorité d’entre eux aspirent à l’émergence, voire au développement, et que les questions environnementales interpellent de plus en plus leurs gouvernements.

En réalité, il est déplorable de constater qu’au moment où la notion de risque de développement est, soit résolue, soit en débat dans d’autres systèmes juridiques, la plupart des pays africains méconnaissent encore ladite notion. Or, si le droit est un instrument de lecture du monde, le souci de modernisation des outils juridiques devrait être une priorité pour l’Afrique, qui se veut compétitive sur le plan international. En tout état de cause, il ya un réel besoin à intégrer le risque de développement dans les droits nationaux africains. Cette intégration pourrait se faire soit par l’insertion de la notion dans des textes existants, soit par l’édiction de nouveaux textes.

La première modalité interpelle des systèmes comme le Cameroun, qui admet déjà la responsabilité du fait des produits défectueux aussi bien de lege lata, que de lege feranda. Ainsi par exemple, la loi- cadre n°2011/012 du 06 mai 2011 portant protection du consommateur au Cameroun pourrait connaitre des amendements en insérant la notion de risque de développement, soit dans la rubrique de la protection économique et technologique du consommateur, soit dans celle portant sur la sécurité physique et la protection de l’environnement. De même, l’avant projet du code civil camerounais dans ses articles 1502 et suivants, qui fixe les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux et, qui consacre notamment la responsabilité de plein droit du producteur et énumère les cas dans lesquels celui-ci pourrait être exonéré, pourrait intégrer la notion de risque de développement, non pas comme cause d’exonération, mais plutôt comme une exception aux causes exonératoires prévues.

La seconde modalité intéresse des pays qui ignorent encore totalement dans leurs droits locaux, la responsabilité du fait des produits défectueux. C’est le cas du Sénégal dont le nouveau code des obligations civiles et commerciales ignore totalement la responsabilité du fait des produits défectueux et par conséquent la notion du risque de développement. C’est aussi le cas des pays comme la cote d’ivoire et bien d’autres encore, qui sur ce plan, se contentent encore de l’héritage colonial.
Tout compte fait, quelque soit la modalité adoptée, la législation en la matière est nécessaire, tant sur le plan interne, que sur le plan communautaire.

2) Dans le droit CIMA

Le risque de développement ne saurait être commercialisé dans l’espace de la conférence interafricaine du marché des assurances, s’il est méconnu par la législation de cette zone. Le texte CIMA devrait donc intégrer cette notion, non seulement pour accroitre les parts de marchés , mais encore pour renforcer le domaine de l’assurance de responsabilité civile dans l’espace CIMA.

S’agissant de la perspective d’accroissement des parts de marchés, le marché d’assurance CIMA a régulièrement fait face au reproche du nombre très réduit des produits commercialisés au sein dudit marché . Cette étroitesse des parts de marchés est généralement la cause de plusieurs maux comme, la sous-tarification, la multiplication des charges de fonctionnement, la délocalisation des grands risques et bien d’autres encore . Ces maux entrainent à leur tour la faiblesse du chiffre d’affaire, le ralentissement du secteur, voire la régularité des liquidations des entreprises d’assurance. Cet état de choses appelle depuis longtemps à une extension du domaine d’assurabilité du marché CIMA. La réglementation sur la micro-assurance est un début de solutions à ce problème. Mais, elle n’est pas suffisante . Le marché d’assurance devrait davantage aller à la recherche d’autres produits, notamment le risque de développement, qui a l’avantage d’être auréolé, à la fois des aspects environnementaux et technologiques.

Concernant la perspective de renforcement de l’assurance de responsabilité civile dans l’espace CIMA, il ya lieu de noter que le marché de l’assurance africaine connait une certaine aversion de ce type d’assurance, pourtant le domaine des assurances obligatoires est fortement marqué par l’assurance de responsabilité civile. Toutefois, il faut reconnaitre que cette aversion est justifiée par le régime de cette assurance suffisamment influencée par les règles du droit de la responsabilité civile . Ainsi, la réception du risque de développement par le droit CIMA serait une avancée certaine qui viendrait renforcer l’importance de cette assurance au sein du marché. Cette réception pourrait être faite soit par un texte additif dans le code CIMA, notamment dans la rubrique des assurances de responsabilité civile. Pour permettre une assurabilité efficace de ce produit, le risque de développement devrait être enregistré parmi les assurances obligatoires. Dès lors, chaque fabriquant ou chaque producteur devrait obligatoirement souscrire une assurance de responsabilité pour risque de développement, afin de couvrir les risques susceptibles d’être causés par des vices cachés et indécelables des produits fabriqués au moment de leur mise en circulation.

En tout état de cause, l’intégration du risque de développement dans les systèmes juridiques de l’espace CIMA est, certes incontournable pour son assurabilité, mais elle en demeure une condition insuffisante, car la détermination de la nature juridique de ce risque reste également un préalable à son assurabilité dans l’espace CIMA.

B. La détermination de la nature juridique du risque de développement

Si l’intégration de la notion du risque de développement dans les systèmes juridiques de l’espace CIMA est un préalable incontournable pour son assurabilité, la détermination de sa nature juridique constitue aussi une condition nécessaire pour que ce risque soit commercialisé au sein du marché des assurances CIMA. A cet effet, le choix de l’exclusion du risque de développement comme cause d’exonération de responsabilité civile (1) et son admission comme cause d’engagement de responsabilité civile (2) poursuivrait mieux ce objectif.

1) L’exclusion du risque de développement comme cause d’exonération de responsabilité civile

L’apparition de risques nouveaux, la multiplication des catastrophes amènent à s’interroger sur des situations où l’événement dommageable a lieu alors même que tout a été fait pour l’éviter et qu’aucune faute ne peut être reprochée à l’auteur du dommage en l’état des connaissances scientifiques et techniques. Partant, certains considèrent le risque de développement comme une cause d’exonération de responsabilité civile.

L’exclusion de la responsabilité du producteur en cas de risque de développement repose sur l’argument souvent avancé qu’il est inéquitable de rendre le producteur responsable lorsque l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit, l’empêchait de découvrir l’existence du défaut . Cette exclusion ouvre donc au producteur de larges possibilités d’échapper à sa responsabilité, dès lors qu’il lui appartient d’établir un fait négatif à savoir : le défaut indécelable . L’exonération pour risque de développement pourrait s’articuler autour de plusieurs raisons, tant juridiques, qu’économiques.

Sur le plan juridique, l’on pourrait de prime abord fonder cette exonération sur l’existence d’un vide législatif en la matière . De plus, la jurisprudence a abordé la question indirectement à travers d’autres notions que celles du risque de développement et y a apporté des réponses divergentes . En effet, un courant majoritaire et constant depuis les années 70 retient la responsabilité du professionnel pour les défauts de ses produits, alors même qu’il ne peut les déceler, tant à l’égard de ses contractants, qu’à l’égard des tiers . Mais, à l’inverse, la cour de cassation française considère que le producteur n’est pas responsable lorsque le dommage est imputable, non à un vice de la chose, mais à un danger que celle-ci présente et dont il ne pouvait avoir connaissance. La question du risque de développement n’est donc pas d’ores et déjà touchée en droit interne français et même dans la plupart des pays membres de la CIMA.

De même, l’on pourrait reprocher à ce régime de responsabilité, le caractère intenable des obligations qui en découlent. En effet, il serait judicieux que la question du risque de développement, avant d’être posée au niveau du caractère exonératoire, doive être envisagée à celui du contenu de l’obligation de sécurité – résultat incombant au producteur ou au fournisseur d’un produit. Le droit ne devrait donc pas édicter des obligations intenables, en obligeant le producteur à supporter des risques dont il n’avait pas la moindre possibilité de contrôle et d’action en l’état des connaissances scientifiques.

Par ailleurs, si le régime de responsabilité sans faute du producteur offre l’avantage de dispenser la victime d’avoir à rapporter la preuve d’une faute personnelle du producteur, pour mettre en jeu sa responsabilité en cas de dommage corporel dû à un défaut de sécurité de son produit, l’octroi de cette prérogative devrait suffir à protéger les consommateurs, sans pourtant se figer derrière le risque de développement, qui résulte de l’ignorance du défaut du produit par son fabricant.

De plus, même si la responsabilité pour risque de développement est parfois justifiée par la théorie du risque – distribution , la justification ne devrait pas être la sanction de l’obligation à l’impossible, mais l’idée d’une possibilité de mutualiser les risques encourus par les utilisateurs en se servant de la responsabilité. Ce serait donc détourner la responsabilité de sa finalité essentielle, qui devrait n’être que la sanction d’une obligation non exécutée ou mal exécutée. Cette conception, affirme une certaine doctrine n’est pas admissible sur le terrain juridique où les institutions doivent remplir leurs fonctions et non celles relevant d’autres mécanismes . Dès lors, le producteur ne devrait pas répondre des dommages issus d’un risque de développement, ce d’autant plus que son exonération trouve des justifications même sur le plan économique.

Sur le plan économique, deux principales raisons pourraient être avancées. En premier lieu, on peut mettre à l’actif de l’exonération, la lourde charge économique qui incomberait au fabriquant en cas de responsabilité. En effet, même si la possibilité d’inclure le risque de développement parmi les cas de responsabilité du producteur, offre une protection incontestable à la victime, celle-ci suppose une lourde charge économique pour le producteur. Fort de ce point, le patronat espagnol s’est opposé à ce choix, car, les chefs d’entreprise disaient qu’une telle option supposerait une paralysie de la recherche scientifique et technique concernant la fabrication de leurs produits . Dans la même perspective, la directive française du 25 juillet 1985 préconisait sans l’imposer de retenir cette cause d’exonération, du fait des incidences économiques, que son exclusion aurait sur les opérateurs économiques des pays membres de l’Union européenne. La plupart des Etats européens ayant intégré cette directive ont effectivement admis le risque de développement comme cause d’exonération, à l’exception du Luxembourg, de la Finlande et de la Norvège .

En second lieu, la responsabilité du fabriquant pour risque de développement pourrait être un obstacle à la compétitivité et au progrès industriel sur le marché. En effet, l’admission de cette responsabilité dans les systèmes juridiques des pays membres de la CIMA pourrait mettre son industrie dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrents des pays, qui ont fait du risque de développement un cas d’exonération. Cela entraînerait un recul des industries nationales et un risque de délocalisation des entreprises, car il serait particulièrement aisé pour les entreprises de mettre les produits sur le marché dans les pays à législation plus favorable par l’intermédiaire de leurs sociétés localement implantées.

De plus l’hypothèse du risque de développement placerait l’innovation sous le signe de la méfiance et du soupçon, non seulement pour le consommateur, mais aussi pour l’industrie toujours susceptible de se voir reprocher, après coup, d’avoir mis en circulation le produit qui s’est révélé défectueux. L’industriel ne prendra donc la décision d’innover que dans la mesure où il sait pouvoir contracter une assurance économiquement supportable et qui le garantira contre les conséquences du risque pris. Or, le risque de développement étant un risque qui demeure difficilement assurable , il met potentiellement toute entreprise innovante en faillite, dans la mesure où il concentre la responsabilité sur le patrimoine unique de l’industriel.

De ce qui précède, il apparait de façon évidente que la qualification du risque de développement comme cause de responsabilité est porteuse des germes aussi bien d’une instabilité économique, que d’une insécurité juridique pour le producteur. Toutefois, ces arguments évoqués à la faveur de l’exonération du producteur trouvent leurs limites, tant le besoin social d’admettre ce risque parmi les causes de responsabilité civile se fait de plus en plus ressentir.

2) L’admission du risque de développement comme cause d’engagement de la responsabilité civile

Bien que les raisons avancées pour soutenir l’exonération du fabriquant du fait du risque de développement soient légitimes, il semble, que la qualification de ce risque en une cause de responsabilité relève d’une exigence actuelle. En effet, l’avènement des transformations sociétales exige une refonte du concept de responsabilité civile qui ne doit plus seulement être appréhendée au passé, mais aussi au présent et au future. Partant, la considération du risque de développement comme cause de responsabilité trouve bien des justifications et emporte certaines conséquences.
M. FAUCHON, sur la question de risque de développement, a assimilé l’exonération du producteur à une irresponsabilité . Cela signifie a contrario que ce dernier doive indemniser la victime d’un risque de développement. Cette affirmation repose sur plusieurs raisons qui semblent toutes aussi logiques que légitimes.

De prime abord, l’exonération pour risque de développement réduirait la protection des victimes. Cette situation serait difficilement justifiable, alors que le développement économique devrait tendre à une meilleure maîtrise des dangers de tous ordres et a fortiori de ceux qu’il génère . En effet, le producteur doit répondre à tous dommages causés par le défaut de son produit. L’obligation de sécurité, qui pèse sur tout fabricant ou vendeur d’un produit, apparaît donc tout à fait essentielle . Si le produit ne répond pas à la qualité qu’on peut légitimement s’attendre, cela devrait engager la responsabilité du producteur, qui a l’obligation de ne mettre sur le marché que les produits sûrs. L’irresponsabilité du producteur au titre de risque de développement ferait ainsi jouer aux victimes, une fonction de révélatrices sans être indemnisées. Une telle solution est moralement inacceptable, voire scandaleuse.

L’on peut ensuite avancer l’argument selon lequel l’exonération pour risque de développement n’est pas conforme au schéma de l’exonération d’une responsabilité objective pour cause étrangère, extérieure ou présumé du responsable, car le vice du produit, par sa nature même, n’est pas extérieur au produit, même lorsque son existence est imprévisible et ses effets, irrésistibles .

De plus, la consécration d’une responsabilité pour vice caché, qu’elle qu’en soit la cause, fait du risque de développement, un élément constitutif de cette responsabilité. Dès lors, la prise en charge des victimes pour risque de développement revient à stopper toute évolution de la jurisprudence en la matière et constitue une régression du droit positif . En effet, en tant que responsable des produits mis en circulation, le producteur doit s’assurer que ces derniers sont aptes, non seulement à l’usage pour lequel ils sont destinés, mais également pour la sécurité qu’ils représentent. Pour l’article 1386.1 du code civil français, le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens. De même, l’avant projet du code civil camerounais en son article 1507 prévoit que « Le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit ». Ces dispositions témoignent de ce que le fabricant n’est tenu de mettre sur le marché que des produits sûrs. Dès lors, sur le fondement de la garantie des vices cachés, il ne sert à rien que le vendeur professionnel établisse qu’il pouvait légitimement ignorer le défaut, ou, mieux encore, qu’il lui fût impossible de le déceler.

Pour la Cour de cassation française, il importe peu que le vendeur ait invoqué un document de nature à établir sa bonne foi, (…) et que le contrat de vente n’avait pas mis à sa charge les techniques de contrôle qui avaient été généralement nécessaires pour déceler le vice . Ainsi, le vendeur professionnel, par son obligation de délivrance, doit livrer un produit exempt de défaut. S’il n’exécute pas cette obligation, il sera assimilé au vendeur qui connaissait le vice . L’obligation de délivrer un produit dépourvu de défaut contient une obligation de sécurité . La livraison d’un produit défectueux suffit alors à établir la faute du fabricant ou du distributeur .

En outre, la responsabilité du producteur pour risque de développement pourrait aussi se justifier par la théorie du « risque – distribution ». Selon cette dernière, le producteur est la personne la plus apte à répartir le risque entre ses consommateurs, puisqu’il peut incorporer le prix de la sécurité dans le produit. Il serait alors illogique d’accorder l’exonération au producteur au détriment des consommateurs, alors qu’il est celui qui, non seulement, détient un pouvoir économique conséquent par rapport aux consommateurs, pour supporter la charge du risque de développement, mais aussi, devrait connaître la défectuosité du produit dont il est le responsable. En plus, puisqu’il profite des bénéfices de son produit, il serait normal qu’il supporte le risque dérivant de celui-ci. Le législateur devrait par conséquent se soucier des intérêts des consommateurs en leur offrant plus de protection. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle, la Belgique, le Danemark, la Grèce, la France, l’Irlande et le Luxembourg, ont opté pour l’exclusion de l’exonération pour risque de développement .

Bien plus, la nécessité de réparer les dommages justifie suffisamment cette responsabilité. En effet, il semble illogique d’exonérer le responsable du dommage sous prétexte qu’il est de bonne foi. Ainsi, une personne est responsable des dommages causés à autrui, non seulement par son fait personnel, mais également par le fait d’autrui dont elle est responsable ou du fait de la chose dont elle a sous sa garde . Ceci, dans le souci de protéger la victime, afin de lui offrir une réparation auprès du responsable.

Bien plus encore, la non-exonération est un excellent argument de promotion commerciale à l’étranger pour la garantie de la sécurité des produits. De ce fait, elle ne saurait être un frein à l’innovation, car la France qui en a choisi, innove même plus que certains pays comme l’Angleterre qui ont opté pour l’exonération . Il ne saurait donc y avoir une relation entre la prise en compte du risque de développement et l’innovation, d’autant plus que l’assurance responsabilité civile qui peut en être produite, serait capable de couvrir les conséquences du risque de développement, comme elle l’a démontré jusqu’à présent .

En résumé, l’on peut retenir que l’assurabilité du risque de développement dans l’espace Cima nécessite des préalables. Il faut d’abord que les systèmes juridiques de cet espace intègrent cette notion et qu’ensuite, qu’ils l’admettent comme une cause de responsabilité civile. Toutefois, ces conditions, certes indispensables, n’auraient d’effet que si la possibilité d’assurer le risque de développement dans le marché de l’assurance africaine entraine des conséquences, surtout positives pour ce marché.

II. LES FONDEMENTS DE L’ASSURABILITE DU RISQUE DE DEVELOPPEMENT DANS L’ESPACE CIMA

La responsabilité du producteur pour risque de développement peut avoir certaines conséquences négatives. Aussi, peut-elle entrainer une augmentation des couts de production, dans la mesure où elle impliquerait la mise en œuvre des moyens supplémentaires dans la fabrication et la distribution des produits. Elle peut également entrainer un accroissement des charges d’indemnisation des victimes des dommages résultant des produits atteintes d’une défectuosité à la fois actuelle et future.

Malgré ces effets gênants, cette responsabilité pourrait consacrer une amélioration significative du droit objectif, ainsi que des droits subjectifs impliqués. Elle conduirait alors inéluctablement au renforcement de la prévention dans la fabrication et la mise sur le marché des produits ; à la consolidation de la protection des droits des victimes et ceux des consommateurs . En effet, protéger le consommateur, c’est aussi s’occuper du système commercial interne pour ce qui concerne son organisation . La volonté délibérée d’exporter les produits défectueux vers les pays du Tiers Monde se justifiant par le fait que les marchés internes des pays cibles sont réputés être des marchés « libres » sans réglementation dans le domaine relatif à la protection du consommateur, restreindre la liberté « excessive » de ces marchés, pourrait être une démarche importante pour la protection du consommateur dans ces pays. Et cela passe nécessairement par une législation capable de protéger des droits des consommateurs en renforçant les obligations des producteurs.

La responsabilité du producteur rendrait surtout possible l’assurance pour risque de développement. En effet, l’intention de l’assurance implique que l’assureur doive répondre aux besoins de couverture du producteur contre les risques majeurs, exceptionnels, ou inconnus , comme le risque de développement, qu’il ne peut assumer qu’à certaines conditions . Ainsi la caractéristique de l’assurance est de ne porter que sur des événements aléatoires, c’est-à-dire dont la survenance n’est pas certaine. L’assureur n’accepte de souscrire de risque que dans la mesure où il est à même d’en résorber l’aléa au niveau de la mutualité . Une société d’assurance mutualise les risques que les agents économiques assurés ont voulu transférer sur elle, moyennant le paiement d’une cotisation.

L’opération d’assurance se caractérise alors par la nécessaire estimation a priori, au moment de la perception des cotisations, du coût global ultérieur lorsque les événements aléatoires sur lesquels l’assureur s’est engagé se seront produits. Pour effectuer cette estimation, l’assureur détermine, à partir des statistiques des risques réalisés, une fréquence moyenne et un coût moyen du segment des risques mutualisés. Ce qui implique une expérience statistique du risque exigeant une prise en compte de deux phénomènes : l’anti sélection et le hasard moral .

Dès lors, le financement du risque par le jeu de la mutualisation est rendu difficile ou trop risqué d’abord, lorsque le risque est insuffisamment aléatoire ; ensuite, quand le risque est d’une ampleur catastrophique potentiel, au regard de la faculté contributive des assurés à la mutualité ; et enfin, lorsqu’il y a maîtrise insuffisante des risques liés aux nouvelles technologies, faute d’expérience dans l’analyse du risque et d’outil statistique exploitable.

De ce qui précède, il appert que le risque de développement est aléatoire, parce que même si la défectuosité, qui en est la cause, existe au moment où le produit est mis en circulation, l’on ne sait jamais vraiment quand les connaissances scientifiques et techniques seront assez évoluées pour le détecter. En revanche, ce risque, non seulement, révèle une ampleur catastrophique, mais aussi, rentre dans la catégorie des risques insuffisamment maitrisés par les assureurs.

Fort d’une telle réalité la question qui mérite d’être posée est celle de savoir si l’assureur africain du marché CIMA est capable d’assurer le risque de développement, lorsqu’on sait que cet espace marchand connait encore beaucoup de difficultés et redoute encore assez l’assurance de responsabilité civile. Cependant, si l’histoire a pu montrer que les assureurs ont su prendre des risques difficilement assurables voire inassurables quand les conditions de mutualisation du risque étaient restaurées , il apparait bien possible que, l’assureur du marché CIMA soit capable d’assurer le risque de développement.

En tout état de cause, assurer le risque de développement dans la zone CIMA est bien possible à partir du moment où ce dernier devient une cause de responsabilité du producteur. Ce d’autant plus que Cette possibilité trouve des fondements tant sur le plan juridique (A), que sur le plan pratique (B).

A) Les fondements théoriques ou juridiques

Les fondements juridiques de l’assurabilité du risque de développement relève d’une nécessité théorique de ce phénomène dans le marché de l’assurance africaine en général et en particulier de l’assurance CIMA. Cette nécessité théorique est justifiée tant par le souci de consolidation des institutions de responsabilité civile et d’assurance (1), que par l’ambition d’atteinte des finalités de droit (2).

1) La consolidation des institutions de responsabilité civile et d’assurance dans l’espace CIMA.

Comme toute assurance, l’assurance de responsabilité civile après livraison, couvre nécessairement un risque, qui n’est pas le produit en lui-même, mais sa défectuosité. En effet, l’assurance responsabilité civile du fait des produits livrés ne joue que lorsque le produit livré est défectueux. Cependant, lorsque la défectuosité du produit est prévisible ou connue l’assurabilité du produit est une évidence. Mais, lorsque la défectuosité n’est ni prévisible, ni connue, comme c’est le cas du risque de développement, l’assurabilité du produit devient difficile et tout le débat sur la possibilité d’assurer un tel risque prend son sens.

En réalité, il demeure important de signaler que l’assurabilité du risque de développement dans l’espace CIMA pourrait s’expliquer par le souci de consolider les institutions de responsabilité civile et d’assurance. Ainsi, admettre l’inassurabilité du risque de développement reviendrait à dépouiller la responsabilité civile de tout son sens. En effet, la responsabilité civile est une obligation légale, qui trouve sa source dans l’article 1382 du code civil selon lequel : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». La lecture de cette disposition laisse paraître clairement que la fonction principale de la responsabilité civile est la réparation. Or, refuser l’assurabilité du risque de développement, susceptible d’entrainer des dommages irréversibles, transfrontaliers et sériels serait admettre que l’on puisse subir un dommage sans pour autant prétendre à la réparation des conséquences de ce dernier. La réparation serait quasiment inexistante dans de pareilles circonstances dans la mesure où les dommages résultant du risque de développement ne sauraient être efficacement réparés en dehors des mécanismes d’assurance, compte tenu de leur gravité et de leur ampleur.

A cet effet, Yves JOUHAUD a eu raison d’affirmer qu’ « une société ne peut vivre et se développer que s’il existe des règles de responsabilité qui doivent être déterminées et se révéler efficaces et fiables au regard de leur finalité. Et ces règles ne peuvent être efficaces et fiables que s’il existe une assurance à la clef, qui est elle-même efficace et fiable ». Responsabilité et assurance sont donc étroitement imbriquées, elles constituent un couple nécessaire. En effet, l’indemnisation de la victime serait rarement effective si elle était supportée par le seul patrimoine du responsable. L’assurance fait ainsi « figure de bonne fée » de la responsabilité civile et en augmente l’efficacité. Peut-être a-t-elle d’ailleurs donné l’illusion d’un pouvoir infini, puisqu’il n’est pas, aujourd’hui, de dommages d’ampleur minime ou dramatique dont on n’attende de réparation par les assureurs de dommages. Toutes choses qui témoignent de ce que l’inassurabilité du risque de développement ne saurait être admise car, elle remettrait en cause la fonction de réparation de la responsabilité et anéantirait son efficacité.

Dès lors, l’assurabilité du risque de développement renforcerait l’assurance de responsabilité civile dans l’espace CIMA, où les assureurs ont encore une profonde aversion des risques de responsabilité civile. De plus, la nécessité d’assurer le risque de développement dans l’espace CIMA viserait à atteindre des finalités de droit.

2) L’atteinte des finalités de droit

L’admission de la couverture assurantielle du risque de développement aiderait à préserver non seulement l’équité et la justice, mais aussi la stabilité et la sécurité sociales. En effet, le droit pour être efficace, doit poursuivre cumulativement diverses finalités. Ces finalités, de façon ramassée sont regroupées en deux catégories : les finalités idéales développées par les tenants du droit naturel qui découlent de l’observation de la nature ; et les finalités matérielles qui résultent majoritairement de la conception positiviste du droit . Pour les premières, le droit doit reposer sur l’idéal de justice, qui permettrait d’aboutir à l’utile, afin de mieux organiser la société.

Concernant l’idéal de justice, le courant naturaliste pense que la recherche de la justice doit primer sur le respect de la légalité. Ainsi, le droit ne doit pas organiser la société à tous les prix, mais il doit le faire en respectant les lois de la nature. Certains auteurs pensent à cet effet que « La règle de droit positif se confond avec la règle morale » , car comme l’affirme le doyen RIPPERT, « Le droit se ressource dans la sève morale » . Dans le cas d’espèce, la justice voudrait que l’on favorise la condition des victimes des dommages résultant du risque de développement, qui le plus souvent, se retrouvent dans un état de vulnérabilité et d’indignité. Cette action passerait alors par l’admission d’une couverture d’assurance de ce risque, puisque le producteur ne saurait faire face aux conséquences qui en résultent avec le seul patrimoine de l’entreprise productrice, au risque de la voir fermer ses portes. La justice doit donc être considérée comme une des fins premières du droit. La notion de justice peut refléter le juste, l’équitable et même l’égalité. Elle implique l’existence d’un ordre supérieur qui assure le triomphe des intérêts les plus respectables.

Quant à l’utile, il désigne généralement ce qui permet de servir le plus grand nombre de personnes. C’est dans ce sens qu’un courant philosophique initié par Jérémy BENTHAM admet que l’utile est le principe de toutes les valeurs dans le domaine de la connaissance, comme dans celui de l’action. L’assurance doit donc pouvoir être un outil mis à la disposition de la société pour rendre service à tous les hommes, sans aucune distinction. Dans ce sens, elle constituera un moyen utile et remplira par conséquent l’une des finalités du droit.

Les finalités matérielles, quant à elles, se résument de manière non exhaustive en la sécurité des personnes et des biens, la stabilité des situations juridiques, l’organisation de l’économie, le progrès social, la réalisation d’un système politique, l’harmonisation de la vie en société. L’inassurabilité du risque de développement ne saurait donc permettre au droit de la responsabilité civile et au droit de l’assurance d’intégrer ces finalités, puisqu’elle ne contribue qu’à léser les intérêts tous aussi légitimes de certaines victimes. Ce qui pourrait alors renforcer l’insécurité juridique, voire l’instabilité sociale. Le progrès social en prendrait aussi un coup, car ce refus d’assurer les grands risques, qui pourrait s’assimiler à la démission des entreprises d’assurance, contribue à maintenir le marché assurantiel CIMA à la traine, avec ses tares et ses insuffisances.

Il ressort de toutes ces observations que, l’exigence de l’assurabilité du risque de développement reste incontournable dans le marché assurantiel CIMA, ce d’autant plus qu’elle trouve des fondements, non pas seulement sur le plan théorique, mais aussi sur le plan pratique.

B) Les fondements pratiques

Qu’est-ce qui, sur le plan pratique, pourrait justifier l’assurance des dommages provenant du risque de développement dans l’espace communautaire CIMA ? La réponse à cette question révèle le rôle important de l’assurance en Afrique. En effet, le secteur mondial de l’assurance occupe une position clé permettant d’aider les individus, les communautés et les entreprises à comprendre, gérer et limiter les risques tout en protégeant leurs actifs. Des marchés florissants soutiennent des communautés vivantes et inversement. La fourniture de produits, de services et d’expertise en matière d’assurance est un ingrédient fondamental pour accompagner le développement économique et la croissance de la société.

Ainsi, à mesure que les défis communs environnementaux, technologiques et de développement durable se clarifient, le secteur d’assurance remplit un rôle essentiel, afin d’aider les hommes à mieux appréhender le futur et à lui faire face avec courage. Ces défis sont notamment, le changement climatique, l’épuisement des ressources, la dégradation environnementale, la dérive technologique, et toutes les myriades d’autres problématiques qui menacent l’humanité. Pour ce faire, il propose une analyse de risque approfondie et un système de pré-alerte. Il devient ainsi possible de faire des choix mieux informés, de développer l’activité économique, puis de créer et soutenir des moyens d’existence durable.

Serait-il alors indiqué de soustraire certains risques du domaine de l’assurance, juste parce que, ceux-ci ne rempliraient pas les caractères classiques du risque assurable ? Il en résulte alors une réponse négative. De manière plus concrète, couvrir le risque de développement serait justifié par la double nécessité de renforcer le rôle socio-économique de l’assureur africain (1), et d’aider à instaurer une meilleure prise en charge financière des victimes (2).

1) Le renforcement des capacités techniques des professionnels d’assurance en Afrique.

L’un des problèmes majeurs du marché de l’assurance CIMA est l’étroitesse de la matière assurable. En effet, le marché connait un grand nombre d’assureurs qui se partagent un nombre réduit des parts de marchés. Cette situation s’explique d’abord par le fait que certains domaines d’activités restent encore non légiférés par les systèmes juridiques des pays membres de la CIMA, comme c’est le cas du risque de développement . Elle s’explique ensuite par la relative inertie des assureurs qui, au lieu d’élargir leur assiette assurable, en créant de nouvelles parts de marchés, se cantonnent tout simplement à discuter le nombre réduit existant pour fournir leurs portefeuilles. Cet état de choses conduit à des pratiques vicieuses comme la sous tarification et débouche même parfois à la liquidation des compagnies d’assurance .

De ce qui précède, l’on peut déduire que l’assurabilité du risque de développement dans le marché communautaire de l’assurance serait d’une utilité multiple. D’abord, elle élargirait le domaine de l’assurance, car elle en consisterait une part de marché qui viendrait s’ajouter à celles déjà existantes. Le rendement serait positif, le chiffre d’affaire augmenterait et le marché se développerait.

Ensuite, la couverture du risque de développement dans l’espace CIMA permettrait à l’assureur africain d’assumer sa mission de conseil, car cette couverture assurantielle pourrait permettre au fabricant de bénéficier de conseils en matière de prévention. En effet, avant la souscription de la police d’assurance, une évaluation du risque est réalisée : l’assuré met à la disposition de l’assureur un ensemble d’informations générales ou spécifiques à travers un questionnaire dûment remplis, ainsi qu’un certain nombre d’éléments techniques. L’assureur procède alors à l’analyse de ces informations. Il peut alors formuler des recommandations pour aider le producteur à mieux prévenir et cerner les risques de dommages liés à son activité et, par conséquent, l’aider à définir sa politique de prévention en matière de responsabilité civile.

En outre, assurer le risque de développement dans l’espace CIMA permettra de définir le niveau de l’implication des assureurs en termes financiers. Ce qui conduira à un travail d’exploration du risque et de tarification. Ainsi l’on envisagera la fixation des plafonds de garantie et des limites dans le temps, notamment en prévoyant les clauses réclamation ou de limite de la constatation du fait générateur . Ces mesures demanderaient donc une bonne étude actuarielle, qui exigerait une bonne maitrise de toutes les données nécessaires par les actuaires. L’exigence d’un tel niveau de maitrise technique ne ferrait que renforcer les capacités des professionnels d’assurance, car même si l’expertise actuarielle est acquise, il faut aussi que les producteurs et les distributeurs de l’assurance soient capables de bien maitriser les conditions générales et spécifiques d’assurabilité du risque de développement.

Ces conditions devront être définies afin d’éviter que la profession soit exposée à de nouvelles « crises » de la responsabilité civile. Comme pour tous les sinistres sériels impliquant des indemnisations de victimes corporelles, la position défensive de la profession est rapidement battue en brèche par la société civile, relayée par les pouvoirs publics. L’on considère ainsi les assureurs et les réassureurs comme des « deep pockets » dans lesquelles les juges et les victimes se sentent autorisés à puiser. L’histoire récente de la responsabilité civile médicale de certains systèmes juridiques comme la France a d’ailleurs bien montré l’extrême difficulté qu’il y a à justifier des provisions importantes pour des sinistres sériels , en même temps que l’appétit des acteurs de la société civile pour la recherche de responsables .

Enfin, l’assureur est généralement considéré comme un partenaire dans la gestion des sinistres, conformément aux stipulations contractuelles. Dans le cas du risque de développement, il sera aux côtés du fabricant, dès que ce dernier lui aura déclaré le sinistre. Ce partenariat est fondamental, notamment dans la phase clef que représente l’évaluation des dommages et dans la formation des propositions des mesures de réparation. Ainsi, l’assureur désignera un expert ayant pour mission de constater, de décrire, d’évaluer les dommages et d’en déterminer les causes.

Toutefois, il ne suffit pas que l’assurabilité soit possible, son effectivité doit aussi être envisagée. Ce qui convoque alors l’instauration d’une meilleure prise charge des victimes du risque de développement.

2) L’instauration d’une meilleure prise en charge financière de l’indemnisation des victimes.

La question envisagée ici, est celle de savoir comment l’assureur du marché CIMA qui connait encore beaucoup de difficultés structurelles et conjoncturelles pourra-t-il indemniser efficacement les victimes du risque de développement, quand on sait que ce risque relève généralement d’une ampleur exceptionnelle ? La réponse à cette question vise à déterminer les modalités de la prise en charge financière de l’indemnisation.

Partant, l’assureur pourra soit garantir un tel risque seul, soit recourir aux mécanismes alternatifs de financement. En effet, souscrire une garantie responsabilité civile pour risque de développement permettrait au fabricant, en qualité d’assuré, de transférer une partie de son nouveau risque entre les mains de l’assureur. En l’occurrence, ce dernier prendra alors en charge les frais de prévention et de réparation des dommages incombant au fabricant au titre de sa responsabilité civile. A cet effet, il pourra être recommandé au producteur de contacter son assureur dès la mise en œuvre des premières mesures, afin qu’il s’assure auprès de lui que les premiers frais seront bien couverts. Sous réserve du libellé exact des contrats d’assurance et de la mise en œuvre correcte et effective des actions de prévention et ou de réparation, ces frais peuvent couvrir le coût de l’évaluation des dommages, les mesures de prévention et de réparation, les frais d’étude exposés pour arbitrer entre différentes options d’actions de réparation des dommages, les frais administratifs, judiciaires et les frais d’exécution, les coûts de collecte des données, les frais généraux et les coûts de surveillance et de suivi.

La solution assurantielle permet donc au fabricant de se prémunir contre les conséquences pécuniaires liées aux opérations de prévention et de réparation dudit dommage, en transférant une partie de ce risque à l’assureur. Toutes choses qui seraient impossibles si la couverture assurantielle de ces risques était refusée au fabricant d’un produit qui doit assumer les conséquences dommageables de ce dernier. L’activité du producteur pourrait alors être asphyxiée par les charges résultant du coût de la prévention et ou de la réparation de ces risques. Plus grave encore, les victimes pourraient se retrouver sans indemnisation, ni réparation, puisque le seul patrimoine du fabricant ne pourrait pas supporter le coût de toutes ces charges.

En outre, pour une plus grande efficacité de la prise en charge des sinistres, l’assureur pourra faire recours aux mécanismes alternatifs de financement, notamment la coassurance et la réassurance . La coassurance désigne une division horizontale du risque. Elle permet à l’assureur de partager les conséquences d’un risque qui pourrait s’avérer graves avec d’autres assureurs qui reçoivent aussi une partie de la prime versée par l’assuré. La réassurance, quant à elle, est une division verticale du risque. Elle permet à l’assureur de transférer à un autre assureur, appelé réassureur, tout ou une partie du risque, moyennant paiement d’une prime. Ces deux mécanismes sont d’autant plus indiqués qu’ils génèrent de plus en plus des techniques plus performantes et plus efficaces. Ainsi, se développent la coassurance communautaire qui reste très indiquée pour des dommages de nature transfrontalières, des mécanismes de titrisation, ainsi que les techniques de réassurance modernes comme la réassurance financière et la réassurance captive .

Bien plus, la prise en charge financière de l’indemnisation des victimes du risque de développement serait meilleure si l’on va au-delà de la recherche des solutions assurantielles, pour se tourner vers d’autres moyens, notamment l’intervention des pouvoirs publics. En effet il pèse sur l’Etat, une obligation de sécurité publique. Ainsi, chaque fois que cette sécurité n’est pas garantie, ce dernier doit en répondre d’une manière ou d’une autre.
Dans, le cas spécifique de la prise en charge des victimes du risque de développement, qui entrainent généralement des dommages de grande ampleur, les pouvoirs publics pourraient soit engager le budget de l’Etat , soit créer des fonds d’indemnisation qui faciliteraient une telle indemnisation . Ces fonds pourraient donc être financés, soit par les fabricants, soit par les acteurs de la société civile , soit par les assureurs . La seconde démarche serait la plus efficace, car elle permettrait à tous les acteurs de la chaine de consommation et de production de s’investir dans la maitrise de la notion assez flou et délicate, qu’est le risque de développement.

Au terme de cette analyse, il ressort que le discours sur l’inassurabilité du risque de développement est un discours de faiblesse dans une société où l’aversion au risque croît. Les barrières qu’il croit ériger sont toujours surmontables, et la lettre de la loi cède toujours devant les nécessités sociétales. Ainsi, l’exonération du producteur ne saurait être envisagée ici. Ce serait se détourner de la réalité juridique et factuelle de l’évolution sociétale. De plus, L’inassurabilité, brandie par la profession, n’a guère de fondement technique, sinon la difficulté de tarification, qui semble toujours surmontable, si l’on fait, en cela, confiance à l’efficacité de la science actuarielle .

Dès lors, il faut donc commencer à réfléchir aux « risques inassurables » dont l’assurabilité, de facto et de jure, devient une exigence du fait de la pression sociale. En effet, il convient de constater que le risque de développement est l’affaire des assureurs, des producteurs et des consommateurs. Ce qui implique qu’il ne s’agit plus d’opposer les intérêts des parties en cause, mais de redéfinir et concilier les droits et devoirs de chacun. Pour ce faire, l’on convient avec Aurore BOUIX que, le producteur doit rester responsable en cas de risque de développement, car consacrer son irresponsabilité, contribuerait à enraciner une insécurité à l’égard des consommateurs et des victimes des produits défectueux. En effet, c’est le producteur qui est à la source du danger puisqu’il prend la décision de mettre un produit en circulation. Ainsi, pour réduire au maximum les risques de survenance d’un défaut, il faut inciter ce dernier à gérer ses risques le plus économiquement possible, à les minimiser par une forte action de prévention, à en assumer, en propre, une partie non négligeable et à intervenir le plus tôt possible, une fois le dommage détecté .

Toutefois, il faut des limites préétablies à l’indemnisation des victimes éventuelles. Ces limites pourront être dans le temps et dans le montant de l’indemnisation, car plus longue est la période demandée aux assureurs, moins importante est la capacité, qu’ils peuvent proposer. Aussi doit-on créer un fonds d’indemnisation, afin de parachever la garantie des victimes en cas d’absence d’assurance du responsable, d’insuffisance de l’indemnité d’assurance, ou en cas de drame national d’une ampleur imprévisible et touchant l’opinion publique.

Pour que ces solutions n’entraînent pas la déresponsabilisation des consommateurs qui n’en sont pas moins responsables, parce qu’ils exigent des produits de plus en plus perfectionnés, mais n’acceptent plus d’envisager d’avoir à supporter les risques inhérents à ces nouveaux produits, il conviendra au législateur de fixer, en considération des paramètres en cause, des règles de responsabilité efficaces et fiables, permettant de réaliser une répartition équitable des risques dans la société de demain.

BEKADA EBENE Christiane Nicole
Assistante à la faculté des sciences juridiques et politiques
Université de Douala

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.