Doctrine OHADA

Vers la prévalence de l’irresponsabilité arbitrale en Droit OHADA?

MAFO DIFFO Raymond
Doctorant à la FSJP
Université de Yaoundé 2, SOA

Résumé

L’aspect contractuel de l’arbitrage conduit à affirmer que l’arbitre est un cocontractant ordinaire, qui a des obligations et peut voir sa responsabilité être engagée dans les conditions du droit commun en cas de manquement à ces obligations. Ces manquements peuvent être constatés avant ou après la signature du contrat d’arbitre. Cependant, le pendant juridictionnel de l’arbitrage oblige à n’engager la responsabilité de l’arbitre que dans des conditions exceptionnelles, car l’arbitre est un véritable juge. Qui plus est, certains arbitres bénéficient dans l’espace OHADA de l’immunité diplomatique, contribuant à accentuer davantage leur irresponsabilité.

Plan de l’article

I : La responsabilité de l’arbitre
A : Les obligations de l’arbitre
1 : Les obligations permanentes de l’arbitre
2 : Les obligations ponctuelles de l’arbitre
B : Les types de responsabilité encourue par l’arbitre
1 : La responsabilité civile de l’arbitre
a : La responsabilité civile contractuelle
b : La responsabilité civile délictuelle
2 : La responsabilité pénale de l’arbitre

II : Le tempérament à la responsabilité des arbitres dans l’espace OHADA
A : Le caractère dual de l’immunité des arbitres dans le droit OHADA.
1 : La reconnaissance potentielle de l’immunité relative de fonction
2 : L’immunité diplomatique liée au statut particulier de l’arbitre
B : Le caractère discriminant de la reconnaissance de l’immunité diplomatique
1 : L’exclusion des arbitres ne relevant pas de la CCJA
2 : Le vœu d’un rétablissement de l’égalité entre les arbitres dans l’espace OHADA

 

L’irresponsabilité semble être le trait commun du statut des acteurs chargés d’organiser et de conduire l’arbitrage dans l’espace OHADA. Au premier rang de ces acteurs, on peut citer la CCJA en tant que centre permanent d’arbitrage qui bénéficie d’une immunité dans l’exercice de ses fonctions. Cependant, c’est par référence à l’immunité conférée à l’OHADA , qui est également une immunité juridictionnelle , que la CCJA ne saurait être poursuivie, même si elle commet une faute dans l’administration de l’arbitrage. De là l’idée de la neutralisation des liens contractuels qui existeraient entre la CCJA et les parties à l’arbitrage . Dans la même lancée, il a été avancé que le règlement d’arbitrage de la CCJA est la manifestation de la volonté des États membres de l’organisation, il n’aurait pas donc une nature privée. C’est cette nature particulière qui interdit de qualifier la relation entre les parties et la Cour dans le cadre d’un arbitrage, de rapport contractuel . Cela entraine pour conséquence que la responsabilité de la CCJA ne peut être une responsabilité contractuelle de droit privé, il s’agirait plutôt d’une responsabilité publique .

Rappelons ici tout de même que le caractère privé de l’arbitrage offert par le centre d’arbitrage de la CCJA ne provient pas de l’origine de son règlement. Même si ce règlement est la manifestation de la volonté des États membres de l’OHADA, il n’en demeure pas moins que c’est la volonté des litigants qui est à l’origine de la mise en œuvre de cet arbitrage.

Bien plus l’existence d’une immunité ne fait pas disparaître la possibilité pour une institution d’entrer en relation contractuelle. L’article 46 du traité OHADA le précise d’ailleurs clairement, l’OHADA qui dispose d’une personnalité juridique internationale, a en particulier la capacité de contracter. Si cela est possible pour l’OHADA, l’on ne saurait denier cette capacité aux institutions qui la composent, car c’est à travers ces institutions que l’OHADA se matérialise. L’on peut objecter de l’inexistence d’une personnalité juridique propre à la CCJA, mais cela permettrait tout au moins de reconnaître l’existence de liens contractuels entre les parties à l’arbitrage et l’OHADA.

Enfin, plutôt que de parler d’une responsabilité publique, il faudrait parler de la responsabilité de la personne publique en charge de ce service, qui somme toute est une responsabilité civile de nature contractuelle. En l’absence des dispositions relatives à l’immunité de l’OHADA, cette dernière aurait à réparer le dommage causé par son fait, ou par le fait des institutions la constituant.

S’il est admissible que l’origine publique du centre permanent d’arbitrage de la CCJA puisse justifier l’octroi d’une immunité en son encontre, son extension aux arbitres de la CCJA suscite des interrogations dans la mesure où ces arbitres ne relèvent pas de son personnel. Face à cette dernière analyse, une réserve peut être émise. En dehors des fonctionnaires internationaux dont le statut juridique dérive nécessairement de celui de l’institution internationale à laquelle ils appartiennent , supposant dès lors que l’immunité accordée à l’institution leur soit reconnue de principe ; les agents qui agissent même de façon temporaire au nom de l’organisation, ou qui agissent en qualité d’expert désigné par un organe subsidiaire de l’organisation doivent également bénéficier du même traitement. C’est ce qu’a décidé la Cour internationale de justice en interprétant la section 22 de l’article 6 de la convention sur les privilèges et immunités des nations unies .

L’objet de cette étude n’est pas de s’interroger sur la responsabilité de tous les acteurs intervenant dans l’organisation et la mise en œuvre de l’arbitrage, il se limitera uniquement à la responsabilité ou du moins à la supposée irresponsabilité de l’arbitre en droit de l’arbitrage OHADA. En effet, le contrat qui lie l’arbitre aux parties crée à sa charge un certain nombre d’obligations, dont l’inobservation est susceptible d’entrainer l’engagement de sa responsabilité. C’est sans doute la conscience de l’engagement possible de cette responsabilité qui a justifié l’instauration à la faveur de certains arbitres d’une immunité diplomatique.

Lors de la réforme récente du traité OHADA, le vœu jadis émis de la restauration de l’égalité entre les arbitres intervenant dans l’espace OHADA, a plutôt penché vers l’extension de l’immunité aux arbitres confirmés par la CCJA, immunité qui n’était attribuée littéralement qu’aux arbitres nommés par la CCJA. Pourtant, l’on aurait pensé que l’égalité recherchée serait de supprimer cette immunité, établissant de la sorte un régime similaire de responsabilité entre les arbitres intervenant sous l’égide de la CCJA et les autres arbitres.

Le choix de cette option dénote donc d’une volonté d’étendre l’immunité diplomatique reconnue aux arbitres. De là à conclure à une tendance vers la prévalence de l’irresponsabilité arbitrale dans l’espace OHADA ? L’on pourrait penser que oui, car la reconnaissance d’une immunité diplomatique se double d’une potentielle immunité fonctionnelle liée à la mission de juger qu’exerce l’arbitre. Toutefois, il faut tout de même relever que l’immunité diplomatique n’est pas reconnue à tous les arbitres intervenant dans l’espace OHADA. En effet, la protection conférée aux arbitres est sélective (II), alors que les hypothèses dans lesquelles leur responsabilité est susceptible d’être engagée, sont similaires (I).

I : La responsabilité de l’arbitre

Elle trouve son origine dans la relation qui lie les parties aux arbitres lors de la mise en œuvre de l’arbitrage. Elle peut se justifier par des obligations tant précontractuelles, que par celles qui sont issues de la signature du contrat d’arbitre, ou plus exactement de l’acceptation de la mission à lui confiée par les parties dans la mise en œuvre de l’arbitrage (A). La responsabilité de l’arbitre est susceptible de se présenter sous plusieurs formes (B).

A : Les obligations de l’arbitre

De façon synthétique, on peut les réunir en quatre grands ensembles : l’obligation de rendre une sentence juste et fidèle au texte et au contexte du contrat concerné, l’obligation de respecter l’équité procédurale, l’obligation de rechercher l’efficacité afin d’administrer une justice optimale et la préoccupation de l’arbitre de rendre une sentence exécutoire . Mais cela n’aurait pas permis de rendre compte non seulement de la multiplicité des obligations qui pèsent sur l’arbitre, mais aussi de relever celles qui permettent d’engager sa responsabilité.

Sans toutefois prétendre à l’exhaustivité dans la présentation des obligations qui peuvent déteindre sur la responsabilité de l’arbitre, nous envisagerons d’une part celles qui sont permanentes et d’autre part celles qui interviennent à des étapes précises de l’instance arbitrale.

1 : Les obligations permanentes de l’arbitre

La permanence provient de ce que ces obligations s’imposent à l’arbitre quelle que soit la phase de l’instance arbitrale dans laquelle l’on se situe. Plusieurs obligations peuvent être recensées ici : l’obligation d’indépendance et d’impartialité, l’obligation de confidentialité et l’obligation de révélation.
Nous n’insisterons pas sur les obligations d’indépendance, d’impartialité et de révélation qui ont déjà été envisagées dans des études précédentes . Nous affirmerons tout simplement qu’elles contribuent à garantir l’éthique dans l’arbitrage, avec ceci de particulier qu’en plus de permettre d’engager la responsabilité de l’arbitre à la fin de l’instance, elles peuvent constituer le fondement d’une sanction préventive qui interviendrait au cours de l’instance arbitrale.

S’agissant par contre de l’obligation de confidentialité, elle tend à être considérée comme une composante naturelle de l’arbitrage et l’une des raisons du choix de ce mode de justice. L’arbitrage est donc une procédure devant se dérouler dans un cadre privé, sans qu’il soit besoin de stipuler une clause de confidentialité pour obliger l’arbitre et les parties à ne rien divulguer de l’instance arbitrale . De là, l’on peut donc affirmer que le fait pour l’AUA d’avoir prévu la confidentialité uniquement pour le délibéré arbitral ne dispense pas pour autant l’arbitre de son observation durant toute l’instance et même au-delà.

Cependant il aurait été préférable que le droit commun de l’arbitrage le prévoie expressément. En cela, l’AUA se serait rapproché du règlement d’arbitrage de la CCJA qui est très exhaustif sur la matière . En effet, il ressort des dispositions de son article 14 que la confidentialité imposée à l’arbitre ne se limite pas uniquement à la procédure, mais s’étend également aux informations et documents produits au cours de ladite procédure. Avant l’avènement du décret français du 13 janvier 2011 relatif à l’arbitrage qui a étendu l’exigence de confidentialité à toute la procédure arbitrale , la jurisprudence avait déjà adopté un tel principe . Le législateur français n’envisage cette exigence que relativement à l’arbitrage interne cependant.
Cette limitation remet à l’ordre du jour la question de l’existence d’un principe général de confidentialité dans l’arbitrage ? Il est vrai que par le passé, l’on a assisté des fois à la remise en cause de ce principe, avec comme conséquence l’affirmation selon laquelle le principe de confidentialité n’était pas un attribut essentiel de l’arbitrage , et en l’état actuel de la législation française, ce principe ne vaudrait que dans l’arbitrage interne. La solution devrait être différente dans le cadre de l’arbitrage OHADA s’il advenait que ce principe soit reconnu par la jurisprudence, car il serait dès lors étendu à l’arbitrage autant interne qu’international.

En somme, bien que l’obligation de confidentialité soit permanente, elle peut tout de même s’effacer en face des faits illicites, immoraux ou devant des principes supérieurs posés par l’ordre public, qu’il soit de fond ou procédural , notamment le respect des droits de la défense si une partie veut contester la sentence devant le juge étatique.

À côté de ces obligations requises en permanence de l’arbitre, figurent d’autres qui sont propres à certaines étapes de l’instance.

2 : Les obligations ponctuelles de l’arbitre

Il incombe à l’arbitre d’assumer des obligations pendant et au terme de l’instance arbitrale.
Pendant l’instance arbitrale, l’arbitre a tout d’abord l’obligation de participer à l’instance s’il veut pouvoir accomplir sa mission qui est de trancher le différend qui oppose les parties. Cela implique qu’il doit siéger dans le tribunal arbitral, être disponible sans que l’on ne puisse exiger de lui une totale dévotion à l’égard des parties, et il ne doit pas se déporter sans juste motif. Quant à cette dernière exigence, l’on veut ainsi éviter une manœuvre dilatoire classique qui révèle à quel point l’arbitre est dépendant de la partie qui l’a désigné .

Ensuite, l’arbitre doit traiter les parties au même pied d’égalité et donner à chaque partie la possibilité de faire valoir ses droits . Il s’agit ici pour l’arbitre de contrôler le respect des garanties fondamentales de bonne justice.

Enfin, l’arbitre doit être diligent, en instruisant la cause dans les plus brefs délais par tous les moyens appropriés . Cette obligation se traduit par le souci permanent de ne laisser à aucune étape de l’instance arbitrale plus de temps qu’il n’est nécessaire. L’arbitre ne doit pas se contenter uniquement de faire observer les délais fixés pour l’instance arbitrale, car ceux-ci sont parfois trop largement prévus ou trop facilement repoussés, le délai de l’instance arbitrale devant être raisonnable . Pour illustration, en cas d’absence d’indication par les parties du délai d’arbitrage, les arbitres ne seraient pas tenus d’épuiser le délai légal de six mois si la cause peut être tranchée dans une durée relativement courte.

Au terme de l’instance arbitrale, il s’agit principalement de prononcer la sentence arbitrale, mais ce n’est que l’aboutissement de plusieurs obligations adjacentes. On peut citer notamment l’obligation de délibérer, de respecter la forme de la sentence arbitrale et l’obligation de motivation .

Pour ce qui est de l’obligation de délibérer, elle commence après qu’intervienne l’échéance de la date du délibéré fixée par le tribunal arbitral. Cette date marque la fin de l’instruction de l’affaire, justifiant le fait qu’aucune observation ne puisse plus être présentée, ni aucune pièce produite si ce n’est à la demande expresse et par écrit du tribunal arbitral. Le délibéré renvoie à la réflexion menée par un juge avant de prendre parti, elle intervient dans la phase sécrète du jugement qui s’intercale entre les débats et le prononcé de la décision . L’arbitre exerçant une fonction juridictionnelle, il est logique de soutenir que le délibéré arbitral fasse corps avec l’essence de l’arbitrage. Il s’impose même à un arbitre unique, dans le dialogue intérieur qu’il entretient avec lui-même .

La principale difficulté se pose ici en présence d’un tribunal arbitral collégial si cette obligation n’est pas remplie par l’un des arbitres. L’on peut s’interroger sur la conséquence d’une telle attitude par rapport à la validité de la sentence arbitrale ? Mais en vue de favoriser l’efficacité de la sentence arbitrale et évitant du même coup cette manœuvre dilatoire, il est considéré qu’un arbitre qui a été mis en mesure de délibérer, et qui s’y est refusé, a valablement délibéré . La sentence ne saurait donc être annulée à ce propos. En cela, l’obligation de délibérer peut se rapprocher de l’obligation de signer qui elle concerne la forme de la sentence.

Concernant l’obligation de respecter la forme de la sentence arbitrale, la forme est en principe convenue par les litigants , et en l’absence de leur choix, aucune forme ne devrait être exigée dans la présentation de la sentence. L’on ne peut donc exiger aux arbitres de rédiger la sentence à l’instar d’une décision de justice, avec une disposition précise dans sa structuration. Toutefois, des mentions précises doivent être contenues dans la sentence , de même qu’elle doit être signée par le ou les arbitres, mais l’absence ou le refus de signature par l’un des arbitres n’affecte pas la validité de la sentence arbitrale. Il doit tout simplement être fait mention de cela dans la sentence qui aura dès lors le même effet que si elle avait été signée par tous les arbitres .

En définitive, si le but final du contrat d’arbitre est de régler le litige qui oppose les litigants, ce contrat produit des effets qui se dessinent dans les rapports que l’arbitre entretient avec les parties. Par conséquent, l’arbitre a des obligations envers les parties et doit répondre civilement de ses fautes et de ses erreurs, pas au motif de ce qu’il aurait mal jugé, mais pour tout ce qui relève de sa personne et de ses diligences .

L’irrespect de ses obligations peut donc servir de fondement à la mise en œuvre de sa responsabilité pouvant se présenter sous divers aspects.

B : Les types de responsabilité encourue par l’arbitre

La responsabilité de l’arbitre peut être engagée tant sur le plan civil que sur le plan pénal.

1 : La responsabilité civile de l’arbitre

Le contrat d’arbitre fournissant le cadre général de l’activité de l’arbitre , c’est d’abord sa responsabilité civile contractuelle que nous envisagerons (a). Cependant, certaines obligations imposées à l’arbitre interviennent en dehors du contrat d’arbitre, la responsabilité ne pouvant être que délictuelle dans ces hypothèses (b).

a : La responsabilité civile contractuelle
En principe, l’arbitre étant lié aux parties par un contrat, sa responsabilité devrait être engagée dans les conditions de l’article 1142 du code civil . Cette position avait été très tôt adoptée par la Cour de cassation dans les termes suivants : « Les arbitres n’étant investis d’aucune fonction publique et ne pouvant, par suite, engager la responsabilité de l’État énoncée par l’article 505 du Code de procédure civile […], l’action en dommages-intérêts dirigée contre eux à raison de l’accomplissement de leur mission ne peut l’être que dans les conditions du droit commun » .

Si le principe était déjà posé, ce n’est que plus tard que l’on retiendra effectivement la responsabilité contractuelle de l’arbitre. La première décision du genre est intervenue pour ce qui est de la France en 1993 où l’arbitre a été condamné à des dommages et intérêts pour inexécution du contrat d’arbitre . Par la suite, en appel dans cette affaire, l’arbitre était assimilé à un contractant ordinaire . De là, on peut penser à l’existence d’une certaine égalité entre les parties au contrat d’arbitre. Pourtant, il n’y a pas d’égalité des parties dans le contrat d’arbitre, car l’un des contractants est le juge de l’autre. Le juge n’est pas l’égal de son justiciable puisqu’il décide du sort de sa prétention .

Bien que d’origine contractuelle, la dimension juridictionnelle de l’activité de l’arbitre empêche de suivre une interprétation exclusivement contractuelle de sa responsabilité. Par conséquent, l’on ne saurait tenir l’arbitre pour responsable du fait d’avoir rendu une mauvaise décision de justice, sinon ce serait l’empêcher d’accomplir sa mission juridictionnelle avec toute la sérénité qu’elle requiert. En effet, toute mission juridictionnelle, y compris celle de l’arbitre repose pour beaucoup sur des éléments d’appréciation subjective, sur la conviction de celui qui l’accomplit.

L’aspect juridictionnel de la mission de l’arbitre doit donc échapper à toute action en responsabilité de la part des litigants, car dans cette hypothèse, le procès doit être fait à l’acte juridictionnel et non dirigé à l’encontre de l’arbitre. Il a d’ailleurs été précisé qu’ « une telle action ne peut être substituée aux voies de recours ouverts contre la sentence ni conférer indirectement au juge étatique un pouvoir de révision de la décision arbitrale […], qu’il n’entre donc pas, par principe, dans les attributions d’un tribunal de grande instance, saisi d’une action en justice de droit commun, d’apprécier le bien ou le mal jugé de la décision des arbitres […] » .

Cette position n’est pas toujours retenue sous d’autres cieux, puisqu’il y est permis de retenir la responsabilité d’un juge dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle. La cour de cassation belge a eu à admettre la responsabilité pour faute du juge dans l’aspect juridictionnel de son activité, à condition que la décision juridictionnelle fautive ait été au préalable reformée par l’exercice d’une voie de recours, que le magistrat ne se soit pas comporté suivant le critère du magistrat normalement soigneux et prudent, et que le plaideur démontre que le dommage dont il se plaint n’a pu être réparé par le seul exercice des voies de recours ayant abouti à l’anéantissement de la décision régulière .

Toujours est-il que nous sommes d’avis que ce qui ne relève pas de l’aspect juridictionnel de la mission de l’arbitre, car n’ayant rien à voir avec la manière dont il a tranché le litige, doit pouvoir être sanctionné par le biais d’une action en responsabilité civile contractuelle .

L’inquiétude provient de ce qu’il n’est pas évident de dissocier l’aspect contractuel de l’aspect juridictionnel dans la mission de l’arbitre. En résumé, c’est en accomplissant plusieurs obligations contractuelles que l’arbitre tranche le litige. Les deux aspects étant liés, nous pouvons affirmer que l’obligation principale de l’arbitre est de nature juridictionnelle. L’objectif ici cependant n’est pas d’adopter une approche purement juridictionnelle avec pour conséquence la consécration d’une immunité absolue pour l’arbitre. Par conséquent, « le contrat d’arbitre se situant au confluent du juridictionnel et du contractuel, la responsabilité contractuelle de l’arbitre doit se chercher au même endroit, compte tenu de la coloration juridictionnelle de sa mission contractuelle » .

Sur cette base, la jurisprudence majoritaire refuse que la responsabilité contractuelle puisse être engagée autrement que pour un manquement grave. La mise en jeu de la responsabilité contractuelle de l’arbitre ne peut donc être envisagée que pour des fautes qualifiées de personnelles, qui recouvrent des fautes équipollentes au dol ou constitutives d’une fraude, d’une concussion, d’une faute intentionnelle, d’une faute lourde ou d’un déni de justice . Il semble donc que l’assimilation puisse être faite entre la faute personnelle et la faute lourde.

La faute personnelle est considérée tant par la doctrine que la jurisprudence comme un cas particulier de la faute lourde , or il faut comprendre par faute personnelle la faute intentionnelle de l’arbitre .

La faute lourde a été tout d’abord conçue de manière extensive par la jurisprudence qui la rattachait à la notion d’erreur grossière du juge ou à son intention de nuire. C’est ainsi que la Cour de cassation française définissait la faute lourde comme celle « qui a été commise sous l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat ou un fonctionnaire de justice, normalement soucieux de ses devoirs, n’y eût pas été entrainé » . Cette position a par la suite été infléchie en assemblée plénière où la Cour de cassation a décidé que : « constitue une faute lourde toute défaillance caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » . Se ramenant aux arbitres, puisqu’ils ne sont pas tributaires d’un service public de justice, la conception de faute lourde devant être retenue est celle se ramenant à la faute grossière, le caractère intentionnel renvoyant plutôt à la faute personnelle. De plus, admettre la nouvelle conception assimilant la faute lourde à une simple faute serait facilement mettre en cause la responsabilité de l’arbitre, avec pour conséquence une absence de sérénité dans l’exercice de sa mission.

S’agissant du régime de cette responsabilité, il a été proposé une systématisation en opérant une distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat , mais la difficulté se situe au niveau du classement des différentes obligations de l’arbitre entre ces deux grands groupes. En effet, il peut arriver qu’une obligation jadis considérée comme de résultat, soit plus tard qualifiée d’obligation de moyens et inversement, la frontière n’étant pas toujours aisée à matérialiser entre les deux. Ce constat provient de deux décisions de la Cour de cassation française.

Dans la première espèce, suite à une annulation de la sentence arbitrale pour dépassement des délais d’arbitrage, l’une des parties au litige entreprit d’assigner les arbitres en responsabilité civile, parce que supposés responsables du dépassement desdits délais. Elle fut déboutée par les juges du fond, à cause de la nature juridictionnelle de l’obligation des arbitres qui empêchait que leur faute simple, tel le défaut de diligence, suffise à engager leur responsabilité. La Cour de cassation dans cette affaire a par contre décidé qu’ « en laissant expirer le délai d’arbitrage sans demander sa prorogation au juge d’appui […] les arbitres, tenus à cet égard d’une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entrainé l’annulation de la sentence » . La Cour de cassation reviendra plus tard sur cette position, en considérant qu’en matière de respect des délais d’arbitrage, y comprise notamment l’obligation de demander la prorogation du délai d’arbitrage, ces obligations s’analysent en des obligations de moyens .

Si ce manquement est constaté en dehors du cadre contractuel liant l’arbitre aux parties, sa responsabilité civile ne pourra être que délictuelle.

b : La responsabilité civile délictuelle

Deux cas de figure peuvent permettre d’engager la responsabilité civile délictuelle de l’arbitre : soit il n’y a pas de lien contractuel entre les parties en cause, soit l’arbitre s’est rendu coupable d’une faute précontractuelle.

Dans la première hypothèse, la référence est faite tout d’abord aux tiers à l’instance arbitrale ayant subi un préjudice imputable à l’arbitre. Ensuite, elle concerne également les autres intervenants à l’instance arbitrale qui ne sont pas liés par le contrat violé par l’arbitre. Dans ce dernier cas, l’illustration est faite par la possibilité pour un arbitre d’être poursuivi par un autre membre du tribunal arbitral si ce dernier a subi un dommage du fait de son comportement, ou encore, les parties peuvent subir un dommage né de l’inexécution du contrat de collaboration liant l’arbitre au centre d’arbitrage, ou enfin la responsabilité de l’arbitre peut être engagée par le centre d’arbitrage pour inexécution du contrat de collaboration. Ce ne sont là que des hypothèses d’école qui ne devraient pas se rencontrer dans la pratique.

Le second cas de figure est plus patent, car il concerne la violation d’une obligation précontractuelle de l’arbitre, notamment celle d’information qui doit intervenir avant la signature du contrat d’arbitre . En effet, cette obligation existe alors que l’arbitre n’a pas encore endossé cette qualité, même si elle peut être étendue à l’instance arbitrale, en cas de survenance d’un fait nouveau qui mérite d’être révélé . La recherche d’une faute personnelle ou même simple de l’arbitre dans le cadre contractuel n’est pas nécessaire dans ce cas de figure, l’arbitre devant être condamné sur le fondement de l’article 1382 du Code civil . L’on pourrait également envisager l’hypothèse où le contrat d’arbitre est nul dû à l’annulation de la convention d’arbitrage, qui a pour conséquence de priver le contrat d’arbitre de sa base juridique.

Que ce soit dans le cadre précontractuel ou contractuel, les manquements de l’arbitre peuvent être teintés d’une coloration pénale, susceptibles donc d’engager la responsabilité y afférente.

2 : La responsabilité pénale de l’arbitre

Le droit pénal a vocation à s’appliquer à l’arbitre, que ce soit par l’action en corruption, escroquerie, recel…
La responsabilité pénale de l’arbitre a été retenue dans l’affaire B.E.L. Tronics où l’arbitre a été condamné pour escroquerie, tentative d’escroquerie, faux en écriture privée et usage de ces faux .

Plus récemment, l’on peut citer l’arbitrage intervenu entre l’État français (le Crédit Lyonnais) et Bernard TAPIE, à l’issue duquel un juge arbitre est mis en examen pour escroquerie en bande organisée, alors que les deux autres juges arbitres sont placés sous le statut de témoin assisté, statut intermédiaire entre celui de simple témoin et de mis en examen et leur permettant tout de même d’avoir accès au dossier . Il ne s’agit que d’une étape supplémentaire dans cette procédure où, l’arbitre Pierre ESTOUP avait déjà été mis en cause pour faux et usage de faux dans sa déclaration d’indépendance, déclaration dans laquelle il aurait menti par omission au sujet de ses liens avec les parties à l’arbitrage, notamment Bernard TAPIE et son conseil Maurice LANTOURNE . L’issue de cette affaire n’est pas encore connue.

Il peut également exister des hypothèses où l’arbitre, sans être coupable de délits, peut être confronté à des actes pénalement répréhensibles. Par conséquent, l’arbitre qui permettrait à une opération défectueuse de bénéficier d’un acte doté de l’autorité de chose jugée, serait complice de l’infraction. Sa responsabilité pénale pourrait alors être recherchée, car, il ne bénéficie naturellement pas des protections inhérentes à sa fonction juridictionnelle puisque l’infraction est sans rapport avec elle .

S’il est ainsi évident que la responsabilité de l’arbitre puisse être mise en cause et ce sur plusieurs plans, encore faudrait-il qu’il ne soit bénéficiaire d’une immunité quelconque.

II : Le tempérament à la responsabilité des arbitres dans l’espace OHADA

La propension des parties à mettre en cause la responsabilité des arbitres est le pendant du caractère limité des cas d’ouverture des voies de recours contre la sentence arbitrale, et justifie d’ailleurs l’idée de rejet d’une immunité absolue de l’arbitre dans l’exercice de sa mission . Pourtant, l’absence de toute limitation de responsabilité personnelle de l’arbitre aura pour conséquence de limiter l’engouement des personnes privées à accepter la mission d’arbitre, à une époque où l’expansion continue du commerce international et celle des litiges qu’il suscite inévitablement, font grandir le besoin d’arbitres qualifiés . Pour une mesure équilibrée, l’on opterait pour une disposition règlementaire qui limiterait, sans exclure totalement la responsabilité personnelle de l’arbitre, pouvant avoir dans une certaine mesure un effet psychologique protecteur, tout en décourageant la partie perdante. Par contre, une immunité absolue pourrait susciter dans l’esprit des usagers potentiels de l’arbitrage, des doutes sur la valeur du système, au lieu d’inspirer la confiance indispensable .

Pourtant, au-delà de l’immunité liée à la fonction de l’arbitre qui serait de principe, a été reconnue aux arbitres dans l’espace OHADA une immunité diplomatique, si bien que l’on se demande s’il n’existerait pas un chevauchement entre ces deux types d’immunité (A). Il faut toutefois souligner que relativement à ce dernier type d’immunité, elle n’est pas étendue à tous les arbitres pouvant exercer dans l’espace OHADA, ou du moins, elle n’est réservée qu’aux arbitres participant à un arbitrage organisé par la Cour commune de justice et d’arbitrage (B).

A : Le caractère dual de l’immunité des arbitres dans le droit OHADA.

La nécessité d’octroyer une quelconque immunité supplémentaire à l’arbitre est sujette à caution dans la mesure où ce dernier bénéficie déjà d’une certaine immunité relativement à la fonction juridictionnelle qu’il exerce. Il n’empêche tout de même que deux types d’immunités peuvent être envisagés dans l’espace OHADA relativement à la personne de l’arbitre. La première est potentielle et somme toute relative (A), tandis que la seconde est actuelle et présente un caractère très étendu (B).

1 : La reconnaissance potentielle de l’immunité relative de fonction

L’idée de la reconnaissance d’une immunité fonctionnelle à l’arbitre est diversement appréciée et la question de son opportunité s’est d’ailleurs souvent posée. C’est ainsi que dans le rapport du groupe de travail sur le statut de l’arbitre ayant précédé l’adoption du règlement CCI par son conseil du 27 avril 1997, en son assemblée de Shanghai, le Pr. FOUCHARD concluait en ce qui concerne son article 34 que : « Dès lors, si la clause réserve la responsabilité de l’arbitre pour de telles fautes (fautes intentionnelles ou inexcusables), elle est inutile et si elle ne comporte pas une telle exception, elle est sans valeur » . L’analyse peut être faite de ce que l’immunité fonctionnelle liée à la mission de juger de l’arbitre relève d’un principe général qu’il n’est donc pas nécessaire de rappeler.

L’arbitre accède dès acceptation de sa mission au statut de juge par l’effet du contrat d’investiture, possédant ainsi les mêmes droits et devant respecter les mêmes devoirs qu’un juge . L’on ne peut donc faire le reproche à l’arbitre d’avoir mal jugé, sauf à restreindre la sécurité, l’indépendance et l’autorité de celui-ci dans les limites incompatibles avec la mission de trancher le litige. Sauf que le statut de l’arbitre, juge privé, ne repose pas sur l’autorité supérieure de l’État, il semble donc nécessaire que cette immunité fonctionnelle soit reconnue.

C’est dans les pays de Common Law que l’immunité absolue a été reconnue à l’arbitre, notamment aux États-Unis d’Amérique où plusieurs lois d’États fédérés et la jurisprudence écartent la responsabilité civile de l’arbitre pour tous les actes accomplis en cette qualité . Il est également admis que le droit anglais accorde traditionnellement à l’arbitre une immunité de poursuite au civil , justifiée par l’exercice d’une fonction judiciaire que toute personne se trouvant dans cette hypothèse devrait en jouir pour des raisons d’ordre public . On peut penser que dans ces pays où l’immunité reconnue à l’arbitre semble totale, elle est néanmoins réservée à l’aspect civil de sa responsabilité. En serait-il de même si c’est sa responsabilité pénale qui était engagée ?

Par contre dans d’autres pays , l’option est en faveur soit d’une immunité restreinte (Allemagne, Autriche, Norvège), soit de l’admission d’une action en responsabilité contre l’arbitre (Espagne, Suède, France) . Quant à ce dernier pays en particulier, il faut préciser que la responsabilité de l’arbitre ne peut être engagée comme celle d’un contractant ordinaire, mais relève d’un régime particulier, et qui plus est, sa construction est surtout l’œuvre de la jurisprudence .

En droit commun de l’arbitrage OHADA, c’est le silence législatif qui prévaut, ce qui présage d’une possibilité de choix entre la responsabilité ou l’irresponsabilité de l’arbitre dans l’exercice de sa mission. En attendant que la jurisprudence dans l’espace OHADA se prononce sur la matière, l’on peut avancer que l’immunité fonctionnelle étant de principe, l’arbitre ne devrait pas y voir sa responsabilité engagée dans les conditions de droit commun de la responsabilité civile. Cette protection serait accordée par l’autorité publique dans un but d’intérêt général, à savoir la garantie de la sérénité de la justice arbitrale . Cela paraît justifié, car l’arbitre exerce la même mission que le juge, et devrait au moins bénéficier d’une certaine protection dans l’aspect juridictionnel de son office. Si immunité il y a, elle ne devrait être cependant que relative. Cela d’autant plus, qu’il faut aussi tenir compte du pendant contractuel de l’engagement de l’arbitre, qui permet de mettre en cause sa responsabilité civile.

D’ailleurs, il lui est reconnu la possibilité d’insérer lors de la conclusion du contrat d‘arbitre des clauses exonératoires de responsabilité. Bien entendu, leur efficacité ne serait que partielle, dans la mesure où elles ne pourraient permettre d’éluder la responsabilité de l’arbitre en cas de faute personnelle ou de faute lourde.

La situation contraire se présente pourtant s’agissant de l’arbitrage institutionnel de la CCJA où il est reconnu aux arbitres une immunité totale, susceptible d’éluder même les fautes intentionnelles ou les fautes lourdes de l’arbitre.

2 : L’immunité diplomatique liée au statut particulier de l’arbitre

Unique en son genre, le traité OHADA accorde à l’arbitre qui exerce sa mission sous l’égide de la CCJA le bénéfice d’une immunité diplomatique. En effet, il ressort de l’article 49 dudit traité révisé le 17 octobre 2008 à Québec, que : « Dans les conditions déterminées par un règlement, les fonctionnaires et employés de l’OHADA, les juges de la Cour commune de justice et d’arbitrage ainsi que les arbitres nommés ou confirmés par cette dernière jouissent dans l’exercice de leurs fonctions des privilèges et immunités diplomatiques.

Les immunités et privilèges mentionnés ci-dessus peuvent être, selon les circonstances, levés par le Conseil des Ministres.
En outre, les juges ne peuvent être poursuivis pour des actes accomplis en dehors de l’exercice de leurs fonctions qu’avec l’autorisation de la Cour ».
Il faut relever que cette disposition a fait l’objet de plusieurs modifications par rapport à sa rédaction antérieure . Parmi elles, soulignons l’extension du bénéfice des privilèges et immunités diplomatiques aux arbitres confirmés par la Cour, car jadis ils n’étaient réservés qu’aux arbitres désignés par cette dernière, créant de la sorte une discrimination entre les arbitres exerçant sous l’égide de la CCJA. Cette séparation de traitement pouvait s’expliquer, car la désignation des arbitres par la Cour est sujette à son évaluation préalable , alors qu’aucune disposition du genre n’est prévue pour les arbitres qu’elle confirme seulement. Pour autant, cela relève de la logique que la confirmation des arbitres choisis par les parties passe nécessairement par l’évaluation de ce choix au niveau de la CCJA, autrement, la confirmation serait sans objet. Il s’avère donc nécessaire de compléter l’article 3.3 du règlement d’arbitrage de la CCJA en mentionnant les arbitres confirmés par elle. Cette disposition pourrait alors débuter de la sorte, « Pour nommer ou confirmer les arbitres, … ».

L’octroi de cette immunité à l’arbitre exerçant sous l’égide de la CCJA est constamment remis en cause. Pour certains, cette immunité est qualifiée d’incompréhensible , de malencontreuse et choquante , parce que limitée à une catégorie d’arbitres. Pour d’autres, elle n’est tout simplement pas justifiée parce que les arbitres ne font pas partie du personnel de l’OHADA .

L’immunité diplomatique est traditionnellement conçue comme une protection offerte par tout État aux diplomates qui le représentent à l’étranger, ainsi qu’à leur famille. L’objectif de cette immunité n’est pas d’avantager des individus, mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des États .

Se rapportant à une organisation internationale, son objectif serait de faciliter son fonctionnement en protégeant ses locaux et ses agents contre toute ingérence ou pression. Il existe une analogie entre les immunités reconnues aux organisations internationales et celles octroyées aux missions diplomatiques étrangères établies sur le territoire d’un État. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’assurer à leurs bénéficiaires l’indépendance nécessaire à l’exercice de leurs fonctions. Il en est de même de celles accordées aux agents de l’institution qui visent à garantir l’efficacité de leur action en pleine indépendance, afin de promouvoir les buts internationaux de l’institution .

C’est par référence aux dispositions de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques que l’on peut définir le contenu des privilèges et immunités reconnus aux diplomates. On peut les regrouper en trois points :

  • L’inviolabilité personnelle qui a pour effet d’interdire la soumission de l’agent diplomatique à toute forme d’arrestation ou de détention
  • L’immunité juridictionnelle qui sur le plan pénal est absolue, que l’agent diplomatique soit ou non dans l’exercice de ses fonctions. Elle s’étend également au plan civil et administratif, à moins que les actes en cause ne soient pas accomplis dans l’exercice de leurs fonctions au nom de l’institution qu’il représente ;
  • Les exemptions fiscales et douanières. De même, pour ce qui est de la durée de ces privilèges et immunités diplomatiques, il ressort de l’article 39. 2 de la convention de Vienne précitée qu’ils cessent à la fin de l’exercice des fonctions de la personne protégée, mais subsisteront pour les actes accomplis par cette personne dans l’exercice des fonctions en tant que représentant de l’institution. Par rapport à la durée de cette immunité, il est évident que ce régime sera appliqué à l’arbitre exerçant sous l’égide de la CCJA, qui ne pourrait être poursuivi pour des actes accomplis lors de l’exécution de son contrat d’arbitre et même après la fin dudit contrat . Mais l’octroi des privilèges et immunités tels que prévu par la convention de Vienne à la personne de l’arbitre CCJA est discutable s’agissant de leur contenu. En effet, il ressort de l’article 49 nouveau du traité OHADA précité que les arbitres ne bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques que dans l’exercice de leurs fonctions. Cela suppose que l’inviolabilité personnelle et même l’immunité de juridiction pénale ne concernent que les actes accomplis dans le cadre de sa mission d’arbitre. Elles n’ont donc pas de caractère absolu comparable à celui des diplomates. L’on peut même ajouter s’agissant des exemptions fiscales et douanières que l’arbitre n’est pas le représentant d’un État, le paiement d’un impôt ne pouvant dès lors être considéré comme un acte d’assujettissement ou pouvant remettre en cause son indépendance envers l’État du lieu où il percevra ses revenus. L’arbitre est un prestataire de service qui agit en son nom et pour son compte, et doit être considéré comme tel. Si privilèges et immunités il y a, ils doivent concourir à la facilitation de sa mission , or le fait d’imposer ses revenus se situe à la fin de sa mission. Telles sont les pistes de solution proposées en attendant que le règlement indiqué à l’article 49 nouveau du traité OHADA précité ne vienne fixer les conditions dans lesquelles les privilèges et immunités diplomatiques seront reconnus aux arbitres. En somme, ces immunités et privilèges permettront à des arbitres nommés ou confirmés par la CCJA et ayant des comportements répréhensibles d’échapper à toute sanction judiciaire, sous réserve que ces comportements aient lieu dans l’exercice de leurs fonctions, excepté les cas où ces privilèges et immunités seront levés par le Conseil des Ministres . Par cette mesure, il n’existerait plus de discrimination entre les arbitres relevant de la CCJA et les autres arbitres exerçant dans l’espace OHADA.

B : Le caractère discriminant de la reconnaissance de l’immunité diplomatique

L’article 49 nouveau du traité OHADA est certes venu rétablir une égalité entre les arbitres désignés et ceux confirmés par la CCJA, qui tous officient sous son égide et bénéficient dès lors des privilèges et immunités diplomatiques. Toutefois, la disparité de traitement n’a pas disparu entre les arbitres, parce que certains ne bénéficient pas d’une telle protection (1), si bien que l’on penche pour un rétablissement de l’égalité entre les arbitres en droit OHADA (2).

1 : L’exclusion des arbitres ne relevant pas de la CCJA

Contrairement aux arbitres de la CCJA, les autres ne bénéficient pas des privilèges et immunités diplomatiques.
Il s’agit tout d’abord des arbitres intervenant dans le cadre de l’arbitrage ad hoc. Ils sont réputés ne pas être dépendants d’un quelconque organisme d’arbitrage, et ne voient pas leur sentence faire l’objet d’un examen préalable avant d’être rendue. Ils ne représentent donc aucune institution, sinon leur propre personne. Étant des personnes privées, ils agissent pour leurs seuls intérêts privés et non pour un quelconque intérêt général. C’est donc à juste titre qu’ils ne sauraient bénéficier des privilèges et immunités diplomatiques.

S’ils doivent être protégés, c’est de leur propre initiative, en prévoyant dans leur contrat d’arbitre des clauses élusives de responsabilité ou en souscrivant une assurance contre leur responsabilité civile éventuelle. Dans cette hypothèse, en rappelant que la clause élusive de responsabilité serait inefficace en cas de dol ou de faute lourde, il faut aussi indiquer que les fautes intentionnelles ne sont généralement pas garanties par les assureurs . Même s’il appartient à ces derniers d’établir la preuve du caractère intentionnel de la faute , signalons que cela sera aisé s’agissant des arbitres, parce que faisant suite à une action en responsabilité des litigants à l’arbitrage fondée sur une faute personnelle de l’arbitre.

Ensuite, il s’agit des arbitres relevant des institutions privées d’arbitrage se trouvant dans l’espace OHADA. Cela peut s’expliquer par le fait qu’en tant qu’institutions privées d’arbitrage, elles ne bénéficient pas de la protection attribuée au centre d’arbitrage de la CCJA, institution publique faisant partie de l’OHADA. L’on ne saurait donc étendre aux arbitres une protection qui ne bénéficie pas aux institutions auxquelles ils sont rattachés. Même si le centre privé d’arbitrage avait reconnu dans son règlement une telle immunité, elle serait sans effet, car les centres d’arbitrage n’ont pas un pouvoir législatif analogue à celui des États, leur force obligatoire ne provenant que du fait de leur incorporation à la convention d’arbitrage des parties . Il a par ailleurs déjà été indiqué que seule l’autorité publique pouvait conférer l’immunité à des arbitres . D’où le constat de ce que la plupart des institutions privées d’arbitrage se trouvant dans l’espace OHADA n’aient pas envisagé l’immunité ou l’irresponsabilité de l’arbitre .

Le raisonnement selon lequel les arbitres doivent eux-mêmes œuvrer à leur protection, peut donc être étayé s’agissant des arbitres relevant des institutions privées.

La protection visant la fonction exercée par les arbitres et non leur personne, il ne devrait pas avoir de disparité dans leur traitement, quel que soit le statut duquel ils relèvent, qu’ils soient des arbitres relevant de l’arbitrage ad hoc, des institutions privées d’arbitrage ou du centre d’arbitrage de la CCJA.

2 : Le vœu d’un rétablissement de l’égalité entre les arbitres dans l’espace OHADA

Plusieurs arguments ont déjà été avancés pour restaurer l’égalité entre tous les arbitres dans le cadre de la réglementation OHADA. Il a été avancé qu’une révision du traité constitutif de l’OHADA était nécessaire afin de supprimer l’immunité et les privilèges diplomatiques conférés aux arbitres . Cette argumentation ne semble pas avoir été suivie, puisque le traité constitutif de l’OHADA a été modifié, notamment au niveau de l’article 49 conférant cette protection aux arbitres CCJA, laquelle d’ailleurs au lieu d’être supprimée, a plutôt été étendue aux arbitres confirmés par la CCJA, laissant toujours persister une discrimination entre les arbitres officiant sous l’égide de la CCJA et les autres arbitres.

Il est dès lors justifié que la doctrine persiste dans cette voie, en affirmant que tous les arbitres ont besoin d’être confortés dans l’exercice de leur fonction occasionnelle de juger. Mais au lieu d’étendre cette protection diplomatique à tous les arbitres , il aurait fallu conférer à ces derniers une immunité juridictionnelle en insérant dans l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage des dispositions conséquentes, qui auraient vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège du tribunal arbitral se trouverait dans l’un des États parties .

En somme, cet argumentaire doit être suivi, pas parce que les arbitres ne font pas partie du personnel de l’OHADA, mais pour les motifs suivants. L’immunité et les privilèges diplomatiques accordés aux représentants des États ou des organisations internationales, ne visent qu’à garantir l’indépendance nécessaire à l’exercice de leurs missions de représentation. Ramené aux arbitres désignés ou confirmés par la CCJA, la question se pose de savoir s’ils sont les représentants de ladite institution ? En effet, répondre par l’affirmative serait prétendre que ces arbitres exercent une mission que le centre d’arbitrage de la CCJA devrait en principe effectuer. Pourtant ils ne sont pas les mandataires de cette institution, car cette dernière est chargée de la mission d’organiser l’arbitrage et non de celle trancher le litige qui oppose les parties litigantes. Même s’ils pouvaient bénéficier du statut de protection conférée à l’institution en tant qu’experts désignés par elle, il faudrait que ce soit dans le cadre de l’accomplissement d’une mission de ladite institution. Les missions étant différentes, l’on ne saurait donc parler de représentation entre les arbitres et le centre d’arbitrage de la CCJA.

En attendant qu’une réforme dans ce sens puisse intervenir, une solution transitoire a été proposée, celle pour la CCJA d’amener les arbitres désignés ou confirmés par elle, à renoncer à leurs immunité et privilèges diplomatiques . Cette solution serait sans doute possible si elle se présentait comme une condition préalable pour la signature du contrat de collaboration arbitrale. Cependant, l’arbitre pour y renoncer devrait déjà en être titulaire, or l’arbitre ne bénéficie de cette immunité qu’à partir du moment où il est désigné ou confirmé par la CCJA. La renonciation ne peut intervenir qu’après, au moment où le centre d’arbitrage n’a plus aucun moyen de pression sur la personne de l’arbitre. Il faut d’ailleurs préciser que l’arbitre doit demeurer indépendant autant des parties que du centre d’arbitrage. Étant à l’abri de pression de la part de l’institution, quel intérêt aurait-il à se priver d’une protection qui lui est destinée ?

Bien plus, il a été avancé la solution extrême d’une levée de l’immunité unilatéralement par la CCJA , position somme toute difficilement acceptable , sauf pour la CCJA à démontrer que l’arbitre indexé a renoncé de manière au moins tacite à son immunité. En effet, dans l’article 49, alinéa 2 du traité OHADA, il ressort que le pouvoir de lever l’immunité des arbitres appartient au Conseil des ministres, organe législatif de l’OHADA. C’est le respect du parallélisme de forme que c’est celui qui a conféré l’immunité qui doit en principe la lever . Il appartient plutôt à la Cour aux termes de l’alinéa 3 de l’article 49 précité, de renforcer la protection conférée aux juges et non aux arbitres, qui se trouveraient dans une situation où ils ne bénéficieraient pas de l’immunité diplomatique. À cette occasion, la Cour dispose du pouvoir d’autoriser ou non l’exercice des poursuites à l’encontre des juges qui exercent en son sein.

Quant aux arbitres, la Cour pourrait de sa propre initiative renforcer leur protection et il serait plutôt préférable pour elle de reconnaître ou de confirmer l’existence d’une immunité juridictionnelle à tous les arbitres dont le siège du tribunal arbitral se trouverait dans l’espace OHADA.

MAFO DIFFO Raymond
Doctorant à la FSJP
Université de Yaoundé 2, SOA

Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires – Pratique Professionnelle, N° 6 – Janvier 2016, Pratique professionnelle.