Doctrine OHADA

La confidentialité dans la procédure arbitrale dans l’espace OHADA

Cédric Carol TSAFACK DJOUMESSI
ATER
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Dschang

Il est vain d’affirmer l’existence d’un droit au juge si les conditions dans lesquelles les jugements sont rendus ne satisfont par la valeur de justice. Pour cela, un certain nombre de principes processuels fondamentaux sont proclamés. On englobe le plus souvent ces principes dans l’expression « procès équitable » .

Déjà, les principes directeurs du procès sont des principes techniques entrant dans la catégorie plus générale des principes fondamentaux de la procédure qui constituent des regroupements de règles structurant une procédure et les rapports de droit procéduraux et constituant par conséquent un ordre public procédural. D’un nombre fort important, ils sont quasiment communs à toutes les procédures et consacrés par la quasi-totalité des Etats du monde qu’on en vient à parler de l’émergence d’un modèle universel de procès. Un auteur remarquable a pu conclure à cet effet que « l’édification d’un fonds commun procédural conduit à la mondialisation des procédures, des standards d’une bonne justice . Une doctrine autorisée en a proposé une définition large . Dans ce sillage, on peut les classer en principes tournés vers les parties et en principes tournés vers le juge ou encore en principes institutionnels et fonctionnels. Á l’intérieur des principes institutionnels, on peut ranger le droit à un tribunal et le droit à un juge indépendant et impartial . Dans les principes fonctionnels, on a le principe de l’égalité des armes qui renferme les droits de la défense et le principe du contradictoire ; les principes de loyauté et de l’équilibre des rôles . Somme toute, ces principes constituent une limite légale substantielle à la possibilité offerte aux arbitres de régler la procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux. Ces principes constituent en quelque sorte le droit commun processuel minimum, hors d’atteinte de la volonté des parties. Ils participent ainsi avec force à la relativisation du concept de « justice privé » de l’arbitrage .

Plusieurs principes sont propres à l’arbitrage et suscitent d’ailleurs son rayonnement. Il en va ainsi de la célérité, de la loyauté de la confidentialité. Mais seul le dernier retiendra notre attention.

La confidentialité semble être un principe qui gouverne toute procédure arbitrale et la distingue de la procédure devant une juridiction étatique où s’applique à l’inverse la règle de la publicité des débats . Traditionnellement, elle est présentée comme étant l’un des trait marquant, ou encore l’un des avantages de l’arbitrage . D’aucuns soutiennent qu’elle est de l’essence même de l’arbitrage ou encore qu’elle est la sœur jumelle de l’arbitrage . En effet, il est souvent opportun pour une entreprise que ses contentieux commerciaux ne soient pas portés à la connaissance d’un trop large public, ni même des concurrents, des clients et des pouvoirs publics . L’arbitrage, justice confidentielle, sans publicité des débats ni, en principe des sentences rendue, semble permettre de préserver le secret des affaires. Ce faisant, la confidentialité évite de radicaliser le contentieux ; facilitant ainsi les arrangements entre les parties.

Toutefois, une incertitude règne aujourd’hui sur le statut de la confidentialité de l’arbitrage. Des discussions existent sur la nature légale ou conventionnelle de l’obligation de confidentialité, sur sa valeur de principe général de l’arbitrage , ou sur la nécessité qu’elle soit expressément stipulé par les parties.

Au demeurant, si la confidentialité des audiences paraît être garantie (I), tel ne semble pas être le cas pour ce qui est des sentences (II).

I : La confidentialité « garantie » des audiences

L’arbitrage est un mode privé de règlement des conflits. Ce caractère privé signifie que les audiences se déroulent portes closes. En ce sens, une doctrine recommandée a pu dire que l’arbitrage n’est pas seulement une justice privée mais une justice rendue en privée . Ce qui a, à tord, conduit à l’assimilation du caractère privé des audiences avec la confidentialité . En réalité, l’obligation de confidentialité dans l’arbitrage semble être garantie à la fois par sa large portée (A) et les sanctions possibles en cas de violation (B).

A- La large portée de l’obligation de confidentialité des audiences

L’obligation de confidentialité dans l’arbitrage a une triple portée : matérielle, personnelle et temporelle.
Sur le plan matériel, le paragraphe 1, de l’article 14 du Règlement d’arbitrage CCJA dispose que : « La procédure arbitrale est confidentielle. Les travaux de la cour relatifs au déroulement de la procédure arbitrale sont soumis à cette confidentialité, ainsi que les réunions de la cour pour l’administration de l’arbitrage. Elle couvre les documents soumis à la cour ou établis par elle à l’occasion des procédures qu’elle diligente ». De cet article, on note une double composante à savoir d’une part, la confidentialité des audiences proprement dites qui renferme plusieurs éléments dont : la confidentialité de l’existence de l’arbitrage, celle de tous les documents et pièces échangés pendant l’instance, du délibéré. Schématiquement, la confidentialité des audiences interdit aux intervenants à l’arbitrage de révéler l’existence de la procédure arbitrale. Il fait aussi obstacle à ce que les parties rendent publics les documents produits par l’adversaire au cours de l’instance : mémoires, correspondances, notes écrites ainsi que toutes pièces annexes. Cette confidentialité est quasi commune à tout type d’arbitrage . La seconde composante, est propre aux arbitrages institutionnels. Elle consiste en la confidentialité des réunions de la Cour dans le cadre de l’administration de l’arbitrage. Au total, toute information est confidentielle, sous réserve des stipulations contraires des parties, des obligations légales et réglementaires. Cette obligation s’impose à des personnes bien précises.

Sur le plan personnel, tous les acteurs de l’arbitrage y sont assujettis. Par acteurs de l’arbitrage, on entend toute personne ou institution concourant à la procédure arbitrale telle que les arbitres, les parties, leurs conseils, les secrétaires administratifs, les témoins, les experts, les centres d’arbitrage, les autorités de désignation ou encore les tiers financeurs sans que la liste soit limitative. Dans cette veine, le paragraphe 2, de l’article 14 du Règlement CCJA souligne que : « sous réserve d’un accord contraire de toutes les parties, celle-ci, et leurs conseils, les arbitres, les experts, et toute personne associée à la procédure d’arbitrage, sont tenus au respect de la confidentialité […] ». Dans le cadre d’un arbitrage institutionnel, le centre en question rentre dans les intervenants à la procédure arbitrale et par voie de conséquence, est aussi astreint à cette obligation. Il s’agit en définitive, d’un principe large dont les contours exacts restent à fixer par la jurisprudence. Toutefois, elle ne permet pas d’échapper à toutes les obligations légales d’information, notamment comptables, fiscales et financières, que supportent les intervenants à l’arbitrage .

Sur le plan temporel, il convient de relever que la confidentialité s’applique à chacune des étapes de l’instance arbitrale, de la nomination des arbitres à la signature de la sentence, et perdure même après son prononcé . Á la vérité, à quoi servirait une confidentialité temporaire ? Tout ce que l’arbitre apprend, à peine est-il approché par les litigants en vue d’une éventuelle désignation, devra rester secret, qu’il soit finalement désigné ou non, et le secret devra être préservé au terme de l’instance, qu’une sentence soit effectivement rendue ou non. Cependant, cette obligation comporte certaines limites dès lors qu’on met l’arbitre en face de faits illicites, voire immoraux : Les litigants ne pourront plus exiger de lui qu’il garde le silence sur ces faits, car cela pourrait faire de lui un complice . Bien plus, il en va ainsi lorsqu’une disposition légale l’oblige à révéler des informations relatives à l’arbitrage ou pour les besoins de sa défense, en cas d’action en responsabilité engagée à son encontre .

L’obligation de confidentialité est donc une obligation permanente qui pèse à la fois sur l’arbitre, les litigants et tous les acteurs du procès arbitral et dont la méconnaissance emporte sanction.

B- Les sanctions aux manquements à l’obligation de confidentialité

Le tribunal arbitral, les litigants et tous les intervenants à la procédure arbitrale sont tenus de ne rien divulguer de l’instance arbitrale. Tout manquement à cette obligation de confidentialité par l’un quelconque des intervenants est une faute. En conséquence, la méconnaissance de cette obligation, peut entrainer pour tous les intervenants à l’exclusion des arbitres, la mise en jeu de leur responsabilité civile si d’aventure, elle a causé un préjudice au requérant. Ainsi, le Tribunal de commerce de Paris, a reconnu la confidentialité de l’existence même d’une procédure arbitrale et, a retenu la responsabilité de la partie qui l’avait révélée dans la presse . Relativement aux membres du tribunal arbitral, leur condition est plus inconfortable. En effet, en plus de la mise en jeu de leur responsabilité au triple plan contractuelle, délictuelle et disciplinaire en fonction de la victime , ils s’exposent à leur révocation , voire l’annulation de leur sentence.

II : La confidentialité menacée des sentences

La confidentialité des sentences arbitrales est réel (A) mais se trouve fragilisée par l’éventualité des recours au juge d’appui (B).

A- La réalité de la confidentialité des sentences arbitrales

Elle passe par la confidentialité du délibéré . En effet, l’article 1469 du Code de procédure civile applicable au Cameroun souligne que : « les délibérations des arbitres sont secrètes » . Le secret du délibéré , à la différence de celui des pièces et des audiences , s’exerce vis –à vis des tiers et des litigants. Un auteur remarquable a pu dire en ce sens que : « le secret impose l’interdiction pour toute personne, hors les juges d’assister au délibéré, et l’obligation, pour les magistrats délibérants de ne pas divulguer ultérieurement le contenu de leur délibération » . L’obligation au secret qui vise à assurer l’égalité des litigants, se subdivise en deux : d’une part, elle doit empêcher tout tiers d’y assister ; d’autre part, elle a l’interdiction d’en révéler le contenu.

D’emblée, seuls les arbitres peuvent participer aux délibérés, et chacun d’entre eux est garant du respect de cette règle. Cela implique que toute autre personne en soit exclue, sauf si les litigants ne l’accordent expressément.

L’interdiction faite aux tiers d’assister aux délibérés vaut naturellement pour tous les autres intervenants à la procédure arbitrale et même pour le secrétaire du tribunal arbitral et pour le dactylographe. L’arbitre est obligé par le contrat d’arbitre d’assurer le huis – clos aux délibérés. Il doit refuser de délibérer tant qu’il ne peut pas l’obtenir. Ainsi dans une affaire, un arbitre a démissionné en raison des interventions régulières du responsable du service juridique d’une des deux sociétés litigantes lors des délibérés . Même si cet arbitre a montré son attachement au respect de la confidentialité dans l’arbitrage, il est sans doute préférable de parvenir à des solutions moins radicales .

Le contenu des délibérés doit ensuite impérativement rester secret. Ainsi, l’arbitre qui communique le résultat d’un délibéré avant que la sentence soit notifiée, même si elle ne sera pas modifiée, viole son obligation de secret. Il en est de même si l’arbitre révèle la position qu’il a défendue lors des délibérés. Il y aurait encore violation de l’obligation de secret si l’arbitre permettait la publication d’une sentence, sans l’accord des litigants. Ces atteintes caractérisées à la confidentialité ne sont pas pour autant des cas d’annulation de la sentence , malgré leur caractère « dangereux » pour l’arbitrage. En revanche la responsabilité civile de l’arbitre pourra être recherchée si la publication a causé un préjudice . Ne constituent pas cependant une violation à l’obligation de confidentialité, l’émission d’une opinion dissidente, l’absence de signature d’un des arbitre sou même l’indication que la sentence a été rendue à l’unanimité ou à la majorité . Cette confidentialité apparente dont semble jouir la sentence arbitrale est sérieusement remise en cause par les recours au juge d’appui.

B- La fragilité de la confidentialité des sentences arbitrales

L’obligation de confidentialité s’efface devant les principes supérieurs posés tantôt par l’ordre public de fond, tantôt par l’ordre public procédural.
Pour ce qui est de l’ordre public de fond, les obligations légales peuvent faire sauter le parapluie de la confidentialité. La loi peut en effet, imposer aux parties des obligations d’information, de révélation, ou de transparence. Ainsi les droits financier ou boursier peuvent neutraliser l’obligation de confidentialité . Dans ce sillage, les juridictions anglaises et particulièrement La High Court a jugé qu’une sentence était un document public identifiant les droits et les obligations des parties et qu’elle pouvait être divulguée s’il paraît raisonnable que sa publication soit nécessaire afin d’établir ou de sauvegarder les droits d’une partie à l’arbitrage à l’égard des tiers . Il en va de même pour les lois fiscales et pénales .

La confidentialité cède le plus souvent devant l’ordre public procédural. En effet, dès lors que les recours au juge d’appui sont mis en œuvre, le parapluie de la confidentialité se trouve ôté au profit de la publicité des débats. Malheureusement aujourd’hui, on ne peut que déplorer le comportement procédurier de certaines parties, ou de leurs conseils, ainsi que l’usage abusif des tactiques dilatoires que sont les incidents de procédure et les recours contre la sentence. Si les incidents de procédure peuvent fragiliser la confidentialité de l’audience arbitrale, les recours contre la sentence arbitrale quant-à eux, anéantissent la confidentialité de celle-ci. La confidentialité ne saurait porter atteinte au droit de défendre ses intérêts dont dispose toute partie en arbitrage. Chacune des parties dispose du droit de contester la sentence devant le juge étatique compétent ou peut attaquer l’ordonnance d’exéquatur qui donne à la sentence la force exécutoire. Ce droit heurte de plein fouet l’obligation faite à chacune des parties de garder l’arbitrage confidentiel : non seulement la procédure arbitrale est révélée par ses actions, mais également la sentence et parfois même certains évènements de l’audience arbitrale. Toutefois, l’abus du droit recours au juge étatique est sanctionné . Bien plus, la sentence arbitrale peut être produite comme moyen de défense ou comme fondement d’une action en justice ; lesquels usages contribuent fortement à la relativisation de la confidentialité de l’instance arbitrale. Un auteur a d’ailleurs pu constater que les sentences arbitrales, sont aujourd’hui largement répandues, qu’il en vient a promouvoir le recours à la jurisprudence arbitrale .

En définitive, la confidentialité de l’instance arbitrale n’est qu’un principe. Entend que tel, elle n’est garantie qu’en cas de déroulement normal de l’instance. La présence des incidents de procédure et la mise en jeu des voies de recours sont de nature à remettre en cause le principe ainsi proclamé. Du coup, on peut à raison, se demander si la confidentialité est-elle encore un critère du rayonnement de l’arbitrage ? Pour autant, doit-on reproché au législateur OHADA d’avoir admis ces éventualités. Á notre sens une réponse négative s’impose. Au total, la préservation de la confidentialité dépend fortement de la volonté des parties en cause. D’où la prudence nécessaire de son affirmation catégorique. Ne va-t-il pas de même avec le principe de célérité ?

Cédric Carol TSAFACK DJOUMESSI
ATER
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Pratique professionnelle.