Doctrine OHADA

Le devoir d’alerte du commissaire aux comptes dans les sociètés commerciales de l’espace OHADA

Dr. Priscille Grâce DJESSI DJEMBA
Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala, Cameroun.

Résumé

La protection des investissements et de l’environnement économique est une question, qui revient sans cesse au sein des Etats membres de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique.

La récente réforme de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique témoigne, de l’importance que le législateur OHADA accorde à la mise en place, d’un cadre juridique favorable aux investissements, mais aussi à la protection des intérêts des divers acteurs qui participent au fonctionnement des sociétés commerciales .

La procédure d’alerte à l’initiative du commissaire aux comptes figure, en bonne place parmi le dispositif prévu par le législateur OHADA pour assurer la sauvegarde des différents intérêts en jeu. On peut cependant s’interroger sur son efficacité dans les sociétés commerciales dans lesquelles, la présence du commissaire aux comptes est nécessaire.

 

Introduction :

L’organisation et le fonctionnement d’une société commerciale reposent sur un ensemble de règles auxquelles doivent se soumettre les dirigeants sociaux et les actionnaires ou associés, dans le but d’assurer la bonne marche de celle-ci. En effet, souligne un auteur, « outre le fait de faciliter l’accumulation des capitaux, la société est considérée comme étant une technique d’organisation de l’entreprise ou une technique de gestion pouvant permettre, le cas échéant, la séparation de la propriété du pouvoir de direction ou de gestion et faciliter, le moment venu, la transmission de l’entreprise pour cause de mort ou même entre vifs. »

Ces règles qui sont notamment précisées par l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique , ont entre autres pour objectif, l’encadrement des activités de la société, mais aussi celui des rapports que les dirigeants sociaux entretiennent avec les actionnaires ou associés d’une part, et les tiers d’autre part.

L’idée d’instituer de telles règles constitue donc une mesure indispensable au regard, des difficultés auxquelles font face les sociétés et du risque de faillite qu’elles encourent du fait de la mauvaise gestion des dirigeants sociaux et des conséquences préjudiciables aux actionnaires ou associés, aux salariés et aux tiers, dont la protection doit nécessairement être prise en compte. Il ne faut pas oublier la protection de l’environnement économique qu’offrent ces règles dans le cadre de la mise en place sur le plan régional, d’une politique tendant à encourager les investissements tant nationaux qu’internationaux .

Parmi les mesures envisagées figure, l’obligation faite aux commissaires aux comptes de relever et dénoncer les faits qui pourraient entraver la continuité des activités de la société. Cette obligation énoncée dans les articles 150 à 156-1 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique est l’une des mesures permettant aux actionnaires ou associés de contrôler indirectement, à travers l’intervention légale d’un tiers, les actions des dirigeants sociaux relatives à la gestion comptable et financière de la société. Elle est matérialisée dans le cadre d’une procédure spéciale appelée la procédure d’alerte. Se présentant comme « un mode de traitement non judiciaire des difficultés des entreprises » , elle a pour principal objectif « d’informer le chef d’entreprise de tout fait de nature à compromettre « la continuité de l’exploitation » , c’est-à-dire « de neutraliser tout risque sérieux, susceptible d’entrainer la cessation d’exploitation et donc, de justifier le redressement judiciaire ou la liquidation des biens de la société concernée. »

Si d’un point de vue théorique l’utilité de cette procédure n’est plus à démontrer, on pourrait légitimement s’interroger sur l’étendue de sa portée par rapport au résultat escompté. Cette procédure est-elle suffisamment efficace ? En effet, l’obligation du commissaire aux comptes de relever ces faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation à travers la procédure d’alerte apparaît, comme le gage d’une sécurité juridique (I), cependant, elle se présente dans le cadre des relations que ce dernier entretient avec les dirigeants sociaux comme une trahison des malversations commises par ceux-ci (II).

I- Une obligation synonyme de sécurité juridique

En prenant le parti d’encadrer dans un texte régional l’organisation et le fonctionnement des sociétés commerciales, le législateur OHADA manifeste sa volonté de protéger la vie de la société, mais aussi les intérêts des personnes qui contribuent à son essor et l’environnement économique d’une manière générale. Il apparaît assez souvent pour des raisons diverses, que la société connaisse des difficultés, dont l’ampleur constitue selon les cas, un danger pouvant entrainer sa faillite ou des mesures de redressement judiciaire difficilement acceptables.

Afin, d’éviter d’en arriver là, le législateur OHADA a prévu en amont de ces mesures de redressement judiciaire, la possibilité de prévenir les dirigeants sociaux des dangers que la société encourt du fait de leur mauvaise gestion, notamment financière. Cela se fait entre autres à travers la procédure d’alerte, qui se présente comme une mesure protectrice des intérêts aussi bien des actionnaires ou associés, des salariés et créanciers de l’entreprise, que de cette dernière elle-même (B). Mais la procédure d’alerte est avant tout une mesure préventive et de contrôle des dirigeants sociaux (A).

A- La procédure d’alerte par le commissaire aux comptes, une mesure préventive et de contrôle des dirigeants sociaux

Le fonctionnement de la société repose en grande partie sur les choix opérés par les dirigeants sociaux. Ces choix sont issus de l’association de considérations objectives, mais parfois aussi subjectives, qui ne cadrent pas toujours avec l’intérêt social. C’est pourquoi, le législateur a institué un contrôle effectué par le commissaire aux comptes, à travers la procédure d’alerte. Son déroulement (2) repose sur des motifs déterminés par l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (1).

1- Les motifs du déclenchement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes

La procédure d’alerte telle qu’elle est prévue par le législateur OHADA apparaît comme une mesure préventive des difficultés qui peuvent constituer un danger pour la continuité des activités de la société. Les motifs justifiant son déclenchement par le commissaire aux comptes sont clairement définis par l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique.

En effet, qu’il s’agisse des sociétés par actions (société anonyme ou société par actions simplifiées) ou des sociétés autres que les sociétés par actions (société en nom collectif, société en commandite simple, la société à responsabilité limité…), les motifs de déclenchement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes sont les mêmes . Aux termes de l’article 150 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, « Le commissaire aux comptes, dans les sociétés autres que les sociétés anonymes, demande par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des explications au gérant qui est tenu de répondre, dans les conditions et délais fixés aux articles suivants, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de l’examen des documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission. » Ce texte est repris, à l’article 153 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique selon les mêmes termes en ce qui concerne les sociétés par actions.

Ainsi, d’après ces textes, la procédure d’alerte est engagée lorsque le commissaire aux comptes constate, au regard de l’examen des documents qui lui sont communiqués par les dirigeants sociaux ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission, qu’il existe des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Deux conditions sont donc nécessaires au déclenchement de la procédure d’alerte. Il faut tout d’abord l’existence d’un fait. Il faut ensuite que ce fait constitue un danger pour la société, c’est-à-dire qu’il soit de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

L’existence d’un fait

Il faut relever à la lecture de ces conditions, que le législateur OHADA n’apporte pas de précisions claires sur ce qu’il considère comme « fait » de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. S’il est vrai que l’élément déclencheur de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes peut résulter d’un fait unique, le législateur OHADA ne le définit pas précisément. On peut toutefois relever sans avoir la prétention d’être exhaustive, que le ou les faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation se rapportent soit à l’état financier de la société, soit à son exploitation. On peut retenir également des éléments tenant compte de l’environnement socio-économique de la société.

Ainsi, s’agissant de l’état financier de la société, le fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation peut directement ou indirectement être lié à la trésorerie et faire ressortir un problème de solvabilité de la société vis-à-vis de ses créanciers par exemple. On peut par conséquent relever parmi les hypothèses qui peuvent ternir la situation financière de la société, un état négatif de sa trésorerie entrainant une incapacité de régler les créanciers à l’échéance, un renouvellement ou un report d’échéances des dettes. On peut également retenir l’absorption d’une filiale en difficulté ou encore la décision d’une société mère de supprimer ses aides à sa filiale. D’autres situations pourraient attirer l’attention du commissaire aux comptes. Il s’agit entre-autres, de la dégradation du fonds de roulement ou des principaux équilibres financiers, du déficit des capitaux propres, de l’exigence de sûretés exorbitantes par les tiers ou encore de l’insolvabilité d’un débiteur très important à la société.

La liste de ces faits liés à l’état financier de la société n’est pas exhaustive, cependant elle permet de se rendre compte du champ étendu des faits qui peuvent provoquer la mise en œuvre de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes. Ces faits résultent parfois d’un problème lié à l’exploitation de la société. Il peut ainsi s’agir de la perte de marchés importants, de l’impossibilité de s’autofinancer, de frais financiers trop élevés, d’une absence d’activité ou sous-activité sur une longue période. Comme en matière de l’état financier de la société, la liste des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation ici n’est pas exhaustive.

Enfin, en ce qui concerne les faits relatifs à l’environnement socio-économique, il faut noter qu’ils peuvent avoir un impact négatif tant sur l’état financier de la société que sur son exploitation. C’est précisément le cas lorsque surviennent des conflits sociaux de longue durée. Il en est de même en cas de destruction ou de perte de l’outil de production, de catastrophe naturelle empêchant le fonctionnement normal de la société, d’inexécution du contrat par un tiers, de procédures judiciaires en cours, ou encore d’une législation défavorable.

  • L’existence d’un fait constituant un danger pour la continuité de l’exploitation Si les différents faits cités ci-haut sont susceptibles d’attirer l’attention du commissaire aux comptes, il faut également qu’ils soient de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, afin d’activer la procédure d’alerte. Cela suppose donc en amont une appréciation de ces derniers. Ceci n’est possible que si le commissaire aux comptes en a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission ou lors de l’examen des documents. Il faut noter qu’il n’y a pas une systématisation dans la recherche des faits susceptibles d’entraver la continuité de l’exploitation. Le commissaire aux comptes a certes l’obligation de déclencher la procédure d’alerte lorsque les faits l’imposent, mais il ne procède pas à une chasse aux sorcières contre les dirigeants sociaux. Son rôle est de contrôler, lors de l’examen des documents sociaux ou lors de l’exercice de sa mission, la situation comptable de la société et de prévenir les dirigeants sociaux sur les risques qu’encourt la société et l’incidence de ceux-ci sur la continuité de l’exploitation. La continuité de l’exploitation est un élément déterminant dans la vie d’une société commerciale. Elle se pose comme un principe comptable devant être pris en compte par les dirigeants sociaux dans le cadre du fonctionnement de la société. L’article 39 de l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises précise qu’ « En application du principe de continuité de l’exploitation, l’entreprise est normalement considérée comme étant en activité, c’est-à-dire comme devant continuer à fonctionner dans un avenir raisonnablement prévisible. Lorsqu’elle a manifesté l’intention ou quand elle se trouve dans l’obligation de se mettre en liquidation ou de réduire sensiblement l’étendue de ses activités, sa continuité n’est plus assurée et l’évaluation de ses biens doit être reconsidérée. » L’alinéa 2 de cet article souligne qu’ « Il en est de même quand il s’agit d’un bien – ou d’un ensemble de biens – autonome dont la continuité d’utilisation est compromise en raison notamment de l’évolution irréversible des marchés ou de la technique. » C’est dire que si le fait relevé par le commissaire aux comptes n’entrave pas la continuité de l’exploitation, ce dernier n’a pas l’obligation de déclencher la procédure d’alerte. Il faut donc un lien de cause à effet entre le fait relevé et la continuité de l’exploitation . Lorsque cette dernière ne peut plus être assurée normalement, il est du devoir du commissaire aux comptes de déclencher la procédure d’alerte en tenant compte de la nature de la société. 2- Le déroulement de la procédure d’alerte

Le déroulement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes varie en fonction du type de société. On distingue la procédure d’alerte dans les sociétés par actions de la procédure effectuée dans les sociétés autres que les sociétés par actions.

La mise en œuvre de la procédure d’alerte dans les sociétés par actions

Il s’agit des sociétés anonymes et des sociétés par actions simplifiées. Selon les termes de l’article 153, lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission ou lors de l’examen des documents sociaux, le commissaire aux comptes relève un fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il demande des explications, soit au président du conseil d’administration, soit au président-directeur général ou bien à l’administrateur général.

La demande d’explications est adressée aux personnes susmentionnées sous la forme, d’une lettre au porteur contre récépissé ou bien sous la forme d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Un tel dispositif servira en cas de besoin, de moyen de preuve en cas de conflit entre le commissaire aux comptes et ces dernières. Suivant la même forme, celles-ci éclaircissent les différents points sur lesquels le commissaire aux comptes attend des réponses précises. Ces éclaircissements sont effectués dans un délai de quinze jours, à compter de la date de réception de la demande d’explication . Le législateur OHADA précise que les explications fournies reposent sur une analyse de la situation et éventuellement sur les mesures prévues pour endiguer les faits constituant un danger pour la continuité des activités de la société.

Il est important de souligner que le délai de quinze jours prévu par le législateur OHADA, afin de permettre au président du conseil d’administration, au président-directeur général ou à l’administrateur général de répondre à la demande d’explication du commissaire aux comptes présente l’avantage d’être court, ce qui permet à ce dernier, lorsqu’il estime que le fait constaté est de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, de prendre les mesures nécessaires tendant à prévenir les dirigeants sociaux, les actionnaires et le cas échéant la juridiction compétente.

À cet effet, en cas de silence des personnes visées ci-haut, ou lorsque le commissaire aux comptes estime que les éclaircissements fournis ne sont pas satisfaisants, il invite sous la même forme prévue à l’article 154 de l’Acte Uniforme relatif au Droit de Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, le président du conseil d’administration ou le président-directeur général à faire délibérer le conseil d’administration ou encore l’administrateur général ou le président à se prononcer sur les faits constatés et ceci dans un délai de quinze jours suivant la réception de la réponse ou la constatation de l’absence de réponse dans le délai de 15 jours. La délibération sur les faits s’effectue dans les 15 jours qui suivent la lettre du commissaire aux comptes en présence de ce dernier.

De manière générale, toutes ces formalités et précautions prises par le commissaire aux comptes lui permettent, non seulement d’acquérir les informations nécessaires et précises dont il a besoin pour le bon accomplissement de sa mission, mais surtout d’informer les dirigeants sociaux et les actionnaires sur l’état de la société. Une telle démarche a aussi pour but de décharger le commissaire aux comptes de toute responsabilité si la situation de la société venait à se dégrader.

La présence du commissaire aux comptes à la séance de délibération est nécessaire, car elle apparaît comme un gage de transparence pour les actionnaires, qui doivent recevoir une information claire et précise, sur la gestion de la société par les dirigeants sociaux et surtout sa situation financière. Aussi, à l’issue du conseil, un extrait du procès-verbal de la délibération lui est-il remis, ainsi qu’à la juridiction compétente dans le mois qui suit celle-ci. La délibération du conseil d’administration ou la décision de l’administrateur général ou du président permet donc au commissaire aux comptes d’avoir de plus amples informations, quant aux faits relevés qui sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Lorsqu’en dépit des explications données ou en cas de silence des dirigeants, le commissaire aux comptes réalise que le risque de la compromission de la continuité de l’exploitation est bien réel, il dresse un rapport spécial, présenté à la prochaine assemblée générale ou en urgence aux actionnaires lors d’une assemblée générale qu’il aura convoqué lui-même. Il convient de souligner que le commissaire aux comptes met tout en œuvre pour attirer l’attention des dirigeants sociaux et des actionnaires sur les risques qu’encourt la société et ne saisit la juridiction compétente qu’en dernier ressort qu’il informe de ses actions et lui transmet ses conclusions.

L’intervention de la juridiction compétente est indispensable, car elle permet en cas de litige entre les dirigeants sociaux et le commissaire aux comptes – notamment en cas de refus de présentation des documents comptables -, d’obliger ceux-ci à produire les pièces nécessaires à la vérification des comptes. En effet, l’entrave à l’activité du commissaire aux comptes est un fait que l’on observe dans les sociétés commerciales. Un auteur le justifie par le caractère pesant des facteurs socio-économiques. Aussi selon son point de vue est-il « indispensable de revoir le statut du commissaire aux comptes et de lui garantir des conditions plus faciles d’exercice de sa mission. » Le législateur OHADA conscient des difficultés que le commissaire aux comptes peut rencontrer lors de l’exercice de sa mission a d’ailleurs prévu, des sanctions pénales à l’encontre des dirigeants sociaux ou de toute personne au service de la société qui auront volontairement empêcher celui-ci d’effectuer sa mission .

Enfin, bien qu’il ait l’obligation de mettre en œuvre la procédure d’alerte lorsque toutes les conditions sont réunies, le commissaire aux comptes peut y mettre un terme si les données et les explications recueillies permettent de s’assurer que la continuité de l’exploitation n’est pas remise en cause. Cependant dans un délai de six mois à compter du déclenchement de la procédure, il peut la reprendre si la nécessité s’impose. Cette nécessité se justifiant simplement par le constat d’un risque de compromission de la continuité de l’exploitation et l’urgence de l’adoption de mesures immédiates .

La mise en œuvre de la procédure d’alerte dans les sociétés autres que les sociétés par actions

A quelques exceptions près, la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes dans les sociétés autres que les sociétés par actions se déroule suivant les mêmes formes et étapes.

Elle est prévue aux articles 150 à 152 de l’Acte Uniforme relatif au Droit de Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Aux termes de l’article 150 de ce texte, « Le commissaire aux comptes, dans les sociétés autres que les sociétés anonymes, demande par lettre au porteur contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception des explications au gérant qui est tenu de répondre, dans les conditions et délais fixés aux articles suivants, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation qu’il a relevé lors de l’examen des documents qui lui sont communiqués ou dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de sa mission. »

De même que dans les sociétés par actions, le gérant dispose d’une quinzaine de jours pour donner au commissaire aux comptes, les explications nécessaires sur la situation précise de la société et les mesures envisagées pour éviter une cessation de la continuité de l’exploitation. À la suite de ces explications, ou en cas de silence du gérant, le commissaire aux comptes informe la juridiction compétente de ses démarches. Il dresse un rapport spécial s’il constate que les mesures de sauvegarde de la continuité de l’exploitation ne sont pas efficaces ou lorsque les dispositions prévues par la loi ne sont pas respectées par le gérant. Ce rapport est communiqué à la juridiction compétente , et aux associés au cours d’une assemblée générale , afin qu’ils soient informés de la situation réelle de la société et des actions du gérant. Ce dernier doit dans un délai de huit jours suivant la demande du commissaire aux comptes, communiquer son rapport spécial aux associés.

Enfin, à l’issue de l’assemblée générale, si le commissaire aux comptes constate l’inefficacité des décisions prises par le gérant pour assurer la continuité de l’exploitation, il informe la juridiction compétente de ses démarches et lui communique ses résultats. Il faut reconnaitre que si la procédure d’alerte permet le contrôle de la gestion comptable et financière de la société par les dirigeants sociaux, elle vise également l’information des associés. Elle apparait dès lors comme une mesure protectrice de leurs intérêts.

B- La procédure d’alerte par le commissaire aux comptes, une mesure protectrice

Au-delà du fait qu’elle se présente comme une mesure de contrôle des activités des dirigeants sociaux, la procédure d’alerte initiée par le commissaire aux comptes est aussi une mesure de protection. Le commissaire aux comptes apparaît dès lors comme le gendarme de la société qui veille sur les intérêts de tous. Cette protection vise les intérêts des autres acteurs de la société à savoir les salariés, les actionnaires ou associés (1). Elle couvre également les intérêts des créanciers de la société (2), mais aussi ceux de la société elle-même (3).

1- La protection des salariés et actionnaires ou associés de la société

Le rôle que joue le commissaire aux comptes dans les sociétés commerciales à travers ses diverses missions, est très important pour les autres acteurs qui participent au fonctionnement de celles-ci, à savoir les salariés et les associés ou actionnaires.

La société commerciale ne peut pas fonctionner, voire prospérer sans ces acteurs, car si elle est gérée par des dirigeants sociaux, ces derniers ne peuvent seuls, assurer ni son fonctionnement, ni son rayonnement sans la participation de ceux-là. Il est donc nécessaire qu’ils bénéficient de garanties suffisantes, afin que leurs intérêts soient également protégés. Aussi, à travers la procédure d’alerte du commissaire aux comptes peut-on dire qu’ils bénéficient d’une certaine protection.

La protection des actionnaires ou associés et des salariés – qui quelquefois sont aussi actionnaires ou associés de la société -, est effective à travers l’information qu’ils reçoivent au moment où est mise en œuvre la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes. Les actionnaires ou associés et même les salariés de la société ont un droit d’information auxquels les dirigeants sociaux ne peuvent déroger. Ce droit d’information permet de mettre en exergue le principe d’égalité entre les associés ou actionnaires , ce d’autant plus qu’on distingue d’un côté les actionnaires ou associés majoritaires et de l’autre côté les actionnaires ou associés minoritaires. Il faut donc noter que si les dirigeants sociaux ne mettent pas à leur disposition les informations relatives à la situation financière et comptable de la société, il appartient au commissaire aux comptes de veiller à ce que cette information leur soit transmise, dans le cadre de l’exercice de sa mission de certification des comptes ou s’il relève un fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. Il a cette obligation étant donné qu’il a la charge de s’assurer, notamment que l’égalité est assurés entre les associés en ce qui concerne les actions d’une même catégorie .

C’est dire que le commissaire aux comptes ne se contente pas d’identifier les anomalies et les risques juridiques, financiers ou fiscaux qui peuvent affecter la continuité de l’exploitation, il doit pouvoir les soumettre aux dirigeants sociaux, mais aussi et surtout aux actionnaires ou associés et salariés, afin de leur permettre de prendre les mesures nécessaires à la protection de leurs intérêts. C’est pourquoi il est important que dans son rapport spécial, le commissaire aux comptes fasse une présentation claire et détaillée de l’état financier de la société et de sa viabilité par rapport au fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation observé. Il établira ainsi un rapport de confiance avec les actionnaires ou associés et les salariés. Ce rapport de confiance est également établi entre ceux-ci et les dirigeants sociaux lorsqu’ils reconnaissent les difficultés auxquelles la société fait face et qui sont susceptibles d’affecter la continuité de l’exploitation. Dès lors, les mesures pour rechercher des solutions de sauvegarde de la continuité de l’activité commerciale sont plus faciles à mettre en place que lorsque les dirigeants sociaux décident de se murer dans le silence.

Au-delà de la protection que la procédure d’alerte du commissaire aux comptes offre aux actionnaires ou associés et salariés de la société, il y’a l’assurance qu’elle apporte aux tiers, notamment les créanciers.

2- La protection des créanciers

Si la procédure d’alerte dans son ensemble permet au commissaire aux comptes d’attirer l’attention des dirigeants sociaux, des actionnaires ou associés et des salariés sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’activité commerciale, elle se présente aussi vis-à-vis des tiers, notamment les créanciers de la société (fournisseurs, investisseurs et les banquiers), comme un indicateur de l’état général et de la santé financière de la société commerciale. C’est dire combien il est important que le commissaire aux comptes accomplisse sa mission au sein de la société commerciale, avec toute la rigueur nécessaire qui s’impose au regard des enjeux financiers qu’engendre l’exploitation d’une société commerciale.

Le rôle que jouent les créanciers dans le fonctionnement des sociétés commerciales justifie bien les mesures mises en place par le législateur OHADA, pour assurer leur protection . Il va s’en dire que le devoir d’alerte du commissaire aux comptes ne tend pas simplement à prévenir les dirigeants sociaux, les actionnaires ou associés et les salariés des risques d’une cessation d’activités, mais il permet également d’attirer l’attention des créanciers sur d’éventuelles pertes auxquelles ils sont exposés.

Il faut donc voir dans la procédure d’alerte initiée par le commissaire aux comptes une mesure incitative à la vigilance des créanciers, ce d’autant plus qu’ils interviennent à des rangs différents au moment du règlement de la dette . Le principe de l’égalité des créanciers, dont le fondement se trouve à l’article 2093 du Code civil comporte cependant des exceptions. Les créanciers chirographaires étant généralement les plus lésés, car ne disposant d’aucune garantie particulière face à ceux qui bénéficient d’un privilège ou d’une hypothèque . La mise en œuvre de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes va donc permettre aux divers créanciers de la société d’assurer, chacun en fonction des garanties dont il dispose, la protection de ses intérêts notamment, lorsqu’une procédure collective d’apurement du passif est engagée. Mais la procédure d’alerte du commissaire aux comptes ne se limite pas à la protection des créanciers, actionnaires ou associés et des salariés de la société. Elle vise également la sauvegarde des intérêts de cette dernière.

3- La protection de la société

S’il ne fait aucun doute que le rôle que joue le commissaire aux comptes au sein de la société commerciale est d’une importance capitale pour les actionnaires ou associés, et les créanciers, il n’y a pas de raison que la procédure d’alerte qu’il déclenche, lorsqu’il constate tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, ne bénéficie pas à la société elle-même.

En considérant la mission du commissaire aux comptes dans la société commerciale, à savoir la vérification et la certification des comptes, il y a lieu d’admettre qu’au-delà du contrôle sous-jacent des dirigeants sociaux qu’elle implique, ce sont les intérêts de la société d’une manière générale que le législateur OHADA essaye de protéger . L’idée même du déclenchement de la procédure d’alerte repose sur la nécessité de préserver l’activité commerciale. C’est pourquoi en faisant reposer la mise en œuvre de cette procédure sur le risque d’une cessation des activités de la société, le législateur prévoit en quelque sorte des garde-fous qui permettent aux dirigeants sociaux, de redresser la société et d’éviter la faillite ou des mesures de redressement judiciaires aux conséquences lourdes pour les actionnaires ou associés, les créanciers et la société elle-même.

La procédure d’alerte du commissaire aux comptes va donc inciter les dirigeants sociaux à mettre en place des mesures nécessaires au redressement de la société et à la poursuite de l’activité commerciale. Le rôle du commissaire aux comptes étant centré sur le contrôle des comptes, la protection de la société se fera de manière à préserver sa situation financière et la continuité de l’exploitation. En effet, c’est la garantie de la sécurité financière de la société et sa viabilité dans le futur qui favorisent la confiance des créanciers et des investisseurs. Par conséquent, la finalité de sa mission « est de contribuer à la fiabilité de l’information financière et par la même de concourir à la sécurité de la vie économique et sociale, tant pour les besoins de gestion et d’analyse interne à l’entreprise que pour les besoins de l’ensemble des partenaires ou les tiers intéressés par celle-ci. » Il est donc nécessaire, lorsque le commissaire aux comptes tire la sonnette d’alarme, que les dirigeants sociaux évaluent à juste titre le danger qu’encourt la société et qu’ils prennent les mesures qui s’imposent, afin d’assurer la continuité de l’exploitation.

En somme, la procédure d’alerte est indispensable à la survie des sociétés commerciales dans l’espace OHADA. Mais bien plus, le devoir d’alerte du commissaire aux comptes est une protection de référence des intérêts des actionnaires ou associés, des salariés et de la société elle-même. Il détient « une place stratégique dans la prévention des difficultés des entreprises. » Il faut donc saluer l’initiative du législateur OHADA qui l’a introduit dans l’Acte Uniforme relative au Droit des Sociétés Commerciales et des Groupements d’Intérêt Economique.

Toutefois, on peut s’interroger sur la portée réelle de ce devoir d’alerte. Car si la procédure d’alerte apparaît comme une obligation synonyme de sécurité juridique, elle est parfois perçue comme une obligation synonyme de trahison des dirigeants sociaux.

II- Le devoir d’alerte du commissaire aux comptes, une obligation synonyme de ‘’ trahison des dirigeants sociaux’’

La question du rôle que joue le commissaire aux comptes dans les sociétés commerciales de l’espace OHADA n’est plus à démontrer . C’est un acteur clé de la vie de la société, dont la participation à travers son action de contrôle et de certification des comptes assure la protection des actionnaires ou associés, des créanciers et de la société elle-même. Il participe à la moralisation des affaires . La procédure d’alerte qu’il a l’obligation de déclencher lorsqu’il constate tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation n’apparaît pas simplement, comme une sorte de sécurité juridique mise à la disposition des actionnaires ou associés et des tiers qui collaborent avec la société. Mais elle prend toute une autre forme lorsqu’au cours de sa mission ou à sa demande, il constate des irrégularités et relève des faits délictueux mettant en danger la survie de la société (A). Dès lors, se pose le problème de la dénonciation de ces faits délictueux et par ricochet des dirigeants sociaux. On note une certaine difficulté dans la dénonciation (B) puisqu’il s’agit en quelque sorte de trahir les fraudes commises par ceux-ci.

A- L’alerte par le commissaire aux comptes, une procédure ouvrant la voie à la révélation des irrégularités et la dénonciation des faits délictueux commis par les dirigeants sociaux

La procédure d’alerte du commissaire aux comptes peut aboutir à une obligation de révélation des irrégularités et des faits délictueux commis par les dirigeants sociaux. Cette obligation de révélation a un fondement légal (1) et obéit à un formalisme particulier (2).

1- Le fondement légal de l’obligation de révélation des irrégularités et des faits délictueux

L’obligation du commissaire aux comptes de révéler les irrégularités et les faits délictueux qu’il aurait constatés au cours de sa mission est expressément prévue, aux articles 715 et suivants de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique.

Il faut souligner que le commissaire aux comptes n’a pas le droit de s’immiscer dans la gestion de la société . L’article 712 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique précise notamment que « Le commissaire aux comptes a pour mission permanente, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la société et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur. » Par conséquent, il n’a pas pour mission de rechercher de manière absolue les fraudes commises par les dirigeants sociaux. Il a selon un auteur, « un pouvoir permanent de contrôle mais n’est pas chargé d’un contrôle permanent. »
Toutefois, dans le cadre de sa mission, il est de son devoir révéler toutes les irrégularités et les inexactitudes, ainsi que les faits délictueux qu’il aurait constatés en étudiant les documents comptables et financiers mis à sa disposition . Ces faits sont enregistrés dans un rapport qu’il porte à la connaissance des dirigeants sociaux et du conseil d’administration pour les sociétés qui en disposent. Cette obligation de signaler ces faits se justifient dans la mesure où ceux-ci peuvent constituer un risque tant pour la continuité des activités de la société, mais aussi un danger pour les actionnaires ou associés qui détiennent des parts et les créanciers qui parfois investissent des moyens financiers très importants dans la société. C’est donc pour protéger tous ces intérêts que le législateur OHADA, a jugé nécessaire d’obliger le commissaire aux comptes de les révéler au risque de voir sa responsabilité engagée.

En outre l’obligation de révéler les faits délictueux, notamment au ministère public, trouve son fondement à l’article 716 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Le commissaire aux comptes « révèle au ministère public les faits délictueux dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa mission, sans que sa responsabilité puisse être engagée par cette révélation. » Cette obligation de révélation est facilitée par l’exclusion de sa responsabilité étant donné qu’il ne s’agit pas d’un cas de violation du secret professionnel. Par ailleurs, les actionnaires ou associés doivent également être informés des irrégularités et inexactitudes découvertes à la plus prochaine assemblée générale .

D’une manière générale le commissaire aux comptes ne peut pas déroger à son obligation légale de révélation des faits délictueux. Et même si la procédure d’alerte n’entraine pas ipso facto la révélation de ces faits, sa vigilance « doit être renforcée du seul fait qu’il peut être tentant pour les dirigeants de dissimuler les difficultés de l’entreprise en ayant recours à des manœuvres frauduleuses. » Le commissaire aux comptes doit par conséquent être attentif et révéler tous les faits qui peuvent constituer des cas de fraudes en suivant une procédure bien définie par la loi.

2- La mise en œuvre de l’obligation de révéler les irrégularités et les faits délictueux

L’obligation du commissaire aux comptes de révéler les irrégularités et les faits délictueux intervient dans un contexte précis. C’est en effet dans le cadre de sa mission de contrôle légal que survient la révélation. C’est-à-dire au moment où il procède à la vérification des états financiers de synthèse et leur concordance avec les informations fournies par les dirigeants sociaux. Le législateur OHADA évoque les inexactitudes et irrégularité révélées au cours de « l’accomplissement de sa mission », et les faits délictueux dont il a eu connaissance dans « l’exercice de sa mission ». Le législateur OHADA ne précise la nature des irrégularités ou des faits délictueux. Cependant, on peut penser qu’il s’agit des irrégularités ou faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ou même présenter simplement un caractère suspect en considération de la loi pénale. Le fait ou l’irrégularité doit en conséquence être délibéré et significatif. C’est par exemple le cas de la constatation d’une inégalité entre actionnaires ou associés, d’un abus de bien sociaux.

La révélation des irrégularités et inexactitudes se fait par écrit. Cet écrit est matérialisé par le rapport adressé aux dirigeants sociaux, au conseil d’administration, aux actionnaires ou associés. Les faits délictueux quant à eux sont révélés dans une lettre avec accusé de réception au ministère public, dans laquelle le commissaire aux comptes indique les informations relatives aux faits délictueux, sans pour autant les qualifier, car la qualification pénale ne relève pas de sa compétence. Est joint à cette lettre le rapport présenté à l’assemblée générale.

L’Acte Uniforme ne prévoit pas expressément un délai en ce qui concerne la révélation des faits délictueux au ministère public. Elle doit cependant être faite dans les meilleurs délais. À défaut, une révélation tardive pourrait être considérée comme une absence de révélation et entrainer par conséquent la mise en œuvre de la responsabilité du commissaire aux comptes.

Quant à la révélation des irrégularités et inexactitudes, l’Acte Uniforme prévoit qu’elle soit faite « à la plus prochaine assemblée générale » . Le commissaire aux comptes ayant la possibilité de convoquer une assemblée générale des actionnaires, lors du déclenchement de la procédure d’alerte, il y’a lieu de noter que la révélation des irrégularités et inexactitudes peut se faire dans un délai raisonnable, de manière à attirer l’attention des actionnaires sur les dangers qu’encourt la société et le préjudice qu’ils pourraient subir si les faits constater ne sont pas rectifiés. Mais il faut admettre que la révélation des faits délictueux au ministère public est parfois difficile à assumer par le commissaire aux comptes.

B- La difficulté d’assumer la dénonciation des dirigeants

Malgré le devoir d’alerte que lui impose la loi et l’obligation de révéler les irrégularités, les inexactitudes et les faits délictueux qu’il aurait à l’occasion de sa mission découverts, on constate que le commissaire aux comptes a parfois du mal à respecter ces obligations. Plusieurs raisons expliquent cette situation (1). Cependant, le législateur OHADA est ferme. Il a prévu des sanctions à l’encontre du commissaire aux comptes défaillant (2).

1- Les raisons justifiant la non révélation des faits délictueux au ministère public

L’exercice des fonctions de commissaire aux comptes au sein de la société commerciale n’est pas aussi évident que cela semble l’être. Bien qu’ayant l’obligation de procéder à l’alerte lorsqu’ils constatent des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, et de révéler les irrégularités ou inexactitude lors de l’exploitation des documents comptables et financiers, ou encore les faits délictueux qu’ils auront constatés, certains commissaires aux comptes ont du mal, pour des raisons diverses, à se plier à ces obligations. Parmi ces raisons, on peut retenir la proximité avec les dirigeants sociaux, mais aussi les conditions de nomination et de rémunération des commissaires aux comptes dans la société.

La proximité avec les dirigeants sociaux

En effet, la question de la proximité du commissaire aux comptes avec les dirigeants sociaux n’est pas une fiction. C’est une réalité qui s’observe dans certaines sociétés, lorsque les dirigeants sociaux, pour des raisons peu avouables entreprennent des poser des actes qui ne tiennent pas compte de l’intérêt social. Pour cela, ils ne manquent pas de solliciter le silence du commissaire aux comptes par des actes de corruption. La tentation est dès lors assez grande et certains commissaires aux comptes y succombent au regard des avantages proposés et en violation de la déontologie et des intérêts qu’ils doivent défendre . En effet, « La réalité quotidienne de l’auditeur le place au cœur d’importants conflits d’intérêts pour lesquels le code de déontologie professionnelle n’offre pas de solutions simples. L’auditeur se trouve souvent seul avec sa conscience pour résoudre les dilemmes que lui pose la non-convergence des intérêts de son client et ceux des tiers. »

La proximité des commissaires aux comptes vis-à-vis des dirigeants sociaux est donc révélatrice d’une absence d’indépendance des premiers par rapport aux seconds. Or, « L’indépendance et la compétence sont les deux conditions de l’émission d’une opinion de qualité. » On aurait pu croire que le fait que le commissaire aux comptes soit une personne physique ou morale extérieure à la société faciliterait l’accomplissement de sa mission. Mais les tentations de céder à la corruption sont bien souvent trop grandes, ce qui permet de relativiser le principe de l’indépendance du commissaire aux comptes. Par ailleurs, ses conditions de nomination et de rémunération le place également dans une situation de dépendance par rapport aux dirigeants sociaux.

La dépendance liée aux conditions de nomination et de rémunération

Selon l’Acte Uniforme, « Les fonctions de commissaire aux comptes sont incompatibles avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance. » Le commissaire aux comptes ainsi que son suppléant sont désignés dans les statuts ou par l’assemblée générale constitutive. Ils peuvent aussi être désignés en cours de vie sociale par l’assemblée générale ordinaire.

D’une manière générale, la désignation du commissaire aux comptes se fait sur proposition des dirigeants sociaux. Ceux-ci choisissent souvent des personnes physiques ou morales avec lesquelles ils ont une certaine affinité. Dans la plupart des cas, l’assemblée générale se contente d’entériner la proposition de ces derniers. Dès lors, le problème se pose de savoir si dans ce contexte, le commissaire aux comptes peut totalement conserver son indépendance vis-à-vis des dirigeants sociaux. C’est assez difficile à imaginer et on ne peut par conséquent pas parler d’une véritable neutralité dans la désignation du commissaire aux comptes . Aussi, le commissaire aux comptes et son suppléant se sentent-ils parfois obliger de couvrir les indélicatesses des dirigeants sociaux en s’abstenant de déclencher la procédure d’alerte et en dissimulant les irrégularités et les faits délictueux qu’ils auront découverts.

En outre, le risque de voir le commissaire aux comptes de ne pas se soumettre aux obligations que lui impose la loi est encore plus réel quand on sait, qu’il est rémunéré par la société qu’il audite . Il est presque considéré comme un salarié de la société pendant la période de son mandat. Dès lors, son indépendance vis-à-vis de la société qui l’emploie est remise en cause. « Engagé dans une relation client-fournisseur avec la société contrôlée car rémunérée par cette dernière, l’auditeur peut être confronté à un dilemme éthique s’il doit choisir entre l’émission d’une opinion sincère et la poursuite de la relation d’affaire » souligne Christian PRAT. C’est donc une réalité que le commissaire aux comptes peut être exposé du fait de l’absence d’indépendance.

L’indépendance dont il est question ici d’après le même auteur est « la capacité réelle de l’auditeur à révéler dans son rapport d’audit, des manipulations ou erreurs comptables qui auraient une incidence significative sur les comptes. Elle se mesure par la capacité réelle de l’auditeur à s’assurer du respect des règles afin de donner une certification de qualité en révélant toute erreur, fraude, manipulation ou collusion des producteurs de l’information comptable et financière. » Le fait qu’il soit rémunéré par la société place le commissaire aux comptes dans une situation délicate. La tentation peut être forte de dissimuler les irrégularités et de ne pas révéler les faits délictueux, en contrepartie d’un avantage proposé par les dirigeants sociaux dont il devient le complice.

Fort heureusement, le législateur OHADA a prévu des sanctions visant aussi bien les dirigeants sociaux que les commissaires aux comptes.

2- Les sanctions encourues en cas de défaillance du commissaire aux comptes

Le rôle que joue le commissaire aux comptes dans les sociétés commerciales est assez significatif pour être pris à la légère. Le législateur OHADA a donc tenu, à sanctionner le non-respect des obligations légales qui lui sont imposées.

Ainsi dans le cadre de la procédure d’alerte, le commissaire aux comptes qui s’abstient de la déclencher alors qu’il existe un fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation peut voir sa responsabilité engagée sur les plans civil et pénal . Sa responsabilité est également engagée en cas de dissimulation des irrégularités ou inexactitudes découvertes, mais aussi en cas de non-révélation des faits délictueux au ministère public .

– La responsabilité du commissaire aux comptes sur le plan civil

Le principe de la responsabilité civile du commissaire au compte est posé aux articles 381, 725 et suivants de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique. Ce principe est plus exposé dans la partie de l’Acte Uniforme relative aux sociétés anonymes, mais il également applicable aux autres formes de sociétés. Aux termes de l’article 725 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, « Le commissaire aux comptes titulaire du mandat est civilement responsable, tant à l’égard de la société que des tiers, des conséquences dommageables, des fautes et négligences qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions. »

La responsabilité civile du commissaire aux comptes est donc retenue selon ce texte sur la base de trois éléments à savoir, les conséquences dommageables, les fautes et les négligences. En effet, il est clair que le fait de ne pas déclencher la procédure d’alerte alors que celle-ci est nécessaire constitue une faute, dont les conséquences sont préjudiciables à l’égard de la société, des associés ou actionnaires et des tiers. La responsabilité civile du commissaire aux comptes est donc engagée dès lors qu’il est démontré que par sa faute ou sa négligence, la société, les actionnaires ou associés et les tiers ont subi un préjudice.

Il faut dire que la faute retenue ici est celle qui découle de l’inexécution des obligations imposées tant par la loi que par les normes professionnelles . Il est responsable de ses fautes personnelles et non des fautes de gestion des dirigeants sociaux. Le commissaire aux comptes est tenu d’une obligation de moyens . Mais il peut aussi être tenu d’une obligation de résultat selon les cas. Dès lors, sa responsabilité est retenu à partir du moment où le demandeur démontre qu’il a commis une faute déterminée – déclenchement tardif de la procédure d’alerte ou non déclenchement de celle-ci, non révélation des irrégularités ou inexactitudes, défaut de révélation des faits délictueux au ministère public, certification d’un bilan inexact, certification sans vérification des chiffres présentés par les dirigeants sociaux, certification sans réserve , la non-révélation des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation -. Mais la faute seule ne suffit pas à retenir la responsabilité du commissaire aux comptes. Il faut par ailleurs, selon ce que prévoit le droit commun de la responsabilité que le demandeur ait subi un préjudice juridique réparable. Enfin, il est important qu’un lien de causalité soit établi entre la faute déterminée et le préjudice, car la responsabilité civile du commissaire aux comptes ne peut être retenue si ce lien n’est pas établi .

Outre la mise en œuvre de sa responsabilité civile, le commissaire aux comptes peut faire l’objet de poursuites pénales.

– La responsabilité pénale du commissaire aux comptes

Conformément à l’article 716 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’intérêt économique, le commissaire aux comptes est tenu de révéler au ministère public, les faits délictueux dont il a eu connaissance en effectuant sa mission. Le non-respect de cette obligation de révélation des faits délictueux au ministère public l’expose à la mise en œuvre de sa responsabilité pénale.

Le commissaire aux comptes est investi d’une mission de contrôle permanente de la situation comptable de la société. En s’abstenant de déclencher la procédure d’alerte ou de révéler les faits délictueux qu’il aurait découverts lors de l’exercice de sa mission, il engage sa responsabilité de manière directe. En outre, sa responsabilité pénale peut être retenue indirectement sur le fondement de la complicité pour des infractions relatives, à la présentation des états financiers de synthèse ne reflétant pas pour chaque exercice, une image fidèle des opérations de l’exercice . Sa complicité peut également être retenue en cas d’abus de bien sociaux, d’abus de confiance ou d’escroquerie, de présentation de faux bilans, de fraude fiscale, de recel, de détournement de fonds ou de faux et usage de faux.

Mais de manière générale, on peut retenir deux situations qui peuvent conduire à la mise en œuvre de la responsabilité pénale du commissaire aux comptes, conformément à l’article 899 de l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’intérêt économique. Aux termes de cet article, « Encourt une sanction pénale, tout commissaire aux comptes qui, soit en son nom personnel, soit à titre d’associé d’une société de commissaires aux comptes, a sciemment donné ou confirmé des informations mensongères sur la situations de la société ou qui n’a pas révélé au ministère public les faits délictueux dont il a eu connaissance. » L’Acte Uniforme prévoit ainsi des sanctions en ce qui concerne les informations mensongères, mais également en ce qui concerne la non-révélation des faits délictueux au ministère public.

S’agissant des informations mensongères, l’élément matériel de l’infraction ici est double. En effet, on retient d’une part la divulgation d’une information mensongère liée à la mission qu’effectue le commissaire aux comptes . Si la loi ne précise pas le contenu de l’information mensongère, on peut cependant noter qu’il pourrait s’agir des informations relatives à l’état financier et comptable de la société, même s’il est difficile de limiter le contenu de l’information mensongère aux seules situations financières et comptables . D’autre part, il faudrait que cette information soit intentionnellement communiquée aux associés ou actionnaires et aux tiers quelle que soit la forme utilisée.

Quant à la non-révélation des faits délictueux, l’élément matériel porte sur l’absence de dénonciation de faits considérés comme délictueux. Il s’agit notamment de tous les faits, relatifs aux situations irrégulières que le commissaire aux comptes aurait découverts dans le cadre de sa mission. Malgré le silence du législateur OHADA sur le délai de la révélation des faits délictueux, celle-ci doit se faire dans un délai raisonnable, car une dénonciation tardive pourrait engager la responsabilité du commissaire aux comptes . En outre, il faudrait que ce dernier ait eu connaissance des faits délictueux, mais aussi qu’il ait décidé sciemment de ne pas les révéler pour que soit retenu l’élément intentionnel.

En somme, il ne fait pas de doute que le législateur OHADA tient à assurer la sécurité juridique dans le cadre du fonctionnement des sociétés commerciales, ceci afin de protéger tant les acteurs internes à celles-ci, que ceux externes face aux dirigeants sociaux ou aux organes de direction indélicats. La sécurité est donc prise en compte ici. Elle « suppose avant tout que l’on puisse prévoir la solution des situations juridiques et compter sur elle grâce à des moyens de contraintes garantissant la réalisation des droits. Sans prévisibilité donc, il n’y a point de sécurité juridique ».

Toutefois, malgré les mesures prises, il existe toujours un risque de défaillance du commissaire aux comptes, dès lors, les obligations de déclencher la procédure d’alerte et de révéler au ministère public les faits délictueux sont remises en cause à partir du moment où le commissaire aux comptes charger d’auditer la société commerciale prend le parti, de couvrir les agissements illégaux des organes de direction au détriment de l’intérêt social, des actionnaires ou associés et des tiers.

Il est dont légitime de penser que les sanctions prévues par le législateur OHADA contre le commissaire aux comptes ne sont pas assez efficaces , car elles n’interviennent que lorsque la société est en difficulté . Ainsi s’agissant des sanctions pénales, un auteur souligne que « L’imprécision qui les caractérise n’est pas de nature à assurer une quelconque exécution. En effet, faut-il rappeler que l’Acte Uniforme ne détermine pas les sanctions pénales et renvoie à l’application de la loi nationale de chaque Etat partie au Traité. Cette situation génère non seulement un manque d’uniformisation, quant aux sanctions, concernant une même infraction, selon qu’on se trouve dans un Etat ou dans un autre, mais peut entrainer une quasi-impunité des actes répréhensibles. Il importe dès lors d’agir en amont pour garantir une véritable prévention. » Il est clair que des réformes sont nécessaires, afin de renforcer le contrôle des dirigeants sociaux ou des organes de direction par le commissaire aux comptes , mais surtout afin de renforcer la surveillance même des activités du commissaire aux comptes au sein des sociétés commerciales et leur assurer une totale indépendance dans le cadre de l’exercice de leur mission.

Dr. Priscille Grâce DJESSI DJEMBA
Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala, Cameroun.

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Etudes.