La pandémie de Covid-19 met à rude épreuve les pays en développement. Ils auront besoin de soutien financier pour faire face aux dépenses de santé nouvelles. La coopération internationale sera nécessaire, explique le directeur de l’Agence française de développement (AFD) Rémy Rioux.
Rémy Rioux
Directeur de l’AFD
Entretien
La Croix : Comment l’épidémie de Covid-19 affecte-t-elle les pays les moins développés ?
Rémy Rioux : Nous faisons face à une crise inédite, un virus dont on ne connaît pas l’évolution. Une crise mondiale, simultanée. Qui nous amène à nous interroger sur nos modèles de développement. On sait qu’elle a un rapport avec la biodiversité et le climat, que la pollution des villes est un facteur aggravant, qu’elle met partout sous tension le lien social et les services publics.
Les solutions sont difficiles à définir et seront différentes. Ici, nous avons la capacité de confiner tout le monde. C’est très différent dans les pays en développement où cette capacité est plus limitée et son coût social élevé.
Inversement, l’impact sur l’économie pourrait y être plus faible. Mais dans tous les cas, ces pays vont devoir faire face à des dépenses supplémentaires pour acheter des médicaments, des masques, payer le personnel de santé, protéger leurs économies. Ils vont subir un surcoût qu’ils n’ont pas les moyens de porter seuls.
La Croix : L’Afrique a subi le virus Ebola. Les leçons qu’elle en a retenues peuvent-elles servir ?
Rémy Rioux : Il existe en Afrique une forte expérience de lutte contre les pandémies. L’ancien directeur d’Onusida, Peter Piot, grand épidémiologiste, raconte avoir été frappé de voir, face à Ebola, certains villages se mettre d’eux-mêmes en quarantaine, sans attendre les consignes officielles. Les autorités de santé comme les populations ont appris à vivre avec les virus depuis longtemps, quand nous avons oublié nos vulnérabilités.
Cela dit, on ne sait pas comment les villes africaines géantes pourront résister à ce choc sanitaire. Beaucoup de gouvernements ont déjà pris de bonnes décisions. Et j’espère que leurs demandes seront entendues par le G20 et les Nations Unies. N’oublions surtout pas l’Afrique !
La Croix : Comment les aider ?
Rémy Rioux : Il faut leur apporter d’urgence des financements, les aider à renforcer leur système de santé et de protection sociale. Les pays du sud risquent de se trouver à court de devises pour importer des médicaments et des biens alimentaires. Et nous devons aussi continuer à investir dans l’éducation, les infrastructures, l’égalité femmes hommes et le climat, au moment où ils subissent une fuite des capitaux trois fois plus élevée que lors de la crise de 2008. Veillons à ne pas approfondir la crise économique et environnementale en luttant contre la crise sanitaire.
La réponse doit d’abord être multilatérale. Il y a beaucoup de discussions actuellement pour augmenter l’accès des pays aux ressources du FMI, rapidement et sans conditions. La France plaide également avec force pour une allocation massive de DTS (les Droits de tirage spéciaux du FMI), ce qui reviendrait à faire des dons aux États.
On parle d’un montant de 500 milliards de dollars qui viendrait s’ajouter aux 1 000 milliards de ressources que le FMI peut d’ores et déjà fournir. Ce serait la bonne réponse macroéconomique, qu’il faudra compléter par d’autres interventions pour les pays les plus pauvres.
La Croix : Est-ce qu’il ne faudrait pas aussi annuler les dettes ?
Rémy Rioux : C’est une des façons possibles de libérer rapidement des ressources. À la demande des gouvernements africains, une solution s’esquisse sur ce sujet et la France est à la manœuvre. Mais attention aux signaux négatifs. De nombreux pays en développement ont retrouvé depuis vingt ans un fort crédit auprès des créanciers, publics et privés. Il ne faudrait surtout pas qu’une telle décision soit interprétée comme un défaut de paiement, ce qui les priverait, en pleine crise, de nouveaux financements. Une solution pourrait être de suspendre le paiement de certaines dettes durant un an ou deux. Je ne crois pas à une solution unique mais à un ensemble d’instruments.
Il faut surtout pouvoir atteindre les populations les plus pauvres, les territoires les plus reculés et les entreprises les plus fragiles. C’est la réponse microéconomique. C’est le travail des banques de développement. C’est la volonté de l’Union Européenne, qui a annoncé 20 milliards d’euros de financements, dont une partie permettra de garantir des prêts.
Quand plus personne n’accepte de prendre des risques pour prêter à des petites entreprises en difficultés, les garanties sont essentielles pour « dérisquer » le système financier, en particulier, les institutions de microfinance, qui sont les seules capables d’aller très loin dans le tissu social, jusqu’au secteur informel.
La Croix : La France a déjà mis sur la table 1,2 milliard d’euros que vous allez gérer…
Rémy Rioux : Le programme « Santé en commun » est une première réponse française à la crise pour accompagner nos partenaires. Nous allons augmenter nos financements dans les pays où nous soutenons déjà les systèmes de santé, comme la Côte d’Ivoire, la RDC, les Comores ou la Guinée.
Nous allons financer des programmes de recherche, de veille sanitaire, de test et de prévention et de prise en charge de la maladie avec la société civile. Nous voulons engager cette somme d’ici l’été. Nos équipes sont sur le terrain, ainsi que tous les experts qui appuient les ministères de la santé, afin d’avoir accès le plus vite possible aux fonds internationaux. Beaucoup d’argent va se libérer.
La Croix : Le président du Niger a demandé un « Plan Marshall » pour l’Afrique. La mobilisation est suffisante ?
Rémy Rioux : Il faut aller plus loin. C’est l’engagement du président Macron. Si l’on veut vaincre ce virus, il faut le vaincre partout. Cela suppose plus d’action internationale. Si nous sommes soucieux de cette épidémie en Afrique, c’est peut-être parce que nous n’y avions pas assez investi au préalable. Nous avons tous compris que nous vivons désormais dans un monde en commun.
La Croix, 13/04/2020
Recueilli par Alain Guillemoles