Doctrine OHADA

Scolie sur quelques points du formalisme de l’execution des décisions de justice non repressives en droit OHADA

Sara Nandjip Moneyang
Chargée de Cours,
Département de Droit des Affaires,
Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala

Le droit serait purement théorique et donc lettre morte, s’il se limitait uniquement à la décision de justice rendue par les juridictions. Il faut alors permettre à la partie gagnante, notamment le créancier, d’obtenir l’exécution de la décision rendue, sans être obligée de se soumettre à une seconde procédure qui serait aussi complexe qu’onéreuse. En effet, « l’inexécution d’une décision de justice génère pour la partie qui l’a emporté, un sentiment d’injustice d’autant plus exacerbée qu’elle n’aura parfois obtenue cette décision qu’à la suite d’un procès long et onéreux » . L’exécution d’une décision de justice apparaît alors comme une étape importante pour la partie qui triomphe, et doit dès lors être considéré comme faisant partie intégrante du procès, comme l’affirme avec force la Convention Européenne des droits de l’Homme en ces termes : « l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du procès » . C’est dire que le procès est encore inachevé si le vainqueur ne peut obtenir l’exécution de la décision rendue. C’est fort de cela que le législateur OHADA met à la disposition du créancier, partie gagnante, divers mécanismes pour permettre de vaincre la résistance parfois doublée de mauvaise foi du débiteur, partie perdante. Ces mécanismes sont appelés « voies d’exécution », c’est-à-dire un ensemble de procédures qui permettent au créancier d’obtenir l’exécution des actes et jugements qui lui reconnaissent des prérogatives ou des droits.

L’exécution peut se faire de manière volontaire ou forcée. Lorsqu’elle se fait volontairement, il n’ya pas de problème car la partie qui succombe doit exécuter spontanément, sans même attendre que la décision soit devenue définitive, ou qu’elle soit nantie de tout autre titre exécutoire . Cette partie c’est le débiteur de l’obligation qui naît de la décision rendue. Malheureusement, les choses ne se passent pas aussi simplement, car le débiteur s’exécute rarement de manière volontaire ; il faut l’y contraindre, au besoin par la force. Il se pose alors la question de savoir si les mesures de contraintes envisagées par l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUVE) pour permettre au créancier de rentrer dans ses droits ne doivent pas être accompagnées des dispositions prises par le même législateur pour encadrer le débiteur malheureux ? L’interrogation est importante car pour la sécurité des transactions et la pérennité des affaires, un équilibre doit être recherché dans la protection des intérêts tant du créancier que du débiteur. Le législateur OHADA veille à l’établissement de cet équilibre, raison pour laquelle, il protège également le débiteur. Au rang de cette protection, le législateur prévoit que l’exécution forcée ne porte que sur les biens du débiteur qui ne lui sont pas indispensables à son existence. De même, les actes ponctuant les saisies doivent comporter de très nombreuses mentions obligatoires visant à informer le débiteur sur les droits qu’il peut faire valoir et sur les conditions de saisie de ses biens. Enfin, le débiteur jouit dans certains cas, d’une immunité d’exécution. Cette amabilité du législateur a suscité un débat doctrine considérable. Certains praticiens pensent que cette prise en compte de la situation du débiteur « risque de nuire à la logique » , ou encore qu’il s’agit « des techniques d’équilibrages » . D’autres estiment qu’il s’agit d’un « passe-droit de ne pas payer ses dettes » fait au débiteur. Mais ne s’agit-il pas d’une appréciation trop hâtive de la pensée du législateur, lorsque l’on sait que le débiteur et le créancier sont très souvent les acteurs d’une même pièce, de telle sorte que l’élimination de l’un peut entrainer la chute de l’autre, et que le droit des affaires se construit en réalité autour de ces deux principaux partenaires ? Il est dès lors sage, d’encadrer les droits processuels du débiteur (I), tout en rendant raisonnable le formalisme de mise œuvre effective de l’exécution des décisions (II).

I- L’impératif d’encadrement des droits processuels du débiteur

Le législateur a encadré les droits processuels du débiteur par la mise en place de diverses formalités devant être observées par le créancier ou son représentant lors des opérations de saisies. Ces formalités qui sont la preuve du souci du législateur de mettre les parties que sont le débiteur et le créancier, sur un même pied d’égalité, sont très souvent analysées, à tord ou à raison, comme des mécanismes de protection du débiteur devant être réaménagés, pour ne constituer en aucun cas, une entrave à la bonne réalisation des droits du créancier, d’où les limitations juridiques des droits procéduraux du débiteur. Deux de ces limitations suscitent des interrogations sur leur opportunité. Il s’agit de celles qui portent sur les moyens de défense du débiteur ayant trait à ses biens ou à sa personne (A) et de celles qui portent sur les formalismes de saisie, notamment, le commandement de payer (B).

A- Le nécessaire réaménagement des moyens de défense du débiteur

Dans un souci d’équilibre, le législateur n’a pas laissé le créancier agir à sa guise envers le débiteur. Mais pour éviter les critiques apportés à la largesse du législateur à l’égard du débiteur , les moyens de défense du débiteur par rapport au droit de saisie du créancier doivent être reformés. L’on distingue les moyens de défense empêchant la saisie de ceux visant seulement à la retarder.

1) Les moyens de défense empêchant la saisie

Les empêchements pouvant contrecarrer le droit de saisie du créancier tiennent tantôt à la nature des biens à saisir, c’est le cas des insaisissabilités, tantôt à la personnalité du débiteur, c’est l’hypothèse de l’immunité de saisie.

S’agissant des insaisissabilités, elles se justifient par le fait que la vie ne peut être possible en l’absence de certains biens qualifiés d’indispensables à la survie de l’être humain. Le débiteur doit conserver ne serait-ce que le minimum vital. Cette idée est traduite dans l’article 50 de l’AUVE qui dispose que « les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur, alors même qu’ils seraient détenus par des tiers, sauf s’ils ont été déclarés insaisissables par la loi nationale de chaque Etat partie… ».Cette règle de l’insaisissabilité entame évidemment l’effectivité de l’exercice du droit à l’exécution du créancier , surtout lorsque le législateur laisse la détermination des biens et droits insaisissables au pouvoir souverain de chaque Etat partie. Il ya dès lors lieu de craindre la multiplication infinie des cas d’insaisissabilités, entraînant alors, comme l’a relevé un auteur, « un original transfert de la protection sociale des plus démunis à la charge du créancier » , qui serait alors confronté à une impossibilité manifeste de réaliser ses droits. Cependant, on peut déduire de l’énumération des choses déclarées insaisissables par l’article 315 du Code de Procédure Civile applicable au Cameroun (CPCC), une raisonnable conception des choses indispensables à l’existence et à la dignité humaine . Mais d’autres textes épars font également allusion aux insaisissabilités et c’est justement cette dispersion de textes qui peut être source de difficultés, et même de contestation de la part du créancier qui veut saisir. En effet, lorsque l’inaliénabilité s’applique aux droits d’usage et d’habitation ou encore à l’usufruit légal des parents sur les biens de leurs enfants , ou encore sur les biens indivis , il est à craindre que le créancier ne se retrouve dans une situation dans laquelle il ne peut saisir aucun bien du débiteur. Dans ce dernier cas par exemple, ne serait-il pas judicieux de permettre au créancier de demander la division afin d’exercer son droit ou encore d’obtenir la résolution des clauses d’inaliénabilité portant sur les donations et les legs ou insérées dans les contrats de mariage, lorsque que ces clauses ne portent pas sur les biens indispensables à la vie du débiteur ? En effet, de telles clauses ont généralement pour seul but de protéger et de pérenniser les biens de famille.

En ce qui concerne l’immunité de saisie, elle est sans contexte, une entrave de droit à l’exercice des droits du créancier. Elle trouve son fondement dans l’article 30 AUVE, qui prévoit que l’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Cependant, aucune précision n’est faite sur les bénéficiaires d’une telle immunité. L’alinéa 2 de l’article 30 fait allusion aux personnes morales de droit public quelle qu’en soit la forme ou la mission et aux entreprises publiques. Cette extension de l’immunité peut paraître incongrue, lorsque l’on sait que la solvabilité de la personne morale est plus probable que celle de la personne physique. Cette incongruité est encore plus choquante lorsque le législateur étend l’immunité aux sociétés d’Etat . Si cette soustraction des personnes morales et entreprises publiques au pouvoir de saisie du créancier se justifie par les prérogatives de puissance publique et la prépondérance de l’intérêt général, il est clair que des aberrations risquent d’être observées, surtout dans les cas de condamnation aux dommages – intérêts. Or, la personne morale ayant commis une faute au travers de la personne physique, cela peut bien donner lieu à la mise en jeu de la responsabilité du commettant qui ayant payé, pourra se retourner contre son préposé fautif . Ne pas trouver quelques ébauches de solutions comme celle-ci revient à jeter le créancier en pâture.

L’AUVE en son article 30 alinéa 2 a cru devoir trouver une solution dans la compensation, en disposant que « Les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité… ». Cependant la compensation de l’AUVE présente quelques spécificités par rapport à la compensation de droit commun . On peut noter l’absence d’égalité entre les parties, traduite par la prérogative de puissance publique de la personne de droit public, et l’exclusion de certains créanciers, car la condition de réciprocité implique qu’il faut être en même temps créancier et débiteur de la personne morale. Quid si on est seulement créancier ? Le silence du législateur peut bien être interprété ici comme une exclusion de cette catégorie de créancier sans réciprocité ; ce qui est une grosse lacune de cette solution pourtant pratique. Nous suggérons alors d’instituer comme en Côte d’Ivoire, un médiateur de la république , compétent en matière de dettes publiques et qui permet de faciliter le paiement de ses dettes par l’Etat, dans les délais raisonnables. Nous pensons aussi à la reforme de l’alinéa 3 de l’article 30 AUVE, qui consisterait à instaurer une égalité entre les parties comme en matière de droit commun de la compensation.

Une autre lacune se trouve dans le recouvrement du solde après compensation, car en effet, l’extinction totale de la dette ne s’opère qu’en cas d’égalité des montants. C’est donc à juste titre que la doctrine propose d’adopter des voies d’exécution spécifiques aux personnes morales ou encore la restriction de la portée de l’immunité d’exécution des personnes morales .

2) Les moyens de défense visant à retarder la saisie

Il s’agit des moyens qui retardent la saisie parce qu’en plus de rallonger la durée d’exécution, elles viennent suspendre dans le temps, le droit à l’exécution forcée des décisions. Ces moyens consistent en l’octroi d’un délai de grâce ou encore à l’ouverture d’une procédure collective.

Le délai de grâce est prévu par l’art. 39 AUVE, qui prévoit à son alinéa 2 que « …Toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, la juridiction compétente peut, sauf pour les dettes d’aliments et les dettes cambiaires, reportées ou échelonnées le paiement des sommes dues dans la limite d’une année. Elle peut également décider que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital… ». Il ya lieu de craindre que dans la pratique, cette disposition du législateur ne serve en réalité qu’à donner du temps au débiteur pour organiser son insolvabilité lorsqu’il est de mauvaise foi . En plus de prendre en compte la situation du débiteur, l’exigence qu’il soit de bonne foi est nécessaire. L’article 39 AUVE l’envisage en son alinéa 3 lorsqu’il prescrit au juge de subordonner si possible, le délai de grâce à l’accomplissement par le débiteur des actes à même de faciliter ou de garantir le règlement de sa dette. Il faut donc pratiquement surveiller le débiteur dans l’accomplissement de ces actes ; ce qui n’est pas chose facile. De plus, cette surveillance revient au créancier, qui dans son comportement, doit faciliter la tâche au débiteur . Il s’agit en réalité de mettre en œuvre le devoir de collaboration entre le créancier et le débiteur, qui sont des partenaires contractuels, de telle sorte qu’en plus de rechercher la mauvaise foi du débiteur, le juge doit également vérifier la capacité de collaborer du créancier, qui aurait pu ainsi faciliter l’exécution de l’obligation, conformément à l’article 1134 du Code Civil qui dispose que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites… Elles doivent être exécutées de bonne foi ». La bonne foi est donc requise aussi bien du côté du débiteur que du créancier, qui a ainsi un devoir de coopération.

Par ailleurs, le délai de grâce peut être implicite. Ce serait le cas par exemple lorsque la juridiction compétente estime que la situation de débiteur ne relève d’aucune procédure collective, et annule la décision de suspension des poursuites, qui n’aura duré que quelques mois . Ce temps peut être considéré comme un délai de grâce, et accorder encore un délai au débiteur après cette décision serait de trop .

L’exécution de la décision devient encore plus critique lorsque le débiteur subit une procédure collective. Conformément aux articles 9 et 75 de l’Acte Uniforme relative aux procédures collectives d’apurement du passif (AUPC), l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du débiteur suspend les poursuites engagées envers ce dernier. Mais il faut relever que la procédure collective entraine aussi dessaisissement du débiteur sur certains de ces biens. L’article 53 alinéa 2 AUPC dispose que « la décision qui prononce la liquidation des biens emporte de plein droit à partir de sa date et jusqu’à la clôture de la procédure, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens présents et de ceux qu’il peut acquérir à quelque titre que ce soit… ». Selon cette disposition, le débiteur ainsi dessaisi, ne peut poursuivre la gestion de ses affaires. C’est à juste titre que le législateur a prévu ce dessaisissement à la liquidation des biens, pour éviter que le débiteur qui a mis la clé sous le paillasson ne dilapide le patrimoine qui servirait à désintéresser les créanciers. Seulement, ce dessaisissement est limité par l’interférence que peut produire le régime matrimonial du débiteur, marié sous la communauté des biens. Il en sera par exemple ainsi pour les associés d’une Société en Nom Collectif (SNC), qui sont tenus solidairement et indéfiniment des dettes sociales, et qui peuvent se voir saisir pour le paiement entier de la dette sociale par le créancier, qui ayant vainement mis la société en demeure de payer, exerce son recours contre un associé capable de payer . Pour éviter qu’il n’utilise son régime matrimonial pour soustraire certains biens de la saisie du créancier, et aussi pour préserver le patrimoine successoral du débiteur saisi, on pourrait imposer à ce dernier, la dissolution de son régime matrimonial afin de permettre la saisissabilité des biens lui appartenant, qui pourraient ainsi être protégés en vue d’une éventuelle saisie par les créanciers. Cette mesure protège en même temps le débiteur et le créancier.

D’un autre point de vue, le dessaisissement pourrait également s’opérer même dans le cadre du redressement judiciaire, car dans la pratique, le constat est celui de la faillite de cette procédure qui se transforme presque toujours en liquidation des biens. Le dirigeant social qui est maintenu à la tête de l’entreprise ou l’administrateur provisoire désigné pour redresser, se rend généralement coupable d’abus de biens sociaux ou du crédit de la société, au point où la société qui pouvait encore survivre à l’avantage des créanciers, finit par fermer ses portes . Il est vrai que le dessaisissement dans ce cas est difficilement concevable, puisque le débiteur doit continuer ses activités. On pourrait alors envisager un inventaire des biens lors de l’homologation du concordat, et faire régulièrement un état des lieux qui permettrait ainsi de contrôler la gestion en période de crise par le débiteur ou par l’administrateur provisoire. En réalité, les voies d’exécution mises en place par le législateur OHADA brillent par leur abondance et non par leur efficacité, ce qui rend difficile l’exécution des décisions dans la pratique. Il est donc urgent d’accompagner ces mesures d’un dispositif de contrôle.

B- Les vicissitudes du commandement de payer

Le commandement de payer est un impératif obligatoire dans certaines saisies . Il a pour but de rappeler au débiteur, sa dette et de le mettre en demeure de la payer. C’est donc un préalable à l’opération de saisie envisagée par le créancier ou son représentant, en la personne d’un huissier de justice ou d’un agent d’exécution. Si le commandement de payer peut bien s’analyser comme un acte de justice permettant d’avertir le débiteur et de lui donner une ultime chance, le commandement de payer peut paraître comme un danger pour le créancier qui veut faire exécuter sa décision, car cet exploit d’huissier fait courir un délai qui peut favoriser l’organisation par le débiteur de son insolvabilité. De plus, il peut s’agir d’un délai de trop, dans l’hypothèse où le débiteur a déjà eu à obtenir un délai de grâce. Il est dès lors impératif de reconsidérer le commandement de payer, alors même que la décision est déjà revêtue de la formule exécutoire ; ce qui suppose que le débiteur a déjà été signifié de la décision qui le condamne ! C’est pourquoi, aussi bien le délai de grâce, que le commandement de payer peuvent constituer pour le débiteur des armes pour se tranquilliser psychologiquement, sachant que tout le temps lui est accordé pour s’exécuter. En combinant les articles 92 et 254 AUVE, le commandement de payer doit être signifié au débiteur au moins 8 (huit) jours en matière de saisie-vente et au moins 20 (vingt) jours en matière de saisie immobilière, avant de procéder à toute opération de saisie des biens du débiteur . Ne s’agira-t-il pas d’une signification de trop, la décision rendue ayant déjà été signifiée au débiteur en temps utiles pour lui permettre d’exercer les voies de recours qui lui sont ouvertes ? Des précisions sont dès lors nécessaires : lorsque le débiteur a été régulièrement signifié de la décision qui le condamne et que dans les délais qui lui sont impartis, il n’a exercé aucune voie de recours et ne s’est pas exécuté spontanément, le commandement doit être servi pour marquer le début de l’exécution forcée . En revanche, lorsqu’il a encore des arguments à faire valoir dans le cadre d’un recours qu’il a exercé, le commandement ne devrait intervenir que si la décision est assortie d’une exécution provisoire. Cette précaution permettrait de rééquilibrer les droits des parties et de rassurer le créancier. Cela dit, on peut aussi penser que ces délais paraissent très longs, (surtout lorsqu’ils sont non avenus). Ils sont d’autant plus longs qu’il ne s’agit pas pour le débiteur d’avoir le temps de rassembler ses biens pour en faciliter la saisie au créancier ! De surcroît, le législateur commande le respect scrupuleux de ces délais, et les tribunaux n’hésitent pas à sanctionner l’inobservation du délai de commandement de payer par la nullité, comme il ressort d’une décision du tribunal de première instance de Yaoundé . Mais pour ne pas encourager le débiteur à « s’endormir », le législateur prévoit dans l’article 237 AUVE que « huit jours après un commandement de payer demeuré infructueux, le créancier peut procéder à la saisie… ».

Ces vissicitudes du commandement de payer ont conduit certains auteurs à recommander depuis longtemps sa suppression pure et simple ou alors sa redéfinition , tandis que d’autres soutiennent son maintien, pour ne pas porter atteinte au droit à un procès équitable . Ces différents points de vue montrent à suffisance que cette procédure doit être reformée.

II- L’exigence d’une normalisation du formalisme d’exécution

Les formalités qui entourent l’exécution des décisions de justice ont été instituées par le législateur OHADA dans l’AUVE ; elles peuvent être regardées comme permettant d’établir un certain équilibre entre les droits des parties que sont le créancier et le débiteur. Pour assurer cet équilibre, le législateur met en place des mécanismes de renforcement de la protection du débiteur, tout en consacrant des contrepoids aux droits de ce dernier. Toutefois, le formalisme d’exécution nécessite une rationalisation, qui passe par des précautions à prendre dans certains cas (A) et par la reforme des sanctions en matière d’exécution des décisions de justice (B).

A- La rigueur dans le formalisme d’exécution

Les mécanismes renforcés de protection du débiteur touche à la personnalité du débiteur à travers la protection de son domicile, mais aussi à la sauvegarde de ses droits entant que partie aux procès .

1) L’inviolabilité du domicile du débiteur
L’inviolabilité du domicile du débiteur est incontestablement une « protection importante pour le débiteur » , l’agent d’exécution ou l’huissier de justice, ne pouvant s’introduire dans le domicile du débiteur en l’absence de ce dernier qu’en présence d’une autorité. Cette inviolabilité du domicile du débiteur participe du souci de protection de la vie privée de ce dernier. Elle se manifeste par la réglementation du temps de saisie et les précautions à prendre en matière d’ouverture forcée des portes du débiteur.

Aux termes de l’article 46 alinéa 1 AUVE, « Aucune mesure d’exécution ne peut être effectuée un dimanche ou un jour férié… ». Il s’agit de préserver la quiétude du débiteur saisi en le protégeant contre les intrusions à son domicile pendant les jours fériés et non ouvrables. Cette défense d’intrusion est d’ailleurs sanctionnée par l’article 299 alinéa 1 et 2 du Code Pénal Camerounais , qui punit l’huissier de justice qui viole cette interdiction. De plus, cette prohibition est doublée de la réglementation stricte des heures de saisie : aux termes de l’article 46 alinéa 2 AUVE, « Aucune mesure d’exécution ne peut être commencée avant huit heures ou après dix heures… ». Il n’est donc pas possible d’opérer une saisie tard dans la nuit, celle-ci étant implicitement entendue par l’acte uniforme sur les voies d’exécution comme le temps qui s’écoule entre dix huit (18) heures du soir et huit (08) heures du lendemain matin . Or, c’est justement la nuit que le débiteur sera enclin à organiser la distraction de ses biens . Les actes ainsi posés en violation de ce temps réglementaires sont susceptibles de nullité. On peut se demander au nom de quoi la quiétude du débiteur doit être préservée, alors même qu’il est coupable d’une inexécution volontaire de son obligation, et que celle-ci doit être éventuellement obtenue de manière forcée pour satisfaire ses créanciers. Par ailleurs, cette mesure semble s’appliquer sans distinction du débiteur de bonne ou de mauvaise foi, qui pourrait bien profiter du ou des jour (s) non ouvrable (s) ou férié (s) pour distraire certains de ses biens.

Il conviendrait alors, pour un meilleur équilibre des droits des parties, de poser que, dès que le commandement de payer a été régulièrement servi , les biens du débiteur peuvent être saisis, quel que soit le jour, pourvu que cela se fasse à des heures raisonnables, dans le respect de l’intégrité physique et morale du débiteur, qui ne pourrait alors se plaindre de la violation de ses droits qu’en démontrant le caractère arbitraire de l’opération, constituant une voie de fait. Sous réserve de ce que l’appréciation de ce caractère arbitraire serait souverainement faite par le juge in abstracto. Il y va du souci d’une bonne administration de la justice par la prise en compte de tous les intérêts en présence, qui a échappé au législateur qui, dans l’article 46 alinéa 1 AUVE évoque le « cas de nécessité » comme situation pouvant justifier le non respect des jours de saisie. Le cas de nécessité peut être considéré comme toute situation compromettante pour le créancier. Il peut s’agir de l’hypothèse où le débiteur cherche à distraire ses biens par des donations ou des ventes suspectes ; mais, il peut aussi s’agir d’un débiteur qui légitimement n’est pas présent à son domicile aux heures légales à cause de son travail , ou qui se trouve hospitalisé pour une longue durée, ou qui a effectué une longue mission, la décision étant intervenue pendant son absence. Ces cas de nécessité sont donc des cas de force majeure qui ne doivent en aucun cas pénaliser le créancier.

Cependant, le juge doit autoriser la saisie dans ce cas. Cette autorisation qui peut elle-même tomber sous le coup de la lenteur judiciaire, risque de nuire au créancier et de mettre en mal les bonnes intentions du législateur. On pourrait donc admettre que l’huissier de justice qui est un auxiliaire de justice assermenté, puisse constater cet état de nécessité et en faire mention dans son procès-verbal. En effet, bien que le juge compétent soit conformément à l’article 46 alinéa 1 AUVE, le président de la juridiction dans le ressort de laquelle se poursuit l’exécution, on peut douter de la célérité avec laquelle interviendrait l’ordonnance autorisant la saisie.

La même observation peut être faite en ce qui concerne les heures de saisie, dont le non respect ne peut se justifier que par une autorisation du juge.
Une autre précaution prise par le juge pour encadrer les opérations de saisie est de rendre les biens concernés par la saisie indisponibles, dès qu’ils ont été identifiés.

2) L’encadrement de la saisie par la mise en indisponibilité des biens à saisir
Avant l’acte Uniforme OHADA portant sur les voies d’exécution, la saisie des biens meubles corporels était généralement suivie d’enlèvement, de telle sorte que dans l’imagerie populaire, la saisie et l’enlèvement étaient sinon synonymes, du moins intimement liés . L’AUVE prévoit un délai de mise en indisponibilité dans l’article 36 en ces termes : « Si la saisie porte sur des biens corporels, le débiteur saisi ou le tiers détenteur entre les mains de qui la saisie a été effectuée, est réputé gardien des objets saisis sous les sanctions prévues par les dispositions pénales. L’acte de saisie rend indisponibles les biens qui en sont l’objet… ». C’est là une mesure de protection du créancier par la mise des biens du débiteur sous séquestre, et pourquoi pas, de protection du débiteur, qui, perdant toute velléité de distraction de ses biens, laisse (bon gré, mal gré) se constituer les moyens de se libérer de sa dette. L’article 64 alinéa 6 AUVE constitue le débiteur, gardien des biens rendus indisponibles, et exige que la mention de cette indisponibilité soit faite en caractères très apparents dans le procès-verbal de saisie . La garde ainsi attribuée au débiteur, propriétaire des biens est une mesure dissuasive d’organiser son insolvabilité . Mais, aux termes de l’article 103 AUVE, le débiteur conserve le droit d’usage sur les biens qui ne sont pas consomptibles, à charge pour lui d’en respecter la contre-valeur estimée au moment de la saisie. Il faut espérer que le débiteur soit de bonne foi, car lorsqu’il est de mauvaise foi, la loi prévoit que « … la juridiction compétente peut ordonner sur requête, à tout moment, même avant le début des opérations de saisie et après avoir entendu les parties ou celles-ci dûment appelées, la remise d’un ou plusieurs objets à un séquestre qu’il désigne. Si parmi les biens saisis se trouve un véhicule terrestre à moteur, la juridiction compétente peut…ordonner son immobilisation jusqu’à son enlèvement en vue de la vente par tout moyen n’entraînant aucune détérioration du véhicule » . L’attitude du débiteur peut donc conduire le juge à nommer une autre personne que le débiteur pour assurer la garde des biens. C’est ce qui est arrivé dans une série de trois ordonnances rendues par le Président du TPI de Dschang, en matière de saisie des produits contrefaits relativement au droit d’auteur et aux droits voisins (piraterie), conformément à la loi Camerounaise No 2000/011 du 1I décembre 2000 . Dans cette espèce le juge affirme : « vu la requête qui précède… disons l’huissier ou l’officier de police judiciaire, gardien des effets saisis » .

On peut cependant s’interroger sur la nature de la responsabilité du séquestre. Est-il responsable des biens sous sa garde, dans le sens de l’article 1384 alinéa 2 du code civil applicable au Cameroun , qui admet son exonération lorsqu’il ne peut être prouvé qu’il a commis une faute par lui-même ou par les personnes dont il répond ? Si l’on répond par l’affirmative, que devient la protection que le législateur avait l’intention de procurer au créancier ? Si l’on admet la responsabilité sans faute, alors on pose que la garde des biens assurée par le séquestre nommé, à savoir l’huissier de justice ou l’officier de police judiciaire est un risque qu’il prend dans le cadre de son activité et qu’il doit être prudent et faire toutes les diligences nécessaires à la préservation des biens à lui confiés, au besoin même, souscrire une assurance ! Il est dont tenu à la reddition des comptes sur les biens qui sont sous sa garde.

B- La reforme des sanctions en matière d’exécution des décisions de justice

La question de la sanction du non respect des prescriptions relatives à l’exécution des décisions de justice non répressives a déjà fait l’objet de nombreux débats aussi bien doctrinaux que jurisprudentiels , qu’il s’agisse notamment de la sanction de la violation de l’indisponibilité, ou encore des défenses à exécution, ou même du formalisme d’exécution.

1) La sanction de la violation de l’indisponibilité

L’acte uniforme est resté muet sur le sort de l’acte posé par le débiteur en violation de la mesure d’indisponibilité. Faut-il le considérer comme nul ou alors comme simplement inopposable au créancier saisissant ? L’article 36 prévoit seulement que le débiteur est gardien des biens saisis sous réserve des « sanctions prévues par les dispositions légales ». Il en résulte que si le débiteur dispose des biens saisis ou les déplace frauduleusement, il peut être poursuivi pour détournement des biens saisis, en application de l’article 190 du Code Pénal Camerounais, qui prévoit un emprisonnement d’un (01) à cinq (05) ans et d’une amende de cinquante mille (50 000) à un million (1 000 000) de francs cfa pour celui qui détourne, détruit ou détériore des biens saisis. Mais cette sanction ne nous paraît pas adéquate car nous sommes en matière civile. C’est donc fort de cela que certains ont suggéré comme sanction, de considérer que l’acte posé en violation de l’indisponibilité, soit non pas nul, mais plutôt inopposable au créancier saisissant . Cette solution nous conforte dans la proposition faite plus haut sur l’étendue de la responsabilité du séquestre désigné par le juge, à savoir qu’il est garant des droits du créancier dès lors qu’il a la garde des objets saisis.

2) La compétence en matière de défenses à exécution

Aux termes de l’article 32 AUVE, « A l’exception de l’adjudication des immeubles, l’exécution forcée peut être poursuivie jusqu’à son terme en vertu d’un titre exécutoire par provision. L’exécution est alors poursuivie aux risques du créancier, à charge pour celui-ci, si le titre est ultérieurement modifié, de réparer intégralement le préjudice causé par cette exécution sans qu’il y ait lieu de relever de faute de sa part ». Il ressort de cette disposition, l’interdiction faite au débiteur de solliciter les défenses à exécution en droit OHADA, contrairement à la loi camerounaise No 92/008 du 14 Août 1992, modifiée par la loi No 97/018 du 07 Août 1997, d’où il ressort de l’article 4 nouveau alinéa 1 que « Lorsque l’exécution provisoire n’est pas de droit et qu’elle a été prononcée en dehors des cas prévus à l’article 3 ci-dessus, la Cour d’Appel, sur demande de la partie appelante, ordonne les défenses d’exécution provisoire ». L’alinéa 2 de ce même article précise que « Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou lorsqu’elle est fondée sur les matières énumérées à l’article 3 ci-dessus, la Cour d’Appel rejette la demande de défenses à exécution provisoire de la partie appelante si ladite demande a un caractère manifestement dilatoire ». La distinction faite ici par le législateur national par les expressions « lorsque l’exécution provisoire n’est pas de droit » ou « lorsque l’exécution provisoire est de droit », n’a pas été retenue par le législateur OHADA. Le législateur national laisse par ces formulations, la latitude au juge d’apprécier l’opportunité d’accorder les défenses à exécution dans certains cas comme en matière contractuelle, et d’être lié dans d’autres cas, comme en matière de créances alimentaire, de préjudice corporel à l’occasion d’un accident de la circulation etc… Par ailleurs, l’on sait que lorsque la décision rendue est un jugement, il doit préciser s’il est exécutoire par provision. Mais, lorsqu’il s’agit d’une ordonnance, elle est automatiquement assortie d’une exécution provisoire ; dans ce dernier cas, doit-on toujours tenir compte des matières donnant lieu ou pas à exécution provisoire ? Le problème des défenses à exécution semble être un nœud gordien difficile à résoudre. Même la CCJA qui a finit par reconnaître l’application éventuelle de la loi nationale en matière de défense à exécution ne nous convainc pas de la maturité de sa position. En effet, dans un arrêt rendu le 19 juin 2003 , elle fait aussi une distinction entre l’ « exécution entamée » qui ne peut admettre une défense à exécution, et l’« exécution non entamée », qui peut être suspendue. Cette distinction lui permet alors de déclarer la législation nationale tantôt compétente, tantôt non. Dans l’arrêt énoncé, le juge de la CCJA l’exprime en ces termes : « l’article 32 de l’acte uniforme portant voies d’exécution n’est pas applicable, et partant la CCJA doit se déclarer incompétente, dès lors que la procédure litigieuse n’avait pas pour objet de suspendre une exécution forcée déjà engagée, mais plutôt d’empêcher qu’une telle décision puisse être entreprise sur la base d’une décision assortie de l’exécution provisoire et frappé d’appel. Ainsi, l’affaire ayant donnée lieu à l’arrêt attaqué ne soulevant aucune question relative à l’application des actes uniformes, les conditions de compétence de la CCJA ne sont pas réunies ». Les défenses à exécution sont donc gouvernées par deux régimes juridiques, le droit national interne et l’article 32 de l’AUVE ! Lorsque l’exécution forcée est déjà entamée, l’article 32 AUVE s’applique : toute requête aux fins de défense à exécution est irrecevable. Lorsque l’exécution forcée n’est pas encore engagée, la loi camerounaise de 1992 modifiée s’applique : le juge apprécie l’opportunité d’accorder ou non la défense à exécution. N’aurait-il pas été plus simple, comme le propose un auteur dont nous partageons l’avis, de reconnaître la compétence définitive de la loi nationale pour cette « loi de procédure » et d’éviter au justiciable ou aux agents d’exécution et huissier de justice, cette « balade judiciaire », qui ne contribue qu’à allonger et à alourdir l’exécution des décisions, toute chose contraire à l’esprit du législateur ?

Cependant, cette compétence de la loi nationale ne doit pas se justifier comme le pense un auteur par le fait que le contentieux d’exécution n’est pas une matière ressortissant de l’article 2 du traité OHADA, qui détermine le domaine d’application du traité. Cet article procède à l’énumération de huit matières qui entrent dans le champ du droit des affaires. Parmi ces matières, figurent bien le recouvrement des créances et les voies d’exécution, qui englobent évidemment le régime juridique applicable en la matière. C’est donc à juste titre que l’article 32 AUVE légifère sur les défenses à exécution. La solution qui consiste à laisser la question à la législation nationale doit se justifier plus par une bonne administration de la justice, que par toute autre raison, car on pourrait aussi tirer argument de la primauté de l’acte uniforme sur les voies d’exécution entré en vigueur le 10 Juillet 1998 sur la loi nationale de 1992 modifiée en 1997. Ainsi, si cette question doit être laissée au droit national des Etats-parties, cette précision doit être faite par le législateur OHADA comme tel a été le cas pour certaines matières, notamment lorsqu’il s’est agit de prévoir les sanctions pénales.

Au demeurant, l’exercice des voies d’exécution n’est pas chose aisée. En effet, toutes les situations sociales ne peuvent être appréhendées par la loi. L’on constate que malgré les précautions prises par le législateur pour assurer un meilleur équilibre dans les droits de différents protagonistes, l’usage des outils législatifs rencontrent d’énormes difficultés dans la pratique. L’acte uniforme sur les voies d’exécution nécessite aussi une reforme.

Sara Nandjip Moneyang
Chargée de Cours,
Département de Droit des Affaires,
Faculté des sciences juridiques et politiques, Université de Douala

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.